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Georges

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Je sais que M. de Malmédie hâte le moment où il doit devenir votre mari; il n'y a donc pas de temps à perdre; vous êtes libre, Sara: mettez la main sur votre cœur, et prononcez entre M. Henri et moi.

Votre réponse me sera aussi sacrée que le serait un ordre de ma mère. Ce soir, à dix heures, je serai au pavillon pour la recevoir.

Georges.»

Sara regarda autour d'elle, effrayée. Il lui sembla qu'en se retournant elle allait voir Georges.

En ce moment, la porte s'ouvrit, et, au lieu de Georges Sara vit paraître Henri; elle cacha la lettre de Georges dans sa poitrine.

Henri avait, en général, et comme nous l'avons vu, d'assez mauvaises inspirations à l'égard de sa cousine; cette fois, il ne fut pas plus heureux que de coutume. Le moment était mal choisi pour se présenter devant Sara, toute préoccupée qu'elle était d'un autre.

– Pardon, ma chère Sara, dit Henri, si j'entre chez vous ainsi sans me faire annoncer; mais, au point où nous en sommes, et entre gens qui, dans quinze jours, seront mari et femme, il me semble, quoi que vous en disiez, que de pareilles libertés sont permises. D'ailleurs, je viens pour vous dire que, si vous avez dehors quelques belles fleurs auxquelles vous teniez, vous ne ferez pas mal de les faire rentrer.

– Et pourquoi cela? demanda Sara.

– Ne voyez-vous pas qu'il se prépare un coup de vent, et que, pour les fleurs comme pour les gens, mieux vaudra, cette nuit, être dedans que dehors.

– Oh! mon Dieu, s'écria Sara en songeant à Georges, y aura-t-il donc du danger?

– Pour nous qui avons une maison solide, non, dit Henri; mais pour les pauvres diables qui demeurent dans des cases ou qui auront affaire par les chemins, oui, et j'avoue que je ne voudrais pas être à leur place.

– Vous croyez, Henri?

– Pardieu! si je le crois. Tenez, entendez-vous?

– Quoi?

– Les filaos du jardin de la Compagnie.

– Oui, oui. Ils gémissent, et c'est signe de tempête, n'est-ce pas?

– Et voyez le ciel, comme il se couvre. Ainsi, je vous le répète, Sara, si vous avez quelque fleur à rentrer, vous n'avez pas de temps à perdre; moi, je vais enfermer mes chiens.

Et Henri sortit pour mettre sa meute à l'abri de l'orage.

En effet, la nuit venait avec une rapidité inaccoutumée, car le ciel se couvrait de gros nuages noirs; de temps en temps, des bouffées de vent passaient, ébranlant la maison; puis tout redevenait calme, mais de ce calme pesant qui semble l'agonie de la nature haletante. Sara regarda dans la cour, et vit les manguiers qui frissonnaient comme s'ils eussent été doués du sentiment et qu'ils eussent pressenti la lutte qui allait avoir lieu entre le vent, la terre et le ciel, tandis que les lilas de Chine inclinaient tristement leurs fleurs vers le sol. La jeune fille, à cette vue, se sentit prise d'une terreur profonde, et elle joignit les mains en murmurant:

– O mon Dieu, Seigneur, protégez-le!

En ce moment, Sara entendit la voix de son oncle qui l'appelait. Elle ouvrit la porte.

– Sara, dit M. de Malmédie, Sara venez ici, mon enfant; vous ne seriez pas en sûreté dans le pavillon.

– Me voilà, mon oncle, dit la jeune fille en fermant la porte et tirant la clef après elle, de peur que quelqu'un n'y entrât en son absence.

Mais, au lieu de se réunir à Henri et à son père, Sara rentra dans sa chambre. Un instant après, M. de Malmédie vint voir ce qu'elle y faisait. Elle était à genoux devant le Christ qui était au pied de son lit.

– Que faites-vous donc là, dit-il, au lieu de venir prendre le thé avec nous?

– Mon oncle, répondit Sara, je prie pour les voyageurs.

– Ah! pardieu! dit M. de Malmédie, je suis sûr qu'il n'y aura pas, dans toute l'île, un homme assez fou pour se mettre en route par le temps qu'il fait.

– Dieu vous entende, mon oncle! dit Sara.

Et elle continua de prier.

En effet, il n'y avait plus de doute, et l'événement, qu'avec son coup d'œil de marin Jacques avait prédit, allait se réaliser: un de ces terribles ouragans, qui sont la terreur des colonies, menaçait l'île de France. La nuit, comme nous l'avons dit, était venue avec une vitesse effrayante; mais les éclairs se succédaient avec une telle rapidité et un tel éclat, que cette obscurité était remplacée par un jour bleuâtre et livide, qui donnait à tous les objets la teinte cadavéreuse de ces mondes expirés que Byron fait visiter à Caïn, sous la conduite de Satan. Chacun des courts intervalles, pendant lesquels ces éclairs presque incessants laissaient les ténèbres maîtresses de la terre, était rempli par de lourds grondements de tonnerre qui prenaient naissance derrière les montagnes, semblaient rouler sur leurs pentes, s'élevaient au-dessus de la ville, et allaient se perdre dans les profondeurs de l'horizon. Puis, comme nous l'avons dit, de larges et puissantes bouffées de vent suivaient la foudre voyageuse et passaient à leur tour, courbant, comme s'ils eussent été des baguettes de sanie, les arbres les plus vigoureux, qui se relevaient lentement et pleins de crainte, pour se courber, se plaindre et gémir encore sous quelque nouvelle rafale, toujours plus forte que celle qui la précédait.

C'était au cœur de l'île surtout, dans le quartier de Moka et dans les plaines Williams, que l'ouragan, libre et comme joyeux de sa liberté, était plus magnifique à contempler. Aussi, Pierre Munier était-il doublement effrayé de voir Jacques partir et Georges prêt à partir, mais, toujours faible devant une force morale quelconque, le pauvre père avait plié, et, tout en frémissant aux mugissements du vent, tout en pâlissant aux grondements de la foudre, tout en tressaillant à chaque éclair, il n'essayait même plus de retenir Georges près de lui. Quant au jeune homme, on eût dit qu'il grandissait à chaque minute qui le rapprochait du danger; tout au contraire de son père, à chaque bruit menaçant, il relevait la tête; à chaque éclair, il souriait; lui qui avait jusqu'alors essayé de toutes les luttes humaines, on eût dit qu'il lui tardait, comme à don Juan, de lutter avec Dieu.

Aussi, lorsque l'heure du départ fut venue, avec cette inflexibilité de résolution qui était le caractère distinctif, nous ne dirons pas de l'éducation qu'il avait reçue, mais de celle qu'il s'était donnée, Georges s'approcha de son père, lui tendit la main, et, sans paraître comprendre le tremblement du vieillard, il sortit d'un pas aussi assuré et d'un visage aussi calme qu'il fût sorti dans les circonstances ordinaires de la vie. À la porte, il rencontra Ali, qui avec la passivité de l'obéissance orientale, tenait par la bride Antrim tout sellé. Comme s'il eût reconnu le sifflement du simoun ou les rugissements du khamsin, l'enfant du désert se cabrait en hennissant; mais, à la voix bien connue de son cavalier, il parut se calmer, et tourna de son côté son œil hagard et ses naseaux fumants. Georges le flatta un instant de la main en lui disant quelques mots arabes; puis, avec la légèreté d'un écuyer consommé, il sauta en selle sans le secours de l'étrier; au même instant, Ali lâcha la bride, et Antrim partit avec la rapidité de l'éclair, sans que Georges eût même vu son père, qui, pour se séparer le plus tard possible de son fils bien-aimé, avait entrouvert la porte, et qui le suivit des yeux jusqu'au moment où il disparut au bout de l'avenue qui conduisait à l'habitation.

C'était, au reste, une chose admirable à voir que cet homme emporté d'une course aussi rapide que l'ouragan au milieu duquel il passait, franchissant l'espace, pareil à Faust se rendant au Brocken sur son coursier infernal. Tout autour de lui était désordre et confusion. On n'entendait que le craquement des arbres broyés par l'aile du vent. Les cannes à sucre, les plants de manioc, arrachés de leurs tiges, traversaient l'air, pareils à des plumes emportées par le vent. Des oiseaux, saisis au milieu de leur sommeil et enlevés par un vol qu'ils ne pouvaient plus diriger, passaient tout autour de Georges en poussant des cris aigus, tandis que, de temps en temps, quelque cerf effrayé traversait la route avec la rapidité d'une flèche. Alors, Georges était heureux, car Georges sentait son cœur se gonfler d'orgueil; lui seul était calme au milieu du désordre universel, et, quand tout pliait ou se brisait autour de lui, lui seul poursuivait son chemin vers le but que lui fixait sa volonté, sans que rien pût le faire dévier de sa route, sans que rien pût le distraire de son projet.

Il alla ainsi une heure à peu près, franchissant les troncs d'arbres brisés, les ruisseaux devenus torrents, les pierres déracinées et roulant du haut des montagnes; puis il aperçut la mer tout émue, verdâtre, écumeuse, grondante, qui venait avec un bruit terrible battre les côtes, comme si la main de Dieu n'eût plus été là pour la contenir. Georges était arrivé au pied de la montagne des signaux; il en contourna la base, toujours emporté par la course fantastique de son cheval, traversa le pont Bourgeois, prit à sa droite la rue de la Côte-d'Or, longea par derrière les murailles du quartier, et, traversant le rempart, descendit par la rue de la Rampe dans le jardin de la Compagnie; de là, remontant par la ville déserte au milieu des débris de cheminées abattues, des murs croulants, des tuiles volantes, il suivit la rue de la Comédie, tourna brusquement à droite, prit celle du Gouvernement, s'enfonça dans l'impasse située en face du théâtre, sauta à bas de son cheval, ouvrit la barrière qui séparait l'impasse de la ruelle plantée d'arbres dominant la maison de M. de Malmédie, referma la barrière derrière lui, jeta la bride sur le cou d'Antrim, qui, n'ayant plus d'issue, ne pouvait fuir; puis, se laissant glisser sur les toits adossés à la ruelle, et s'élançant des toits à terre, il se trouva dans le chantier sur lequel donnaient les fenêtres du pavillon que nous avons décrit.

Pendant ce temps, Sara était dans sa chambre, écoutant mugir le vent, se signant à chaque éclair, priant sans cesse, appelant la tempête, car elle espérait que la tempête arrêterait Georges; puis, tout à coup, tressaillant en se disant tout bas que quand un homme comme lui a dit qu'il ferait une chose, dût le monde tout entier crouler sur lui, il la fera. Alors elle suppliait Dieu de calmer ce vent et d'éteindre ces éclairs: elle voyait Georges brisé sous quelque arbre, écrasé par quelque rocher roulant au fond de quelque torrent, et elle comprenait alors, avec effroi, combien son sauveur avait pris un rapide pouvoir sur elle; elle sentait que toute résistance à cette attraction était inutile, que toute lutte, enfin, était vaine contre cet amour, né de la veille et déjà si puissant, que son pauvre cœur ne pouvait que se débattre et gémir, se reconnaissant vaincu sans avoir même essayé de lutter.

 

À mesure que l'heure s'avançait, l'agitation de Sara devenait plus vive. Les yeux fixés sur la pendule, elle suivait le mouvement de l'aiguille, et une voix du cœur lui disait qu'à chacune des minutes que l'aiguille marquait, Georges se rapprochait d'elle. L'aiguille marqua successivement neuf heures, neuf heures et demie, dix heures moins un quart, et la tempête, loin de se calmer, devenait de moment en moment plus terrible. La maison tremblait jusqu'en ses fondements, et l'on eût dit, à chaque instant, que le vent qui la secouait allait l'arracher de sa base. De temps en temps, au milieu des plaintes des filaos, au milieu des cris des nègres dont les cases, moins solides que les maisons des blancs, se brisaient au souffle de l'ouragan, comme au souffle de l'enfant se brise le château de cartes qu'il vient d'élever, on entendait retentir, répondant au tonnerre, le lugubre appel de quelque bâtiment en détresse qui réclamait du secours, avec la certitude que nul être humain ne pouvait lui en porter.

Parmi tous ces bruits divers, échos de la dévastation il sembla à Sara qu'elle entendait le hennissement d'un cheval.

Alors elle se releva tout à coup; sa résolution était prise. L'homme qui, au milieu de pareils dangers, quand les plus braves tremblaient dans leurs maisons, venait à elle, traversant les forêts déracinées, les torrents grossis, les précipices béants, et tout cela pour lui dire: «Je vous aime Sara! m'aimez-vous?» cet homme était vraiment digne d'elle. Et, si Georges avait fait cela, Georges qui lui avait sauvé la vie, alors elle était à Georges comme Georges était à elle. Ce n'était plus une résolution qu'elle prenait avec son libre arbitre, c'était une main divine qui la courbait, sans qu'elle pût s'y opposer, sous une destinée arrêtée d'avance: elle ne décidait plus elle-même de son sort, elle obéissait passivement à une fatalité.

Alors, avec cette décision que donnent les circonstances suprêmes, Sara sortit de sa chambre, gagna l'extrémité du corridor, descendit par le petit escalier extérieur que nous avons indiqué et qui semblait se mouvoir sous ses pieds, se trouva à l'angle de la cour carrée, s'avança, heurtant des débris à chaque pas, s'appuyant, pour ne pas être renversée par le vent, au mur du pavillon, et gagna la porte; au moment où elle mettait la main à la clef, un éclair passa, lui montrant ses manguiers tordus, ses lilas échevelés, ses fleurs brisées; alors seulement elle put prendre une idée de cette convulsion profonde dans laquelle la nature se débattait; alors elle songea qu'elle allait peut-être attendre vainement, et que Georges ne viendrait pas, non point parce que Georges aurait eu peur, mais parce que Georges serait mort. Devant cette idée, tout disparut, et Sara entra vivement dans le pavillon.

– Merci, Sara! dit une voix qui la fit tressaillir jusqu'au fond du cœur, merci! Oh! je ne m'étais pas trompé: vous m'aimez, Sara; oh! soyez cent fois bénie!

Et, en même temps, Sara sentit une main qui prenait la sienne, un cœur qui battait contre son cœur, une haleine qui se confondait à son haleine. Une sensation inconnue, rapide, dévorante, courut par tout son corps: haletante, éperdue, pliant sur elle-même comme une fleur plie sur sa tige, elle se renversa sur l'épaule de Georges, ayant usé, dans la lutte que, depuis deux heures, elle soutenait, toute la force de son âme et n'ayant plus que celle de murmurer:

– Georges! Georges! ayez pitié de moi!

Georges comprit cet appel de la faiblesse à la force, de la pudeur de la jeune fille à la loyauté de l'amant; peut-être était-il venu dans un autre but; mais il sentit qu'à partir de cette heure Sara était à lui; que tout ce qu'il obtiendrait de la vierge serait autant de ravi à l'épouse, et quoique frémissant lui-même d'amour, de désir, de bonheur, il se contenta de la conduire plus près de la fenêtre afin de la voir à la lueur des éclairs, et, inclinant sa tête sur celle de la jeune créole:

– Vous êtes à moi, Sara, n'est-ce pas, dit-il, à moi pour la vie!

– Oh! oui, oui! pour la vie! murmura la jeune fille.

– Rien ne nous séparera jamais, rien que la mort?

– Rien que la mort!

– Vous le jurez, Sara?

– Sur ma mère! Georges!

– Bien! dit le jeune homme, tressaillant à la fois de bonheur et d'orgueil. À partir de ce moment, vous êtes ma femme, Sara, et malheur à celui qui essayera de vous disputer à moi!

À ces mots, Georges appuya ses lèvres sur celles de la jeune fille; et, craignant sans doute de ne plus être maître de lui-même en face de tant d'amour, de jeunesse et de beauté, il s'élança dans le cabinet voisin, dont la fenêtre, comme celle du pavillon, donnait sur le chantier, et disparut.

En ce moment, un coup de tonnerre si violent retentit que Sara tomba à genoux. Presque aussitôt, la porte du pavillon s'ouvrit, et M. de Malmédie et Henri entrèrent.

Chapitre XVI – La demande en mariage

Pendant la nuit, l'ouragan cessa; mais ce ne fut que le lendemain matin qu'on put apprécier les dégâts qu'il avait causés.

Une partie des bâtiments stationnés dans le port avaient éprouvé des avaries considérables; plusieurs avaient été jetés les uns contre les autres et s'étaient mutuellement brisés. La plupart avaient été démâtés et rasés comme des pontons; deux ou trois s'étaient, traînant leurs ancres, échouées sur l'île aux Tonneliers. Enfin, il y en avait un qui avait sombré dans le port et qui avait péri corps et biens, sans qu'on pût lui porter secours.

À terre, la dévastation n'était pas moins grande. Peu de maisons de Port-Louis étaient restées à l'abri de ce terrible cataclysme; presque toutes celles qui étaient couvertes en bardeaux, en ardoises, en tuiles, en cuivre ou en fer-blanc, avaient eu leurs couvertures enlevées. Celles qui se terminaient par des argamasses, c'est-à-dire par des terrasses à l'indienne, avaient seules complètement résisté. Aussi, le matin, les rues étaient-elles jonchées de débris, et quelques édifices ne tenaient-ils plus sur leurs fondements qu'à l'aide de nombreux étais. Toutes les tribunes préparées au champ de Mars, pour la course, avaient été renversées. Deux pièces de canon de gros calibre, en batterie dans le voisinage de la Grande-Rivière, avaient été retournées par le vent, et on les retrouva le matin dans le sens opposé à celui où on les avait laissées la veille.

L'intérieur de l'île présentait un aspect non moins déplorable. Tout ce qui restait de la récolte, et heureusement la récolte était à peu près faite, avait été arraché de terre: dans plusieurs endroits, des arpents entiers de forêts présentaient l'aspect de blés couchés par la grêle. Presque aucun arbre isolé n'avait pu résister à l'ouragan, et les tamariniers eux-mêmes, ces arbres flexibles par excellence, avaient été brisés, chose qui, jusque-là, avait été regardée comme impossible.

La maison de M. de Malmédie, une des plus élevées de Port-Louis, avait eu beaucoup à souffrir. Il y avait même eu un moment où les secousses avaient été si violentes, que M. de Malmédie et son fils avaient résolu d'aller chercher un refuge dans le pavillon qui, bâti tout en pierre, n'ayant qu'un étage et abrité par la terrasse, donnait évidemment moins de prise au vent. Henri avait donc couru chez sa cousine; mais, ayant trouvé la chambre vide, il avait pensé que, comme lui et son père, Sara, effrayée par l'orage, avait eu l'idée de chercher un refuge dans le pavillon. Ils y descendirent donc et l'y trouvèrent effectivement. Sa présence y était tout naturellement motivée et sa terreur n'avait pas besoin d'excuse. Il en résulta donc que ni le père ni le fils ne soupçonnèrent un seul instant la cause qui avait fait sortir Sara de sa chambre, et l'attribuèrent à un sentiment de crainte dont eux-mêmes n'avaient pas été exempts.

Vers le jour, comme nous l'avons dit, la tempête se calma. Mais, quoique personne n'eût dormi de la nuit, on n'osa se livrer encore au repos et chacun s'occupa de vérifier la portion de pertes personnelles qu'il avait à supporter. De son côté, le nouveau gouverneur parcourut, dès le matin, toutes les rues de la ville, mettant la garnison à la disposition des habitants. Il en résulta que, dès le soir même, une partie des traces de la catastrophe avait disparu.

Puis, il faut le dire, chacun de son côté, mettait un grand empressement à rendre à Port-Louis l'aspect qu'il avait la veille. On approchait de la fête du Yamsé, une des plus grandes solennités de l'île de France; or, comme cette fête, dont le nom est probablement inconnu en Europe, se rattache d'une manière intime aux événements de cette histoire, nous demandons à nos lecteurs la permission de dire sur elle quelques mots préparatoires qui nous sont indispensables.

On sait que la grande famille mahométane est divisée en deux sectes, non seulement différentes, mais encore ennemies: la sunnite et la schyite. L'une, à laquelle se rattachent les populations arabes et turques, reconnaît Abou-Bekr, Omar et Osman pour les successeurs légitimes de Mahomet; l'autre, que suivent les Persans et les musulmans indiens, regarde les trois califes comme des usurpateurs, et prétend qu'Ali, gendre et ministre du prophète, avait seul droit à son héritage politique et religieux. Dans le courant des longues guerres que se firent les prétendants, Hoseïn, fils d'Ali, fut atteint, près de la ville de Kerbela, par une troupe de soldats qu'Omar avait envoyés à sa poursuite, et le jeune prince et soixante de ses parents qui l'accompagnaient furent massacrés après une défense héroïque.

C'est l'anniversaire de cet événement néfaste que célèbrent tous les ans, par une fête solennelle, les Indiens mahométans; cette fête est appelée Yamsé, par corruption des cris de «Ya Hoseïn! ô Hoseïn!» que les Persans répètent en chœur. Ils ont, au reste, transformé la fête comme le nom, en y mêlant les usages de leur pays natal et des cérémonies de leur ancienne religion.

Or, c'était le lundi suivant, jour de pleine lune, que les Lascars, qui représentent à l'île de France les schyites indiens, devaient, selon leur coutume, célébrer le Yamsé, et donner à la colonie le spectacle de cette étrange cérémonie, attendue avec plus de curiosité encore cette année-là que les précédentes.

En effet, une circonstance inaccoutumée devait rendre cette fois la fête plus magnifique qu'elle n'avait jamais été. Les Lascars sont divisés en deux bandes: les Lascars de mer et les Lascars de terre, qu'on reconnaît, les Lascars de mer à leurs robes vertes, et les Lascars de terre à leurs robes blanches; ordinairement, chaque bande célèbre la fête de son côté avec le plus de luxe et d'éclat possible, cherchant à éclipser sa rivale: il en résulte une émulation qui se résume en disputes, et des disputes qui dégénèrent en rixes; les Lascars de mer, plus pauvres mais plus braves que ceux de terre, se vengent souvent à coups de bâton et parfois même à coups de sabre, de la supériorité financière de leurs adversaires, et la police est alors obligée d'intervenir pour empêcher une lutte mortelle.

Mais cette année, grâce à l'active intervention d'un négociateur inconnu, animé sans doute d'un zèle religieux, les deux bandes avaient abdiqué leurs jalousies et s'étaient réunies pour n'en plus former qu'une seule; aussi le bruit, comme nous l'avons dit, s'était-il généralement répandu que la solennité serait à la fois plus paisible et plus éclatante que les années précédentes.

On comprend combien, dans une localité où il y a aussi peu de distraction que dans l'île de France cette fête, toujours curieuse, même pour ceux qui l'ont vue depuis leur enfance, est attendue avec impatience.

C'est, trois mois à l'avance, l'objet de toutes les conversations; on ne parle que du gouhn qui doit être le principal ornement de la fête. Or, après avoir dit ce que c'est que la fête, disons maintenant ce que c'est que le gouhn.

Le gouhn est une espèce de pagode en bambou, haute ordinairement de trois étages superposés les uns aux autres allant toujours en diminuant, et recouverte de papiers de toutes couleurs: chacun de ces étages se construit dans une case à part, carrée comme lui, et qu'on éventre par l'une de ses quatre faces pour l'en faire sortir; puis on transporte les trois étages dans une quatrième case, qui permet, par sa hauteur, qu'on les établisse au-dessus les uns des autres. Là, on les réunit par des ligatures, et on met la dernière main à son ensemble et à ses détails; pour arriver à un résultat digne de l'objet qu'ils se proposent, les Lascars vont quelquefois quatre mois à l'avance, chercher par toute la colonie les ouvriers les plus habiles; Indiens, Chinois, noirs libres et noirs esclaves sont mis à contribution. Seulement, au lieu de payer la journée de ces derniers à eux-mêmes, on la paye à leur maître.

 

Au milieu des pertes individuelles que chacun avait à déplorer, ce fut donc avec une joie générale que l'on apprit que la case où était le gouhn, arrivé à un état complet de perfection, abritée qu'elle était dans l'embranchement de la montagne du Pouce, avait échappé à tout accident. Rien ne manquerait donc cette année à la fête, à laquelle le gouverneur, en signe de bonne arrivée, avait ajouté des courses dont, dans sa générosité aristocratique, il se réservait de donner les prix, à la condition que les propriétaires des chevaux courraient eux-mêmes, comme c'est l'habitude des gentilshommes riders en Angleterre.

Or, comme on le voit, tout concourait à ce que le plaisir qu'on se promettait effaçât bien vite le désagrément qu'on venait d'éprouver. Aussi, le surlendemain de l'ouragan, les préparatifs de la fête commençaient à succéder aux préoccupations de la catastrophe.

Sara, seule, contre son habitude, absorbée qu'elle était dans des pensées inconnues à ceux qui l'entouraient, paraissait ne prendre aucun intérêt à une solennité qui, les années précédentes, avait cependant bien vivement préoccupé sa jeune coquetterie. En effet, l'aristocratie de l'île de France tout entière avait coutume d'assister aux courses, ainsi qu'au Yamsé, soit dans des tribunes élevées exprès, soit dans des calèches découvertes: dans l'un comme dans l'autre cas, c'était une occasion pour les belles créoles de Port-Louis d'étaler leur fastueuse élégance. On avait donc droit de s'étonner que Sara, sur laquelle l'annonce d'un bal ou d'un spectacle quelconque produisait d'ordinaire une si profonde impression, demeurât cette fois étrangère à ce qui allait se passer. Ma mie Henriette elle-même, qui avait élevé la jeune fille, et qui lisait au fond de son âme comme à travers le plus pur cristal, n'y comprenait rien, et en était devenue toute pensive.

Hâtons-nous de dire que ma mie Henriette, dont nous n'avons pas eu l'occasion, au milieu des graves événements que nous venons de raconter, de signaler la rentrée à Port-Louis avait eu si grand-peur pendant la nuit de l'ouragan, que, quoique souffrante encore de son émotion précédente, elle était partie de la rivière Noire, immédiatement après que le vent eut cessé, et était arrivée dans la journée à Port-Louis: elle était donc, depuis la surveille, réunie à son élève, dont, comme nous l'avons dit plus haut, la préoccupation inaccoutumée commençait à l'inquiéter sérieusement.

C'est qu'il s'était fait depuis trois jours un grand changement dans la vie de la jeune fille: du moment que, pour la première fois, elle avait aperçu Georges, l'image, la tournure, et jusqu'au son de la voix du beau jeune homme étaient restés dans son esprit; alors, et avec un soupir involontaire, elle avait plus d'une fois pensé à son futur mariage avec Henri, mariage auquel elle avait, depuis dix ans donné son consentement tacite, par le fait que jamais elle n'avait laissé soupçonner que des circonstances pouvaient naître qui feraient pour elle de ce mariage une obligation impossible à remplir. Mais déjà, à partir du jour du dîner chez le gouverneur, elle avait senti que, prendre son cousin pour mari, c'était se condamner à un malheur éternel. Enfin, comme nous l'avons vu, il était arrivé un moment où non seulement cette crainte était devenue une conviction, mais encore où elle s'était solennellement engagée avec Georges à n'être jamais à un autre que lui. Or, on en conviendra, c'était une situation qui devait donner fort à réfléchir à une jeune fille de seize ans et lui faire envisager, sous un point de vue moins important qu'elle ne l'avait fait encore, toutes ces fêtes et tous ces plaisirs qui, jusqu'à ce moment, lui avaient paru les événements les plus importants de la vie.

Depuis cinq ou six jours aussi, MM. de Malmédie n'étaient point exempts de quelque préoccupation: le refus de Sara de danser avec aucun autre, dès lors qu'elle ne dansait pas avec Georges, sa retraite du bal au moment où il commençait à s'ouvrir, elle qui ne l'abandonnait ordinairement que la dernière; son silence obstiné chaque fois que son cousin ou son oncle ramenait la question du futur mariage sur le tapis, tout cela ne leur paraissait pas naturel: aussi tous deux avaient-ils décidé que les préparatifs du mariage se feraient sans qu'on en parlât autrement à Sara, et que, lorsque tout serait prêt, elle en serait seulement avertie. La chose était d'autant plus simple, qu'on n'avait jamais fixé d'époque à cette union, et que Sara, venant d'atteindre seize ans, était parfaitement en âge de remplir les vues que M. de Malmédie avait toujours eues sur elle.

Toutes ces préoccupations particulières formaient une préoccupation générale qui jetait, depuis trois ou quatre jours, beaucoup de froid et de gêne dans les réunions qui avaient lieu entre les différents personnages qui habitaient la maison de M. de Malmédie. Ces réunions avaient lieu habituellement quatre fois par jour: le matin, à l'heure du déjeuner; à deux heures, c'est-à-dire à l'heure du dîner; à cinq heures, c'est-à-dire à l'heure du thé; et à neuf heures, c'est-à-dire à l'heure du souper.

Depuis trois jours, Sara avait demandé et obtenu de déjeuner chez elle. C'était toujours un moment d'embarras et de gêne épargné; mais il restait encore trois réunions qu'elle ne pouvait éviter que sous prétexte d'indisposition. Or, un pareil prétexte ne pouvait avoir de résultat durable. Sara en avait donc pris son parti, et elle descendait aux heures accoutumées.

Le surlendemain de l'événement, Sara était donc, vers les cinq heures, dans le grand salon de famille, travaillant près de la fenêtre à un ouvrage de broderie, ce qui lui donnait l'occasion de ne pas lever les yeux, tandis que ma mie Henriette faisait le thé avec toute l'attention que les dames anglaises ont l'habitude de mettre à cette importante occupation, et que MM. de Malmédie, debout devant la cheminée causaient à voix basse, lorsque tout à coup la porte s'ouvrit et que Bijou annonça lord Williams Murrey et M. Georges Munier.

À cette double annonce, chacun des assistants, comme on le comprend facilement, fut atteint d'une impression différente. MM. de Malmédie, croyant avoir mal entendu, firent répéter les deux noms qu'on venait de prononcer. Sara baissa, en rougissant, les yeux sur son ouvrage, et ma mie Henriette, qui venait d'ouvrir le robinet sur la théière, demeura tellement interdite, que, occupée à regarder successivement MM. de Malmédie, Sara et Bijou, elle laissa déborder l'eau bouillante, qui commença à couler de la théière sur la table et de la table à terre.

Bijou répéta les deux noms déjà prononcés, en les accompagnant du sourire le plus agréable qu'il pût prendre.

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