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Le vicomte de Bragelonne, Tome I.

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Chapitre LXX – Où les idées de d'Artagnan, d'abord fort troublées, commencent à s'éclaircir un peu

D'Artagnan prit aussitôt l'offensive.

– Maintenant que je vous ai tout dit, cher ami, ou plutôt que vous avez tout deviné, dites-moi ce que vous faites ici, couvert de poussière et de boue?

Porthos essuya son front, et regardant autour de lui avec orgueil:

– Mais il me semble, dit-il, que vous pouvez le voir, ce que je fais ici!

– Sans doute, sans doute; vous levez des pierres.

– Oh! pour leur montrer ce que c'est qu'un homme, aux fainéants! dit Porthos avec mépris. Mais vous comprenez…

– Oui, vous ne faites pas votre état de lever des pierres, quoiqu'il y en ait beaucoup qui en font leur état et qui ne les lèvent pas comme vous. Voilà donc ce qui me faisait vous demander tout à l'heure: «Que faites-vous ici, baron?»

– J'étudie la topographie, chevalier.

– Vous étudiez la topographie?

– Oui; mais vous-même, que faites-vous sous cet habit bourgeois?

D'Artagnan reconnut qu'il avait fait une faute en se laissant aller à son étonnement. Porthos en avait profité pour riposter avec une question.

Heureusement d'Artagnan s'attendait à cette question.

– Mais, dit-il, vous savez que je suis bourgeois, en effet; l'habit n'a donc rien d'étonnant, puisqu'il est en rapport avec la condition.

– Allons donc, vous, un mousquetaire!

– Vous n'y êtes plus, mon bon ami; j'ai donné ma démission.

– Bah!

– Ah! mon Dieu, oui!

– Et vous avez abandonné le service?

– Je l'ai quitté.

– Vous avez abandonné le roi?

– Tout net.

Porthos leva les bras au ciel comme fait un homme qui apprend une nouvelle inouïe.

– Oh! par exemple, voilà qui me confond, dit-il.

– C'est pourtant ainsi.

– Et qui a pu vous déterminer à cela?

– Le roi m'a déplu; Mazarin me dégoûtait depuis longtemps, comme vous savez; j'ai jeté ma casaque aux orties.

– Mais Mazarin est mort.

– Je le sais parbleu bien; seulement, à l'époque de sa mort, la démission était donnée et acceptée depuis deux mois. C'est alors que, me trouvant libre, j'ai couru à Pierrefonds pour voir mon cher Porthos. J'avais entendu parler de l'heureuse division que vous aviez faite de votre temps, et je voulais pendant une quinzaine de jours diviser le mien sur le vôtre.

– Mon ami, vous savez que ce n'est pas pour quinze jours que la maison vous est ouverte: c'est pour un an, c'est pour dix ans, c'est pour la vie.

– Merci, Porthos.

– Ah çà! vous n'avez point besoin d'argent? dit Porthos en faisant sonner une cinquantaine de louis que renfermait son gousset. Auquel cas, vous savez…

– Non, je n'ai besoin de rien; j'ai placé mes économies chez

Planchet, qui m'en sert la rente.

– Vos économies?

– Sans doute, dit d'Artagnan; pourquoi voulez-vous que je n'aie pas fait mes économies comme un autre, Porthos?

– Moi! je ne veux pas cela; au contraire, je vous ai toujours soupçonné… c'est-à-dire Aramis vous a toujours soupçonné d'avoir des économies. Moi, voyez-vous, je ne me mêle pas des affaires de ménage; seulement, ce que je présume, c'est que des économies de mousquetaire, c'est léger.

– Sans doute, relativement à vous, Porthos, qui êtes millionnaire; mais enfin je vais vous en faire juge. J'avais d'une part vingt-cinq mille livres.

– C'est gentil, dit Porthos d'un air affable.

– Et, continua d'Artagnan, j'y ai ajouté, le 25 du mois dernier, deux cents autres mille livres.

Porthos ouvrit des yeux énormes, qui demandaient éloquemment au mousquetaire: «où diable avez-vous volé une pareille somme, cher ami?»

– Deux cent mille livres! s'écria-t-il enfin.

– Oui, qui, avec vingt-cinq que j'avais, et vingt mille que j'ai sur moi, me complètent une somme de deux cent quarante-cinq mille livres.

– Mais voyons, voyons! d'où vous vient cette fortune?

– Ah! voilà. Je vous conterai la chose plus tard, cher ami; mais comme vous avez d'abord beaucoup de choses à me dire vous-même, mettons mon récit à son rang.

– Bravo! dit Porthos, nous voilà tous riches. Mais qu'avais-je donc à vous raconter?

– Vous avez à me raconter comment Aramis a été nommé…

– Ah! évêque de Vannes.

– C'est cela, dit d'Artagnan, évêque de Vannes. Ce cher Aramis! savez vous qu'il fait son chemin?

– Oui, oui, oui! Sans compter qu'il n'en restera pas là.

– Comment! vous croyez qu'il ne se contentera pas des bas violets, et qu'il lui faudra le chapeau rouge?

– Chut! cela lui est promis.

– Bah! par le roi?

– Par quelqu'un qui est plus puissant que le roi.

– Ah! diable! Porthos, que vous me dites là de choses incroyables, mon ami!

– Pourquoi, incroyables? Est-ce qu'il n'y a pas toujours eu en

France quelqu'un de plus puissant que le roi?

– Oh! si fait. Du temps du roi Louis XIII, c'était le duc de Richelieu; du temps de la régence, c'était le cardinal Mazarin; du temps de Louis XIV, c'est M…

– Allons donc!

– C'est M. Fouquet.

– Tope! Vous l'avez nommé du premier coup.

– Ainsi c'est M. Fouquet qui a promis le chapeau à Aramis?

Porthos prit un air réservé.

– Cher ami, dit-il, Dieu me préserve de m'occuper des affaires des autres et surtout de révéler des secrets qu'ils peuvent avoir intérêt à garder. Quand vous verrez Aramis, il vous dira ce qu'il croira devoir vous dire.

– Vous avez raison, Porthos, et vous êtes un cadenas pour la sûreté. Revenons donc à vous.

– Oui, dit Porthos.

– Vous m'avez donc dit que vous étiez ici pour étudier la topographie?

– Justement.

– Tudieu! mon ami, les belles choses que vous ferez!

– Comment cela?

– Mais ces fortifications sont admirables.

– C'est votre opinion?

– Sans doute. En vérité, à moins d'un siège tout à fait en règle,

Belle-Île est imprenable.

Porthos se frotta les mains.

– C'est mon avis, dit-il.

– Mais qui diable a fortifié ainsi cette bicoque?

Porthos se rengorgea.

– Je ne vous l'ai pas dit?

– Non.

– Vous ne vous en doutez pas?

– Non; tout ce que je puis dire, c'est que c'est un homme qui a étudié tous les systèmes et qui me paraît s'être arrêté au meilleur.

– Chut! dit Porthos; ménagez ma modestie, mon cher d'Artagnan.

– Vraiment! répondit le mousquetaire; ce serait vous… qui…

Oh!

– Par grâce, mon ami!

– Vous qui avez imaginé, tracé et combiné entre eux ces bastions, ces redans, ces courtines, ces demi-lunes, qui préparez ce chemin couvert?

– Je vous en prie…

– Vous qui avez édifié cette lunette avec ses angles rentrants et ses angles saillants?

– Mon ami…

– Vous qui avez donné aux jours de vos embrasures cette inclinaison à l'aide de laquelle vous protégez si efficacement les servants de vos pièces?

– Eh! mon Dieu, oui.

– Ah! Porthos, Porthos, il faut s'incliner devant vous, il faut admirer! Mais vous nous avez toujours caché ce beau génie! J'espère, mon ami, que vous allez me montrer tout cela dans le détail.

– Rien de plus facile. Voici mon plan.

– Montrez.

Porthos conduisit d'Artagnan vers la pierre qui lui servait de table et sur laquelle le plan était étendu.

Au bas du plan était écrit, de cette formidable écriture de Porthos, écriture dont nous avons eu déjà l'occasion de parler: «Au lieu de vous servir du carré ou du rectangle, ainsi qu'on le faisait jusqu'aujourd'hui, vous supposerez votre place enfermée dans un hexagone régulier. Ce polygone ayant l'avantage d'offrir plus d'angles que le quadrilatère. Chaque côté de votre hexagone, dont vous déterminerez la longueur en raison des dimensions prises sur la place, sera divisé en deux parties, et sur le point milieu vous élèverez une perpendiculaire vers le centre du polygone, laquelle égalera en longueur la sixième partie du côté. Par les extrémités, de chaque côté du polygone, vous tracerez deux diagonales et qui iront couper la perpendiculaire. Ces deux droites formeront les lignes de défense.»

– Diable! dit d'Artagnan s'arrêtant à ce point de la démonstration; mais c'est un système complet, cela, Porthos?

– Tout entier, fit Porthos. Voulez-vous continuer?

– Non pas, j'en ai lu assez; mais puisque c'est vous, mon cher Porthos, qui dirigez les travaux, qu'avez-vous besoin d'établir ainsi votre système par écrit?

– Oh! mon cher, la mort!

– Comment, la mort?

– Eh oui! nous sommes tous mortels.

– C'est vrai, dit d'Artagnan; vous avez réponse à tout, mon ami.

Et il reposa le plan sur la pierre.

Mais si peu de temps qu'il eût eu ce plan entre les mains, d'Artagnan avait pu distinguer, sous l'énorme écriture de Porthos, une écriture beaucoup plus fine qui lui rappelait certaines lettres à Marie Michon dont il avait eu connaissance dans sa jeunesse. Seulement, la gomme avait passé et repassé sur cette écriture, qui eût échappé à un oeil moins exercé que celui de notre mousquetaire.

– Bravo, mon ami, bravo! dit d'Artagnan.

– Et maintenant, vous savez tout ce que vous vouliez savoir, n'est-ce pas? dit Porthos en faisant la roue.

– Oh! mon Dieu, oui; seulement, faites-moi une dernière grâce, cher ami.

– Parlez; je suis le maître ici.

– Faites-moi le plaisir de me nommer ce monsieur qui se promène là-bas.

– Où, là-bas?

– Derrière les soldats.

– Suivi d'un laquais?

– Précisément.

– En compagnie d'une espèce de maraud vêtu de noir?

– À merveille!

– C'est M. Gétard.

– Qu'est-ce que M. Gétard, mon ami?

– C'est l'architecte de la maison.

– De quelle maison?

– De la maison de M. Fouquet.

– Ah! ah! s'écria d'Artagnan; vous êtes donc de la maison de

 

M. Fouquet, vous, Porthos?

– Moi! et pourquoi cela? fit le topographe en rougissant jusqu'à l'extrémité supérieure des oreilles.

– Mais, vous dites la maison, en parlant de Belle-Île, comme si vous parliez du château de Pierrefonds.

Porthos se pinça les lèvres.

– Mon cher, dit-il, Belle-Île est à M. Fouquet, n'est-ce pas?

– Oui.

– Comme Pierrefonds est à moi?

– Certainement.

– Vous êtes venu à Pierrefonds?

– Je vous ai dit que j'y étais ne voilà pas deux mois.

– Y avez-vous vu un monsieur qui a l'habitude de s'y promener une règle à la main?

– Non; mais j'eusse pu l'y voir, s'il s'y promenait effectivement.

– Eh bien! ce monsieur, c'est M. Boulingrin.

– Qu'est-ce que M. Boulingrin?

– Voilà justement. Si quand ce monsieur se promène une règle à la main, quelqu'un me demande: «Qu'est-ce que M. Boulingrin?» je réponds: «C'est l'architecte de la maison.» Eh bien! M. Gétard est le Boulingrin de M. Fouquet. Mais il n'a rien à voir aux fortifications, qui me regardent seul, entendez-vous bien? rien, absolument.

– Ah! Porthos, s'écria d'Artagnan en laissant tomber ses bras comme un vaincu qui rend son épée; ah! mon ami, vous n'êtes pas seulement un topographe herculéen, vous êtes encore un dialecticien de première trempe.

– N'est-ce pas, répondit Porthos, que c'est puissamment raisonné?

Et il souffla comme le congre que d'Artagnan avait laissé échapper le matin.

– Et maintenant, continua d'Artagnan, ce maraud qui accompagne

M. Gétard est-il aussi de la maison de M. Fouquet?

– Oh! fit Porthos avec mépris, c'est un M. Jupenet ou Juponet, une espèce de poète.

– Qui vient s'établir ici?

– Je crois que oui.

– Je pensais que M. Fouquet avait bien assez de poètes là-bas: Scudéry, Loret, Pellisson, La Fontaine. S'il faut que je vous dise la vérité, Porthos, ce poète-là vous déshonore.

– Eh! mon ami, ce qui nous sauve, c'est qu'il n'est pas ici comme poète.

– Comment donc y est-il?

– Comme imprimeur, et même vous me faites songer que j'ai un mot à lui dire, à ce cuistre.

– Dites.

Porthos fit un signe à Jupenet, lequel avait bien reconnu d'Artagnan et ne se souciait pas d'approcher; ce qui amena tout naturellement un second signe de Porthos.

Ce signe était tellement impératif, qu'il fallait obéir cette fois.

Il s'approcha donc.

– Ça! dit Porthos, vous voilà débarqué d'hier et vous faites déjà des vôtres.

– Comment cela, monsieur le baron? demanda Jupenet tout tremblant.

– Votre presse a gémi toute la nuit, monsieur, dit Porthos, et vous m'avez empêché de dormir, corne de boeuf!

– Monsieur… objecta timidement Jupenet.

– Vous n'avez rien encore à imprimer; donc vous ne devez pas encore faire aller la presse. Qu'avez-vous donc imprimé cette nuit?

– Monsieur, une poésie légère de ma composition.

– Légère! Allons donc, monsieur, la presse criait que c'était pitié. Que cela ne vous arrive plus, entendez-vous?

– Non, monsieur.

– Vous me le promettez?

– Je le promets.

– C'est bien; pour cette fois, je vous pardonne. Allez!

Le poète se retira avec la même humilité dont il avait fait preuve en arrivant.

– Eh bien! maintenant que nous avons lavé la tête à ce drôle, déjeunons, dit Porthos.

– Oui, dit d'Artagnan, déjeunons.

– Seulement, dit Porthos, je vous ferai observer, mon ami, que nous n'avons que deux heures pour notre repas.

– Que voulez-vous! nous tâcherons d'en faire assez. Mais pourquoi n'avons-nous que deux heures?

– Parce que la marée monte à une heure, et qu'avec la marée je pars pour Vannes. Mais, comme je reviens demain, cher ami, restez chez moi, vous y serez le maître. J'ai bon cuisinier, bonne cave.

– Mais non, interrompit d'Artagnan, mieux que cela.

– Quoi?

– Vous allez à Vannes, dites-vous?

– Sans doute.

– Pour voir Aramis?

– Oui.

– Eh bien! moi qui étais venu de Paris exprès pour voir Aramis…

– C'est vrai.

– Je partirai avec vous.

– Tiens! c'est cela.

– Seulement, je devais commencer par voir Aramis, et vous après. Mais l'homme propose et Dieu dispose. J'aurai commencé par vous, je finirai par Aramis.

– Très bien!

– Et en combien d'heures allez-vous d'ici à Vannes?

– Ah! mon Dieu! en six heures. Trois heures de mer d'ici à

Sarzeau, trois heures de route de Sarzeau à Vannes.

– Comme c'est commode! Et vous allez souvent à Vannes, étant si près de l'évêché?

– Oui, une fois par semaine. Mais attendez que je prenne mon plan.

Porthos ramassa son plan, le plia avec soin et l'engouffra dans sa large poche.

– Bon! dit à part d'Artagnan, je crois que je sais maintenant quel est le véritable ingénieur qui fortifie Belle-Île. Deux heures après, à la marée montante, Porthos et d'Artagnan partaient pour Sarzeau.

Chapitre LXXI – Une procession à Vannes

La traversée de Belle-Île à Sarzeau se fit assez rapidement, grâce à l'un de ces petits corsaires dont on avait parlé à d'Artagnan pendant son voyage, et qui, taillés pour la course et destinés à la chasse, s'abritaient momentanément dans la rade de Locmaria, où l'un d'eux, avec le quart de son équipage de guerre, faisait le service entre Belle-Île et le continent.

D'Artagnan eut l'occasion de se convaincre cette fois encore que Porthos, bien qu'ingénieur et topographe, n'était pas profondément enfoncé dans les secrets d'État.

Sa parfaite ignorance, au reste, eût passé près de tout autre pour une savante dissimulation. Mais d'Artagnan connaissait trop bien tous les plis et replis de son Porthos pour ne pas y trouver un secret s'il y était, comme ces vieux garçons rangés et minutieux savent trouver, les yeux fermés, tel livre sur les rayons de la bibliothèque, telle pièce de linge dans un tiroir de leur commode.

Donc, s'il n'avait rien trouvé, ce rusé d'Artagnan, en roulant et en déroulant son Porthos, c'est qu'en vérité il n'y avait rien.

– Soit, dit d'Artagnan; j'en saurai plus à Vannes en une demi- heure que Porthos n'en a su à Belle-Île en deux mois. Seulement, pour que je sache quelque chose, il importe que Porthos n'use pas du seul stratagème dont je lui laisse la disposition. Il faut qu'il ne prévienne point Aramis de mon arrivée.

Tous les soins du mousquetaire se bornèrent donc pour le moment à surveiller Porthos.

Et, hâtons-nous de le dire, Porthos ne méritait pas cet excès de défiance. Porthos ne songeait aucunement à mal.

Peut-être, à la première vue, d'Artagnan lui avait-il inspiré un peu de défiance; mais presque aussitôt d'Artagnan avait reconquis dans ce bon et brave coeur la place qu'il y avait toujours occupée, et pas le moindre nuage n'obscurcissait le gros oeil de Porthos se fixant de temps en temps avec tendresse sur son ami.

En débarquant, Porthos s'informa si ses chevaux l'attendaient Et, en effet, il les aperçut bientôt à la croix du chemin qui tourne autour de Sarzeau et qui, sans traverser cette petite ville, aboutit à Vannes. Ces chevaux étaient au nombre de deux: celui de M. de Vallon et celui de son écuyer.

Car Porthos avait un écuyer depuis que Mousqueton n'usait plus que du chariot comme moyen de locomotion.

D'Artagnan s'attendait à ce que Porthos proposât d'envoyer en avant son écuyer sur un cheval pour en ramener un autre, et il se promettait, lui, d'Artagnan, de combattre cette proposition. Mais rien de ce que présumait d'Artagnan n'arriva. Porthos ordonna tout simplement au serviteur de mettre pied à terre et d'attendre son retour à Sarzeau pendant que d'Artagnan monterait son cheval.

Ce qui fut fait.

– Eh! mais vous êtes homme de précaution, mon cher Porthos, dit d'Artagnan à son ami lorsqu'il se trouva en selle sur le cheval de l'écuyer.

– Oui; mais c'est une gracieuseté d'Aramis. Je n'ai pas mes équipages ici. Aramis a donc mis ses écuries à ma disposition.

– Bons chevaux, mordioux! pour des chevaux d'évêque, dit d'Artagnan. Il est vrai qu'Aramis est un évêque tout particulier.

– C'est un saint homme, répondit Porthos d'un ton presque nasillard et en levant les yeux au ciel.

– Alors il est donc bien changé, dit d'Artagnan, car nous l'avons connu passablement profane.

– La grâce l'a touché, dit Porthos.

– Bravo! dit d'Artagnan, cela redouble mon désir de le voir, ce cher Aramis.

Et il éperonna son cheval, qui l'emporta avec une nouvelle rapidité.

– Peste! dit Porthos, si nous allons de ce train-là, nous ne mettrons qu'une heure au lieu de deux.

– Pour faire combien, dites-vous, Porthos?

– Quatre lieues et demie.

– Ce sera aller bon pas.

– J'aurais pu, cher ami, vous faire embarquer sur le canal; mais au diable les rameurs ou les chevaux de trait! Les premiers vont comme des tortues, les seconds comme des limaces, et quand on peut se mettre un bon coursier entre les genoux, mieux vaut un bon cheval que des rameurs ou tout autre moyen.

– Vous avez raison, vous surtout, Porthos, qui êtes toujours magnifique à cheval.

– Un peu lourd, mon ami; je me suis pesé dernièrement.

– Et combien pesez-vous?

– Trois cents! dit Porthos avec orgueil.

– Bravo!

– De sorte, vous comprenez, qu'on est forcé de me choisir des chevaux dont le rein soit droit et large, autrement je les crève en deux heures.

– Oui, des chevaux de géant, n'est-ce pas, Porthos?

– Vous êtes bien bon, mon ami, répliqua l'ingénieur avec une affectueuse majesté.

– En effet, mon ami, répliqua d'Artagnan, il me semble que votre monture sue déjà.

– Dame; il fait chaud. Ah! ah! voyez-vous Vannes maintenant?

– Oui, très bien. C'est une fort belle ville, à ce qu'il paraît?

– Charmante, selon Aramis, du moins; moi, je la trouve noire; mais il paraît que c'est beau, le noir, pour les artistes. J'en suis fâché.

– Pourquoi cela, Porthos?

– Parce que j'ai précisément fait badigeonner en blanc mon château de Pierrefonds, qui était gris de vieillesse.

– Hum! fit d'Artagnan; en effet, le blanc est plus gai.

– Oui, mais c'est moins auguste, à ce que m'a dit Aramis. Heureusement qu'il y a des marchands de noir: je ferai rebadigeonner Pierrefonds en noir, voilà tout. Si le gris est beau, vous comprenez, mon ami, le noir doit être superbe.

– Dame! fit d'Artagnan, cela me paraît logique.

– Est-ce que vous n'êtes jamais venu à Vannes, d'Artagnan?

– Jamais.

– Alors vous ne connaissez pas la ville?

– Non.

– Eh bien! tenez, dit Porthos en se haussant sur ses étriers, mouvement qui fit fléchir l'avant-main de son cheval, voyez-vous dans le soleil, là-bas, cette flèche?

– Certainement, que je la vois.

– C'est la cathédrale.

– Qui s'appelle?

– Saint-Pierre. Maintenant, là, tenez, dans le faubourg à gauche, voyez vous une autre croix?

– À merveille.

– C'est Saint-Paterne, la paroisse de prédilection d'Aramis.

– Ah!

– Sans doute. Voyez-vous, saint Paterne passe pour avoir été le premier évêque de Vannes. Il est vrai qu'Aramis prétend que non, lui. Il est vrai qu'il est si savant, que cela pourrait bien n'être qu'un paro… qu'un para…

– Qu'un paradoxe, dit d'Artagnan.

– Précisément. Merci, la langue me fourchait… il fait si chaud.

– Mon ami, fit d'Artagnan, continuez, je vous prie, votre intéressante démonstration. Qu'est-ce que ce grand bâtiment blanc percé de fenêtres?

– Ah! celui-là, c'est le collège des jésuites. Pardieu! vous avez la main heureuse. Voyez-vous près du collège une grande maison à clochetons à tourelles, et d'un beau style gothique, comme dit cette brute de M. Gétard?

– Oui, je la vois. Eh bien?

– Eh bien! c'est là que loge Aramis.

– Quoi! il ne loge pas à l'évêché?

– Non; l'évêché est en ruines. L'évêché, d'ailleurs, est dans la ville, et Aramis préfère le faubourg. Voilà pourquoi, vous dis-je, il affectionne Saint-Paterne, parce que Saint-Paterne est dans le faubourg. Et puis il y a dans ce même faubourg un mail, un jeu de paume et une maison de dominicains. Tenez, celle-là qui élève jusqu'au ciel ce beau clocher.

– Très bien.

– Ensuite, voyez-vous, le faubourg est comme une ville à part; il a ses murailles, ses tours, ses fossés; le quai même y aboutit, et les bateaux abordent au quai. Si notre petit corsaire ne tirait pas huit pieds d'eau, nous serions arrivés à pleines voiles jusque sous les fenêtres d'Aramis.

– Porthos, Porthos, mon ami, s'écria d'Artagnan, vous êtes un puits de science, une source de réflexions ingénieuses et profondes. Porthos, vous ne me surprenez plus, vous me confondez.

 

– Nous voici arrivés, dit Porthos, détournant la conversation avec sa modestie ordinaire.

«Et il était temps, pensa d'Artagnan, car le cheval d'Aramis fond comme un cheval de glace.»

Ils entrèrent presque au même instant dans le faubourg, mais à peine eurent-ils fait cent pas, qu'ils furent surpris de voir les rues jonchées de feuillages et de fleurs.

Aux vieilles murailles de Vannes pendaient les plus vieilles et les plus étranges tapisseries de France.

Des balcons de fer tombaient de longs draps blancs tout parsemés de bouquets.

Les rues étaient désertes; on sentait que toute la population était rassemblée sur un point.

Les jalousies étaient closes, et la fraîcheur pénétrait dans les maisons sous l'abri des tentures, qui faisaient de larges ombres noires entre leurs saillies et les murailles. Soudain, au détour d'une rue, des chants frappèrent les oreilles des nouveaux débarqués. Une foule endimanchée apparut à travers les vapeurs de l'encens qui montait au ciel en bleuâtres flocons, et les nuages de feuilles de roses voltigeant jusqu'aux premiers étages. Au- dessus de toutes les têtes, on distinguait les croix et les bannières, signes sacrés de la religion.

Puis, au-dessous de ces croix et de ces bannières, et comme protégées par elles, tout un monde de jeunes filles vêtues de blanc et couronnées de bleuets.

Aux deux côtés de la rue, enfermant le cortège, s'avançaient les soldats de la garnison, portant des bouquets dans les canons de leurs fusils et à la pointe de leurs lances.

C'était une procession.

Tandis que d'Artagnan et Porthos regardaient avec une ferveur de bon goût qui déguisait une extrême impatience de pousser en avant, un dais magnifique s'approchait, précédé de cent jésuites et de cent dominicains, et escorté par deux archidiacres, un trésorier, un pénitencier et douze chanoines. Un chantre à la voix foudroyante, un chantre trié certainement dans toutes les voix de la France, comme l'était le tambour-major de la garde impériale dans tous les géants de l'Empire, un chantre, escorté de quatre autres chantres qui semblaient n'être là que pour lui servir d'accompagnement, faisait retentir les airs et vibrer les vitres de toutes les maisons.

Sous le dais apparaissait une figure pâle et noble, aux yeux noirs, aux cheveux noirs mêlés de fils d'argent, à la bouche fine et circonspecte, au menton proéminent et anguleux.

Cette tête, pleine de gracieuse majesté, était coiffée de la mitre épiscopale, coiffure qui lui donnait, outre le caractère de la souveraineté, celui de l'ascétisme et de la méditation évangélique.

– Aramis! s'écria involontairement le mousquetaire quand cette figure altière passa devant lui.

Le prélat tressaillit; il parut avoir entendu cette voix comme un mort ressuscitant entend la voix du Sauveur. Il leva ses grands yeux noirs aux longs cils et les porta sans hésiter vers l'endroit d'où l'exclamation était partie. D'un seul coup d'oeil, il avait vu Porthos et d'Artagnan près de lui. De son côté, d'Artagnan, grâce à l'acuité de son regard, avait tout vu, tout saisi. Le portrait en pied du prélat était entré dans sa mémoire pour n'en plus sortir.

Une chose surtout avait frappé d'Artagnan. En l'apercevant, Aramis avait rougi, puis il avait à l'instant même concentré sous sa paupière le feu du regard du maître et l'imperceptible affectuosité du regard de l'ami.

Il était évident qu'Aramis s'adressait tout bas cette question: «Pourquoi d'Artagnan est-il là avec Porthos, et que vient-il faire à Vannes?» Aramis comprit tout ce qui se passait dans l'esprit de d'Artagnan en reportant son regard sur lui et en voyant qu'il n'avait pas baissé les yeux.

Il connaît la finesse de son ami et son intelligence; il craint de laisser deviner le secret de sa rougeur et de son étonnement. C'est bien le même Aramis, ayant toujours un secret à dissimuler. Aussi, pour en finir avec ce regard d'inquisiteur qu'il faut faire baisser à tout prix, comme à tout prix un général éteint le feu d'une batterie qui le gêne, Aramis étend sa belle main blanche, à laquelle étincelle l'améthyste de l'anneau pastoral, il fend l'air avec le signe de la croix et foudroie ses deux amis avec sa bénédiction. Peut-être, rêveur et distrait, d'Artagnan, impie malgré lui, ne se fût point baissé sous cette bénédiction sainte; mais Porthos a vu cette distraction, et, appuyant amicalement sa main sur le dos de son compagnon, il l'écrase vers la terre.

D'Artagnan fléchit: peu s'en faut même qu'il ne tombe à plat ventre.

Pendant ce temps, Aramis est passé.

D'Artagnan, comme Antée, n'a fait que toucher la terre, et il se retourne vers Porthos tout prêt à se fâcher.

Mais il n'y a pas à se tromper à l'intention du brave hercule: c'est un sentiment de bienséance religieuse qui le pousse. D'ailleurs, la parole, chez Porthos, au lieu de déguiser la pensée, la complète toujours.

– C'est fort gentil à lui, dit-il, de nous avoir donné comme cela une bénédiction, à nous tout seuls. Décidément, c'est un saint homme et un brave homme.

Moins convaincu que Porthos, d'Artagnan ne répondit pas.

– Voyez, cher ami, continua Porthos, il nous a vus, et au lieu de continuer à marcher au simple pas de procession, comme tout à l'heure, voilà qu'il se hâte. Voyez-vous comme le cortège double sa vitesse? Il est pressé de nous voir et de nous embrasser, ce cher Aramis.

– C'est vrai, répondit d'Artagnan tout haut.

Puis tout bas:

– Toujours est-il qu'il m'a vu, le renard, et qu'il aura le temps de se préparer à me recevoir.

Mais la procession est passée; le chemin est libre.

D'Artagnan et Porthos marchèrent droit au palais épiscopal, qu'une foule nombreuse entourait pour voir rentrer le prélat.

D'Artagnan remarqua que cette foule était surtout composée de bourgeois et de militaires.

Il reconnut dans la nature de ces partisans l'adresse de son ami.

En effet, Aramis n'était pas homme à rechercher une popularité inutile: peu lui importait d'être aimé de gens qui ne lui servaient à rien.

Des femmes, des enfants, des vieillards, c'est-à-dire le cortège ordinaire des pasteurs, ce n'était pas son cortège à lui. Dix minutes après que les deux amis avaient passé le seuil de l'évêché, Aramis rentra comme un triomphateur; les soldats lui présentaient les armes comme à un supérieur; les bourgeois le saluaient comme un ami, comme un patron plutôt que comme un chef religieux. Il y avait dans Aramis quelque chose de ces sénateurs romains qui avaient toujours leurs portes encombrées de clients. Au bas du perron, il eut une conférence d'une demi-minute avec un jésuite qui, pour lui parler plus discrètement, passa la tête sous le dais.

Puis il rentra chez lui; les portes se refermèrent lentement, et la foule s'écoula, tandis que les chants et les prières retentissaient encore.

C'était une magnifique journée. Il y avait des parfums terrestres mêlés à des parfums d'air et de mer. La ville respirait le bonheur, la joie, la force.

D'Artagnan sentit comme la présence d'une main invisible qui avait, toute-puissante, créé cette force, cette joie, ce bonheur, et répandu partout ces parfums.

«Oh! oh! se dit-il, Porthos a engraissé; mais Aramis a grandi.»

Fin du tome I
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