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Le vicomte de Bragelonne, Tome I.

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Monseigneur fit un signe à Madame, qui frappa sur un timbre placé à sa droite.

Aussitôt M. de Saint-Remy entra, et la chambre se remplit de monde.

– Messieurs, dit le prince, Sa Majesté me fait l'honneur devenir passer un jour à Blois; je compte que le roi, mon neveu, n'aura pas à se repentir de la faveur qu'il fait à ma maison.

– Vive le roi! s'écrièrent avec un enthousiasme frénétique les officiers de service, et M. de Saint-Remy avant tous.

Gaston baissa la tête avec une sombre tristesse; toute sa vie, il avait dû entendre ou plutôt subir ce cri de: «Vive le roi!» qui passait au-dessus de lui. Depuis longtemps, ne l'entendant plus, il avait reposé son oreille, et voilà qu'une royauté plus jeune, plus vivace, plus brillante, surgissait devant lui comme une nouvelle, comme une plus douloureuse provocation.

Madame comprit les souffrances de ce coeur timide et ombrageux; elle se leva de table, Monsieur l'imita machinalement, et tous les serviteurs, avec un bourdonnement semblable à celui des ruches, entourèrent Raoul pour le questionner.

Madame vit ce mouvement et appela M. de Saint-Remy.

– Ce n'est pas le moment de jaser, mais de travailler, dit-elle avec l'accent d'une ménagère qui se fâche.

M. de Saint-Remy s'empressa de rompre le cercle formé par les officiers autour de Raoul, en sorte que celui-ci put gagner l'antichambre.

– On aura soin de ce gentilhomme, j'espère, ajouta Madame en s'adressant à M. de Saint-Remy.

Le bonhomme courut aussitôt derrière Raoul.

– Madame nous charge de vous faire rafraîchir ici, dit-il; il y a en outre un logement au château pour vous.

– Merci, monsieur de Saint-Remy, répondit Bragelonne. Vous savez combien il me tarde d'aller présenter mes devoirs à M. le comte mon père.

– C'est vrai, c'est vrai, monsieur Raoul, présentez-lui en même temps mes bien humbles respects, je vous prie.

Raoul se débarrassa encore du vieux gentilhomme et continua son chemin.

Comme il passait sous le porche tenant son cheval par la bride, une petite voix l'appela du fond d'une allée obscure.

– Monsieur Raoul! dit la voix.

Le jeune homme se retourna surpris, et vit une jeune fille brune qui appuyait un doigt sur ses lèvres et qui lui tendait la main. Cette jeune fille lui était inconnue.

Chapitre III – L'entrevue

Raoul fit un pas vers la jeune fille qui l'appelait ainsi.

– Mais mon cheval, madame, dit-il.

– Vous voilà bien embarrassé! Sortez; il y a un hangar dans la première cour, attachez là votre cheval et venez vite.

– J'obéis, madame.

Raoul ne fut pas quatre minutes à faire ce qu'on lui avait recommandé; il revint à la petite porte, où, dans l'obscurité, il revit sa conductrice mystérieuse qui l'attendait sur les premiers degrés d'un escalier tournant.

– Êtes-vous assez brave pour me suivre, monsieur le chevalier errant? demanda la jeune fille en riant du moment d'hésitation qu'avait manifesté Raoul.

Celui-ci répondit en s'élançant derrière elle dans l'escalier sombre. Ils gravirent ainsi trois étages, lui derrière elle, effleurant de ses mains, lorsqu'il cherchait la rampe, une robe de soie qui frôlait aux deux parois de l'escalier. À chaque faux pas de Raoul, sa conductrice lui criait un chut! sévère et lui tendait une main douce et parfumée.

– On monterait ainsi jusqu'au donjon du château sans s'apercevoir de la fatigue, dit Raoul.

– Ce qui signifie, monsieur, que vous êtes fort intrigué, fort las et fort inquiet; mais rassurez-vous, nous voici arrivés.

La jeune fille poussa une porte qui, sur-le-champ, sans transition aucune, emplit d'un flot de lumière le palier de l'escalier au haut duquel Raoul apparaissait, tenant la rampe. La jeune fille marchait toujours, il la suivit; elle entra dans une chambre, Raoul entra comme elle. Aussitôt qu'il fut dans le piège, il entendit pousser un grand cri, se retourna, et vit à deux pas de lui, les mains jointes, les yeux fermés, cette belle jeune fille blonde, aux prunelles bleues, aux blanches épaules, qui, le reconnaissant, l'avait appelé Raoul.

Il la vit et devina tant d'amour, tant de bonheur dans l'expression de ses yeux, qu'il se laissa tomber à genoux tout au milieu de la chambre, en murmurant de son côté le nom de Louise.

– Ah! Montalais! Montalais! soupira celle-ci, c'est un grand péché que de tromper ainsi.

– Moi! Je vous ai trompée?

– Oui, vous me dites que vous allez savoir en bas des nouvelles, et vous faites monter ici Monsieur.

– Il le fallait bien. Comment eût-il reçu sans cela la lettre que vous lui écriviez?

Et elle désignait du doigt cette lettre qui était encore sur la table. Raoul fit un pas pour la prendre; Louise, plus rapide, bien qu'elle se fût élancée avec une hésitation classique assez remarquable, allongea la main pour l'arrêter. Raoul rencontra donc cette main toute tiède et toute tremblante; il la prit dans les siennes et l'approcha si respectueusement de ses lèvres, qu'il y déposa un souffle plutôt qu'un baiser.

Pendant ce temps, Mlle de Montalais avait pris la lettre, l'avait pliée soigneusement, comme font les femmes, en trois plis, et l'avait glissée dans sa poitrine.

– N'ayez pas peur, Louise, dit-elle; Monsieur n'ira pas plus la prendre ici, que le défunt roi Louis XIII ne prenait les billets dans le corsage de Mlle de Hautefort.

Raoul rougit en voyant le sourire des deux jeunes filles, et il ne remarqua pas que la main de Louise était restée entre les siennes.

– Là! dit Montalais, vous m'avez pardonné, Louise, de vous avoir amené Monsieur; vous, monsieur, ne m'en voulez plus de m'avoir suivie pour voir Mademoiselle. Donc, maintenant que la paix est faite, causons comme de vieux amis. Présentez-moi, Louise, à M. de Bragelonne.

– Monsieur le vicomte, dit Louise avec sa grâce sérieuse et son candide sourire, j'ai l'honneur de vous présenter Mlle Aure de Montalais, jeune fille d'honneur de Son Altesse Royale Madame, et de plus mon amie, mon excellente amie.

Raoul salua cérémonieusement.

– Et moi! Louise, dit-il, ne me présentez-vous pas aussi à

Mademoiselle?

– Oh! elle vous connaît! elle connaît tout!

Ce mot naïf fit rire Montalais et soupirer de bonheur Raoul, qui l'avait interprété ainsi: Elle connaît tout notre amour.

– Les politesses sont faites, monsieur le vicomte, dit Montalais; voici un fauteuil, et dites-nous bien vite la nouvelle que vous nous apportez ainsi courant.

– Mademoiselle, ce n'est plus un secret. Le roi, se rendant à

Poitiers, s'arrête à Blois pour visiter Son Altesse Royale.

– Le roi ici! s'écria Montalais en frappant ses mains l'une contre l'autre; nous allons voir la cour! Concevez-vous cela, Louise? la vraie cour de Paris! Oh! mon Dieu! Mais quand cela, monsieur?

– Peut-être ce soir, mademoiselle; assurément demain.

Montalais fit un geste de dépit.

– Pas le temps de s'ajuster! pas le temps de préparer une robe! Nous sommes ici en retard comme des Polonaises! Nous allons ressembler à des portraits du temps de Henri IV!.. Ah! monsieur, la méchante nouvelle que vous nous apportez là!

– Mesdemoiselles, vous serez toujours belles.

– C'est fade!.. nous serons toujours belles, oui, parce que la nature nous a faites passables; mais nous serons ridicules, parce que la mode nous aura oubliées… Hélas! ridicules! on me verra ridicule, moi?

– Qui cela? dit naïvement Louise.

– Qui cela? vous êtes étrange, ma chère!.. Est-ce une question à m'adresser? On, veut dire tout le monde; on, veut dire les courtisans, les seigneurs; on, veut dire le roi.

– Pardon, ma bonne amie, mais comme ici tout le monde a l'habitude de nous voir telles que nous sommes…

– D'accord; mais cela va changer, et nous serons ridicules, même pour Blois; car près de nous on va voir les modes de Paris, et l'on comprendra que nous sommes à la mode de Blois! C'est désespérant!

– Consolez-vous, mademoiselle.

– Ah bast! au fait, tant pis pour ceux qui ne me trouveront pas à leur goût! dit philosophiquement Montalais.

– Ceux-là seraient bien difficiles, répliqua Raoul fidèle à son système de galanterie régulière.

– Merci, monsieur le vicomte. Nous disions donc que le roi vient à Blois?

– Avec toute la cour.

– Mlles de Mancini y seront-elles?

– Non pas, justement.

– Mais puisque le roi, dit-on, ne peut se passer de Mlle Marie?

– Mademoiselle, il faudra bien que le roi s'en passe. M. le cardinal le veut. Il exile ses nièces à Brouage.

– Lui! l'hypocrite!

– Chut! dit Louise en collant son doigt sur ses lèvres roses.

– Bah! personne ne peut m'entendre. Je dis que le vieux Mazarino

Mazarini est un hypocrite qui grille de faire sa nièce reine de

France.

– Mais non, mademoiselle, puisque M. le cardinal, au contraire, fait épouser à Sa Majesté l'infante Marie-Thérèse.

Montalais regarda en face Raoul et lui dit:

– Vous croyez à ces contes, vous autres Parisiens? Allons, nous sommes plus forts que vous à Blois.

– Mademoiselle, si le roi dépasse Poitiers et part pour l'Espagne, si les articles du contrat de mariage sont arrêtés entre don Luis de Haro et Son Éminence, vous entendez bien que ce ne sont plus des jeux d'enfant.

– Ah çà! mais, le roi est le roi, je suppose?

– Sans doute, mademoiselle, mais le cardinal est le cardinal.

– Ce n'est donc pas un homme, que le roi? Il n'aime donc pas

Marie de Mancini?

– Il l'adore.

– Eh bien! il l'épousera; nous aurons la guerre avec l'Espagne; M. Mazarin dépensera quelques-uns des millions qu'il a de côté; nos gentilshommes feront des prouesses à l'encontre des fiers Castillans, et beaucoup nous reviendront couronnés de lauriers, et que nous couronnerons de myrte. Voilà comme j'entends la politique.

 

– Montalais, vous êtes une folle, dit Louise, et chaque exagération vous attire, comme le feu attire les papillons.

– Louise, vous êtes tellement raisonnable que vous n'aimerez jamais.

– Oh! fit Louise avec un tendre reproche, comprenez donc, Montalais! La reine mère désire marier son fils avec l'infante; voulez vous que le roi désobéisse à sa mère? Est-il d'un coeur royal comme le sien de donner le mauvais exemple? Quand les parents défendent l'amour, chassons l'amour!

Et Louise soupira; Raoul baissa les yeux d'un air contraint.

Montalais se mit à rire.

– Moi, je n'ai pas de parents, dit-elle.

– Vous savez sans doute des nouvelles de la santé de M. le comte de La Fère, dit Louise à la suite de ce soupir, qui avait tant révélé de douleurs dans son éloquente expansion.

– Non, mademoiselle, répliqua Raoul, je n'ai pas encore rendu visite à mon père; mais j'allais à sa maison, quand Mlle de Montalais a bien voulu m'arrêter; j'espère que M. le comte se porte bien. Vous n'avez rien ouï dire de fâcheux, n'est-ce pas?

– Rien, monsieur Raoul, rien, Dieu merci!

Ici s'établit un silence pendant lequel deux âmes qui suivaient la même idée s'entendirent parfaitement, même sans l'assistance d'un seul regard.

– Ah! mon Dieu! s'écria tout à coup Montalais, on monte! …

– Qui cela peut-il être? dit Louise en se levant tout inquiète.

– Mesdemoiselles, je vous gêne beaucoup; j'ai été bien indiscret sans doute, balbutia Raoul, fort mal à son aise.

– C'est un pas lourd, dit Louise.

– Ah! si ce n'est que M. Malicorne, répliqua Montalais, ne nous dérangeons pas.

Louise et Raoul se regardèrent pour se demander ce que c'était que

M. Malicorne.

– Ne vous inquiétez pas, poursuivit Montalais, il n'est pas jaloux.

– Mais, mademoiselle… dit Raoul.

– Je comprends… Eh bien! il est aussi discret que moi.

– Mon Dieu! s'écria Louise, qui avait appuyé son oreille sur la porte entrebâillée, je reconnais les pas de ma mère!

– Mme de Saint-Remy! Où me cacher? dit Raoul, en sollicitant vivement la robe de Montalais, qui semblait un peu avoir perdu la tête.

– Oui, dit celle-ci, oui, je reconnais aussi les patins qui claquent. C'est notre excellente mère!.. Monsieur le vicomte, c'est bien dommage que la fenêtre donne sur un pavé et cela à cinquante pieds de haut. Raoul regarda le balcon d'un air égaré, Louise saisit son bras et le retint.

– Ah çà! suis-je folle? dit Montalais, n'ai-je pas l'armoire aux robes de cérémonie? Elle a vraiment l'air d'être faite pour cela.

Il était temps, Mme de Saint-Remy montait plus vite qu'à l'ordinaire; elle arriva sur le palier au moment où Montalais, comme dans les scènes de surprises, fermait l'armoire en appuyant son corps sur la porte.

– Ah! s'écria Mme de Saint-Remy, vous êtes ici, Louise?

– Oui! madame, répondit-elle, plus pâle que si elle eût été convaincue d'un grand crime.

– Bon! bon!

– Asseyez-vous, madame, dit Montalais en offrant un fauteuil à Mme de Saint-Remy, et en le plaçant de façon qu'elle tournât le dos à l'armoire.

– Merci, mademoiselle Aure, merci; venez vite, ma fille, allons.

– Où voulez-vous donc que j'aille, madame?

– Mais, au logis; ne faut-il pas préparer votre toilette?

– Plaît-il? fit Montalais, se hâtant de jouer la surprise, tant elle craignait de voir Louise faire quelque sottise.

– Vous ne savez donc pas la nouvelle? dit Mme de Saint-Remy.

– Quelle nouvelle, madame, voulez-vous que deux filles apprennent en ce colombier?

– Quoi!.. vous n'avez vu personne?..

– Madame, vous parlez par énigmes et vous nous faites mourir à petit feu! s'écria Montalais, qui, effrayée de voir Louise de plus en plus pâle, ne savait à quel saint se vouer.

Enfin elle surprit de sa compagne un regard parlant, un de ces regards qui donneraient de l'intelligence à un mur.

Louise indiquait à son amie le chapeau, le malencontreux chapeau de Raoul qui se pavanait sur la table.

Montalais se jeta au-devant, et, le saisissant de sa main gauche, le passa derrière elle dans la droite, et le cacha ainsi tout en parlant.

– Eh bien! dit Mme de Saint-Remy, un courrier nous arrive qui annonce la prochaine arrivée du roi. Ça, mesdemoiselles, il s'agit d'être belles!

– Vite! vite! s'écria Montalais, suivez Mme votre mère, Louise, et me laissez ajuster ma robe de cérémonie.

Louise se leva, sa mère la prit par la main et l'entraîna sur le palier.

– Venez, dit-elle.

Et tout bas:

– Quand je vous défends de venir chez Montalais, pourquoi y venez-vous?

– Madame, c'est mon amie. D'ailleurs, j'arrivais.

– On n'a fait cacher personne devant vous?

– Madame!

– J'ai vu un chapeau d'homme, vous dis-je: celui de ce drôle, de ce vaurien!

– Madame! s'écria Louise.

– De ce fainéant de Malicorne! Une fille d'honneur fréquenter ainsi… fi!

Et les voix se perdirent dans les profondeurs du petit escalier.

Montalais n'avait pas perdu un mot de ces propos que l'écho lui renvoyait comme par un entonnoir.

Elle haussa les épaules, et, voyant Raoul qui, sorti de sa cachette, avait écouté aussi:

– Pauvre Montalais! dit-elle, victime de l'amitié!.. Pauvre

Malicorne!.. victime de l'amour!

Elle s'arrêta sur la mine tragi-comique de Raoul, qui s'en voulut d'avoir en un jour surpris tant de secrets.

– Oh! mademoiselle, dit-il, comment reconnaître vos bontés?

– Nous ferons quelque jour nos comptes, répliqua-t-elle; pour le moment, gagnez au pied, monsieur de Bragelonne, car Mme de Saint- Remy n'est pas indulgente, et quelque indiscrétion de sa part pourrait amener ici une visite domiciliaire fâcheuse pour nous tous. Adieu!

– Mais Louise… comment savoir?..

– Allez! allez! le roi Louis XI savait bien ce qu'il faisait lorsqu'il inventa la poste.

– Hélas! dit Raoul.

– Et ne suis-je pas là, moi, qui vaux toutes les postes du royaume? Vite à votre cheval! et que si Mme de Saint-Remy remonte pour me faire de la morale, elle ne vous trouve plus ici.

– Elle le dirait à mon père, n'est-ce pas? murmura Raoul.

– Et vous seriez grondé! Ah! vicomte, on voit bien que vous venez de la cour: vous êtes peureux comme le roi. Peste! à Blois, nous nous passons mieux que cela du consentement de papa! Demandez à Malicorne.

Et, sur ces mots, la folle jeune fille mit Raoul à la porte par les épaules; celui-ci se glissa le long du porche, retrouva son cheval, sauta dessus et partit comme s'il eût les huit gardes de Monsieur à ses trousses.

Chapitre IV – Le père et le fils

Raoul suivit la route bien connue, bien chère à sa mémoire, qui conduisait de Blois à la maison du comte de La Fère. Le lecteur nous dispensera d'une description nouvelle de cette habitation. Il y a pénétré avec nous en d'autres temps; il la connaît. Seulement, depuis le dernier voyage que nous y avons fait, les murs avaient pris une teinte plus grise, et la brique des tons de cuivre plus harmonieux; les arbres avaient grandi, et tel autrefois allongeait ses bras grêles par-dessus les haies, qui maintenant, arrondi, touffu, luxuriant, jetait au loin, sous ses rameaux gonflés de sève, l'ombre épaisse des fleurs ou des fruits pour le passant.

Raoul aperçut au loin le toit aigu, les deux petites tourelles, le colombier dans les ormes, et les volées de pigeons qui tournoyaient incessamment, sans pouvoir le quitter jamais, autour du cône de briques, pareils aux doux souvenirs qui voltigent autour d'une âme sereine. Lorsqu'il s'approcha, il entendit le bruit des poulies qui grinçaient sous le poids des seaux massifs; il lui sembla aussi entendre le mélancolique gémissement de l'eau qui retombe dans le puits, bruit triste, funèbre, solennel, qui frappe l'oreille de l'enfant et du poète rêveurs, que les Anglais appellent splass, les poètes arabes gasgachau, et que nous autres Français, qui voudrions bien être poètes, nous ne pouvons traduire que par une périphrase: le bruit de l'eau tombant dans l'eau. Il y avait plus d'un an que Raoul n'était venu voir son père. Il avait passé tout ce temps chez M. le prince.

En effet, après toutes ces émotions de la Fronde dont nous avons autrefois essayé de reproduire la première période, Louis de Condé avait fait avec la cour une réconciliation publique, solennelle et franche. Pendant tout le temps qu'avait duré la rupture de M. le prince avec le roi, M. le prince, qui s'était depuis longtemps affectionné à Bragelonne, lui avait vainement offert tous les avantages qui peuvent éblouir un jeune homme. Le comte de La Fère, toujours fidèle à ses principes de loyauté et de royauté, développés un jour devant son fils dans les caveaux de Saint- Denis, le comte de La Fère, au nom de son fils, avait toujours refusé. Il y avait plus: au lieu de suivre M. de Condé dans sa rébellion, le vicomte avait suivi M. de Turenne, combattant pour le roi. Puis, lorsque M. de Turenne, à son tour, avait paru abandonner la cause royale, il avait quitté M. de Turenne, comme il avait fait de M. de Condé. Il résultait de cette ligne invariable de conduite que, comme jamais Turenne et Condé n'avaient été vainqueurs l'un de l'autre que sous les drapeaux du roi, Raoul avait, si jeune qu'il fût encore, dix victoires inscrites sur l'état de ses services, et pas une défaite dont sa bravoure et sa conscience eussent à souffrir. Donc Raoul avait, selon le voeu de son père, servi opiniâtrement et passivement la fortune du roi Louis XIV, malgré toutes les tergiversations, qui étaient endémiques et, on peut dire, inévitables à cette époque.

M. de Condé, rentré en grâce, avait usé de tout, d'abord de son privilège d'amnistie pour redemander beaucoup de choses qui lui avaient été accordées et, entre autres choses, Raoul. Aussitôt M. le comte de La Fère, dans son bon sens inébranlable, avait renvoyé Raoul au prince de Condé.

Un an donc s'était écoulé depuis la dernière séparation du père et du fils; quelques lettres avaient adouci, mais non guéri, les douleurs de son absence. On a vu que Raoul laissait à Blois un autre amour que l'amour filial.

Mais rendons-lui cette justice que, sans le hasard et Mlle de Montalais, deux démons tentateurs, Raoul, après le message accompli, se fût mis à galoper vers la demeure de son père en retournant la tête sans doute, mais sans s'arrêter un seul instant, eût-il vu Louise lui tendre les bras.

Aussi, la première partie du trajet fut-elle donnée par Raoul au regret du passé qu'il venait de quitter si vite, c'est-à-dire à l'amante; l'autre moitié à l'ami qu'il allait retrouver, trop lentement au gré de ses désirs. Raoul trouva la porte du jardin ouverte et lança son cheval sous l'allée, sans prendre garde aux grands bras que faisait, en signe de colère, un vieillard vêtu d'un tricot de laine violette et coiffé d'un large bonnet de velours râpé. Ce vieillard, qui sarclait de ses doigts une plate- bande de rosiers nains et de marguerites, s'indignait de voir un cheval courir ainsi dans ses allées sablées et ratissées.

Il hasarda même un vigoureux hum! qui fit retourner le cavalier. Ce fut alors un changement de scène; car aussitôt qu'il eut vu le visage de Raoul, ce vieillard se redressa et se mit à courir dans la direction de la maison avec des grognements interrompus qui semblaient être chez lui le paroxysme d'une joie folle. Raoul arriva aux écuries, remit son cheval à un petit laquais, et enjamba le perron avec une ardeur qui eût bien réjoui le coeur de son père.

Il traversa l'antichambre, la salle à manger et le salon sans trouver personne; enfin, arrivé à la porte de M. le comte de La Fère, il heurta impatiemment et entra presque sans attendre le mot: Entrez! que lui jeta une voix grave et douce tout à la fois. Le comte était assis devant une table couverte de papiers et de livres: c'était bien toujours le noble et le beau gentilhomme d'autrefois, mais le temps avait donné à sa noblesse, à sa beauté, un caractère plus solennel et plus distinct. Un front blanc et sans rides sous ses longs cheveux plus blancs que noirs, un oeil perçant et doux sous des cils de jeune homme, la moustache fine et à peine grisonnante, encadrant des lèvres d'un modèle pur et délicat, comme si jamais elles n'eussent été crispées par les passions mortelles; une taille droite et souple, une main irréprochable mais amaigrie, voilà quel était encore l'illustre gentilhomme dont tant de bouches illustres avaient fait l'éloge sous le nom d'Athos. Il s'occupait alors de corriger les pages d'un cahier manuscrit, tout entier rempli de sa main. Raoul saisit son père par les épaules, par le cou, comme il put, et l'embrassa si tendrement, si rapidement, que le comte n'eut pas la force ni le temps de se dégager, ni de surmonter son émotion paternelle.

 

– Vous ici, vous voici, Raoul! dit-il, est-ce bien possible?

– Oh! monsieur, monsieur, quelle joie de vous revoir!

– Vous ne me répondez pas, vicomte. Avez-vous un congé pour être à Blois, ou bien est-il arrivé quelque malheur à Paris?

– Dieu merci! monsieur, répliqua Raoul en se calmant peu à peu, il n'est rien arrivé que d'heureux; le roi se marie, comme j'ai eu l'honneur de vous le mander dans ma dernière lettre, et il part pour l'Espagne. Sa Majesté passera par Blois.

– Pour rendre visite à Monsieur?

– Oui, monsieur le comte. Aussi, craignant de le prendre à l'improviste, ou désirant lui être particulièrement agréable, M. le prince m'a-t-il envoyé pour préparer les logements.

– Vous avez vu Monsieur? demanda le comte vivement.

– J'ai eu cet honneur.

– Au château?

– Oui, monsieur, répondit Raoul en baissant les yeux, parce que, sans doute, il avait senti dans l'interrogation du comte plus que de la curiosité.

– Ah! vraiment, vicomte?.. Je vous fais mon compliment. Raoul s'inclina.

– Mais vous avez encore vu quelqu'un à Blois?

– Monsieur, j'ai vu Son Altesse Royale, Madame.

– Très bien. Ce n'est pas de Madame que je parle.

Raoul rougit extrêmement et ne répondit point.

– Vous ne m'entendez pas, à ce qu'il paraît, monsieur le vicomte? insista M. de La Fère sans accentuer plus nerveusement sa question, mais en forçant l'expression un peu plus sévère de son regard.

– Je vous entends parfaitement, monsieur, répliqua Raoul, et si je prépare ma réponse, ce n'est pas que je cherche un mensonge, vous le savez, monsieur.

– Je sais que vous ne mentez jamais. Aussi, je dois m'étonner que vous preniez un si long temps pour me dire: oui ou non.

– Je ne puis vous répondre qu'en vous comprenant bien, et si je vous ai bien compris, vous allez recevoir en mauvaise part mes premières paroles. Il vous déplaît sans doute, monsieur le comte, que j'aie vu…

– Mlle de La Vallière, n'est-ce pas?

– C'est d'elle que vous voulez parler, je le sais bien, monsieur le comte, dit Raoul avec une inexprimable douceur.

– Et je vous demande si vous l'avez vue.

– Monsieur, j'ignorais absolument, lorsque j'entrai au château, que Mlle de La Vallière pût s'y trouver; c'est seulement en m'en retournant, après ma mission achevée, que le hasard nous a mis en présence. J'ai eu l'honneur de lui présenter mes respects.

– Comment s'appelle le hasard qui vous a réuni à Mlle de La

Vallière?

– Mlle de Montalais, monsieur.

– Qu'est-ce que Mlle de Montalais?

– Une jeune personne que je ne connaissais pas, que je n'avais jamais vue. Elle est fille d'honneur de Madame.

– Monsieur le vicomte, je ne pousserai pas plus loin mon interrogatoire, que je me reproche déjà d'avoir fait durer. Je vous avais recommandé d'éviter Mlle de La Vallière, et de ne la voir qu'avec mon autorisation. Oh! je sais que vous m'avez dit vrai, et que vous n'avez pas fait une démarche pour vous rapprocher d'elle. Le hasard m'a fait du tort; je n'ai pas à vous accuser. Je me contenterai donc de ce que je vous ai déjà dit concernant cette demoiselle. Je ne lui reproche rien, Dieu m'en est témoin; seulement il n'entre pas dans mes desseins que vous fréquentiez sa maison. Je vous prie encore une fois, mon cher Raoul, de l'avoir pour entendu. On eût dit que l'oeil si limpide et si pur de Raoul se troublait à cette parole.

– Maintenant, mon ami, continua le comte avec son doux sourire et sa voix habituelle, parlons d'autre chose. Vous retournez peut- être à votre service?

– Non, monsieur, je n'ai plus qu'à demeurer auprès de vous tout aujourd'hui. M. le prince ne m'a heureusement fixé d'autre devoir que celui-là, qui était si bien d'accord avec mes désirs.

– Le roi se porte bien?

– À merveille.

– Et M. le Prince aussi?

– Comme toujours, monsieur.

Le comte oubliait Mazarin: c'était une vieille habitude.

– Eh bien! Raoul, puisque vous n'êtes plus qu'à moi, je vous donnerai, de mon côté, toute ma journée. Embrassez-moi… encore… encore… Vous êtes chez vous, vicomte… Ah! voici notre vieux Grimaud!.. Venez, Grimaud, M. le vicomte veut vous embrasser aussi.

Le grand vieillard ne se le fit pas répéter; il accourait les bras ouverts. Raoul lui épargna la moitié du chemin.

– Maintenant, voulez-vous que nous passions au jardin, Raoul? Je vous montrerai le nouveau logement que j'ai fait préparer pour vous à vos congés, et, tout en regardant les plantations de cet hiver et deux chevaux de main que j'ai changés, vous me donnerez des nouvelles de nos amis de Paris.

Le comte ferma son manuscrit, prit le bras du jeune homme et passa au jardin avec lui.

Grimaud regarda mélancoliquement partir Raoul, dont la tête effleurait presque la traverse de la porte, et, tout en caressant sa royale blanche, il laissa échapper ce mot profond:

– Grandi!

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