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Le lion du désert: Scènes de la vie indienne dans les prairies

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UNE NUIT DE MEXICO
SOUVENIR DE LA DERNIÈRE RÉVOLUTION

Peu de villes offrent un aspect plus enchanteur que Mexico. L'ancienne capitale des Aztèques s'étend molle et paresseuse comme une nonchalante créole, à demi-voilée par les épais rideaux de saules élancés qui bordent au loin les canaux et les routes. Bâtie juste à égale distance des deux Océans, à environ 2,280 mètres au dessus de leur niveau, c'est-à-dire à la hauteur à peu près de l'hospice du Mont Saint-Bernard, cette ville jouit cependant d'un ciel délicieusement tempéré, entre deux magnifiques montagnes, le Popocatepelt, montagne fumante, et l'Izlaczchualt ou la Femme blanche, dont les cimes chenues, couvertes de glaces éternelles, se perdent dans les nues.

L'étranger qui arrive à Mexico au coucher du soleil, par la chaussée de l'Est, une des quatre grandes voies qui conduisent à la cité des Aztèques, et qui, seule aujourd'hui, reste encore isolée au milieu des eaux du lac de Tezcuco, sur lequel elle est construite, éprouve à la vue de cette ville une émotion étrange dont il ne peut se rendre compte. L'architecture mauresque des édifices, les maisons peintes de couleurs claires, les coupoles sans nombre des églises et des couvents qui dépassent les azotéas et couvrent pour ainsi dire la capitale tout entière de leurs vastes parasols jaunes, bleus ou rouges, dorés par les derniers rayons du soleil couchant; la brise tiède et parfumée du soir qui arrive comme en se jouant à travers les branches touffues des arbres, tout concourt à donner à Mexico une apparence complètement orientale qui étonne et séduit à la fois.

Mexico, brûlé entièrement par Fernand Cortez, fut rebâti par ce conquérant sur le plan primitif. Toutes les rues se coupent à angle droit et vont aboutir à la plaza Mayor par cinq artères principales, qui sont les calles ou rues de la Tacuba, de la Monterilla, de Santo Domingo, de la Moneda et de San Francisco.

Toutes les villes espagnoles du Nouveau-Monde, bâties sur un plan unique, ont cela de commun entre elles que la plaza Mayor est, dans toutes, construite de la même façon. Ainsi, à Mexico, elle a sur une des faces la cathédrale et le Sagrario; sur la seconde, le palais du président, renfermant les ministères au nombre de quatre, des casernes, une prison, etc.; sur la troisième face est l'ayuntamiento, et sur la quatrième se trouvaient deux bazars, le Parian, maintenant démoli, et le portal de las Flores.

Le 24 décembre 1861, vers neuf heures du soir, après une chaleur torride qui, pendant tout le jour, avait contraint les habitants à se renfermer dans leurs maisons, la brise s'était levée, avait rafraîchi l'air, et chacun, montant sur les azotéas couvertes de fleurs qui les font ressembler à des jardins suspendus, s'était hâté de jouir de cette sereine placicidité des nuits américaines qui semble à travers le ciel bleu pleuvoir des étoiles. Les rues et les places étaient envahies par les promeneurs; partout c'était un tohu-bohu, un pêle-mêle inextricable de piétons, de cavaliers, d'hommes, de femmes, d'Indiens et d'Indiennes, où les haillons, la soie et l'or se mêlaient de la façon la plus bizarre au milieu des cris, des quolibets et des éclats de rire; enfin, comme la ville enchantée des Mille et une nuits, au coup de cloche de la oración, Mexico semblait s'être tout à coup réveillé d'un sommeil séculaire, tant les visages respiraient la joie et tant la foule paraissait heureuse d'aspirer enfin l'air à pleins poumons.

Et cependant, cette nuit-là, un événement de la plus haute gravité allait s'accomplir à Mexico même, le général Miramón, président intérimaire de la République, abandonné par la plupart de ses troupes dans la dernière bataille qu'il avait livrée aux partisants de Juárez, devait remettre le commandement de la capitale au général Berriozábal, fait prisonnier par lui quelques jours auparavant, et avec les quelques soldats fidèles qui lui restaient, profiter des ténèbres pour quitter la ville, que l'armée du général Ortega, commandant en chef des troupes de Juárez, occuperait au point du jour, au nom du nouveau président.

Depuis quarante ans qu'ils ont proclamé leur indépendance, les Mexicains ont si souvent joué à ce jeu terrible des révolutions, ils ont assisté à la chute de tant de pouvoirs, ils ont vu se succéder tant de gouvernements, que leur curiosité a fini par s'éteindre, leur goût se blaser et qu'ils assistent aujourd'hui calmes et indifférents à ces grands cataclysmes sociaux; car, malheureusement pour eux, ils savent trop bien d'avance que, quel que soit le pouvoir qui surgisse, rien ne sera changé pour eux, et que la seule modification qu'ils aient à espérer est un redoublement d'exactions de toutes sortes et une augmentation des impôts.

Aussi, pendant que tout se préparait pour l'accomplissement du grand drame dont nous avons parlé, la foule continuait-elle à rire, à chanter et à se promener dans les rues et sur les places, sans aucun souci des événements politiques.

Seulement, par intervalles, des bruits sinistres, des froissements d'armes se faisaient entendre, des cavaliers traversaient la ville au galop, des hommes aux sourcils froncés se frayaient passage à travers les groupes, et, de meilleure heure que de coutume, les magasins se fermaient, tandis que les petits marchands se hâtaient de regagner leurs masures dans les bas quartiers de la cité.

A la première nouvelle de la résolution prise par le président intérimaire, d'abandonner la ville, le corps diplomatique s'était réuni et avait offert son concours au général Berriozábal, nommé gouverneur provisoire, pour l'aider à veiller à la sûreté de Mexico et empêcher les bandits et les gens sans aveu de piller la ville et d'y mettre le feu, comme le bruit courait qu'ils le voulaient faire.

Le général Berriozábal avait accueilli avec empressement l'offre du corps diplomatique; alors, dans chaque légation, française, espagnole, etc., les étrangers s'étaient armés, et, sous les ordres de membres de ces légations, ils avaient commencé leur service de police en parcourant la ville, engageant les citoyens à rentrer chez eux et en établissant des postes de sûreté sur les places et aux angles des rues.

La plaza Mayor avait en un instant été évacuée, et là où, un moment auparavant, retentissait le bruit d'une foule compacte rieuse et désœuvrée, régnaient maintenant une solitude complète et un silence funèbre.

La demie après neuf heures sonna au Sagrario; à peine la vibration du timbre s'était-elle éteinte qu'un homme, enveloppé avec soin dans les plis d'un épais manteau et la tête couverte d'un chapeau en poil de vigogne, dont les larges ailes retombaient sur ses yeux et cachaient complètement son visage, quitta l'ombre d'un portal, où jusque-là il était demeuré invisible, et après avoir jeté un regard circulaire sur la place, il s'avança avec précaution, bien que d'un pas assez décidé, vers une échoppe d'évangelista (écrivain public), située vers le milieu à peu près de la galerie des Portales.

Arrivé devant l'échoppe, l'inconnu s'arrêta, regarda de nouveau d'un air soupçonneux autour de lui, et après un instant d'hésitation, il frappa deux coups légers contre la porte. Sans doute il était attendu, car, sans que le moindre bruit troublât le silence, cette porte s'entr'ouvrit assez pour livrer passage à l'inconnu et se referma aussitôt derrière lui.

La plus complète obscurité régnait dans l'échoppe; cependant l'inconnu y pénétra sans hésiter, la traversa dans toute sa longueur, et, arrivé au mur opposé, il le tâta un instant et fit jouer un ressort perdu dans la boiserie.

Une partie de cette boiserie se détacha, tourna lentement sur des gonds invisibles, et à la lueur tremblottante d'une lampe mourante suspendue dans l'intérieur de l'excavation, apparurent les premières marches d'un escalier en colimaçon qui semblait s'enfoncer brusquement dans le sol.

Avant de s'engager dans l'excavation, l'inconnu se retourna.

– Viens-tu? demanda-t-il à un homme, probablement celui qui lui avait précédemment ouvert la porte de l'échoppe, et qui se tenait à demi perdu dans l'ombre, à quelques pas de lui.

– Vous me retrouverez ici, répondit-il; vous n'avez nul besoin de moi.

– C'est juste, reprit l'inconnu, reste donc, et fais bonne garde.

Son interlocuteur ne répondit que par un grognement significatif, en remettant en place le panneau qui masquait l'escalier, et l'inconnu demeura seul. Nous l'avons dit plus haut, Mexico, cette Venise américaine, est bâtie au milieu d'un lac; ses quartiers s'élèvent sur des iles peu distantes les unes des autres et reliées entre elles par des pilotis; peu à peu, le niveau du lac s'est abaissé, les canaux se sont séchés pour la plupart, et, excepté les bas quartiers, où se rencontrent encore des mares fangeuses et fétides, l'eau a complètement disparu du sol, et les rues maintenant pavées laissent librement circuler les équipages, les cavaliers et les piétons.

Cependant, il ne faudrait pas creuser trop profondément la terre pour retrouver l'eau, si bien cachée qu'elle soit, et l'humidité est telle encore aujourd'hui dans la ville, que les rez-de-chaussée ne sont pas habités; ils servent seulement d'entrepôts et remplacent nos caves, excepté toutefois dans le centre de la ville, où les constructions ont été faites sur des iles d'une étendue relativement considérable.

La plaza Mayor, sur un des côtés de laquelle s'élevait anciennement le palais de Motecuzoma et le grand Teocali, forme le centre de l'île la plus vaste du groupe.

Certains souterrains, contemporains des Incas, et que ceux-ci avaient creusés bien avant la conquête, pour établir de mystérieuses communications d'un point à un autre, existent encore dans cette partie de la ville; la plupart ont été comblés par les Espagnols, mais quelques-uns ont échappé à leurs recherches, et celui auquel aboutissait l'escalier sur la première marche duquel nous avons laissé l'inconnu était de ce nombre.

 

Après que le panneau se fut refermé derrière lui, l'inconnu décrocha la lampe suspendue à la voûte, en raviva la mèche et commença à descendre avec précaution les marches verdâtres et rendues glissantes par l'humidité de l'espèce de vis de pierre au sommet de laquelle il se trouvait.

Du reste, la descente ne fut pas longue, l'escalier ne se composait que de quinze marches; il aboutissait à un souterrain étroit, mais assez élevé pour qu'un homme pût y marcher debout sans crainte de se frapper la tète contre la paroi supérieure.

Il était impossible de juger de l'étendue de ce souterrain, qui, à quelque distance, faisait un coude brusque; l'inconnu l'avait sans doute plusieurs fois parcouru déjà, car aussitôt sa descente achevée sans encombre, il marcha résolument en avant, ayant toutefois la précaution de tenir sa lampe un peu élevée afin de se guider plus facilement; précaution fort nécessaire, car, de distance en distance, s'ouvraient à droite et à gauche des galeries qui semblaient s'enfoncer dans des directions diamétralement opposées, et qui, à moins d'une parfaite connaissance des lieux, empêchaient de se diriger avec certitude dans cette espèce de labyrinthe.

L'inconnu marcha pendant environ vingt minutes dans ce souterrain. Comme son pas n'avait point cessé d'être rapide et sûr, il devait avoir franchi une distance assez considérable malgré les détours nombreux qu'il lui avait fallu faire, lorsqu'enfin il s'arrêta devant les premières marches d'un escalier qui, cette fois, au lieu de descendre, s'élevait vers la voûte dans laquelle il s'enfonçait.

– Enfin! murmura l'inconnu avec un soupir de satisfaction.

Après avoir de nouveau ravivé la mèche de sa lampe, il la posa sur le sol dans l'angle de la première marche de l'escalier, s'arrêta un instant comme pour reprendre haleine, puis il monta. Comme le premier, cet escalier avait quinze marches; au sommet se trouvait une porte fermée par un ressort dissimulé adroitement, mais sur lequel l'inconnu posa la main sans hésiter, et qu'il fit jouer; aussitôt la porte s'ouvrit.

Un flot de lumière inonda le palier sur lequel l'inconnu se tenait toujours enveloppé dans son manteau; il entra et referma le panneau derrière lui; l'endroit où il se trouva était un salon ou plutôt un boudoir richement meublé, il était désert; mais à travers la porte, fermée seulement par une portière de cachemire blanc, on distinguait le bruit d'une conversation animée entre plusieurs personnes.

Après un instant de sombres réflexions, l'inconnu étouffa un soupir, appuya la main droite sur son cœur comme pour en comprimer les battements, et, faisant avec la plus grande précaution quelques pas en avant, il s'approcha de la porte, écarta légèrement la portière et regarda.

Dans une vaste salle, magnifiquement éclairée comme pour une fête, trente ou quarante personnes des deux sexes étaient assemblées, les unes assises, les autres debout, quelques-unes groupées çà et là, mais toutes parlant avec animation et quelques-unes même avec une colère contenue.

Au luxe princier de l'ameublement de cette salle et à l'élégance de la mise des personnes réunies, il était facile de reconnaître un des plus riches hôtels de la ville ét l'élite de la société mexicaine.

Au moment où l'inconnu appuyait son œil contre la portière, un homme d'une cinquantaine d'années, aux traits durs et hautains, se détacha de l'un des groupes, et après avoir réclamé le silence d'un geste:

– Caballeros, mes amis et mes parents, dit-il d'une voix haute, prenez, je vous prie, une détermination, songez qu'il est déjà dix heures passées, que, dans trois heures au plus tard, les troupes d'Ortega entreront dans la ville; décidez-vous donc, il ne nous reste que trois heures à peine, finissons-en.

Les assistants répondirent à cette interpellation, la plupart par des marques d'assentiment; cependant, il n'y eut pas unanimité; quelques-uns protestèrent faiblement.

Le vieillard reprit avec une certaine animation dans la voix, comme s'il essayait de contenir une violente colère prête à déborder.

– Je vous le répète, señores, la situation est des plus graves, tout retard est maintenant impossible; en un mot, il faut en finir séance tenante; c'est à cette intention que je vous ai réunis, voulant vous rendre témoins de l'acte qui, dans un instant, va s'accomplir.

– Ne serait-il pas nécessaire avant tout, hasarda une dame d'un certain âge, de consulter doña Carmen, notre parente; cette affaire la regarde surtout, il me semble, et, lorsqu'il s'agit de donner son consentement à un mariage avec un homme qu'on ne connaît pas, le cas est assez grave pour qu'on y réfléchisse.

– A quoi bon? répondit le vieillard en haussant dédaigneusement les épaules; doña Carmen est une enfant de seize ans à peine, élevée loin du monde; elle ignore les obligations qu'il nous impose; son consentement n'a donc aucune valeur pour nous.

– Cependant, appuya un des invités.

– Allons donc! reprit le vieillard en lui coupant la parole. A la mort de mon frère et de ma belle-sœur, j'ai été régulièrement nommé tuteur de ma nièce, alors âgée de treize ou quatorze ans, je crois; j'ai rempli en homme d'honneur les devoirs que m'imposait le titre que j'avais accepté.

– Nous le reconnaissons, s'écrièrent les invités.

– Je sais fort bien que vous m'objecterez, señores, continua le vieillard, que don Eusebio de Carvajal, mon frère regretté, avait formé des projets d'union entre sa fille et un Français, parent éloigné de sa femme, et que ce Français prétend aujourd'hui faire valoir le droit fort peu certain que, suivant lui, cette promesse verbale lui a concédé; mais, je vous prie, raisonnons un peu. Doña Carmen de Carvajal, ma nièce, est une des plus riches héritières de la République, ses biens sont immenses; laisserons-nous de gaieté de cœur passer cette fortune princière aux mains d'un misérable aventurier français sans feu ni lieu?

– Eh! seigneur don Torribio de Carvajal, interrompit un des assistants avec un sourire sardonique, vous n'avez pas toujours eu cette opinion du colonel don Octavio de Belval, lorsqu'à la tête de sa redoutable cuadrilla, il vous délivra des guérilleros du général Ortega, qui ne parlaient de rien moins que de vous couper par morceaux; vous portiez aux nues le courage et les hautes qualités du colonel. N'est-il pas un des amis les plus dévoués du général Miramón, qui en fait le plus grand cas, et tout dernièrement encore, n'est-ce pas lui qui a fait prisonnier le général Berriozábal, aujourd'hui gouverneur de la ville? Que trouvez-vous donc de si aventurier dans tout cela; est-ce parce qu'il est né en France? Mais votre sœur, la mère de notre parente Carmen, était française aussi; sa vertu et les éminentes qualités de son cœur n'ont jamais été niées par personne, je suppose?

A cette verte réplique, don Torribio demeura un instant confondu, serrant les poings et se mordant les lèvres, pour ne pas éclater, d'autant plus que les observations de l'interrupteur avaient été écoutées avec les marques évidentes d'une sympathique approbation.

– Soit, reprit au bout d'un instant le vieillard, j'admets tout cela, je conviendrai même que le colonel don Octavio est un héros si cela peut vous être agréable; eh bien, c'est justement pour tous les motifs que vous venez de m'exposer que je ne veux pas lui donner ma nièce, et que, ainsi que moi, j'en suis convaincu, vous vous refuserez, chers parents, à cette union. – Voyons, expliquez-vous, de grâce, et finissons-en, s'écrièrent les assistants en se pressant autour de don Torribio.

– Je ne demande pas mieux, reprit-il. Nous sommes au moment d'une catastrophe horrible; Miramón est perdu sans ressources; demain, dans quelques heures peut-être, auront lieu des représailles atroces de la part des partisans de Juárez. Nous serons, nous tous, pillés, emprisonnés et peut-être assassinés par les vainqueurs qui ont de vieilles et nombreuses injures à venger. Nous nous trouvons donc à la merci d'ennemis implacables; il y va pour nous non-seulement de la fortune, mais encore de la vie; par les meurtres et les incendies passés, vous devez vous attendre que des qu'ils seront dans la ville, les federalistas n'hésiteront pas à nous rançonner et à nous traquer comme des bêtes fauves.

Ces craintes, si énergiquement exprimées et qui ne manquaient pas de fondement, firent une forte impression sur les assistants; l'égoïsme et l'intérêt personnel imposèrent silence à tout autre sentiment.

Intérieurement flatté de l'approbation tacite de ses auditeurs, don Torribio continua:

– Qui donc nous défendra dans cette circonstance critique, dit-il; est-ce le colonel Octavio? Vous ne le croyez pas; notre liaison passée avec lui sera, au contraire, un prétexte de plus aux persécutions que nous aurons à souffrir; d'ailleurs, le colonel, comme ami de l'ex-président Miramón, sera mis hors la loi, et se verra contraint de se cacher et de fuir au plus vite, s'il ne l'a fait déjà, pour sauver sa vie.

– C'est vrai, murmurèrent plusieurs personnes.

– Maintenant, une voie de salut nous est ouverte; cette voie la voici: le général Saldana, un des plus chauds partisans du général Juárez, demande la main de ma nièce, s'engageant, si sa proposition était acceptée, à nous prendre sous sa protection et a nous sauvegarder de tout dommage; l'aide de camp du général est là dans un salon à côté qui attend notre réponse; puis il rejoindra immédiatement le général dont la division doit, la première, entrer dans la ville. Que résolvez-vous, señores? D'un côté la ruine et peut-être la mort, de l'autre une protection efficace et un immense crédit auprès du pouvoir nouveau. Y a-t-il à hésiter?

– Non! s'écrièrent en chœur les assistants; doña Carmen doit épouser le général, elle est trop bonne parente d'ailleurs pour refuser de nous sauver à ce prix.

– Ainsi, reprit don Torribio avec insistance, tout est bien convenu, n'est-ce pas, messieurs mes parents. Je puis faire venir ma nièce?

– Faites, faites, don Torribio; ainsi que vous-même nous l'avez fait observer, le temps presse, ne le perdez donc pas.

Le vieillard s'inclina, sortit un instant de la salle et bientôt y rentra conduisant par la main une charmante jeune fille, mignonne et gracieuse enfant de seize ans au plus, vêtue d'une robe de mousseline blanche. Elle s'avança pâle et tremblante au milieu des respectueuses salutations des assistants.

Cette jeune fille, c'était doña Carmen.

En l'apercevant, l'inconnu, caché dans le salon, s'était senti pâlir; un tremblement convulsif avait agité ses membres, et il lui avait fallu faire sur lui-même un effort surhumain pour retenir le cri de rage qui de son cœur était subitement monté à ses lèvres.

Derrière don Torribio et doña Carmen marchait un homme de haute taille, âgé de quarante ans environ et revêtu de l'uniforme de capitaine; cet officier était l'aide de camp du général Saldana, chargé par lui de demander la main de la jeune fille et de lui transmettre son acceptation ou son refus.

Un profond silence s'était fait dans la salle; toutes les personnes présentes s'étaient assises. Seuls, don Torribio, le capitaine et doña Carmen demeuraient debout.

Le vieillard prit sur une table une feuille de papier couverte d'une écriture fine et serrée, et se tournant vers doña Carmen:

– Ma nièce, lui dit-il sans préambule comme sans ménagements, écoutez, je vous prie, et cela avec la plus sérieuse attention, la lecture de l'acte que, d'accord avec nos honorables parents ici présents, j'ai rédigé et au bas duquel vous aurez ensuite à apposer votre signature.

La jeune fille se redressa; elle releva son front pâle, et, rejetant d'un mouvement gracieux de tête les boucles soyeuses de cheveux noirs qui couvraient son visage et qui inondèrent ses épaules, elle fixa sur don Torribio un regard tellement chargé de méprisante pitié, que celui-ci détourna la tête.

– Mon oncle, répondit-elle d'une voix faible mais parfaitement distincte, je suis une pauvre enfant abandonnée; vous êtes le maître de m'infliger telle torture qui vous conviendra, je la subirai sans essayer une résistance folle et inutile; mais jamais vous ne me contraindrez à manquer à mes serments et à trahir celui que j'aime!

– Ma nièce! s'écria don Torribio avec une rage contenue.

– Mon oncle, dussiez-vous me tuer sur place, je ne signerai pas ce papier, reprit-elle avec une énergie fébrile.

– Prenez garde, enfant, prenez garde! reprit don Torribio en faisant un pas vers elle.

– Oui! s'écria-t-elle avec un rire strident, menacez-moi, mon oncle, je ne suis qu'une enfant, moi, mais lui est un homme, et s'il était là, vous n'oseriez…

 

– Je n'oserais! interrompit le vieillard perdant toute mesure et aveuglé par la fureur; oh! que n'est-il là, cet homme!

– Me voici! s'écria tout à coup une voix forte avec un accent terrible.

Et l'inconnu, s'élançant d'un bond de tigre dans la salle, se trouva subitement en face de don Torribio, épouvanté de cette subite apparition.

Les assistants, frappés de stupeur, ne comprenant pas comment cet homme s'était tout à coup introduit au milieu d'eux, demeuraient immobiles, muets, atterrés.

Doña Carmen avait, à la vue de l'étranger, poussé un cri de joie ineffable et s'était jetée dans ses bras en murmurant à travers ses sanglots:

– Octavio, enfin!.. C'est lui! je suis sauvée!

– Oui, tu es sauvée, ma bien-aimée, répondit le jeune homme, car je saurai te protéger; viens, suis-moi, Carmen.

– Oh! oui, partons! partons! répondit la jeune fille à demi folle de joie et de terreur.

Mais au moment où le Français essayait de se frayer passage pour regagner, accompagné de la jeune fille, le salon dont il était sorti, don Torribio et ses parents, remis de la surprise et de l'épouvante qu'ils venaient d'éprouver, se jetèrent au-devant de lui pour lui barrer le passage.

– Oh! fit l'oncle avec un ricanement sinistre, vous ne vous échapperez pas ainsi, mon maître! Je ne sais quel moyen vous avez employé pour tromper mes gens et vous introduire dans ma demeure, mais, vive Dieu! vous n'en sortirez pas aisément, je vous le jure!

– Vous croyez, fit le jeune homme avec un sourire railleur tout en continuant à faire retraite du côté du salon; prétendriez-vous m'assassiner, par hasard?

– Et quand cela serait, reprit don Torribio, ne serions-nous pas dans notre droit?

Dès qu'elles avaient reconnu qu'une rixe devenait imminente, les dames avaient disparu en poussant des cris de frayeur.

Le colonel de Belval demeurait seul contre une trentaine d'hommes désarmés, il est vrai, mais auxquels venaient de se joindre une douzaine de domestiques porteurs de couteaux, de sabres et même de fusils et de pistolets.

Cette lutte gigantesque d'un homme seul contre plus de quarante touchait à la folie, le succès ne pouvait être douteux; cependant, malgré le péril immense qui le menaçait, le front du colonel n'avait point pâli, son regard d'aigle ne s'était pas baissé.

Il avait roulé son manteau autour de son bras gauche, avait pris un revolver à six coups de chaque main, et, la tête haute, les lèvres serrées, le regard méprisant, il avait peu à peu, à petits pas, reculé vers le salon, précédé de la jeune fille dont il protégeait la fuite.

Don Torribio et ses parents, ignorant que le salon possédait une issue secrète, s'étaient contentés de se grouper devant le jeune homme de façon à ne pas lui laisser la possibilité de franchir leur masse compacte, et ils suivaient son mouvement en riant entre eux du desespoir de leur ennemi lorsqu'il se verrait acculé comme un cerf aux abois.

Le colonel avait deviné leur tactique; mais, sans laisser percer la joie qu'il éprouvait, il se bornait a maintenir, entre lui et ceux qui le cernaient, une distance d'au moins trois pas, distance que ceux-ci, sous la menace continuelle des pistolets dirigés contre leur poitrine, se gardaient bien de franchir.

– Là! s'écria don Torribio en voyant que le colonel avait atteint le mur opposé du salon contre lequel il demeurait appuyé; maintenant, il vous serait assez difficile de reculer davantage, à moins de renverser le mur; rendez-vous, colonel, c'est le meilleur parti que vous ayez à prendre.

– Me rendre? répondit le jeune homme pour gagner du temps tout en desarmant un de ses revolvers qu'il replaça dans une poche de son uniforme; me rendre, et pourquoi, cher don Torribio?

– Pourquoi, vive Dieu! la question est précieuse, parce que vous êtes pris, caramba!

– Oh! pas encore! fit le jeune homme en jetant un regard significatif à doña Carmen.

– Comment! vous doutez? Avez-vous la prétention de lutter seul contre nous tous?

– Ma foi non, répondit-il insoucieusement, ce serait trop ennuyeux.

– Et comment croyez-vous donc vous échapper, alors?

– Comme ceci, cher seigneur, regardez.

La porte dérobée s'était subitement ouverte; par un mouvement rapide comme la pensée, le colonel avait saisi doña Carmen dans ses bras, s'était élancé au dehors et avait refermé la porte au nez des assistants ébahis et décontenancés.

Cette fuite s'était opérée dans un espace de temps beaucoup plus court que celui qu'il nous a fallu pour l'écrire.

Ce fut en vain que don Torribio, ses parents et ses domestiques, que cette cruelle mystification rendaient furieux, s'épuisèrent en efforts de toute sorte contre la porte du souterrain; ils ne purent seulement pas, tant elle était bien ajustée, en trouver l'emplacement positif; il leur fallut y renoncer et se retirer avec leur courte honte.

L'aide de camp du général Saldana, après avoir pris congé, d'un air assez maussade, de don Torribio, était reparti à toute bride à la rencontre du général, afin de lui rendre compte de ce qui s'était passé.

Sans perdre un instant, le colonel s'était hâté de descendre; arrivé au bas de l'escalier, il s'était arrêté et avait repris sa lampe.

Doña Carmen, pâle, tremblante, abattue, mais les yeux brillants de joie et de bonheur, se tenait appuyée à son bras et l'examinait avec une expression d'ineffable reconnaissance.

– Carmen, ma bien-aimée, lui dit le jeune homme, il vous faut du courage maintenant; vous croyez-vous en état de marcher?

– Oh! s'écria-t-elle avec exaltation, je suis forte près de vous, mon brave Octavio; je ne redoute rien sous votre protection; d'ailleurs, ne sommes-nous pas sauvés maintenant?

– Hélas! pauvre chère enfant, les dangers passés ne sont rien en comparaison de ceux qui nous menacent encore.

– Qu'importe! nous serons deux pour les affronter; car je ne veux plus me séparer de vous, Octavio.

– Je l'entends bien ainsi, ma chère Carmen, malheureusement, il va falloir quitter la ville, fuir pour échapper à nos ennemis, et je crains que vos forces ne trahissent votre courage.

– Ne vous inquiétez pas de moi, mon ami, reprit-elle vivement, quoi qu'il arrive, je le supporterai.

Ils se mirent en route à travers le souterrain; après de nombreux détours et, non sans s'être plusieurs fois arrêtés pour reprendre haleine, ils atteignirent l'échoppe de l'évangelista.

Le gardien laissé en arrière par le jeune homme était penché sur l'escalier et semblait en proie à une vive anxiété.

– Grâce à Dieu! vous voilà enfin, mon colonel, s'écria-t-il avec joie; je redoutais un malheur! je me disposais à aller à votre recherche.

– Merci, Beltran, merci mon brave, répondit gaiement le jeune homme; tu le vois, me voici sain et sauf; que se passe-t-il ici! Avons-nous du nouveau?

– Oui, mon colonel, les troupes se réunissent, vous les entendez d'ici sur la place; d'un moment à l'autre le général Miramón va monter à cheval.

– Diable! je n'ai pas un instant à perdre, alors.

– Oh! la cuadrilla est ici à deux pas; votre assistante vous tient deux chevaux sellés à la porte de cette échoppe, rien n'a été oublié.

– Fort bien! je me rends auprès du président; dans un instant je serai de retour, je te confie madame, sur ta tête tu m'en réponds.

– Rapportez-vous en à moi, colonel.

– Comment! mon ami, vous me quittez, dit la jeune fille avec anxiété.

– Pour quelques minutes seulement, chère enfant, il le faut. Mon ami, mon bienfaiteur m'attend; ma place est près de lui, lorsque tous ses amis l'abandonnent lâchement et qu'il est proscrit et malheureux.

– Allez donc, mon cher Octavio, où votre honneur et votre devoir vous appellent, moi je resterai avec ce brave soldat.

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