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Georges

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Antonio, avec sa finesse habituelle, avait promptement reconnu, aux regards furieux qu'ils se lançaient, la haine que Bijou et Télémaque nourrissaient l'un pour l'autre, et il avait compté sur cette haine rivale autant pour le moins, que sur sa légèreté personnelle. Aussi, comme le hasard avait fait qu'il se trouvait placé entre eux deux, et que, par conséquent, il les séparait, le rusé Malais avait profité d'une de ces nombreuses chutes qu'il avait faites pour prendre un des côtés et laisser les deux antagonistes en voisinage l'un de l'autre. Ce qu'il avait prévu arriva: à peine Bijou et Télémaque eurent-ils vu disparaître l'obstacle qui les séparait, qu'ils se rapprochèrent incontinent, se faisant des yeux de plus en plus terribles, grinçant des dents comme des singes qui se disputent une noix, et commençant à mêler des paroles amères à cette pantomime menaçante: heureusement, contenus qu'ils étaient chacun dans son sac, ils ne pouvaient passer des paroles aux actions. Mais il était facile de voir, à l'agitation de la toile, que leurs mains éprouvaient de vives démangeaisons de venger les injures que se disaient leurs bouches. Aussi, emportés par leur haine mutuelle, s'étaient-ils rapprochés au point de se côtoyer, de sorte qu'à chaque bond ils se coudoyaient, s'injuriant plus fort et se promettant bien que, dès qu'ils seraient sortis de leurs fourreaux, une rencontre aurait lieu entre eux, bien autrement acharnée que toutes les rencontres précédentes; pendant ce temps, Antonio gagnait du terrain.

À la vue du Malais, qui avait pris cinq ou six pas d'avance sur eux, il y eut cependant entre les deux nègres une trêve d'un instant: tous deux essayèrent, par des bonds plus gigantesques qu'ils n'en avaient encore fait, de regagner l'avantage perdu, et tous deux effectivement, le regagnaient visiblement, et surtout Télémaque, lorsqu'une nouvelle chute amena encore pour Télémaque une nouvelle chance. Antonio tomba, et, si vite que se fût relevé le Malais, Télémaque se trouva le premier.

La chose était d'autant plus grave, que l'on n'était plus qu'à une dizaine de pas du but: aussi Bijou poussa-t-il un véritable rugissement, et, par un effort désespéré, se rapprocha-t-il de son rival; mais Télémaque n'était pas homme à se laisser dépasser. Aussi continua-t-il de bondir avec une élasticité croissante; si bien que chacun jurait déjà que c'était à lui qu'appartenait le parapluie. Mais l'homme propose et Dieu dispose. Télémaque fit un faux pas, chancela un instant au milieu des cris de la multitude, et tomba; mais, en tombant, fidèle à sa haine, il dirigea sa chute de manière à barrer le chemin à Bijou. Bijou, emporté par sa course, ne put se déranger, heurta Télémaque et roula à son tour sur la poussière.

Alors une même idée leur vint à tous deux en même temps: c'est que, plutôt que de laisser triompher un rival, mieux valait que ce fût un tiers qui obtînt le prix. Aussi, au grand étonnement des spectateurs, les deux sacs, au lieu de se relever et de continuer leur course vers le but indiqué, furent-ils à peine sur leurs pieds, qu'ils se ruèrent l'un contre l'autre, se gourmant autant que le leur permettait la prison de toile dans laquelle ils étaient renfermés; employant la tête, à la manière des Bretons, et laissant Antonio continuer tranquillement sa course, libre de tout empêchement et débarrassé de tout rival; tandis que, se roulant l'un sur l'autre, à défaut des pieds et des mains, dont la disposition leur était interdite, ils se mordaient à belles dents.

Pendant ce temps, Antonio, triomphant, arrivait au but et gagnait le parapluie, qui lui fut remis incontinent et qu'il déploya aussitôt aux applaudissements de tous les assistants, plus ou moins nègres, qui enviaient le bonheur de celui qui était assez heureux pour posséder un pareil trésor.

On sépara Bijou et Télémaque qui, pendant ce temps, avaient continué de se dévorer à belles dents. Bijou en fut quitte pour une portion du nez, et Télémaque pour une partie de l'oreille.

C'était le tour des poneys: une trentaine de petits chevaux, tous originaires de Timor et de Pégu, sortirent de l'enceinte réservée, montés par des jockeys indiens, madécasses ou malais. Leur apparition fut saluée par une rumeur universelle, car cette course est encore une de celles qui récréent le plus la population noire de l'île. En effet, ces petits chevaux, à demi sauvages et presque indomptés offrent dans leur indépendance beaucoup plus d'inattendu que les chevaux ordinaires. Aussi mille cris partaient-ils à la fois, encourageant les jockeys basanés, sous lesquels bondissait ce troupeau de démons qu'il fallait toute la force et toute l'habileté de leurs cavaliers pour contenir, et qui menaçaient de ne pas attendre le signal, pour peu que le signal se fît attendre. Le gouverneur fit donc un geste, et le signal fut donné.

Tous partirent, ou pour mieux dire, s'envolèrent, car ils semblaient bien plutôt une bande d'oiseaux rasant le sol qu'un troupeau de quadrupèdes touchant la terre. Mais à peine furent-ils arrivés en face du tombeau Malartic, que, selon leur habitude, ils commencèrent à bolter, comme on dit en terme de course, c'est-à-dire que la moitié d'entre eux se déroba dans les bois noirs, emportant les cavaliers, malgré les efforts de ceux-ci pour les maintenir dans le champ de Mars. Au pont, le tiers de ceux qui restaient disparut; si bien qu'en approchant du mille Dreaper, on n'en comptait plus que sept ou huit; encore deux ou trois, débarrassés de leurs jockeys, couraient-ils sans cavalier.

La course se composait de deux tours; ils passèrent donc devant le but sans s'arrêter, pareils à un tourbillon emporté par le vent; puis, au tournant, ils disparurent. Alors on entendit de grands cris, puis des rires, puis plus rien, et l'on attendit vainement. Le reste des chevaux s'était dérobé, il n'en restait plus un seul en ligne; tous avaient disparu: les uns dans les bois du Château-d'Eau, les autres aux ruisseaux de l'enfoncement, les autres au pont. Dix minutes se passèrent ainsi.

Puis, tout à coup, à la pente montante, on vit reparaître un cheval sans cavalier; celui-là était entré dans la ville, avait tourné devant l'église et était revenu par une des rues aboutissant au champ de Mars; et il continuait sa course, sans être guidé, à son caprice, par instinct, tandis que, peu à peu et derrière lui, on voyait poindre les autres revenant de tous côtés, mais revenant trop tard; en un clin d'œil le premier qui avait reparu franchit la distance qui le séparait du but, le dépassa d'une cinquantaine de pas, puis s'arrêta de lui-même, comme s'il eût compris qu'il avait gagné.

Le prix, comme nous l'avons dit, était un beau fusil de Menton, lequel fut remis au propriétaire de l'intelligent animal. C'était un colon nommé M. Saunders.

Pendant ce temps, les autres arrivaient de tous côtés, pareils à des pigeons effarouchés par un épervier, et qui partis en bande, reviennent un à un au colombier.

Il y en eut sept ou huit qui se perdirent et qu'on ne retrouva que le lendemain ou le surlendemain.

C'était le tour de la véritable course: aussi y eut-il une trêve d'une demi-heure; on distribua les programmes, et pendant ce temps, les paris s'établirent.

Au nombre des parieurs les plus acharnés était le capitaine Van den Broek; en descendant de son bâtiment, il avait été droit chez Vigier, le premier orfèvre de la ville renommé pour son auvergnate probité, et il avait échangé contre des bank-notes et de l'or, pour une centaine de mille francs de diamants; aussi faisait-il face aux plus hardis sportsmen, tenant tout, et, ce qui était le plus étonnant, tenant tout sur un cheval dont le nom était inconnu dans l'île, et qui s'appelait Antrim.

Il y avait quatre chevaux inscrits:

Restauration, au colonel Dreaper; Virginie, à M. Rondeau de Courcy; Gester, à M. Henri de Malmédie; et Antrim, à M.**, le nom était remplacé par deux étoiles.

Le plus fort des paris s'était porté sur Gester et sur Restauration, qui, aux courses de l'année précédente, avaient eu les honneurs de la journée. Cette fois, on comptait encore plus sur eux, montés qu'ils étaient par leurs maîtres, excellents cavaliers tous deux; quant à Virginie, c'était la première fois qu'elle courait.

Cependant, et malgré l'avis charitable qu'on lui avait donné qu'il agissait en véritable fou, le capitaine Van den Broek continuait à parier pour Antrim, ce qui ne laissait pas que d'exciter la curiosité à l'endroit de ce cheval et de ce maître inconnus. Comme les chevaux étaient montés par leurs propriétaires, les cavaliers ne devaient point être pesés; on ne s'étonna donc point de ne voir sous la tente ni Antrim ni le gentilhomme qui se cachait sous le signe hiéroglyphique qui remplaçait son nom, et chacun pensait que, au moment du départ, il apparaîtrait tout à coup et viendrait prendre place dans les rangs de ses rivaux. En effet, au moment où les chevaux et les cavaliers sortirent de l'enceinte, on vit accourir du côté du camp malabar celui qui, depuis que les programmes avaient été distribués, était l'objet de la curiosité générale; mais son aspect au lieu de fixer les incertitudes, ne fit que les augmenter: il était vêtu d'un costume égyptien, dont on apercevait les broderies sous un burnous qui lui cachait la moitié du visage; il montait à la manière arabe, c'est-à-dire avec les étriers courts, son cheval caparaçonné à la turque. Au reste, il était, dès la première vue, évident pour tout le monde que c'était un cavalier consommé. De son côté, Antrim, car personne, à la première vue, ne douta que ce ne fût le cheval engagé sous ce nom qui venait de paraître; de son côté, disons-nous, Antrim parut justifier la confiance qu'avait d'avance eue en lui le capitaine Van den Broek, tant il paraissait fin, assoupli et identifié avec son maître.

Nul ne reconnut ni le cheval ni le cavalier; mais, comme on s'était inscrit chez le gouverneur, et qu'il n'y avait pas d'inconnu pour lui, on respecta l'incognito du nouvel arrivant: une seule personne soupçonna peut-être quel était ce cavalier, et se pencha en rougissant en avant pour s'assurer de la vérité. Cette personne, c'était Sara.

 

Les coureurs se placèrent en ligne; ils étaient quatre seulement, comme nous l'avons dit, car la réputation de Gester et de Restauration avait écarté tous les autres concurrents; chacun pensait donc que la question allait se débattre entre eux deux.

Comme il n'y avait qu'une course de gentlemen, les juges avaient décidé, pour que le plaisir des spectateurs durât plus longtemps, que l'on ferait deux tours au lieu d'un; chaque cheval avait donc à parcourir l'espace de trois milles à peu près, c'est-à-dire une lieue, ce qui donnait d'autant plus de chances aux chevaux de fond.

Au signal donné, tous partirent: mais, comme on le sait, en pareille circonstance, les débuts ne laissent rien préjuger. À la moitié du premier tour, Virginie, qui, nous le répétons, courait pour la première fois, avait gagné une avance de près de trente pas, et était à peu près côtoyée par Antrim, tandis que Restauration et Gester restaient en arrière, visiblement retenus par leurs cavaliers. À la pente montante, c'est-à-dire aux deux tiers du cercle à peu près, Antrim avait gagné une demi-longueur, tandis que Restauration et Gester s'étaient rapprochés de dix pas; ils allaient donc repasser, et chacun se penchait en avant, battant des mains et encourageant les coureurs, lorsque, soit hasard, soit intention, Sara laissa tomber son bouquet. L'inconnu le vit et, sans ralentir sa course, avec une adresse merveilleuse, en se faisant couler sous le ventre de son cheval à la manière des cavaliers arabes qui ramassent le djérid, il ramassa le bouquet tombé, salua sa belle propriétaire et continua son chemin, ayant perdu à peine dix pas, qu'il ne parut pas le moins du monde se préoccuper de reprendre.

Au milieu du second tour, Virginie était rejointe par Restauration, que Gester suivait à une longueur, tandis qu'Antrim demeurait toujours à sept ou huit pas en arrière; mais, comme son cavalier ne le pressait ni de la cravache ni de l'éperon, on comprenait que ce petit retard ne signifiait rien, et qu'il rattraperait la distance perdue quand il le jugerait convenable.

Au pont, Restauration rencontra un caillou et roula avec son cavalier, qui, n'ayant point perdu les étriers, voulut d'un mouvement de la main le remettre sur pied. Le noble animal fit un effort, se releva et retomba presque aussitôt; Restauration avait la jambe cassée.

Les trois autres concurrents poursuivirent leur course. Gester alors tenait la tête, Virginie le suivait à deux longueurs, et Antrim côtoyait Virginie. Mais, à la pente montante, Virginie commença à perdre, tandis que Gester maintenait son avantage, et qu'Antrim, sans effort aucun, commençait à gagner. Arrivé au mille Dreaper, Antrim n'était plus qu'à une longueur en arrière de son rival, et Henri, se sentant gagné, commençait à fouetter Gester. Les vingt-cinq mille spectateurs de cette belle course applaudissaient, faisant flotter leurs mouchoirs, encourageant les concurrents. Alors l'inconnu se pencha sur le cou d'Antrim, prononça quelques mots en arabe, et, comme si l'intelligent animal eût pu comprendre ce que lui disait son maître, il redoubla de vitesse. On n'était plus qu'à vingt-cinq pas du but, on était en face de la première tribune; Gester dépassait toujours Antrim d'une tête, lorsque l'inconnu, voyant qu'il n'y avait pas de temps à perdre, enfonça ses deux éperons dans le ventre de son cheval, et, se dressant sur ses étriers, en rejetant le capuchon de son bournous en arrière.

– Monsieur Henri de Malmédie, dit-il à son concurrent, pour deux insultes que vous m'avez faites, je ne vous en rendrai qu'une; mais j'espère qu'elle vaudra bien les vôtres.

Et levant le bras à ces mots, Georges, car c'était lui, sangla la figure de Henri de Malmédie d'un coup de cravache.

Puis, enfonçant les éperons dans le ventre d'Antrim, il arriva le premier au but de deux longueurs de cheval; mais, au lieu de s'y arrêter pour réclamer le prix, il continua sa course et disparut, au milieu de la stupéfaction générale, dans les bois qui entourent le tombeau Malartic.

Georges avait raison; en échange des deux insultes qui lui avaient été faites par M. de Malmédie, à quatorze ans de distance, il venait d'en rendre une seule, mais publique, terrible, sanglante, et qui décidait de tout son avenir, car c'était non seulement une provocation à un rival, mais une déclaration de guerre à tous les blancs.

Georges se trouvait donc, par la marche irrésistible des choses, en face de ce préjugé qu'il était venu chercher de si loin, et ils allaient lutter corps à corps, comme deux ennemis mortels.

Chapitre XVIII – Laïza

Georges, retiré dans l'appartement qu'il avait fait meubler pour lui dans l'habitation de son père à Moka, réfléchissait à la position dans laquelle il venait de se placer, lorsqu'on lui annonça qu'un nègre le demandait. Il crut tout naturellement que c'était quelque message de M. Henri de Malmédie, et ordonna que l'on fît entrer le messager.

À la première vue de celui qui le demandait, Georges reconnut qu'il s'était trompé; il avait un vague souvenir d'avoir rencontré cet homme quelque part; cependant, il ne pouvait dire où.

– Vous ne me reconnaissez pas? dit le nègre.

– Non, répondit Georges, et, cependant, nous nous sommes déjà vus, n'est ce pas?

– Deux fois, reprit le nègre.

– Où cela?

– La première à la rivière Noire, quand vous sauvâtes la jeune fille; la seconde…

– C'est juste, interrompit Georges, je me rappelle; et la seconde?..

– La seconde, interrompit à son tour le nègre; la seconde, quand vous nous avez rendu la liberté. Je me nomme Laïza, et mon frère se nommait Nazim.

– Et qu'est devenu ton frère?

– Nazim, esclave, avait voulu fuir pour retourner à Anjouan. Nazim libre, grâce à vous, est parti et doit être, à cette heure, près de notre père. Merci pour lui.

– Et, quoique libre, tu es resté, toi? demanda Georges. C'est étrange.

– Vous allez comprendre cela, dit le nègre en souriant.

– Voyons, répondit Georges, qui, malgré lui, commençait à prendre intérêt à cette conversation.

– Je suis fils de chef, reprit le nègre. Je suis de sang mêlé arabe et zanguebar; je n'étais donc pas né pour être esclave.

Georges sourit de l'orgueil du nègre, sans songer que cet orgueil était le frère cadet du sien.

Le nègre continua sans voir ou sans remarquer ce sourire:

– Le chef de Quérimbo m'a pris dans une guerre et m'a vendu à un négrier, qui m'a vendu à M. de Malmédie. J'ai offert, si l'on voulait envoyer un esclave à Anjouan, de me racheter pour vingt livres de poudre d'or. On n'a pas cru à la parole d'un nègre, on m'a refusé. J'ai insisté quelque temps; puis… il s'est fait un changement dans ma vie et je n'ai plus pensé à partir.

– M. de Malmédie t'a traité comme tu méritais de l'être? demanda Georges.

– Non, ce n'est pas cela, répondit le nègre. Trois ans après, mon frère Nazim fut pris à son tour et vendu comme moi, et, par bonheur, au même maître que moi; mais, n'ayant pas les mêmes raisons que moi pour rester ici, il a voulu fuir. Tu sais le reste, puisque tu l'as sauvé. J'aimais mon frère comme mon enfant, et toi, continua le nègre en croisant ses mains sur sa poitrine et en s'inclinant, je t'aime maintenant comme mon père. Or, voilà ce qui se passe; écoute, cela t'intéresse comme nous. Nous sommes ici quatre vingt mille hommes de couleur et vingt mille blancs.

– Je les ai comptés déjà, dit Georges en souriant.

– Je m'en doutais, répondit Laïza. Sur ces quatre-vingt mille, vingt mille au moins sont en état de porter les armes; tandis que les blancs, y compris les huit cents soldats anglais en garnison, peuvent à peine réunir quatre mille hommes.

– Je le sais encore, dit Georges.

– Eh bien, devinez-vous? demanda Laïza.

– J'attends que tu t'expliques.

– Nous sommes décidés à nous débarrasser des blancs. Nous avons, Dieu merci! assez souffert pour avoir le droit de nous venger.

– Eh bien? demanda Georges.

– Eh bien, nous sommes prêts, répondit Laïza.

– Qui vous arrête, alors, et pourquoi ne vous vengez-vous pas?

– Il nous manque un chef, ou plutôt on nous en proposa deux: mais ni l'un ni l'autre de ces hommes ne conviennent à une pareille entreprise.

– Et quels sont-ils?

– L'un est Antonio le Malais.

Georges laissa errer sur ses lèvres un sourire de mépris.

– Et l'autre? demanda-t-il.

– L'autre, c'est moi, répondit Laïza.

Georges regarda en face cet homme, qui donnait aux blancs cet exemple étrange de modestie, de reconnaître qu'il n'était pas digne du rang auquel il était appelé.

– L'autre, c'est toi?.. reprit le jeune homme.

– Oui, répondit le nègre, mais il ne faut pas deux chefs pour une pareille entreprise; il en faut un seul.

– Ah! ah! fit Georges qui crut comprendre que Laïza ambitionnait le suprême commandement.

– Il en faut un seul, suprême, absolu, et dont la supériorité ne puisse être discutée.

– Mais où trouver cet homme? demanda Georges.

– Il est trouvé, répondit Laïza en regardant fixement le jeune mulâtre; seulement, acceptera-t-il?

– Il risque sa tête, dit Georges.

– Et nous, ne risquons-nous rien? demanda Laïza.

– Mais quelle garantie lui donnerez-vous?

– La même qu'il nous offrira, un passé de persécution et d'esclavage, un avenir de vengeance et de liberté.

– Et quel plan avez-vous conçu?

– Demain, après la fête du Yamsé, quand les blancs, fatigués des plaisirs de la journée, se seront retirés après avoir vu brûler le gouhn, les Lascars resteront seuls sur les bords de la rivière des Lataniers; alors, de tous côtés arriveront Africains, Malais, Madécasses, Malabars, Indiens tous ceux qui sont entrés dans la conspiration; enfin là, ils éliront un chef, et ce chef les dirigera. Eh bien, dites un mot, et ce chef ce sera vous.

– Et qui t'a chargé de me faire cette proposition? demanda Georges.

Laïza sourit dédaigneusement.

– Personne, dit-il.

– Alors, l'idée vient de toi?

– Oui.

– Et qui te l'a inspirée?

– Vous-même.

– Comment, moi-même?

– Vous ne pouvez arriver à ce que vous désirez que par nous.

– Et qui t'a dit que je désirais quelque chose?

– Vous désirez épouser la rose de la rivière Noire et vous haïssez M. Henri de Malmédie! Vous désirez posséder l'une, vous voulez vous venger de l'autre! Nous seuls pouvons vous en offrir les moyens; car on ne consentira pas à vous donner l'une pour femme, et l'on ne permettra pas à l'autre de devenir votre adversaire.

– Et qui t'a dit que j'aimais Sara?

– Je l'ai vu.

– Tu te trompes.

Laïza secoua tristement la tête.

– Les yeux de la tête se trompent quelquefois, dit-il; ceux du cœur, jamais.

– Serais-tu mon rival? demanda Georges avec un sourire dédaigneux.

– Il n'y a de rival que celui qui a l'espoir d'être aimé, répondit le nègre en soupirant, et la rose de la rivière Noire n'aimera jamais le lion d'Anjouan.

– Alors tu n'es pas jaloux?

– Vous lui avez sauvé la vie, et sa vie vous appartient, c'est trop juste; moi, je n'ai pas même eu le bonheur de mourir pour elle, et cependant, ajouta le nègre en regardant Georges fixement, croyez-vous que j'aie fait ce qu'il fallait pour cela?

– Oui, oui, murmura Georges oui, tu es brave; mais les autres, puis-je compter sur eux?

– Je ne puis répondre que de moi, dit Laïza, et j'en réponds; donc, tout ce que l'on peut faire avec un homme courageux, fidèle et dévoué, tu le feras avec moi.

– Tu m'obéiras le premier?

– En toutes choses.

– Même en ce qui regardera?..

Georges s'interrompit en regardant Laïza.

– Même en ce qui regardera la rose de la rivière Noire, dit le nègre continuant la pensée du jeune homme.

– Mais d'où te vient ce dévouement pour moi?

– Le cerf d'Anjouan allait mourir sous les coups de ses bourreaux, et tu as racheté sa vie. Le lion d'Anjouan était dans les chaînes, et tu lui as rendu la liberté. Le lion est non seulement le plus fort, mais encore le plus généreux de tous les animaux; et c'est parce qu'il est fort et généreux, continua le nègre en croisant les bras et en relevant orgueilleusement la tête, qu'on a appelé Laïza le lion d'Anjouan.

 

– C'est bien, dit Georges en tendant la main au nègre. Je demande un jour pour me décider.

– Et quelle chose amènera votre acceptation ou votre refus?

– J'ai insulté aujourd'hui grièvement, publiquement, mortellement, M. de Malmédie.

– Je le sais, j'étais là, dit le nègre.

– Si M. de Malmédie se bat avec moi, je n'ai rien à dire.

– Et s'il refuse de se battre?.. demanda en souriant Laïza.

– Alors je suis à vous; car, comme on le sait brave, comme il a déjà eu avec les blancs deux duels, dans l'un desquels il a tué son adversaire, il aura ajouté une troisième insulte aux deux insultes qu'il m'a déjà faites, et alors la mesure sera comblée.

– Alors, tu es notre chef, dit Laïza; le blanc ne se battra pas avec le mulâtre.

Georges fronça le sourcil, car il avait déjà eu cette idée. Mais aussi, comment le blanc garderait-il le stigmate de honte que le mulâtre lui avait imprimé sur le visage?

En ce moment, Télémaque entra, les mains sur son oreille dont Bijou, comme nous l'avons dit, avait enlevé une partie.

– Maître, dit-il, le capitaine hollandais voudrait parler à li.

– Le capitaine Van den Broek? demanda Georges.

– Oui.

– C'est bien, dit Georges.

Puis, se tournant vers Laïza:

– Attends-moi ici, dit-il, je reviens; ma réponse sera probablement plus prompte que je ne l'espérais.

Georges sortit de la chambre où était Laïza et entra, les bras ouverts, dans celle où était le capitaine.

– Eh bien, frère, dit le capitaine, tu m'avais donc reconnu?

– Oui, Jacques, et je suis heureux de t'embrasser, surtout en ce moment.

– Il ne s'en est pas fallu de beaucoup que tu n'eusses pas eu ce plaisir à ce voyage-ci.

– Comment?..

– Je devrais être parti.

– Pourquoi?

– Le gouverneur m'a l'air d'un vieux renard de mer.

– Dis un loup, dis un tigre de mer, Jacques; le gouverneur est le fameux commodore Williams Murrey, l'ancien capitaine du Leycester.

– Du Leycester! j'aurais dû m'en douter; alors nous avions un vieux compte à régler ensemble, et je comprends tout.

– Qu'est-il donc arrivé?

– Il est arrivé que le gouverneur, après les courses, est venu gracieusement à moi et m'a dit: «Capitaine Van den Broek, vous avez une bien belle goélette!» Jusque-là, il n'y avait rien à dire; mais il ajouta: «Est-ce que demain je pourrais avoir l'honneur de la visiter?»

– Il se doute de quelque chose.

– Oui, et moi, qui, comme un niais, ne me doutais de rien, j'ai fait la roue et je l'ai invité à venir déjeuner à bord, ce qu'il a accepté.

– Eh bien?

– Eh bien, en revenant tout ordonner pour le susdit déjeuner, je me suis aperçu que, de la montagne de la Découverte, on faisait des signaux en mer. Alors j'ai commencé à comprendre que les signaux pourraient bien être faits en mon honneur. Je suis donc monté sur la montagne, et, ma lunette à la main, j'ai inspecté l'horizon; en cinq minutes, j'ai été fixé; il y avait à une vingtaine de milles un bâtiment qui répondait à ces signaux.

– C'était le Leycester?

– Justement; on veut me bloquer; mais, tu comprends Jacques n'est pas venu au monde hier: le vent est au sud-est, de sorte que le bâtiment ne peut rentrer à Port-Louis qu'en courant des bordées. Or, à ce métier-là, il lui faut une douzaine d'heures au moins pour être à l'île des Tonneliers; moi, pendant ce temps, je file et je viens te chercher pour filer avec moi.

– Moi? et quelle raison ai-je de partir?

– Ah! c'est juste, je ne t'ai rien dit encore. Ah çà! quelle diable d'idée as-tu donc eue de couper la figure de ce joli garçon d'un coup de cravache? Ce n'est pas poli, cela.

– Cet homme, ne sais-tu donc pas qui il est?

– Si fait, puisque je pariais mille louis contre lui. À propos, Antrim est un fier cheval, et tu lui feras bien des compliments de ma part.

– Eh bien, tu ne te rappelles pas que ce même Henri de Malmédie, il y a quatorze ans, le jour du combat?..

– Après?

Georges releva ses cheveux et montra à son frère la cicatrice de son front.

– Ah! oui, c'est vrai, s'écria Jacques; mille tonnerres! tu as de la rancune; j'avais oublié toute cette histoire. Mais d'ailleurs, autant que je puis me rappeler, cette petite gentillesse de sa part lui a valu de la mienne un coup de poing qui compensait bien son coup de sabre.

– Oui, et j'avais oublié cette première insulte, ou plutôt j'étais prêt à la lui pardonner, lorsqu'il m'en a fait une seconde.

– Laquelle?

– Il m'a refusé la main de sa cousine.

– Oh! tu es adorable, toi, ma parole d'honneur! Voilà un père et un fils qui élèvent une héritière comme une caille en mue, pour la plumer à leur aise par un bon mariage, et, quand la caille est grasse à point, arrive un braconnier qui veut la prendre pour lui. Allons donc! est-ce qu'ils pourraient faire autrement que de te la refuser? Sans compter mon cher, que nous sommes des mulâtres, pas autre chose.

– Aussi, n'est-ce point ce refus que j'ai regardé comme une injure; mais, dans la discussion, il a levé une baguette sur moi.

– Ah! dans ce cas, il a eu tort. Alors tu l'as assommé?

– Non, dit Georges en riant des moyens de conciliation qui se présentaient toujours, en pareille circonstance, à l'esprit de son frère; non, je lui ai demandé satisfaction.

– Et il a refusé? C'est juste, nous sommes des mulâtres. Nous battons quelquefois les blancs, c'est vrai; mais les blancs ne se battent pas avec nous, fi donc!

– Et lors je lui ai promis, moi, que je le forcerais bien à se battre.

– Et c'est pour cela que tu lui as envoyé en pleine course, coram populo, comme nous disions au collège Napoléon, un coup de cravache à travers la figure. Ce n'était pas mal imaginé; et le moyen a, ma foi, manqué de réussir.

– A manqué?.. Que veux-tu dire?

– Je veux dire que, effectivement, la première idée de M. de Malmédie avait été de se battre; mais personne n'a voulu lui servir de témoin, et ses amis lui ont déclaré qu'un pareil duel était impossible.

– Alors il gardera le coup de cravache que je lui ai donné; il est libre.

– Oui; mais on te garde autre chose, à toi.

– Et que me garde-t-on? demanda Georges en fronçant le sourcil.

– Comme, malgré tout ce qu'on pouvait lui dire, l'entêté voulait absolument se battre, il a fallu, pour le faire renoncer à ce duel, qu'on lui promît une chose.

– Et quelle chose lui a-t-on promise?

– Qu'un de ces soirs, pendant que tu serais à la ville, on s'embusquerait à huit ou dix sur la route de Moka; qu'on te surprendrait au moment où tu t'y attendrais le moins, qu'on te coucherait sur une échelle, et qu'on te donnerait vingt-cinq coups de fouet.

– Les misérables! Mais c'est le supplice des nègres!

– Eh bien, que sommes-nous donc, nous autres mulâtres? Des nègres blancs, pas autre chose.

– Ils lui ont promis cela? répéta Georges.

– Formellement.

– Tu en es sûr?

– J'y étais. On me prenait pour un brave Hollandais, pour un pur sang; on ne se défiait pas de moi.

– C'est bien! dit Georges; mon parti est pris.

– Tu pars avec moi?

– Je reste.

– Écoute, dit Jacques en posant la main sur l'épaule de Georges; crois-moi, frère, suis le conseil d'un vieux philosophe: ne reste pas, suis-moi.

– Impossible! j'aurais l'air de fuir; d'ailleurs, j'aime Sara.

– Tu aimes Sara?.. Qu'est-ce que cela veut dire: «J'aime Sara?»

– Cela veut dire qu'il faut que je possède cette femme, ou que je meure.

– Écoute, Georges, moi, je ne comprends pas toutes ces subtilités. Il est vrai que je n'ai jamais été amoureux que de mes passagères, qui en valent bien d'autres, crois-moi; et, quand tu en auras tâté, tu troqueras, vois-tu, quatre femmes blanches pour une femme des îles Comores, par exemple. J'en ai six dans ce moment-ci entre lesquelles je te donne le choix.

– Merci, Jacques. Je te le dis encore, je ne puis pas quitter l'île de France.

– Et moi, je te répète que tu as tort. L'occasion est belle, tu ne la retrouveras pas. Je pars cette nuit, à une heure, sans tambour ni trompette; viens avec moi, et, demain, nous serons à vingt-cinq lieues d'ici, et nous nous moquerons de tous les blancs de Maurice; sans compter que, si nous en attrapons quelques-uns, nous pourrons leur faire administrer, par quatre de mes matelots, la gratification qu'ils te réservaient.

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