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Georges

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M. de Malmédie et son fils se regardèrent avec un étonnement croissant; puis, sentant qu'il fallait en finir:



– Faites entrer, dit M. de Malmédie.



Lord Murrey et Georges entrèrent.



Tous deux étaient vêtus de noir et en habit, ce qui indiquait une visite de cérémonie.



M. de Malmédie fit quelques pas au-devant d'eux, tandis que Sara se levait en rougissant, et, après une révérence timide, se rasseyait, ou plutôt retombait sur sa chaise, et que ma mie Henriette, s'apercevant de l'étourderie que l'étonnement lui avait fait commettre, refermait rapidement le robinet de la bouilloire.



Bijou, sur un geste de son maître, approcha deux fauteuils; mais Georges s'inclina en faisant signe que c'était inutile et qu'il se tiendrait debout.



– Monsieur, dit le gouverneur en s'adressant à M. de Malmédie, voici M. Georges Munier, qui est venu me prier de l'accompagner chez vous et d'appuyer de ma présence une demande qu'il a à vous faire. Comme mon désir bien sincère serait que cette demande lui fût accordée, je n'ai pas cru devoir me refuser à cette démarche, qui me procure, d'ailleurs, l'honneur de vous voir.



Le gouverneur s'inclina et les deux hommes répondirent par un mouvement pareil.



– Nous sommes les obligés de M. Georges Munier, dit alors M. de Malmédie père; nous serions donc enchantés de lui être agréables en quelque chose.



– Si vous voulez par là, Monsieur, répondit Georges, faire allusion au bonheur que j'ai eu de sauver Mademoiselle du danger qu'elle courait, permettez-moi de vous affirmer que toute la reconnaissance est de moi à Dieu, qui m'a conduit là pour faire ce que tout autre eût fait à ma place. D'ailleurs, ajouta Georges en souriant, vous allez voir Monsieur, que ma conduite dans cette occasion n'était pas exempte d'égoïsme.



– Pardon, Monsieur, mais je ne vous comprends pas, dit Henri.



– Soyez tranquille, Monsieur, reprit Georges, votre doute ne sera pas long, et je vais m'expliquer clairement.



– Nous vous écoutons, Monsieur.



– Dois-je me retirer, mon oncle? demanda Sara.



– Si j'osais espérer, dit Georges en se retournant à demi et en s'inclinant, qu'un désir émis par moi eût quelque influence sur vous, Mademoiselle, je vous supplierais, au contraire, de rester.



Sara se rassit. Il y eut un moment de silence; puis M. de Malmédie fit signe qu'il attendait.



– Monsieur, dit Georges d'une voix parfaitement calme, vous me connaissez; vous connaissez ma famille; vous connaissez ma fortune. J'ai à cette heure deux millions à moi. Pardon d'entrer dans ces détails; mais je les crois indispensables.



– Cependant, Monsieur, reprit Henri j'avoue que je cherche inutilement en quoi ils peuvent nous intéresser.



– Aussi n'est-ce pas précisément à vous que je parle, dit Georges en conservant le même calme dans le maintien et dans la voix, tandis que Henri montrait une impatience visible, mais à monsieur votre père.



– Permettez-moi de vous dire, Monsieur, que je ne comprends pas plus le besoin qu'a mon père de pareils renseignements.



– Vous allez le comprendre, Monsieur, reprit froidement Georges.



Puis, regardant fixement M. de Malmédie:



– Je viens, continua-t-il, vous demander la main de mademoiselle Sara.



– Et pour qui? demanda M. de Malmédie:



– Pour moi, Monsieur, répondit Georges.



– Pour vous! s'écria Henri en faisant un mouvement que réprima aussitôt un regard terrible du jeune mulâtre.



Sara pâlit.



– Pour vous? demanda M. de Malmédie.



– Pour moi, Monsieur, reprit Georges en s'inclinant.



– Mais, s'écria M. de Malmédie, vous savez bien, Monsieur, que ma nièce est destinée à mon fils?



– Par qui, Monsieur? demanda à son tour le jeune mulâtre.



– Par qui, par qui!.. Eh! parbleu! par moi, dit M. de Malmédie.



– Je vous ferai observer, Monsieur, reprit Georges, que mademoiselle Sara n'est point votre fille, mais seulement votre nièce; ce qui fait qu'elle ne vous doit qu'une obéissance relative.



– Mais, Monsieur, toute cette discussion me paraît plus que singulière.



– Pardonnez-moi, dit Georges, elle est, au contraire, parfaitement naturelle; j'aime mademoiselle Sara; je crois que je suis appelé à la rendre heureuse; j'obéis à la fois à un désir de mon cœur et à un devoir de ma conscience.



– Mais ma cousine ne vous aime pas, vous, Monsieur! s'écria Henri se laissant emporter à son impétuosité naturelle.



– Vous vous trompez, Monsieur, répondit Georges, et je suis autorisé par mademoiselle à vous dire qu'elle m'aime.



– Elle, elle? s'écria M. de Malmédie. C'est impossible!



– Vous vous trompez, mon oncle dit Sara en se levant à son tour, et Monsieur a dit l'entière vérité.



– Comment, ma cousine, vous osez?.. s'écria Henri en s'élançant vers Sara avec un geste qui ressemblait à la menace.



Georges fit un mouvement; le gouverneur le retint.



– J'ose répéter, dit Sara, en répondant par un regard de suprême mépris au geste de son cousin, ce que j'ai dit à M. Georges. La vie qu'il m'a sauvée lui appartient, et je ne serai jamais à un autre que lui.



Et, à ces mots, avec un geste à la fois plein de grâce et de dignité, avec un geste de reine, elle étendit la main vers Georges, qui s'inclina sur cette main et y déposa un baiser.



– Ah! c'en est trop!.. s'écria Henri en levant une badine qu'il tenait à la main.



Mais, de même que lord Williams Murrey avait arrêté Georges, il arrêta Henri.



Quant à Georges, il se contenta de jeter un sourire dédaigneux à M. de Malmédie fils, et, conduisant Sara jusqu'à la porte, il s'inclina une seconde fois. Sara salua à son tour, fit signe à ma mie Henriette de la suivre, et sortit avec elle. Georges revint.



– Vous avez vu ce qui s'est passé, Monsieur, dit-il à l'oncle de Sara. Vous ne doutez plus des sentiments de mademoiselle de Malmédie à mon égard. J'ose donc vous prier une seconde fois de me faire une réponse positive à la demande que j'ai l'honneur de vous adresser.



– Une réponse, Monsieur! s'écria à son tour M. de Malmédie; une réponse! vous avez l'audace d'espérer que je vous en ferai une autre que celle que vous méritez?



– Je ne vous dicte pas la réponse que vous devez me faire, Monsieur; seulement, quelle qu'elle soit, je vous prie de m'en faire une.



– J'espère que vous ne vous attendez pas à autre chose qu'un refus? s'écria Henri.



– C'est monsieur votre père que j'interroge, et non pas vous Monsieur, répondit Georges; laissez votre père me répondre, et nous causerons ensuite de nos affaires.



– Eh bien, Monsieur, dit M. de Malmédie, vous comprenez que je refuse positivement.



– Très bien, Monsieur, répondit Georges; je m'attendais à cette réponse; mais la démarche que je viens de faire près de vous était dans les convenances, et je l'ai faite.



Et Georges salua M. de Malmédie avec la même politesse et la même aisance que si rien ne s'était passé entre eux; puis, se retournant vers Henri:



– Maintenant, Monsieur, lui dit-il, à nous deux, s'il vous plaît. Voilà la seconde fois, rappelez-vous-le bien, que vous levez, à quatorze ans de distance, la main sur moi: la première fois avec un sabre.



Il releva ses cheveux avec la main et montra du doigt la cicatrice qui sillonnait son front.



– La seconde fois avec cette baguette.



Et il montra du doigt la baguette que tenait Henri.



– Eh bien? dit Henri.



– Eh bien, dit Georges, je vous demande raison pour ces deux insultes. Vous êtes brave, je le sais, et j'espère que vous répondrez en homme à l'appel que je fais à votre courage.



– Je suis aise, Monsieur, que vous connaissiez ma bravoure, quoique votre opinion là-dessus me soit indifférente, répondit Henri en ricanant; elle me met à mon aise dans la réponse que j'ai à vous faire.



– Et quelle est cette réponse, Monsieur? demanda Georges.



– Cette réponse est que votre seconde demande est pour le moins aussi exagérée que la première. Je ne me bats pas avec un mulâtre.



Georges devint affreusement pâle, et, cependant, un sourire d'une indéfinissable expression erra sur ses lèvres.



– C'est votre dernier mot? dit-il.



– Oui, Monsieur, répondit Henri.



– À merveille, Monsieur, reprit Georges. Maintenant, je sais ce qui me reste à faire.



Et, saluant MM. de Malmédie, il se retira suivi du gouverneur.



– Je vous l'avais bien prédit, Monsieur, dit lord Williams lorsqu'ils furent à la porte.



– Et vous ne m'aviez rien prédit que je ne susse d'avance, milord, répondit Georges mais je suis revenu ici pour accomplir une destinée. Il faut que j'aille jusqu'au bout. J'ai un préjugé à combattre. Il faut qu'il m'écrase ou que je le tue. En attendant, milord, recevez tous mes remerciements.



Georges s'inclina et, serrant la main que lui tendait le gouverneur, traversa le jardin de la Compagnie. Lord Murrey le suivit des yeux tant qu'il put le voir; puis, lorsqu'il eut disparu au coin de la rue de la Rampe:



– Voilà un homme qui va droit à sa perte, dit-il en secouant la tête; c'est fâcheux, il y avait quelque chose de grand dans ce cœur-là.



Chapitre XVII – Les courses

C'était le samedi suivant que commençaient les fêtes du Yamsé; et la ville, pour ce jour, avait mis une telle coquetterie à effacer jusqu'aux dernières traces de l'ouragan, qu'on n'eût pas pu croire que, six jours auparavant, elle avait manqué d'être détruite.



Des le matin, les Lascars de mer et les Lascars de terre, réunis en une seule troupe, sortirent du camp malabar, situé hors de la ville, entre le ruisseau des Pucelles et le ruisseau Fanfaron, et précédés d'une musique barbare consistant en tambourins, flûtes et guimbardes, s'acheminèrent vers Port-Louis, afin d'y faire ce qu'on appelle la quête; les deux chefs marchaient à côté l'un de l'autre, vêtus selon le parti qu'ils représentaient, l'un d'une robe verte, l'autre d'une robe blanche, et portant à la main chacun un sabre nu, à l'extrémité duquel était piquée une orange. Derrière eux s'avançaient deux mollahs, tenant à deux mains chacun une assiette pleine de sucre et recouverte de feuilles de roses de la Chine; puis, à la suite des mollahs, venait en assez bon ordre la phalange indienne.

 



Dès les premières maisons de la ville, la quête commença; car, sans doute par esprit d'égalité, les quêteurs ne méprisent pas les plus petites cases, dont l'offrande, comme celle des plus riches maisons, est destinée à couvrir une partie des frais énormes que toute cette pauvre population a faits pour rendre la cérémonie aussi solennelle que possible. Au reste, il faut le dire, la façon de demander des quêteurs se ressent de l'orgueil oriental, et loin d'être basse et servile, présente quelque chose de noble et de touchant. Après que les chefs, devant lesquels toutes portes s'ouvrent, ont salué les maîtres de la maison en abaissant devant eux la pointe de leurs sabres, le mollah s'avance et offre aux assistants du sucre et des feuilles de rose. Pendant ce temps, d'autres Indiens, désignés par les chefs, reçoivent dans des assiettes les dons qu'on veut bien leur faire: puis tout le monde se retire en disant:

Salam

. Ils semblent ainsi non pas recevoir une aumône, mais inviter les personnes étrangères à leur culte à une communion symbolique, en partageant avec eux en frères les frais de leur culte et les dons de leur religion.



Dans les temps ordinaires, la quête s'étend non seulement, comme nous l'avons dit, à toutes les maisons de la ville, mais encore aux bâtiments qui sont dans le port, et qui rentrent dans les attributions des Lascars de mer. Seulement cette fois sur le dernier point surtout, la quête fut fort restreinte, la plupart des bâtiments ayant tant souffert de l'ouragan, que leurs capitaines avaient plus besoin de secours qu'ils n'étaient disposés à en donner.



Cependant, au moment même où les quêteurs étaient sur le port, un bâtiment signalé dès le matin apparut entre la redoute La Bourdonnaie et le fort Blanc, entrant sous le pavillon hollandais, et toutes les voiles dehors, en saluant le fort, qui lui rendit son salut coup pour coup. Sans doute, celui-là était encore à une grande distance de l'île, lorsque le coup de vent avait eu lieu, car il ne lui manquait pas un agrès, pas un cordage, et il s'avançait gracieusement incliné, comme si la main de quelque déesse de la mer le poussait à la surface de l'eau. De loin, et à l'aide des lunettes, on pouvait voir sur le pont, en grand uniforme du roi Guillaume, tout son équipage qui semblait, avec ses habits de bataille, c'est-à-dire son costume de fête, venir pour assister tout exprès à la cérémonie. Aussi l'on devine que, grâce à cet aspect joyeux et confortable, il devint tout de suite le point de mire des deux chefs. Il en résulta qu'à peine eut-il jeté l'ancre, le chef des Lascars de mer se mit dans une barque, et, accompagné de ses porteurs d'assiettes et d'une douzaine des siens, s'achemina vers le bâtiment, qui, vu de près, ne démentait en rien la bonne opinion qu'il inspirait à une certaine distance.



En effet, si jamais la propreté hollandaise, si renommée dans les quatre parties du monde, avait mérité un complet éloge c'était à la vue de ce joli navire, qui semblait son temple flottant; son pont lavé, épongé, frotté, pouvait le disputer en élégance au parquet du plus somptueux salon. Chacun de ses ornements de cuivre brillait comme de l'or; les escaliers, taillés avec le bois le plus précieux de l'Inde, semblaient un ornement plutôt qu'un objet d'usuelle utilité. Quant aux armes, on eût dit des armes de luxe, destinées bien plutôt à un musée d'artillerie qu'à l'arsenal d'un vaisseau.



Le capitaine Van den Broek, c'était ainsi que se nommait le patron de ce charmant navire, parut, en voyant s'avancer les Lascars, savoir de quoi il était question, car il vint recevoir leur chef au haut de l'escalier, et, après avoir échangé avec lui quelques mots dans leur langue, ce qui prouvait que ce n'était pas pour la première fois qu'il naviguait dans les mers de l'Inde, il déposa sur l'assiette qu'on lui présentait, non pas une pièce d'or, non pas un rouleau et argent, mais un joli petit diamant qui pouvait valoir une centaine de louis, s'excusant pour le moment de n'avoir pas d'autre monnaie, et priant le chef des Lascars de mer de se contenter de cette offrande; elle dépassait de si loin les prévisions du brave sectateur d'Ali, et s'accordait si peu avec la parcimonie ordinaire des compatriotes de Jean de Witt, que le chef des Lascars demeura un instant sans oser prendre au sérieux une pareille prodigalité, et que ce ne fut que lorsque le capitaine Van den Broek lui eût assuré, par trois ou quatre fois, que le diamant était bien destiné à la bande schyite, pour laquelle il affirmait éprouver la plus vive sympathie, qu'il le remercia en lui présentant lui-même l'assiette aux feuilles de rose saupoudrées de sucre. Le capitaine en prit élégamment une pincée qu'il porta à sa bouche, et qu'il fit semblant de manger, à la grande satisfaction des Indiens, qui ne quittèrent le bâtiment hospitalier qu'après force salams, et qui continuèrent leur quête sans que le récit fait par eux à chacun de la belle aubaine qui leur était tombée du ciel leur en valût une seconde.



La journée se passa ainsi, chacun se préparant plutôt à la fête du lendemain que prenant part à celle du jour, qui n'est, pour ainsi dire, qu'un prologue.



Le lendemain devaient avoir lieu les courses. Or, les courses ordinaires sont déjà une grande solennité à l'île de France; mais celles-ci, données au milieu d'autres fêtes et surtout données par le gouverneur, devaient, comme on le comprend bien, surpasser tout ce qu'on avait vu de pareil.



Cette fois, comme toujours, le champ de Mars était le lieu désigné pour la fête: aussi tout le terrain non réservé était-il dès le matin encombré de spectateurs; car, quoique la grande course, la course des gentlemen riders, dût être le principal attrait de la journée, il n'était cependant pas le seul: ce sport devait être précédé d'autres courses grotesques, qui, pour le peuple surtout, avaient un mérite d'autant plus grand que, dans celles-ci, il était acteur. Ces amusements préparatoires étaient une course au cochon, une course aux sacs et une de poneys. Chacune d'elles comme la grande course, avait un prix donné par le gouverneur. Le vainqueur aux poneys devait recevoir un magnifique fusil à deux coups de Menton; le vainqueur aux sacs, un parapluie splendide; et le vainqueur au cochon gardait pour prix le cochon lui-même.



Quant au prix de la grande course, c'était une coupe en vermeil du plus beau caractère, et infiniment moins précieuse encore par la matière que par le travail.



Nous avons dit que, dès le point du jour, les terrains abandonnés au public étaient couverts de spectateurs; mais ce ne fut que vers les dix heures du matin que la société commença à arriver. Comme à Londres, comme à Paris, comme partout où il y a des courses enfin, des tribunes avaient été réservées pour la société; mais, soit caprice soit pour ne pas être confondues les unes avec les autres, les plus jolies femmes de Port-Louis avaient décidé qu'elles assisteraient aux courses dans leurs calèches, et, à part celles qui étaient invitées à prendre placé à côté du gouverneur, toutes vinrent se ranger en face du but ou sur les points les plus rapprochés de lui, laissant les autres tribunes à la bourgeoisie, ou au négoce secondaire; quant aux jeunes gens ils étaient, pour la plupart, à cheval, et s'apprêtaient à suivre les coureurs dans le cercle intérieur; tandis que les amateurs, les membres du jockey-club de l'île de France se tenaient sur le turf, engageant les paris avec le laisser-aller à la prodigalité créole.



À dix heures et demie, tout Port-Louis était au champ de Mars. Parmi les plus jolies femmes, et dans les calèches les plus élégantes, on remarquait mademoiselle Couder, mademoiselle Cypris de Gersigny, alors une des plus belles jeunes filles, aujourd'hui encore une des plus belles femmes de l'île de France, et dont la magnifique chevelure noire est devenue proverbiale, même dans les salons parisiens; enfin, les six demoiselles Druhn, si blondes, si blanches, si fraîches, si gracieuses, qu'on n'appelait leur voiture, où d'ordinaire elles sortaient toutes ensemble, que la corbeille de roses.



Au reste, de son côté, la tribune du gouverneur aurait pu mériter ce jour-là aussi le nom qu'on donnait tous les jours à la voiture des demoiselles Druhn. Quiconque n'a pas voyagé dans les colonies, et surtout quiconque n'a pas visité l'île de France, ne peut pas se faire une idée du charme et de la grâce de toutes ces physionomies créoles, aux yeux de velours et aux cheveux de jais, au milieu desquelles s'épanouissaient, comme des fleurs du Nord, quelques pâles filles de l'Angleterre, à la peau transparente, aux cheveux aériens, au cou doucement incliné. Aussi, aux yeux de tous les jeunes gens, les bouquets que toutes ces belles spectatrices tenaient à la main eussent, selon toute probabilité, été des prix bien autrement précieux que toutes les coupes d'Odiot, tous les fusils de Menton et tous les parapluies de Verdier que, dans sa fastueuse générosité, pouvait leur offrir le gouverneur.



Au premier rang de la tribune de lord Williams était Sara, placée entre M. de Malmédie et ma mie Henriette: quant à Henri, il était sur le turf, tenant tous les paris qu'on voulait engager contre lui, et, il faut le dire, on en engageait peu; car, outre qu'il était excellent écuyer, et tout à fait renommé dans les courses, il possédait en ce moment un cheval qui passait pour le plus vite qu'on eût vu dans l'île.



À onze heures la musique de la garnison, placée entre les deux tribunes, donna le signal de la première course: c'était, comme nous l'avons dit, la course au cochon.



Le lecteur connaît cette grotesque plaisanterie en usage dans plusieurs villages de France: on graisse la queue d'un cochon avec du saindoux, et les prétendants essayent les uns après les autres de retenir l'animal, qu'il ne leur est permis de saisir que par ladite queue. Celui qui l'arrête est le vainqueur. Cette course étant du domaine public, et chacun ayant droit d'y prendre part, personne ne s'était fait inscrire.



Deux nègres amenèrent l'animal: c'était un magnifique porc de la plus haute taille, graissé d'avance et tout prêt à entrer en lice. À sa vue, un cri universel retentit; et, nègres, Indiens, Malais, Madécasses et indigènes, rompant la barrière respectée jusque-là, se précipitèrent vers l'animal qui, épouvanté de cette débâcle, commença à fuir.



Mais les précautions avaient été prises pour qu'il ne pût point échapper à ses poursuivants; la pauvre bête avait les deux pattes de devant attachées aux deux pattes de derrière, à peu près à la manière dont on attache les pieds des chevaux à qui on veut faire marcher l'amble. Il en résulta que le cochon, ne pouvant se livrer qu'à un trot très modéré, fut bientôt rejoint, et que les désappointements commencèrent.



Comme on le pense bien, les chances d'un pareil jeu ne sont pas pour ceux qui commencent. La queue, graissée à neuf, est insaisissable, et le cochon échappe sans peine à ses antagonistes; mais, à mesure que les pressions successives emportent les premières couches de saindoux, l'animal arrive tout doucement à s'apercevoir que les prétentions de ceux qui espèrent l'arrêter ne sont pas si ridicules qu'il l'avait cru d'abord. Alors ses grognements commencent, entremêlés de cris aigus. De temps en temps même, quand l'attaque est trop vive, il se retourne contre ses ennemis les plus acharnés, qui, selon le degré de courage qu'ils ont reçu de la nature, poursuivent leur projet ou y renoncent. Enfin, vient le moment où la queue, privée de tout charlatanisme, et réduite à sa propre substance, ne glisse plus qu'avec peine, et finit enfin par trahir son propriétaire, qui se débat, grogne, crie inutilement, et se voit par acclamation générale adjugé à son vainqueur.



Cette fois, la course suivit sa progression ordinaire. L'infortuné cochon se débarrassa avec la plus grande facilité de ses premiers poursuivants, et, quoique gêné par ses liens, commença à gagner du champ sur le commun des martyrs. Mais une douzaine des meilleurs et des plus vigoureux coureurs s'acharnèrent à ses trousses, se succédant après la queue du pauvre animal avec une rapidité qui ne lui donnait pas un instant de relâche, et qui devait lui indiquer que, quoique bravement retardé, l'instant de sa défaite approchait. Enfin, cinq ou six de ses antagonistes, essoufflés, haletants, l'abandonnèrent encore. Mais, à mesure que le nombre des prétendants diminuait, les chances de ceux qui tenaient bon augmentant, ceux-ci redoublèrent de vigueur et d'adresse, encouragés qu'ils étaient, d'ailleurs, par les cris des spectateurs.

 



Au nombre des prétendants, et parmi ceux qui paraissaient résolus à pousser l'aventure jusqu'au bout, se trouvaient deux de nos anciennes connaissances. C'étaient Antonio le Malais, et Miko-Miko le Chinois. Tous deux suivaient le cochon depuis le point de départ, et ne l'avaient pas quitté une minute: plus de cent fois déjà la queue leur avait glissé dans la main; mais, à chaque fois, ils avaient senti le progrès qu'ils faisaient; et ces tentatives infructueuses, loin de les décourager, les avaient enflammés d'un nouveau courage. Enfin, après avoir lassé tous leurs concurrents, ils arrivèrent à n'être plus qu'eux deux. Ce fut alors que la lutte devint véritablement intéressante et que les paris s'établirent sérieusement.



La course dura encore dix minutes, à peu près; de sorte que, après avoir fait le tour presque entier du champ de Mars, le cochon en était revenu à ce qu'on appelle, en terme de chasse, son lancer, hurlant, grognant, se retournant, sans que cette héroïque défense parût intimider le moins du monde ses deux ennemis, qui alternaient à sa queue avec une régularité digne des bergers de Virgile. Enfin, un instant, Antonio arrêta le fuyard, et l'on crut Antonio vainqueur. Mais l'animal, rassemblant toute sa force, donna une si vigoureuse secousse, que, pour la centième fois, la queue glissa encore entre les mains du Malais; Miko-Miko, qui était aux aguets, s'en saisit aussitôt, et toutes les chances qu'avait paru avoir Antonio tournèrent en sa faveur. On le vit alors, digne des espérances qu'avait mises en lui une partie des spectateurs, se cramponner des deux mains, se raidir, se laisser traîner, en réagissant de toutes ses forces, suivi par le Malais, qui secouait la tête en signe qu'il regardait la partie comme perdue, mais qui en tout cas, se tenait prêt à lui succéder, côtoyant le cochon, laissant pendre ses longs bras et frottant, presque sans avoir besoin de se baisser, ses mains contre le sable, afin de leur donner plus de ténacité. Malheureusement, une si honorable opiniâtreté parut bientôt inutile. Miko-Miko semblait sur le point de remporter le prix. Après avoir traîné pendant l'espace de dix pas le Chinois à sa suite, le cochon paraissait s'avouer vaincu et venait de s'arrêter, tirant en avant, mais retenu par une force égale qui tirait en arrière. Or, comme deux forces égales se neutralisent, le cochon et le Chinois restèrent un instant immobiles, faisant, chacun de son côté, de visibles et violents efforts, l'un pour continuer d'avancer, l'autre pour demeurer en place, le tout aux grands applaudissements de la multitude. Cela durait ainsi depuis quelques secondes, et tout faisait penser que cela durerait le temps voulu, quand, tout à coup, on vit les deux antagonistes se séparer violemment. L'animal alla rouler en avant, Miko-Miko alla rouler en arrière, accomplissant tous les deux le même mouvement, avec cette seule différence que l'un roulait sur le ventre, et que l'autre roulait sur le dos. Aussitôt, Antonio s'élança joyeux, et aux cris d'encouragement de tous ceux qui avaient intérêt à ce qu'il gagnât, certain, cette fois, de la victoire. Mais sa joie ne fut pas longue, et son désappointement fut cruel. Au moment de saisir l'animal par le membre désigné sur le programme il le chercha vainement. Le malheureux cochon n'avait plus de queue: la queue était restée aux mains de Miko-Miko, qui se relevait triomphant, montrant son trophée et en appelant à l'impartialité du public.



Le cas était nouveau. On s'en rapporta à la conscience des juges, qui délibérèrent un instant et déclarèrent, à la majorité de trois voix contre deux, que, «attendu que Miko-Miko eût incontestablement arrêté l'animal, si l'animal n'eût préféré se séparer de sa queue, Miko-Miko devait être considéré comme vainqueur».



En conséquence, le nom de Miko-Miko fut proclamé, et l'autorisation lui fut donnée de s'emparer du prix qui lui appartenait. Ce à quoi le Chinois, qui avait compris par signe, répondit en saisissant sa propriété par les pattes de derrière et en faisant marcher le cochon devant lui comme on pousse une brouette.



Quant à Antonio, il se retira, en grommelant, dans la foule, qui lui fit, avec cet instinct de justice qui

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