Бесплатно

Le vicomte de Bragelonne, Tome III.

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

Le roi s'était agenouillé devant elle, et lui imprimait dans la paume de la main ces baisers brûlants qui sont aux mains ce que le baiser des lèvres est au visage. Elle revint enfin à elle, rouvrit languissamment les yeux, et, avec un mourant regard:

– Oh! Sire, murmura-t-elle, Votre Majesté m'a donc pardonné?

Le roi ne répondit pas… il était encore trop ému.

De Saint-Aignan crut devoir s'éloigner de nouveau… Il avait deviné la flamme qui jaillissait des yeux de Sa Majesté.

La Vallière se leva.

– Et maintenant, Sire, dit-elle avec courage, maintenant que je me suis justifiée, je l'espère du moins, aux yeux de Votre Majesté, accordez-moi de me retirer dans un couvent. J'y bénirai mon roi toute ma vie, et j'y mourrai en aimant Dieu, qui m'a fait un jour de bonheur.

– Non, non, répondit le roi, non, vous vivrez ici en bénissant Dieu, au contraire, mais en aimant Louis, qui vous fera toute une existence de félicité, Louis qui vous aime, Louis qui vous le jure!

– Oh! Sire, Sire!..

Et sur ce doute de La Vallière, les baisers du roi devinrent si brûlants, que de Saint-Aignan crut qu'il était de son devoir de passer de l'autre côté de la tapisserie.

Mais ces baisers, qu'elle n'avait pas eu la force de repousser d'abord, commencèrent à brûler la jeune fille.

– Oh! Sire, s'écria-t-elle alors, ne me faites pas repentir d'avoir été si loyale, car ce serait me prouver que Votre Majesté me méprise encore.

– Mademoiselle, dit soudain le roi en se reculant plein de respect, je n'aime et n'honore rien au monde plus que vous, et rien à ma cour ne sera, j'en jure Dieu, aussi estimé que vous ne le serez désormais; je vous demande donc pardon de mon emportement, mademoiselle, il venait d'un excès d'amour; mais je puis vous prouver que j'aimerai encore davantage, en vous respectant autant que vous pourrez le désirer.

Puis, s'inclinant devant elle et lui prenant la main:

– Mademoiselle, lui dit-il, voulez-vous me faire cet honneur d'agréer le baiser que je dépose sur votre main?

Et la lèvre du roi se posa respectueuse et légère sur la main frissonnante de la jeune fille.

– Désormais, ajouta Louis en se relevant et en couvrant La Vallière de son regard, désormais vous êtes sous ma protection. Ne parlez à personne du mal que je vous ai fait, pardonnez aux autres celui qu'ils ont pu vous faire. À l'avenir, vous serez tellement au-dessus de ceux-là, que, loin de vous inspirer de la crainte, ils ne vous feront plus même pitié.

Et il salua religieusement comme au sortir d'un temple.

Puis, appelant de Saint-Aignan, qui s'approcha tout humble:

– Comte, dit-il, j'espère que Mademoiselle voudra bien vous accorder un peu de son amitié en retour de celle que je lui ai vouée à jamais.

De Saint-Aignan fléchit le genou devant La Vallière.

– Quelle joie pour moi, murmura-t-il, si Mademoiselle me fait un pareil honneur!

– Je vais vous renvoyer votre compagne, dit le roi. Adieu, mademoiselle, ou plutôt au revoir: faites-moi la grâce de ne pas m'oublier dans votre prière.

– Oh! Sire, dit La Vallière, soyez tranquille: vous êtes avec

Dieu dans mon coeur.

Ce dernier mot enivra le roi, qui, tout joyeux, entraîna de Saint-

Aignan par les degrés.

Madame n'avait pas prévu ce dénouement-là: ni naïade ni dryade n'en avaient parlé.

Chapitre CXXXIV – Le nouveau général des jésuites

Tandis que La Vallière et le roi confondaient dans leur premier aveu tous les chagrins du passé, tout le bonheur du présent, toutes les espérances de l'avenir, Fouquet, rentré chez lui, c'est-à-dire dans l'appartement qui lui avait été départi au château, Fouquet s'entretenait avec Aramis, justement de tout ce que le roi négligeait en ce moment.

– Vous me direz, commença Fouquet, lorsqu'il eut installé son hôte dans un fauteuil et pris place lui-même à ses côtés, vous me direz, monsieur d'Herblay, où nous en sommes maintenant de l'affaire de Belle-Île, et si vous en avez reçu quelques nouvelles.

– Monsieur le surintendant, répondit Aramis, tout va de ce côté comme nous le désirons; les dépenses ont été soldées, rien n'a transpiré de nos desseins.

– Mais les garnisons que le roi voulait y mettre?

– J'ai reçu ce matin la nouvelle qu'elles y étaient arrivées depuis quinze jours.

– Et on les a traitées?

– À merveille.

– Mais l'ancienne garnison, qu'est-elle devenue?

– Elle a repris terre à Sarzeau, et on l'a immédiatement dirigée sur Quimper.

– Et les nouveaux garnisaires?

– Sont à nous à cette heure.

– Vous êtes sûr de ce que vous dites, mon cher monsieur de

Vannes?

– Sûr, et vous allez voir, d'ailleurs, comment les choses se sont passées.

– Mais de toutes les garnisons, vous savez cela, Belle-Île est justement la plus mauvaise.

– Je sais cela et j'agis en conséquence; pas d'espace, pas de communications, pas de femmes, pas de jeu; or, aujourd'hui, c'est grande pitié, ajouta Aramis avec un de ces sourires qui n'appartenaient qu'à lui, de voir combien les jeunes gens cherchent à se divertir, et combien, en conséquence, ils inclinent vers celui qui paie les divertissements.

– Mais s'ils s'amusent à Belle-Île?

– S'ils s'amusent de par le roi, ils aimeront le roi; mais s'ils s'ennuient de par le roi et s'amusent de par M. Fouquet, ils aimeront M. Fouquet.

– Et vous avez prévenu mon intendant, afin qu'aussitôt leur arrivée…

– Non pas: on les a laissés huit jours s'ennuyer tout à leur aise; mais, au bout de huit jours, ils ont réclamé, disant que les derniers officiers s'amusaient plus qu'eux. On leur a répondu alors que les anciens officiers avaient su se faire un ami de M. Fouquet, et que M. Fouquet, les connaissant pour des amis, leur avait dès lors voulu assez de bien pour qu'ils ne s'ennuyassent point sur ses terres. Alors ils ont réfléchi. Mais aussitôt l'intendant a ajouté que, sans préjuger les ordres de M. Fouquet, il connaissait assez son maître pour savoir que tout gentilhomme au service du roi l'intéressait, et qu'il ferait, bien qu'il ne connût pas les nouveaux venus, autant pour eux qu'il avait fait pour les autres.

– À merveille! Et, là-dessus, les effets ont suivi les promesses, j'espère? Je désire, vous le savez, qu'on ne promette jamais en mon nom sans tenir.

– Là-dessus, on a mis à la disposition des officiers nos deux corsaires et vos chevaux; on leur a donné les clefs de la maison principale; en sorte qu'ils y font des parties de chasse et des promenades avec ce qu'ils trouvent de dames à Belle-Île, et ce qu'ils ont pu en recruter ne craignant pas le mal de mer dans les environs.

– Et il y en a bon nombre à Sarzeau et à Vannes, n'est-ce pas,

Votre Grandeur?

– Oh! sur toute la côte, répondit tranquillement Aramis.

– Maintenant, pour les soldats?

– Tout est relatif, vous comprenez; pour les soldats, du vin, des vivres excellents et une haute paie.

– Très bien; en sorte?..

– En sorte que nous pouvons compter sur cette garnison, qui est déjà meilleure que l'autre.

– Bien.

– Il en résulte que, si Dieu consent à ce que l'on nous renouvelle ainsi les garnisaires seulement tous les deux mois, au bout de trois ans l'armée y aura passé, si bien qu'au lieu d'avoir un régiment pour nous, nous aurons cinquante mille hommes.

– Oui, je savais bien, dit Fouquet, que nul autant que vous, monsieur d'Herblay, n'était un ami précieux, impayable; mais dans tout cela, ajouta – t-il en riant, nous oublions notre ami du Vallon: que devient-il? Pendant ces trois jours que j'ai passés à Saint-Mandé, j'ai tout oublié, je l'avoue.

– Oh! je ne l'oublie pas, moi, reprit Aramis. Porthos est à Saint-Mandé, graissé sur toutes les articulations, choyé en nourriture, soigné en vins; je lui ai fait donner la promenade du petit parc, promenade que vous vous êtes réservée pour vous seul; il en use. Il recommence à marcher; il exerce sa force en courbant de jeunes ormes ou en faisant éclater de vieux chênes, comme faisait Milon de Crotone, et comme il n'y a pas de lions dans le parc, il est probable que nous le retrouverons entier. C'est un brave que notre Porthos.

– Oui; mais, en attendant, il va s'ennuyer.

– Oh! jamais.

– Il va questionner?

– Il ne voit personne.

– Mais, enfin, il attend ou espère quelque chose?

– Je lui ai donné un espoir que nous réaliserons quelque matin, et il vit là dessus.

– Lequel?

– Celui d'être présenté au roi.

– Oh! oh! en quelle qualité?

– D'ingénieur de Belle-Île, pardieu!

– Est-ce possible?

– C'est vrai.

– Certainement; maintenant ne serait-il point nécessaire qu'il retournât à Belle-Île?

– Indispensable; je songe même à l'y envoyer le plus tôt possible. Porthos a beaucoup de représentation; c'est un homme dont d'Artagnan, Athos et moi connaissons seuls le faible. Porthos ne se livre jamais; il est plein de dignité; devant les officiers, il fera l'effet d'un paladin du temps des croisades. Il grisera l'état-major sans se griser, et sera pour tout le monde un objet d'admiration et de sympathie; puis, s'il arrivait que nous eussions un ordre à faire exécuter, Porthos est une consigne vivante, et il faudra toujours en passer par où il voudra.

– Donc, renvoyez-le.

– Aussi est-ce mon dessein, mais dans quelques jours seulement, car il faut que je vous dise une chose.

– Laquelle?

– C'est que je me défie de d'Artagnan. Il n'est pas à Fontainebleau comme vous l'avez pu remarquer, et d'Artagnan n'est jamais absent ou oisif impunément. Aussi maintenant que mes affaires sont faites, je vais tâcher de savoir quelles sont les affaires que fait d'Artagnan.

– Vos affaires sont faites, dites-vous?

– Oui.

– Vous êtes bien heureux, en ce cas, et j'en voudrais pouvoir dire autant.

 

– J'espère que vous ne vous inquiétez plus?

– Hum!

– Le roi vous reçoit à merveille.

– Oui.

– Et Colbert vous laisse en repos?

– À peu près.

– En ce cas, dit Aramis avec cette suite d'idées qui faisait sa force, en ce cas, nous pouvons donc songer à ce que je vous disais hier à propos de la petite?

– Quelle petite?

– Vous avez déjà oublié?

– Oui.

– À propos de La Vallière?

– Ah! c'est juste.

– Vous répugne-t-il donc de gagner cette fille?

– Sur un seul point.

– Lequel?

– C'est que le coeur est intéressé autre part, et que je ne ressens absolument rien pour cette enfant.

– Oh! oh! dit Aramis; occupé par le coeur, avez-vous dit?

– Oui.

– Diable! il faut prendre garde à cela.

– Pourquoi?

– Parce qu'il serait terrible d'être occupé par le coeur quand, ainsi que vous, on a tant besoin de sa tête.

– Vous avez raison. Aussi, vous le voyez, à votre premier appel j'ai tout quitté. Mais revenons à la petite. Quelle utilité voyez- vous à ce que je m'occupe d'elle?

– Le voici. Le roi, dit-on, a un caprice pour cette petite, à ce que l'on croit du moins.

– Et vous qui savez tout, vous savez autre chose?

– Je sais que le roi a changé bien rapidement; qu'avant-hier le roi était tout feu pour Madame; qu'il y a déjà quelques jours, Monsieur s'est plaint de ce feu à la reine mère; qu'il y a eu des brouilles conjugales, des gronderies maternelles.

– Comment savez-vous tout cela?

– Je le sais, enfin.

– Eh bien?

– Eh bien! à la suite de ces brouilles et de ces gronderies, le roi n'a plus adressé la parole, n'a plus fait attention à Son Altesse Royale.

– Après?

– Après, il s'est occupé de Mlle de La Vallière. Mlle de La Vallière est fille d'honneur de Madame. Savez-vous ce qu'en amour on appelle un chaperon?

– Sans doute.

– Eh bien! Mlle de La Vallière est le chaperon de Madame. Profitez de cette position. Vous n'avez pas besoin de cela. Mais enfin, l'amour-propre blessé rendra la conquête plus facile; la petite aura le secret du roi et de Madame. Vous ne savez pas ce qu'un homme intelligent fait avec un secret.

– Mais comment arriver à elle?

– Vous me demandez cela? fit Aramis.

– Sans doute, je n'aurai pas le temps de m'occuper d'elle.

– Elle est pauvre, elle est humble, vous lui créerez une position: soit qu'elle subjugue le roi comme maîtresse, soit qu'elle ne se rapproche de lui que comme confidente, vous aurez fait une nouvelle adepte.

– C'est bien, dit Fouquet. Que ferons-nous à l'égard de cette petite?

– Quand vous avez désiré une femme, qu'avez-vous fait, monsieur le surintendant?

– Je lui ai écrit. J'ai fait mes protestations d'amour. J'y ai ajouté mes offres de service, et j'ai signé Fouquet.

– Et nulle n'a résisté?

– Une seule, dit Fouquet. Mais il y a quatre jours qu'elle a cédé comme les autres.

– Voulez-vous prendre la peine d'écrire? dit Aramis à Fouquet en lui présentant une plume.

Fouquet la prit.

– Dictez, dit-il. J'ai tellement la tête occupée ailleurs, que je ne saurais trouver deux lignes.

– Soit, fit Aramis. Écrivez.

Et il dicta:

«Mademoiselle, je vous ai vue, et vous ne serez point étonnée que je vous aie trouvée belle.

Mais vous ne pouvez, faute d'une position digne de vous, que végéter à la Cour.

L'amour d'un honnête homme, au cas où vous auriez quelque ambition, pourrait servir d'auxiliaire à votre esprit et à vos charmes.

Je mets mon amour à vos pieds; mais, comme un amour, si humble et si discret qu'il soit, peut compromettre l'objet de son culte, il ne sied pas qu'une personne de votre mérite risque d'être compromise sans résultat sur son avenir.

Si vous daignez répondre à mon amour, mon amour vous prouvera sa reconnaissance en vous faisant à tout jamais libre et indépendante.»

Après avoir écrit, Fouquet regarda Aramis.

– Signez, dit celui-ci.

– Est-ce bien nécessaire?

– Votre signature au bas de cette lettre vaut un million; vous oubliez cela, mon cher surintendant.

Fouquet signa.

– Maintenant, par qui enverrez-vous la lettre? demanda Aramis.

– Mais par un valet excellent.

– Dont vous êtes sûr?

– C'est mon grison ordinaire.

– Très bien.

– Au reste, nous jouons, de ce côté-là, un jeu qui n'est pas lourd.

– Comment cela?

– Si ce que vous dites est vrai des complaisances de la petite pour le roi et pour Madame, le roi lui donnera tout l'argent qu'elle peut désirer.

– Le roi a donc de l'argent? demanda Aramis.

– Dame! il faut croire, il n'en demande plus.

– Oh! il en redemandera, soyez tranquille.

– Il y a même plus, j'eusse cru qu'il me parlerait de cette fête de Vaux.

– Eh bien?

– Il n'en a point parlé.

– Il en parlera.

– Oh! vous croyez le roi bien cruel, mon cher d'Herblay.

– Pas lui.

– Il est jeune; donc, il est bon.

– Il est jeune; donc, il est faible ou passionné; et M. Colbert tient dans sa vilaine main sa faiblesse ou ses passions.

– Vous voyez bien que vous le craignez.

– Je ne le nie pas.

– Alors, je suis perdu.

– Comment cela?

– Je n'étais fort auprès du roi que par l'argent.

– Après?

– Et je suis ruiné.

– Non.

– Comment, non? Savez-vous mes affaires mieux que moi?

– Peut-être.

– Et cependant s'il demande cette fête?

– Vous la donnerez.

– Mais l'argent?

– En avez-vous jamais manqué?

– Oh! si vous saviez à quel prix je me suis procuré le dernier.

– Le prochain ne vous coûtera rien.

– Qui donc me le donnera?

– Moi.

– Vous me donnerez six millions?

– Oui.

– Vous, six millions?

– Dix, s'il le faut.

– En vérité, mon cher d'Herblay, dit Fouquet, votre confiance m'épouvante plus que la colère du roi.

– Bah!

– Qui donc êtes-vous?

– Vous me connaissez, ce me semble.

– Je me trompe; alors, que voulez-vous?

– Je veux sur le trône de France un roi qui soit dévoué à

M. Fouquet, et je veux que M. Fouquet me soit dévoué.

– Oh! s'écria Fouquet en lui serrant la main, quant à vous appartenir, je vous appartiens bien; mais, croyez-le bien, mon cher d'Herblay, vous vous faites illusion.

– En quoi?

– Jamais le roi ne me sera dévoué.

– Je ne vous ai pas dit que le roi vous serait dévoué, ce me semble.

– Mais si, au contraire, vous venez de le dire.

– Je n'ai pas dit le roi. J'ai dit un roi.

– N'est-ce pas tout un?

– Au contraire, c'est fort différent.

– Je ne comprends pas.

– Vous allez comprendre. Supposez que ce roi soit un autre homme que Louis XIV.

– Un autre homme?

– Oui, qui tienne tout de vous.

– Impossible!

– Même son trône.

– Oh! vous êtes fou! Il n'y a pas d'autre homme que le roi Louis XIV qui puisse s'asseoir sur le trône de France, je n'en vois pas, pas un seul.

– J'en vois un, moi.

– À moins que ce ne soit Monsieur, dit Fouquet en regardant

Aramis avec inquiétude… Mais Monsieur…

– Ce n'est pas Monsieur.

– Mais comment voulez-vous qu'un prince qui ne soit pas de la race, comment voulez-vous qu'un prince qui n'aura aucun droit…

– Mon roi à moi, ou plutôt votre roi à vous, sera tout ce qu'il faut qu'il soit, soyez tranquille.

– Prenez garde, prenez garde, monsieur d'Herblay, vous me donnez le frisson, vous me donnez le vertige.

Aramis sourit.

– Vous avez le frisson et le vertige à peu de frais, répliqua-t- il.

– Oh! encore une fois, vous m'épouvantez.

Aramis sourit.

– Vous riez? demanda Fouquet.

– Et, le jour venu, vous rirez comme moi; seulement, je dois maintenant être seul à rire.

– Mais expliquez-vous.

– Au jour venu, je m'expliquerai, ne craignez rien. Vous n'êtes pas plus saint Pierre que je ne suis Jésus, et je vous dirai pourtant: «Homme de peu de foi, pourquoi doutez-vous?»

– Eh! mon Dieu! je doute… je doute, parce que je ne vois pas.

– C'est qu'alors vous êtes aveugle: je ne vous traiterai donc plus en saint Pierre, mais en saint Paul, et je vous dirai: «Un jour viendra où tes yeux s'ouvriront.»

– Oh! dit Fouquet que je voudrais croire!

– Vous ne croyez pas! vous à qui j'ai fait dix fois traverser l'abîme où seul vous vous fussiez engouffré; vous ne croyez pas, vous qui de procureur général êtes monté au rang d'intendant, du rang d'intendant au rang de premier ministre, et qui du rang de premier ministre passerez à celui de maire du palais. Mais, non, dit-il avec son éternel sourire… Non, non, vous ne pouvez voir, et, par conséquent vous ne pouvez croire cela.

Et Aramis se leva pour se retirer.

– Un dernier mot, dit Fouquet, vous ne m'avez jamais parlé ainsi, vous ne vous êtes jamais montré si confiant, ou plutôt si téméraire.

– Parce que, pour parler haut, il faut avoir la voix libre.

– Vous l'avez donc?

– Oui.

– Depuis peu de temps alors?

– Depuis hier.

– Oh! monsieur d'Herblay, prenez garde, vous poussez la sécurité jusqu'à l'audace.

– Parce que l'on peut être audacieux quand on est puissant.

– Vous êtes puissant?

– Je vous ai offert dix millions, je vous les offre encore.

Fouquet se leva troublé à son tour.

– Voyons, dit-il, voyons: vous avez parlé de renverser des rois, de les remplacer par d'autres rois. Dieu me pardonne! mais voilà, si je ne suis fou, ce que vous avez dit tout à l'heure.

– Vous n'êtes pas fou, et j'ai véritablement dit cela tout à l'heure.

– Et pourquoi l'avez-vous dit?

– Parce que l'on peut parler ainsi de trônes renversés et de rois créés, quand on est soi-même au-dessus des rois et des trônes… de ce monde.

– Alors vous êtes tout-puissant? s'écria Fouquet.

– Je vous l'ai dit et je vous le répète, répondit Aramis l'oeil brillant et la lèvre frémissante.

Fouquet se rejeta sur son fauteuil et laissa tomber sa tête dans ses mains.

Aramis le regarda un instant comme eût fait l'ange des destinées humaines à l'égard d'un simple mortel.

– Adieu, lui dit-il, dormez tranquille, et envoyez votre lettre à

La Vallière. Demain, nous nous reverrons, n'est-ce pas?

– Oui, demain, dit Fouquet en secouant la tête comme un homme qui revient à lui; mais où cela nous reverrons-nous?

– À la promenade du roi, si vous voulez.

– Fort bien.

Et ils se séparèrent.

Chapitre CXXXV – L'orage

Le lendemain, le jour s'était levé sombre et blafard, et, comme chacun savait la promenade arrêtée dans le programme royal, le regard de chacun, en ouvrant les yeux, se porta sur le ciel.

Au haut des arbres stationnait une vapeur épaisse et ardente qui avait à peine eu la force de s'élever à trente pieds de terre sous les rayons d'un soleil qu'on n'apercevait qu'à travers le voile d'un lourd et épais nuage.

Ce matin-là, pas de rosée. Les gazons étaient restés secs, les fleurs altérées. Les oiseaux chantaient avec plus de réserve qu'à l'ordinaire dans le feuillage immobile comme s'il était mort. Les murmures étranges, confus, pleins de vie, qui semblent naître et exister par le soleil, cette respiration de la nature qui parle incessante au milieu de tous les autres bruits, ne se faisait pas entendre: le silence n'avait jamais été si grand.

Cette tristesse du ciel frappa les yeux du roi lorsqu'il se mit à la fenêtre à son lever.

Mais, comme tous les ordres étaient donnés pour la promenade, comme tous les préparatifs étaient faits, comme, chose bien plus péremptoire, Louis comptait sur cette promenade pour répondre aux promesses de son imagination, et, nous pouvons même déjà le dire, aux besoins de son coeur, le roi décida sans hésitation que l'état du ciel n'avait rien à faire dans tout cela, que la promenade était décidée et que, quelque temps qu'il fît, la promenade aurait lieu.

Au reste, il y a dans certains règnes terrestres privilégiés du ciel des heures où l'on croirait que la volonté du roi terrestre a son influence sur la volonté divine. Auguste avait Virgile pour lui dire: Nocte placet tota redeunt spectacula mane. Louis XIV avait Boileau, qui devait lui dire bien autre chose, et Dieu, qui se devait montrer presque aussi complaisant pour lui que Jupiter l'avait été pour Auguste.

Louis entendit la messe comme à son ordinaire, mais il faut l'avouer, quelque peu distrait de la présence du Créateur par le souvenir de la créature. Il s'occupa durant l'office à calculer plus d'une fois le nombre des minutes, puis des secondes qui le séparaient du bienheureux moment où la promenade allait commencer, c'est-à-dire du moment où Madame se mettrait en chemin avec ses filles d'honneur.

 

Au reste, il va sans dire que tout le monde au château ignorait l'entrevue qui avait eu lieu la veille entre La Vallière et le roi. Montalais peut-être, avec son bavardage habituel, l'eût répandue; mais Montalais, dans cette circonstance, était corrigée par Malicorne, lequel lui avait mis aux lèvres le cadenas de l'intérêt commun.

Quant à Louis XIV, il était si heureux, qu'il avait pardonné, ou à peu près, à Madame, sa petite méchanceté de la veille. En effet, il avait plutôt à s'en louer qu'à s'en plaindre. Sans cette méchanceté, il ne recevait pas la lettre de La Vallière; sans cette lettre, il n'y avait pas d'audience, et sans cette audience il demeurait dans l'indécision. Il entrait donc trop de félicité dans son coeur pour que la rancune pût y tenir, en ce moment du moins.

Donc, au lieu de froncer le sourcil en apercevant sa belle-soeur, Louis se promit de lui montrer encore plus d'amitié et de gracieux accueil que l'ordinaire.

C'était à une condition cependant, à la condition qu'elle serait prête de bonne heure.

Voilà les choses auxquelles Louis pensait durant la messe, et qui, il faut le dire, lui faisaient pendant le saint exercice oublier celles auxquelles il eût dû songer en sa qualité de roi très chrétien et de fils aîné de l'Église.

Cependant Dieu est si bon pour les jeunes coeurs, tout ce qui est amour, même amour coupable, trouve si facilement grâce à ses regards paternels, qu'au sortir de la messe, Louis, en levant ses yeux au ciel, put voir à travers les déchirures d'un nuage un coin de ce tapis d'azur que foule le pied du Seigneur.

Il rentra au château, et, comme la promenade était indiquée pour midi seulement et qu'il n'était que dix heures, il se mit à travailler d'acharnement avec Colbert et Lyonne.

Mais, comme, tout en travaillant, Louis allait de la table à la fenêtre, attendu que cette fenêtre donnait sur le pavillon de Madame, il put voir dans la cour M. Fouquet, dont les courtisans, depuis sa faveur de la veille, faisaient plus de cas que jamais, qui venait, de son côté, d'un air affable et tout à fait heureux, faire sa cour au roi.

Instinctivement, en voyant Fouquet, le roi se retourna vers

Colbert.

Colbert souriait et paraissait lui-même plein d'aménité et de jubilation. Ce bonheur lui était venu depuis qu'un de ses secrétaires était entré et lui avait remis un portefeuille que, sans l'ouvrir, Colbert avait introduit dans la vaste poche de son haut-de-chausses.

Mais, comme il y avait toujours quelque chose de sinistre au fond de la joie de Colbert, Louis opta, entre les deux sourires, pour celui de Fouquet.

Il fit signe au surintendant de monter; puis, se retournant vers

Lyonne et Colbert:

– Achevez, dit-il, ce travail, posez-le sur mon bureau, je le lirai à tête reposée.

Et il sortit.

Au signe du roi, Fouquet s'était hâté de monter. Quant à Aramis, qui accompagnait le surintendant, il s'était gravement replié au milieu du groupe de courtisans vulgaires, et s'y était perdu sans même avoir été remarqué par le roi.

Le roi et Fouquet se rencontrèrent en haut de l'escalier.

– Sire, dit Fouquet en voyant le gracieux accueil que lui préparait Louis, Sire, depuis quelques jours Votre Majesté me comble. Ce n'est plus un jeune roi, c'est un jeune dieu qui règne sur la France, le dieu du plaisir du bonheur et de l'amour.

Le roi rougit. Pour être flatteur, le compliment n'en était pas moins un peu direct.

Le roi conduisit Fouquet dans un petit salon qui séparait son cabinet de travail de sa chambre à coucher.

– Savez-vous bien pourquoi je vous appelle? dit le roi en s'asseyant sur le bord de la croisée, de façon à ne rien perdre de ce qui se passerait dans les parterres sur lesquels donnait la seconde entrée du pavillon de Madame.

– Non, Sire… mais c'est pour quelque chose d'heureux, j'en suis certain, d'après le gracieux sourire de Votre Majesté.

– Ah! vous préjugez?

– Non, Sire, je regarde et je vois.

– Alors, vous vous trompez.

– Moi, Sire?

– Car je vous appelle, au contraire, pour vous faire une querelle.

– À moi, Sire?

– Oui, et des plus sérieuses.

– En vérité, Votre Majesté m'effraie… et cependant j'attends, plein de confiance dans sa justice et dans sa bonté.

– Que me dit-on, monsieur Fouquet, que vous préparez une grande fête à Vaux?

Fouquet sourit comme fait le malade au premier frisson d'une fièvre oubliée et qui revient.

– Et vous ne m'invitez pas? continua le roi.

– Sire, répondit Fouquet, je ne songeais pas à cette fête, et c'est hier au soir seulement qu'un de mes amis, Fouquet appuya sur le mot, a bien voulu m'y faire songer.

– Mais hier au soir je vous ai vu et vous ne m'avez parlé de rien, monsieur Fouquet.

– Sire, comment espérer que Votre Majesté descendrait à ce point des hautes régions où elle vit jusqu'à honorer ma demeure de sa présence royale?

– Excusez, monsieur Fouquet; vous ne m'avez point parlé de votre fête.

– Je n'ai point parlé de cette fête, je le répète, au roi d'abord parce que rien n'était décidé à l'égard de cette fête, ensuite parce que je craignais un refus.

– Et quelle chose vous faisait craindre ce refus, monsieur

Fouquet? Prenez garde, je suis décidé à vous pousser à bout.

– Sire, le profond désir que j'avais de voir le roi agréer mon invitation.

– Eh bien! monsieur Fouquet, rien de plus facile, je le vois, que de nous entendre. Vous avez le désir de m'inviter à votre fête, j'ai le désir d'y aller; invitez-moi, et j'irai.

– Quoi! Votre Majesté daignerait accepter? murmura le surintendant.

– En vérité, monsieur, dit le roi en riant, je crois que je fais plus qu'accepter; je crois que je m'invite moi-même.

– Votre Majesté me comble d'honneur et de joie! s'écria Fouquet; mais je vais être forcé de répéter ce que M. de La Vieuville disait à votre aïeul Henri IV: Domine, non sum dignus.

– Ma réponse à ceci, monsieur Fouquet, c'est que, si vous donnez une fête, invité ou non, j'irai à votre fête.

– Oh! merci, merci, mon roi! dit Fouquet en relevant la tête sous cette faveur, qui, dans son esprit, était sa ruine. Mais comment Votre Majesté a-t elle été prévenue?

– Par le bruit public, monsieur Fouquet, qui dit des merveilles de vous et des miracles de votre maison. Cela vous rendra-t-il fier, monsieur Fouquet, que le roi soit jaloux de vous?

– Cela me rendra le plus heureux homme du monde, Sire, puisque le jour où le roi sera jaloux de Vaux, j'aurai quelque chose de digne à offrir à mon roi.

– Eh bien! monsieur Fouquet, préparez votre fête, et ouvrez à deux battants les portes de votre maison.

– Et vous, Sire, dit Fouquet, fixez le jour.

– D'aujourd'hui en un mois.

– Sire, Votre Majesté n'a-t-elle rien autre chose à désirer?

– Rien, monsieur le surintendant, sinon, d'ici là, de vous avoir près de moi le plus qu'il vous sera possible.

– Sire, j'ai l'honneur d'être de la promenade de Votre Majesté.

– Très bien; je sors en effet, monsieur Fouquet, et voici ces dames qui vont au rendez-vous.

Le roi, à ces mots, avec toute l'ardeur, non seulement d'un jeune homme, mais d'un jeune homme amoureux se retira de la fenêtre pour prendre ses gants et sa canne que lui tendait son valet de chambre.

On entendait en dehors le piétinement des chevaux et le roulement des roues sur le sable de la cour.

Le roi descendit. Au moment où il apparut sur le perron, chacun s'arrêta. Le roi marcha droit à la jeune reine. Quant à la reine mère, toujours souffrante de plus en plus de la maladie dont elle était atteinte, elle n'avait pas voulu sortir.

Marie-Thérèse monta en carrosse avec Madame, et demanda au roi de quel côté il désirait que la promenade fût dirigée.

Le roi, qui venait de voir La Vallière, toute pâle encore des événements de la veille, monter dans une calèche avec trois de ses compagnes, répondit à la reine qu'il n'avait point de préférence, et qu'il serait bien partout où elle serait.

La reine commanda alors que les piqueurs tournassent vers

Apremont.

Les piqueurs partirent en avant.

Le roi monta à cheval. Il suivit pendant quelques minutes la voiture de la reine et de Madame en se tenant à la portière.

Le temps s'était à peu près éclairci; cependant une espèce de voile poussiéreux, semblable à une gaze salie, s'étendait sur toute la surface du ciel; le soleil faisait reluire des atomes micacés dans le périple de ses rayons.

La chaleur était étouffante.

Mais, comme le roi ne paraissait pas faire attention à l'état du ciel, nul ne parut s'en inquiéter, et la promenade, selon l'ordre qui en avait été donné par la reine, fut dirigée vers Apremont.

La troupe des courtisans était bruyante et joyeuse, on voyait que chacun tendait à oublier et à faire oublier aux autres les aigres discussions de la veille.

Madame, surtout, était charmante.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»