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Le vicomte de Bragelonne, Tome III.

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– Bien! Planchet, voilà un raisonnement.

– Suivez bien mon idée, monsieur. Je me suis dit, continua

Planchet, sans plaisir, il n'est pas de bonheur sur la terre.

– Oh! que c'est bien vrai, ce que tu dis là, Planchet! interrompit d'Artagnan.

– Or, prenons, sinon du plaisir, le plaisir n'est pas chose si commune, du moins, des consolations.

– Et tu te consoles?

– Justement.

– Explique-moi ta manière de te consoler.

– Je mets un bouclier pour aller combattre l'ennui. Je règle mon temps de patience, et, à la veille juste du jour où je sens que je vais m'ennuyer, je m'amuse.

– Ce n'est pas plus difficile que cela?

– Non.

– Et tu as trouvé cela tout seul?

– Tout seul.

– C'est miraculeux.

– Qu'en dites-vous?

– Je dis que ta philosophie n'a pas sa pareille au monde.

– Eh bien! alors, suivez mon exemple.

– C'est tentant.

– Faites comme moi.

– Je ne demanderais pas mieux; mais toutes les âmes n'ont pas la même trempe, et peut-être que, s'il fallait que je m'amusasse comme toi, je m'ennuierais horriblement…

– Bah! essayez d'abord.

– Que fais-tu? Voyons.

– Avez-vous remarqué que je m'absente?

– Oui.

– D'une certaine façon?

– Périodiquement.

– C'est cela, ma foi! Vous l'avez remarqué?

– Mon cher Planchet, tu comprends que, lorsqu'on se voit à peu près tous les jours, quand l'un s'absente, celui-là manque à l'autre? Est-ce que je ne te manque pas, à toi, quand je suis en campagne?

– Immensément! c'est-à-dire que je suis comme un corps sans âme.

– Ceci convenu, continuons.

– À quelle époque est-ce que je m'absente?

– Le 15 et le 30 de chaque mois.

– Et je reste dehors?

– Tantôt deux, tantôt trois, tantôt quatre jours.

– Qu'avez-vous cru que j'allais faire?

– Les recettes.

– Et, en revenant, vous m'avez trouvé le visage?..

– Fort satisfait.

– Vous voyez, vous le dites vous-même, toujours satisfait. Et vous avez attribué cette satisfaction?..

– À ce que ton commerce allait bien; à ce que les achats de riz, de pruneaux, de cassonade, de poires tapées et de mélasse allaient à merveille. Tu as toujours été fort pittoresque de caractère, Planchet; aussi n'ai-je pas été surpris un instant de te voir opter pour l'épicerie, qui est un des commerces les plus variés et les plus doux au caractère, en ce qu'on y manie presque toutes choses naturelles et parfumées.

– C'est bien dit, monsieur; mais quelle erreur est la vôtre!

– Comment, j'erre?

– Quand vous croyez que je vais comme cela tous les quinze jours en recettes ou en achats. Oh! oh! monsieur, comment diable avez- vous pu croire une pareille chose? Oh! oh! oh!

Et Planchet se mit à rire de façon à inspirer à d'Artagnan les doutes les plus injurieux sur sa propre intelligence.

– J'avoue, dit le mousquetaire, que je ne suis pas à ta hauteur.

– Monsieur, c'est vrai.

– Comment, c'est vrai?

– Il faut bien que ce soit vrai puisque vous le dites; mais remarquez bien que cela ne vous fait rien perdre dans mon esprit.

– Ah! c'est bien heureux!

– Non, vous êtes un homme de génie, vous; et, quand il s'agit de guerre, de surprises, de tactique et de coups de main, dame! les rois sont bien peu de chose à côté de vous; mais, pour le repos de l'âme, les soins du corps, les confitures de la vie, si cela peut se dire, ah! monsieur, ne me parlez pas des hommes de génie, ils sont leurs propres bourreaux.

– Bon! Planchet, dit d'Artagnan pétillant de curiosité, voilà que tu m'intéresses au plus haut point.

– Vous vous ennuyez déjà moins que tout à l'heure, n'est-ce pas?

– Je ne m'ennuyais pas; cependant, depuis que tu me parles, je m'amuse davantage.

– Allons donc! bon commencement! Je vous guérirai.

– Je ne demande pas mieux.

– Voulez-vous que j'essaie?

– À l'instant.

– Soit! Avez-vous ici des chevaux?

– Oui: dix, vingt, trente.

– Il n'en est pas besoin de tant que cela; deux, voilà tout.

– Ils sont à ta disposition, Planchet.

– Bon! je vous emmène.

– Quand cela?

– Demain.

– Où?

– Ah! vous en demandez trop.

– Cependant tu m'avoueras qu'il est important que je sache où je vais.

– Aimez-vous la campagne?

– Médiocrement, Planchet.

– Alors vous aimez la ville?

– C'est selon.

– Eh bien! je vous mène dans un endroit moitié ville moitié campagne.

– Bon!

– Dans un endroit où vous vous amuserez, j'en suis sûr.

– À merveille!

– Et, miracle, dans un endroit d'où vous revenez pour vous y être ennuyé.

– Moi?

– Mortellement!

– C'est donc à Fontainebleau que tu vas?

– À Fontainebleau, juste!

– Tu vas à Fontainebleau, toi?

– J'y vais.

– Et que vas-tu faire à Fontainebleau, Bon Dieu?

Planchet répondit à d'Artagnan par un clignement d'yeux plein de malice.

– Tu as quelque terre par là, scélérat!

– Oh! une misère, une bicoque.

– Je t'y prends.

– Mais c'est gentil, parole d'honneur!

– Je vais à la campagne de Planchet! s'écria d'Artagnan.

– Quand vous voudrez.

– N'avons-nous pas dit demain?

– Demain, soit; et puis, d'ailleurs, demain, c'est le 14, c'est- à-dire la veille du jour où j'ai peur de m'ennuyer, ainsi donc, c'est convenu.

– Convenu.

– Vous me prêtez un de vos chevaux?

– Le meilleur.

– Non, je préfère le plus doux; je n'ai jamais été excellent cavalier, vous le savez, et, dans l'épicerie, je me suis encore rouillé; et puis…

– Et puis quoi?

– Et puis, ajouta Planchet avec un autre clin d'oeil, et puis je ne veux pas me fatiguer.

– Et pourquoi? se hasarda à demander d'Artagnan.

– Parce que je ne m'amuserais plus, répondit Planchet.

Et là-dessus il se leva de dessus son sac de maïs en s'étirant et en faisant craquer tous ses os, les uns après les autres avec une sorte d'harmonie.

– Planchet! Planchet! s'écria d'Artagnan, je déclare qu'il n'est point sur la terre de sybarite qui puisse vous être comparé. Ah! Planchet, on voit bien que nous n'avons pas encore mangé l'un près de l'autre un tonneau de sel.

– Et pourquoi cela, monsieur?

– Parce que je ne te connaissais pas encore, dit d'Artagnan, et que, décidément, j'en reviens à croire définitivement ce que j'avais pensé un instant le jour où, à Boulogne, tu as étranglé, ou peu s'en faut, Lubin, le valet de M. de Wardes; Planchet, c'est que tu es un homme de ressource.

Planchet se mit à rire d'un rire plein de fatuité, donna le bonsoir au mousquetaire, et descendit dans son arrière-boutique, qui lui servait de chambre à coucher.

D'Artagnan reprit sa première position sur sa chaise, et son front, déridé un instant, devint plus pensif que jamais.

Il avait déjà oublié les folies et les rêves de Planchet.

«Oui, se dit-il en ressaisissant le fil de ses pensées, interrompues par cet agréable colloque auquel nous venons de faire participer le public; oui, tout est là:

«1° savoir ce que Baisemeaux voulait à Aramis;

«2° savoir pourquoi Aramis ne me donne point de ses nouvelles;

«3° savoir où est Porthos.

«Sous ces trois points gît le mystère.

«Or, continua d'Artagnan, puisque nos amis ne nous avouent rien, ayons recours à notre pauvre intelligence. On fait ce qu'on peut, mordioux! ou malaga! comme dit Planchet.»

Chapitre CXLI – La lettre de M. de Baisemeaux

D'Artagnan, fidèle à son plan, alla dès le lendemain matin rendre visite à M. de Baisemeaux.

C'était jour de propreté à la Bastille: les canons étaient brossés, fourbis, les escaliers grattés; les porte-clefs semblaient occupés du soin de polir leurs clefs elles-mêmes.

Quant aux soldats de la garnison, ils se promenaient dans leurs cours, sous prétexte qu'ils étaient assez propres.

Le commandant Baisemeaux reçut d'Artagnan d'une façon plus que polie; mais il fut avec lui d'une réserve tellement serrée, que toute la finesse de d'Artagnan ne lui tira pas une syllabe.

Plus il se retenait dans ses limites, plus la défiance de d'Artagnan croissait.

Ce dernier crut même remarquer que le commandant agissait en vertu d'une recommandation récente.

Baisemeaux n'avait pas été au Palais-Royal, avec d'Artagnan, l'homme froid et impénétrable que celui-ci trouva dans le Baisemeaux de la Bastille.

Quand d'Artagnan voulut le faire parler sur les affaires si pressantes d'argent qui avaient amené Baisemeaux à la recherche d'Aramis et le rendaient expansif malgré tout ce soir-là, Baisemeaux prétexta des ordres à donner dans la prison même, et laissa d'Artagnan se morfondre si longtemps à l'attendre, que notre mousquetaire, certain de ne point obtenir un mot de plus, partit de la Bastille sans que Baisemeaux fût revenu de son inspection.

Mais il avait un soupçon, d'Artagnan, et, une fois le soupçon éveillé, l'esprit de d'Artagnan ne dormait plus.

Il était aux hommes ce que le chat est aux quadrupèdes, l'emblème de l'inquiétude à la fois et de l'impatience.

Un chat inquiet ne demeure pas plus en place que le flocon de soie qui se balance à tout souffle d'air. Un chat qui guette est mort devant son poste d'observation, et ni la faim ni la soif ne savent le tirer de sa méditation.

D'Artagnan, qui brûlait d'impatience, secoua tout à coup ce sentiment comme un manteau trop lourd. Il se dit que la chose qu'on lui cachait était précisément celle qu'il importait de savoir.

En conséquence, il réfléchit que Baisemeaux ne manquerait pas de faire prévenir Aramis, si Aramis lui avait donné une recommandation quelconque. C'est ce qui arriva.

Baisemeaux avait à peine eu le temps matériel de revenir du

 

donjon, que d'Artagnan s'était mis en embuscade près de la rue du

Petit-Musc, de façon à voir tous ceux qui sortiraient de la

Bastille.

Après une heure de station à la Herse-d'Or, sous l'auvent où l'on prenait un peu d'ombre, d'Artagnan vit sortir un soldat de garde.

Or, c'était le meilleur indice qu'il pût désirer. Tout gardien ou porte-clefs a ses jours de sortie et même ses heures à la Bastille, puisque tous sont astreints à n'avoir ni femme ni logement dans le château; ils peuvent donc sortir sans exciter la curiosité.

Mais un soldat caserné est renfermé pour vingt-quatre heures lorsqu'il est de garde, on le sait bien, et d'Artagnan le savait mieux que personne. Ce soldat ne devait donc sortir en tenue de service que pour un ordre exprès et pressé.

Le soldat, disons-nous, partit de la Bastille, et lentement, lentement, comme un heureux mortel à qui, au lieu d'une faction devant un insipide corps de garde, ou sur un bastion non moins ennuyeux, arrive la bonne aubaine d'une liberté jointe à une promenade, ces deux plaisirs comptant comme service. Il se dirigea vers le faubourg Saint-Antoine, humant l'air, le soleil, et regardant les femmes.

D'Artagnan le suivit de loin. Il n'avait pas encore fixé ses idées là-dessus.

«Il faut tout d'abord, pensa-t-il, que je voie la figure de ce drôle. Un homme vu est un homme jugé.»

D'Artagnan doubla le pas, et, ce qui n'était pas bien difficile, devança le soldat.

Non seulement il vit sa figure, qui était assez intelligente et résolue, mais encore il vit son nez, qui était un peu rouge.

«Le drôle aime l'eau-de-vie», se dit-il.

En même temps qu'il voyait le nez rouge, il voyait dans la ceinture du soldat un papier blanc.

«Bon! il a une lettre, ajouta d'Artagnan. Or, un soldat se trouve trop joyeux d'être choisi par M. de Baisemeaux pour estafette, il ne vend pas le message.»

Comme d'Artagnan se rongeait les poings, le soldat avançait toujours dans le faubourg Saint-Antoine.

«Il va certainement à Saint-Mandé, se dit-il, et je ne saurai pas ce qu'il y a dans la lettre…»

C'était à en perdre la tête.

«Si j'étais en uniforme, se dit d'Artagnan, je ferais prendre le drôle et sa lettre avec lui. Le premier corps de garde me prêterait la main. Mais du diable si je dis mon nom pour un fait de ce genre. Le faire boire, il se défiera et puis il me grisera… Mordioux! je n'ai plus d'esprit, et c'en est fait de moi. Attaquer ce malheureux, le faire dégainer, le tuer pour sa lettre. Bon, s'il s'agissait d'une lettre de reine à un lord, ou d'une lettre de cardinal à une reine. Mais, mon Dieu, quelles piètres intrigues que celles de MM. Aramis et Fouquet avec M. Colbert! La vie d'un homme pour cela, oh! non, pas même dix écus.»

Comme il philosophait de la sorte en mangeant ses ongles et moustaches, il aperçut un petit groupe d'archers et un commissaire.

Ces gens emmenaient un homme de belle mine qui se débattait du meilleur coeur.

Les archers lui avaient déchiré ses habits, et on le traînait. Il demandait qu'on le conduisît avec égards, se prétendant gentilhomme et soldat.

Il vit notre soldat marcher dans la rue, et cria:

– Soldat, à moi!

Le soldat marcha du même pas vers celui qui l'interpellait, et la foule le suivit.

Une idée vint alors à d'Artagnan.

C'était la première: on verra qu'elle n'était pas mauvaise.

Tandis que le gentilhomme racontait au soldat qu'il venait d'être pris dans une maison comme voleur, tandis qu'il n'était qu'un amant, le soldat le plaignait et lui donnait des consolations et des conseils avec cette gravité que le soldat français met au service de son amour-propre et de l'esprit de corps. D'Artagnan se glissa derrière le soldat pressé par la foule, et lui tira nettement et promptement le papier de la ceinture.

Comme, à ce moment, le gentilhomme déchiré tiraillait ce soldat, comme le commissaire tiraillait le gentilhomme, d'Artagnan put opérer sa capture sans le moindre inconvénient.

Il se mit à dix pas derrière un pilier de maison, et lut sur l'adresse:

«À M. du Vallon, chez M. Fouquet, à Saint-Mandé.»

– Bon, dit-il.

Et il décacheta sans déchirer, puis il tira le papier plié en quatre, qui contenait seulement ces mots:

«Cher monsieur du Vallon, veuillez faire dire à M. d'Herblay qu'il est venu à la Bastille et qu'il a questionné.

«Votre dévoué,

«De Baisemeaux.»

– Eh bien! à la bonne heure, s'écria d'Artagnan, voilà qui est parfaitement limpide. Porthos en est.

Sûr de ce qu'il voulait savoir:

«Mordioux! pensa le mousquetaire, voilà un pauvre diable de soldat à qui cet enragé sournois de Baisemeaux va faire payer cher ma supercherie… S'il rentre sans lettre… que lui fera-t-on? Au fait, je n'ai pas besoin de cette lettre; quand l'oeuf est avalé, à quoi bon les coquilles?»

D'Artagnan vit que le commissaire et les archers avaient convaincu le soldat et continuaient d'emmener leur prisonnier.

Celui-ci restait environné de la foule et continuait ses doléances.

D'Artagnan vint au milieu de tous et laissa tomber la lettre sans que personne le vit, puis il s'éloigna rapidement. Le soldat reprenait sa route vers Saint-Mandé, pensant beaucoup à ce gentilhomme qui avait imploré sa protection.

Tout à coup il pensa un peu à sa lettre, et, regardant sa ceinture, il la vit dépouillée. Son cri d'effroi fit plaisir à d'Artagnan.

Ce pauvre soldat jeta les yeux tout autour de lui avec angoisse, et enfin, derrière lui, à vingt pas, il aperçut la bienheureuse enveloppe. Il fondit dessus comme un faucon sur sa proie.

L'enveloppe était bien un peu poudreuse, un peu froissée, mais enfin la lettre était retrouvée.

D'Artagnan vit que le cachet brisé occupait beaucoup le soldat. Le brave homme finit cependant par se consoler, il remit le papier dans sa ceinture.

«Va, dit d'Artagnan, j'ai le temps désormais; précède-moi. Il paraît qu'Aramis n'est pas à Paris, puisque Baisemeaux écrit à Porthos. Ce cher Porthos, quelle joie de le revoir… et de causer avec lui!» dit le Gascon.

Et, réglant son pas sur celui du soldat, il se promit d'arriver un quart d'heure après lui chez M. Fouquet.

Chapitre CXLII – Où le lecteur verra avec plaisir que Porthos n'a rien perdu de sa force

D'Artagnan avait, selon son habitude, calculé que chaque heure vaut soixante minutes et chaque minute soixante secondes.

Grâce à ce calcul parfaitement exact de minutes et de secondes, il arriva devant la porte du surintendant au moment même où le soldat en sortait la ceinture vide.

D'Artagnan se présenta à la porte, qu'un concierge, brodé sur toutes les coutures, lui tint entrouverte.

D'Artagnan aurait bien voulu entrer sans se nommer, mais il n'y avait pas moyen. Il se nomma.

Malgré cette concession, qui devait lever toute difficulté, d'Artagnan le pensait du moins, le concierge hésita; cependant, à ce titre répété pour la seconde fois, capitaine des gardes du roi, le concierge, sans livrer tout à fait passage, cessa de le barrer complètement.

D'Artagnan comprit qu'une formidable consigne avait été donnée.

Il se décida donc à mentir, ce qui, d'ailleurs, ne lui coûtait point par trop, quand il voyait par-delà le mensonge le salut de l'État, ou même purement et simplement son intérêt personnel.

Il ajouta donc, aux déclarations déjà faites par lui, que le soldat qui venait d'apporter une lettre à M. du Vallon n'était autre que son messager, et que cette lettre avait pour but d'annoncer son arrivée, à lui.

Dès lors, nul ne s'opposa plus à l'entrée de d'Artagnan, et d'Artagnan entra.

Un valet voulut l'accompagner, mais il répondit qu'il était inutile de prendre cette peine à son endroit, attendu qu'il savait parfaitement où se tenait M. du Vallon.

Il n'y avait rien à répondre à un homme si complètement instruit.

On laissa faire d'Artagnan.

Perrons, salons, jardins, tout fut passé en revue par le mousquetaire. Il marcha un quart d'heure dans cette maison plus que royale, qui comptait autant de merveilles que de meubles, autant de serviteurs que de colonnes et de portes.

«Décidément, se dit-il, cette maison n'a d'autres limites que les limites de la terre. Est-ce que Porthos aurait eu la fantaisie de s'en retourner à Pierrefonds, sans sortir de chez M. Fouquet?»

Enfin, il arriva dans une partie reculée du château, ceinte d'un mur de pierres de taille sur lesquelles grimpait une profusion de plantes grasses ruisselantes de fleurs, grosses et solides comme des fruits.

De distance en distance, sur le mur d'enceinte, s'élevaient des statues dans des poses timides ou mystérieuses. C'étaient des vestales cachées sous le péplum aux grands plis; des veilleurs agiles enfermés dans leurs voiles de marbre et couvant le palais de leurs furtifs regards.

Un Hermès, le doigt sur la bouche, une Iris aux ailes éployées, une Nuit tout arrosée de pavots, dominaient les jardins et les bâtiments qu'on entrevoyait derrière les arbres; toutes ces statues se profilaient en blanc sur les hauts cyprès, qui dardaient leurs cimes noires vers le ciel.

Autour de ces cyprès s'étaient enroulés des rosiers séculaires, qui attachaient leurs anneaux fleuris à chaque fourche des branches et semaient sur les ramures inférieures et sur les statues des pluies de fleurs embaumées.

Ces enchantements parurent au mousquetaire l'effort suprême de l'esprit humain. Il était dans une disposition d'esprit à poétiser. L'idée que Porthos habitait un pareil Eden lui donna de Porthos une idée plus haute, tant il est vrai que les esprits les plus élevés ne sont point exempts de l'influence de l'entourage.

D'Artagnan trouva la porte; à la porte, une espèce de ressort qu'il découvrit et qu'il fit jouer. La porte s'ouvrit.

D'Artagnan entra, referma la porte et pénétra dans un pavillon bâti en rotonde, et dans lequel on n'entendait d'autre bruit que celui des cascades et des chants d'oiseaux.

À la porte du pavillon, il rencontra un laquais.

– C'est ici, dit sans hésitation d'Artagnan, que demeure M. le baron du Vallon, n'est-ce pas.

– Oui, monsieur, répondit le laquais.

– Prévenez-le que M. le chevalier d'Artagnan, capitaine aux mousquetaires de Sa Majesté, l'attend.

D'Artagnan fut introduit dans un salon.

D'Artagnan ne demeura pas longtemps dans l'attente: un pas bien connu ébranla le parquet de la salle voisine, une porte s'ouvrit ou plutôt s'enfonça, et Porthos vint se jeter dans les bras de son ami avec une sorte d'embarras qui ne lui allait pas mal.

– Vous ici? s'écria-t-il.

– Et vous? répliqua d'Artagnan. Ah! sournois!

– Oui, dit Porthos en souriant d'un sourire embarrassé, oui, vous me trouvez chez M. Fouquet, et cela vous étonne un peu, n'est-ce pas?

– Non pas; pourquoi ne seriez-vous pas des amis de M. Fouquet?

M. Fouquet a bon nombre d'amis, surtout parmi les hommes d'esprit.

Porthos eut la modestie de ne pas prendre le compliment pour lui.

– Puis, ajouta-t-il, vous m'avez vu à Belle-Île.

– Raison de plus pour que je sois porté à croire que vous êtes des amis de M. Fouquet.

– Le fait est que je le connais, dit Porthos avec un certain embarras.

– Ah! mon ami, dit d'Artagnan, que vous êtes coupable envers moi!

– Comment cela? s'écria Porthos.

– Comment! vous accomplissez un ouvrage aussi admirable que celui des fortifications de Belle-Île, et vous ne m'en avertissez pas.

Porthos rougit.

– Il y a plus, continua d'Artagnan, vous me voyez là-bas; vous savez que je suis au roi, et vous ne devinez pas que le roi, jaloux de connaître quel est l'homme de mérite qui accomplit une oeuvre dont on lui fait les plus magnifiques récits, vous ne devinez pas que le roi m'a envoyé pour savoir quel était cet homme?

– Comment! le roi vous avait envoyé pour savoir…

– Pardieu! Mais ne parlons plus de cela.

– Corne de boeuf! dit Porthos, au contraire, parlons-en; ainsi, le roi savait que l'on fortifiait Belle-Île?

– Bon! est-ce que le roi ne sait pas tout?

– Mais il ne savait pas qui le fortifiait?

– Non; seulement, il se doutait, d'après ce qu'on lui avait dit des travaux, que c'était un illustre homme de guerre.

– Diable! dit Porthos, si j'avais su cela.

– Vous ne vous seriez pas sauvé de Vannes, n'est-ce pas?

– Non. Qu'avez-vous dit quand vous ne m'avez plus trouvé?

– Mon cher, j'ai réfléchi.

– Ah! oui, vous réfléchissez, vous… Et à quoi cela vous a-t-il mené de réfléchir?

– À deviner toute la vérité.

– Ah! vous avez deviné?

 

– Oui.

– Qu'avez-vous deviné? Voyons, dit Porthos en s'accommodant dans un fauteuil et prenant des airs de sphinx.

– J'ai deviné, d'abord, que vous fortifiiez Belle-Île.

– Ah! cela n'était pas bien difficile, vous m'avez vu à l'oeuvre.

– Attendez donc; mais j'ai deviné encore quelque chose, c'est que vous fortifiiez Belle-Île par ordre de M. Fouquet.

– C'est vrai.

– Ce n'est pas le tout. Quand je suis en train de deviner, je ne m'arrête pas en route.

– Ce cher d'Artagnan!

– J'ai deviné que M. Fouquet voulait garder le secret le plus profond sur ces fortifications.

– C'était son intention, en effet, à ce que je crois, dit

Porthos.

– Oui; mais savez-vous pourquoi il voulait garder ce secret?

– Dame! pour que la chose ne fût pas sue, dit Porthos.

– D'abord. Mais ce désir était soumis à l'idée d'une galanterie…

– En effet, dit Porthos, j'ai entendu dire que M. Fouquet était fort galant.

– À l'idée d'une galanterie qu'il voulait faire au roi.

– Oh! oh!

– Cela vous étonne?

– Oui.

– Vous ne saviez pas cela?

– Non.

– Eh bien! je le sais, moi.

– Vous êtes donc sorcier.

– Pas le moins du monde.

– Comment le savez-vous, alors?

– Ah! voilà! par un moyen bien simple! j'ai entendu M. Fouquet le dire lui-même au roi.

– Lui dire quoi?

– Qu'il avait fait fortifier Belle-Île à son intention, et qu'il lui faisait cadeau de Belle-Île.

– Ah! vous avez entendu M. Fouquet dire cela au roi?

– En toutes lettres. Il a même ajouté: «Belle-Île a été fortifiée par un ingénieur de mes amis, homme de beaucoup de mérite, que je demanderai la permission de présenter au roi.» – «Son nom?» a demandé le roi. «Le baron du Vallon», a répondu M. Fouquet. «C'est bien, a répondu le roi, vous me le présenterez.»

– Le roi a répondu cela?

– Foi de d'Artagnan!

– Oh! oh! fit Porthos. Mais pourquoi ne m'a-t-on pas présenté, alors?

– Ne vous a-t-on point parlé de cette présentation?

– Si fait, mais je l'attends toujours.

– Soyez tranquille, elle viendra.

– Hum! hum! grogna Porthos.

D'Artagnan fit semblant de ne pas entendre, et, changeant la conversation:

– Mais vous habitez un lieu bien solitaire, cher ami, ce me semble? demanda-t-il.

– J'ai toujours aimé l'isolement. Je suis mélancolique, répondit

Porthos avec un soupir.

– Tiens! c'est étrange, fit d'Artagnan, je n'avais pas remarqué cela.

– C'est depuis que je me livre à l'étude, dit Porthos d'un air soucieux.

– Mais les travaux de l'esprit n'ont pas nui à la santé du corps, j'espère?

– Oh! nullement.

– Les forces vont toujours bien?

– Trop bien, mon ami, trop bien.

– C'est que j'avais entendu dire que, dans les premiers jours de votre arrivée…

– Oui, je ne pouvais plus remuer, n'est-ce pas?

– Comment, fit d'Artagnan avec un sourire, et à propos de quoi ne pouviez-vous plus remuer?

Porthos comprit qu'il avait dit une bêtise et voulut se reprendre.

– Oui, je suis venu de Belle-Île ici sur de mauvais chevaux, dit- il, et cela m'avait fatigué.

– Cela ne m'étonne plus, que, moi qui venais derrière vous, j'en aie trouvé sept ou huit de crevés sur la route.

– Je suis lourd, voyez-vous, dit Porthos.

– De sorte que vous étiez moulu?

– La graisse m'a fondu, et cette fonte m'a rendu malade.

– Ah! pauvre Porthos!.. Et Aramis, comment a-t-il été pour vous dans tout cela?

– Très bien… Il m'a fait soigner par le propre médecin de M. Fouquet. Mais figurez-vous qu'au bout de huit jours je ne respirais plus.

– Comment cela?

– La chambre était trop petite: j'absorbais trop d'air.

– Vraiment?

– À ce que l'on m'a dit, du moins… Et l'on m'a transporté dans un autre logement.

– Où vous respiriez, cette fois?

– Plus librement, oui; mais pas d'exercice, rien à faire. Le médecin prétendait que je ne devais pas bouger; moi, au contraire, je me sentais plus fort que jamais. Cela donna naissance à un grave accident.

– À quel accident?

– Imaginez-vous, cher ami, que je me révoltai contre les ordonnances de cet imbécile de médecin et que je résolus de sortir, que cela lui convint ou ne lui convînt pas. En conséquence, j'ordonnai au valet qui me servait d'apporter mes habits.

– Vous étiez donc tout nu, mon pauvre Porthos?

– Non pas, j'avais une magnifique robe de chambre, au contraire. Le laquais obéit; je me revêtis de mes habits, qui étaient devenus trop larges; mais, chose étrange, mes pieds étaient devenus trop larges, eux.

– Oui, j'entends bien.

– Et mes bottes étaient devenues trop étroites.

– Vos pieds étaient restés enflés.

– Tiens! vous avez deviné.

– Parbleu! Et c'est là l'accident dont vous me vouliez entretenir?

– Ah bien! oui! Je ne fis pas la même réflexion que vous. Je me dis: «Puisque mes pieds ont entré dix fois dans mes bottes, il n'y a aucune raison pour qu'ils n'y entrent pas une onzième.»

– Cette fois, mon cher Porthos, permettez-moi de vous le dire, vous manquiez de logique.

– Bref, j'étais donc placé en face d'une cloison; j'essayais de mettre ma botte droite; je tirais avec les mains, je poussais avec le jarret, faisant des efforts inouïs, quand, tout à coup, les deux oreilles de mes bottes demeurèrent dans mes mains; mon pied partit comme une catapulte.

– Catapulte! Comme vous êtes fort sur les fortifications, cher

Porthos!

– Mon pied partit donc comme une catapulte et rencontra la cloison, qu'il effondra. Mon ami, je crus que, comme Samson, j'avais démoli le temple. Ce qui tomba du coup de tableaux, de porcelaines, de vases de fleurs, de tapisseries, de bâtons de rideaux, c'est inouï.

– Vraiment!

– Sans compter que de l'autre côté de la cloison était une étagère chargée de porcelaines.

– Que vous renversâtes?

– Que je lançai à l'autre bout de l'autre chambre.

Porthos se mit à rire.

– En vérité, comme vous dites, c'est inouï!

Et d'Artagnan se mit à rire comme Porthos.

Porthos, aussitôt, se mit à rire plus fort que d'Artagnan.

– Je cassai, dit Porthos d'une voix entrecoupée par cette hilarité croissante, pour plus de trois mille francs de porcelaines, oh! oh! oh!..

– Bon! dit d'Artagnan.

– J'écrasai pour plus de quatre mille francs de glaces, oh! oh! oh!..

– Excellent!

– Sans compter un lustre qui me tomba juste sur la tête et qui fut brisé en mille morceaux, oh! oh! oh!..

– Sur la tête? dit d'Artagnan, qui se tenait les côtes.

– En plein!

– Mais vous eûtes la tête cassée?

– Non, puisque je vous dis, au contraire, que c'est le lustre qui se brisa comme verre qu'il était.

– Ah! le lustre était de verre?

– De verre de Venise; une curiosité, mon cher, un morceau qui n'avait pas son pareil, une pièce qui pesait deux cents livres.

– Et qui vous tomba sur la tête?

– Sur… la… tête!.. Figurez-vous un globe de cristal tout doré, tout incrusté en bas, des parfums qui brûlaient en haut, des becs qui jetaient de la flamme lorsqu'ils étaient allumés.

– Bien entendu; mais ils ne l'étaient pas?

– Heureusement, j'eusse été incendié.

– Et vous n'avez été qu'aplati?

– Non.

– Comment, non.

– Non, le lustre m'est tombé sur le crâne. Nous avons là, à ce qu'il paraît, sur le sommet de la tête, une croûte excessivement solide.

– Qui vous a dit cela, Porthos?

– Le médecin. Une manière de dôme qui supporterait Notre-Dame de

Paris.

– Bah!

– Oui, il paraît que nous avons le crâne ainsi fait.

– Parlez pour vous, cher ami; c'est votre crâne à vous qui est fait ainsi et non celui des autres.

– C'est possible, dit Porthos avec fatuité; tant il y a que, lors de la chute du lustre sur ce dôme que nous avons au sommet de la tête, ce fut un bruit pareil à la détonation d'un canon; le cristal fut brisé et je tombai tout inondé.

– De sang, pauvre Porthos!

– Non, de parfums qui sentaient comme des crèmes; c'était excellent, mais cela sentait trop bon, je fus comme étourdi de cette bonne odeur; vous avez éprouvé cela quelquefois, n'est-ce pas, d'Artagnan?

– Oui, en respirant du muguet; de sorte, mon pauvre ami, que vous fûtes renversé du choc et abasourdi de l'odeur.

– Mais ce qu'il y a de particulier, et le médecin m'a affirmé, sur son honneur, qu'il n'avait jamais rien vu de pareil…

– Vous eûtes au moins une bosse? interrompit d'Artagnan.

– J'en eus cinq.

– Pourquoi cinq?

– Attendez: le lustre avait, à son extrémité inférieure, cinq ornements dorés extrêmement aigus.

– Aïe!

– Ces cinq ornements pénétrèrent dans mes cheveux, que je porte fort épais, comme vous voyez.

– Heureusement.

– Et s'imprimèrent dans ma peau. Mais, voyez la singularité, ces choses-là n'arrivent qu'à moi! Au lieu de faire des creux, ils firent des bosses. Le médecin n'a jamais pu m'expliquer cela d'une manière satisfaisante.

– Eh bien! je vais vous l'expliquer, moi.

– Vous me rendrez service, dit Porthos en clignant des yeux, ce qui était chez lui le signe de l'attention portée au plus haut degré.

– Depuis que vous faites fonctionner votre cerveau à de hautes études, à des calculs importants, la tête a profité; de sorte que vous avez maintenant une tête trop pleine de science.

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