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Les Forestiers du Michigan

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Les Forestiers du Michigan
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Gustave Aimard, Jules Berlioz d'Auriac

Les Forestiers du Michigan

CHAPITRE PREMIER

L'HOSPITALITÉ AU DÉSERT

Il faisait nuit dans le désert! une nuit de tempête, de sombre horreur! une nuit de mort!



C'était aux époques légendaires de la jeune Amérique; antérieurement à ses luttes glorieuses pour l'Indépendance; bien avant que la civilisation eût abordé les profondeurs de ses forêts immenses, solitaires, mystérieuses.



L'hiver était sur son déclin; depuis vingt-quatre heures la neige tombait sans relâche. Ses grands flocons blafards flottaient indécis dans l'atmosphère, au gré des rafales, et s'abattaient silencieusement sur le blanc linceul qui couvrait la terre. Toutes les formes des arbres, des pierres, des monticules de terrain, étaient émoussées, arrondies, nivelées avec une uniformité sépulcrale; on aurait dit la vallée de Josaphat où dormaient sous leur suaire immense, les morts, les vieux morts des générations éteintes.



La solitude s'épanouissait dans toute sa muette et frissonnante horreur; la solitude… peuplée de fantômes qu'on sent, mais qu'on ne peut ni voir ni entendre.



Par cette nuit désolée, un être vivant s'agitait dans l'intérieur des forêts qui couvraient toute la région méridionale proche du lac Érié.



Cette créature isolée avait forme humaine; elle trahissait son existence par le mouvement pénible et monotone de ses pieds qui gravissaient la neige pour s'y enfoncer… la gravissaient de nouveau pour s'y enfoncer encore.



C'était Basil Veghte, le robuste Yankee, l'homme de bronze, le forestier aux muscles d'acier, à la volonté indomptable. C'était l'arrière petit-fils de la vieille Europe, naturalisé fils du désert.



Depuis douze heures, il luttait contre la tempête avec la force opiniâtre du buffle et la sagacité de la panthère. Il faut avoir essuyé bien des orages, pour se lancer ainsi en pleine forêt lorsque toute voie a disparu, lorsque sous le voile épais des frimas la bête fauve elle-même ne retrouverait plus sa piste.



Cependant Veghte n'avait pas même songé au péril; l'idée lui était venue de traverser la forêt, il s'était mis en route, et il l'avait traversée.



A la fin, il trouva bon de faire halte sous un arbre immense dont les rameaux épais lui offraient un abri sûr.



Pendant quelques instants il resta immobile et attentif, comme s'il eût épié quelque bruit lointain. Mais rien ne troublait l'effrayant silence du désert, si ce n'étaient les mugissements intermittents des rafales, et le sourd grondement du lac Érié.



Alors il secoua la neige collée à sa carabine, l'appuya contre l'arbre avec précaution; ensuite il battit le sol de ses pieds avec une telle vigueur, que bientôt il eut aplani autour de lui une circonférence respectable.



Cette première opération accomplie, il amoncela des broussailles en forme de bûcher, y entrelaça savamment des branches sèches de toutes les grosseurs; enfin il entreprit la tâche d'allumer du feu, à la manière indienne; tâche difficile et délicate à cause de l'humidité extrême de la température.



Mais, en homme de précaution, il était muni: deux morceaux de bois durs et secs étaient soigneusement enfermés dans sa gibecière. Il les sortit, en planta un dans la terre, – celui-là portait un trou à son extrémité supérieure; – prit entre ses deux mains l'autre qui était pointu, et le fit rouler dans le morceau creux avec une rapidité excessive.



Quelques instants après, le contact et le frottement avaient échauffé les deux morceaux de cet instrument primitif; une poussière embrasée en jaillit comme un tourbillon; les feuilles demi-sèches fumèrent, flambèrent, et le feu fut allumé.



Bientôt les joyeuses lueurs du brasier illuminant le bois, y découpèrent de fantastiques silhouettes; Veghte s'installa sur un nœud saillant du gros arbre, les pieds contre le foyer, fumant sa pipe avec béatitude.



Qu'un bon bourgeois parisien de la rue Saint-Anastase ou de la rue Saint-Paul se figure un pareil coin de feu pour sa nuit!.. il se croirait perdu. Basil Veghte était content.



– Voilà un cuisant orage, murmura-t-il tranquillement en secouant dans le feu la neige attachée à ses guêtres: j'aurais, tout de même, bien pu continuer ma marche jusqu'au matin; mais, à quoi bon? J'arriverai toujours assez tôt au fort. Christie n'est pas particulièrement pressé de me voir; s'il tient à me rencontrer plus tôt, rien ne l'empêche de venir au-devant de moi.



A ce moment, l'oreille exercée du chasseur saisit au vol le bruit d'une sourde détonation qui traversait l'air sur l'aile de la tempête.



– Ah! le canon du fort! Il est réveillé tard cette nuit: dans tous les cas, c'est marque que tout va bien, et je puis faire un bon somme. Depuis si longtemps que j'étais en route, je commençais à craindre de m'être égaré; mais ce petit mot d'amitié me fait voir que je me suis bien tiré d'affaire; me voici justement où je pensais être: tout va bien.



Notre homme tira méditativement quelques épaisses bouffées de sa pipe, et se dorlota pendant plusieurs minutes à la chaleur du feu. Après cette concession faite au

far-niente

, il tourna la tête et jeta autour de lui un regard investigateur qui cherchait à vaincre les ténèbres.



– Bah! il n'y a personne dehors par une nuit semblable, reprit-il en présentant son dos à la flamme bienfaisante; Pontiac lui-même ne me dépisterait pas; et je suppose qu'il n'aurait pas même la tentation de venir rôder autour de moi, quand il saurait où je suis… Pourtant le vieux drôle aimerait mettre la main sur moi.



Basil se sourit à lui-même avec une nuance de satisfaction orgueilleuse.



– A tout hasard, voyons un peu comment se porte

Doux-Amour

, continua-t-il en prenant son fusil pour l'examiner.



– Ça me fait penser à la nuit, toute pareille, ma foi! et sur ce même chemin, où Wilkins et moi nous fûmes bloqués dans les bois par les Indiens. – Pauvre Wilkins! je fis un plongeon dans la neige!.. moi je m'en tirai avec un double trou dans mes guêtres; quant à lui, il fut tué sans y avoir songé.



Sur ce propos, Veghte regarda encore autour de lui; il se disposait à se rasseoir, lorsqu'un bruit furtif dans le bois le fit tressaillir.



Il s'adossa dans une anfractuosité de l'arbre, épaula son fusil et cria:



– Qui va là?



– Ami!



Le forestier resta en garde. Au bout de quelques secondes, un homme sortant de l'ombre apparut dans le cercle de lumière qui formait l'auréole du brasier.



C'était un Européen de petite taille, mais trapu et de corpulence énorme. Il s'avança sans cérémonie vers le feu, époussetant la neige qui couvrait ses vêtements, mais sans faire le moindre salut à son hôte improvisé. Celui-ci, de son côté, quoique déposant tout air de méfiance, ne lui fit pas le moindre geste hospitalier.



– Voilà une vilaine nuit, et qui n'engage pas à la promenade? dit Veghte d'un ton interrogateur.



– Oui, répliqua l'autre stoïquement; et je me serais aussi bien attendu à trouver une comète dans le bois, qu'à y rencontrer un feu de campement.



– De mon côté je n'aurais pas supposé qu'un homme, sans y être forcé, s'amusât à courir les forêts, par ce temps-ci; et maintenant que nous sommes réunis, je parie bien qu'à cinquante milles à la ronde, il ne se trouve pas une Face-Pâle ou un Peau-Rouge disposé à franchir le seuil de sa porte.



– Ceci est pour moi une fort bonne aventure! reprit l'étranger en répondant moitié à ses propres pensées, moitié à celles de son interlocuteur.



En même temps il retira en arrière son capuchon, pour en expulser une vraie montagne de neige; puis, il compléta sa toilette par un trémoussement général identique à celui d'un chien qui se secoue.



– … Une fort bonne aventure! continua-t-il; nous sommes seuls dans le bois, c'est évident. Et je ruminais dans mon esprit la pensée de m'abriter tant bien que mal, lorsque j'ai aperçu votre feu; cette vue m'a donné un courage extraordinaire comme je n'en avais pas ressenti depuis longtemps.



Cependant Veghte l'observait d'un œil perçant qui semblait vouloir le perforer d'outre en outre; il épiait ses moindres mouvements et cherchait à y découvrir quelque nuance suspecte. Enfin, il laissa échapper la question qui était sur ses lèvres depuis le commencement de l'entrevue.



– Vous vous dites ami, mais je n'ai pas entendu votre nom… si vous l'avez dit.



– Je ne l'ai point dit; observa l'autre en croisant négligemment ses mains derrière lui, et tournant le dos au feu.



Cette froide et imperturbable assurance faillit déconcerter Veghte, tout habitué qu'il fût aux plus étranges rencontres. Il revint cependant à sa question.



– Eh bien! voyons donc ce nom? car je suppose que vous ne trouvez aucun inconvénient à le donner.



– Oh! je n'y rencontre aucun inconvénient, répondit indifféremment l'étranger; mais… que signifie un nom, Basil Veghte?



Le forestier fut stupéfait de voir que cet inconnu le connaissait. Néanmoins il reprit d'un ton sec:



– Il ne s'agit pas de ce que peut signifier un nom; je vous donne le choix entre deux choses que je vais vous proposer: dites-moi votre nom ou allez-vous-en camper ailleurs.



L'étranger le regarda et se mit à rire.



– Basil, vous rappelez-vous Brock Bradburn?



Veghte l'enveloppa d'un regard rapide:



– Je ne me souviens pas, dit-il, d'avoir entendu ce nom.



– C'est mon opinion également; car je ne vous l'avais point encore dit.



– Voudriez-vous me faire croire que ce n'est pas vous!



– Je serais assez de cet avis.



– Enfin! voulez-vous, oui ou non, me dire qui vous êtes?



– Et si je ne le voulais pas?



– Eh bien! la question est tranchée! Laissez-moi tranquille avec mon feu. Vous êtes venu sans être invité; retirez-vous de même.



– Et si je ne le voulais pas?.. riposta l'étranger en le regardant entre les deux yeux.

 



Le visage de Veghte prit une expression dangereuse.



– Si-vous-ne-vou-lez-pas, répondit-il en appuyant sur les mots, je crois qu'il se présentera certaines circonstances qui vous feront changer d'avis.



– Voyons, que pensez-vous du nom de Zacharie Smithson, Basil? Il n'est pas absolument mélodieux, j'en conviens; mais cela ne doit pas vous empêcher de me serrer la main en me souhaitant la bienvenue.



– Si c'est réellement votre vrai nom, et si vos intentions sont droites, vous avez place à mon feu et sous ma couverture, répliqua Basil sensiblement radouci.



– Merci, j'en ai une pour moi, et une bonne couverture. Mais je vous vois fumer de si bonne grâce que j'en deviens jaloux; permettez que j'en fasse autant.



Et, joignant le geste à la parole, l'étranger prit au foyer une branche enflammée, la présenta à sa pipe qui exhala aussitôt des bouffées odorantes. Pendant l'opération ses traits furent vivement éclairés par cette flamme plus proche que celle du foyer. En réalité, il avait d'abord évité de se laisser voir en pleine lumière; mais à ce moment il affecta au contraire d'éclairer longuement son visage, pour faciliter au soupçonneux forestier l'examen auquel il s'acharnait visiblement.



Veghte put donc voir à son aise les sourcils épais, les yeux noirs et expressifs, le nez court, la large face, l'épaisse barbe de son interlocuteur.



Dans les souvenirs de Basil il y avait quelque trace de ce visage-là; il devait l'avoir vu; mais où? à quelle époque? Il eut beau remonter une à une les années de son aventureuse existence, il ne rencontra rien de précis à cet égard.



Cependant, après s'être répété plusieurs fois à lui-même le nom de Smithson, pour aider sa mémoire, il arriva à une conviction peu flatteuse pour l'inconnu; savoir que, comme le précédent, ce nom était une invention.



Cette conclusion le jeta dans une disposition d'esprit passablement agressive; il en revint à son ultimatum, et se disposa à faire vider les lieux au trop facétieux étranger.



Mais celui-ci avait étendu sa couverture, s'y était moelleusement installé et fumait comme un bienheureux. Il était visiblement plongé dans les béates abstractions de la quiétude, et se délectait à la contemplation de ses riantes pensées intérieures.



Veghte fit un mouvement pour prendre la parole; l'autre le prévint:



– Il neige plus fort que jamais! dit-il en allongeant ses jambes vers le feu. Voilà bien la plus forte tourmente que j'aie vue. Si elle continue comme ça toute la nuit, ce ne sera pas une petite affaire de regagner le fort demain matin.



– A quel fort allez-vous?



– Au Fort de Presqu'île, sur le Lac.



– C'est également le but vers lequel je marche depuis trois jours.



– Oui, je sais, je sais, fit l'étranger d'un ton suffisant; vous vouliez y arriver cette nuit même. C'est comme moi, et figurez-vous que j'ai fait tout mon possible; mais il n'y a pas eu moyen.



– Vous me semblez terriblement savant et perspicace, répliqua le forestier, outré des airs supérieurs que se donnait l'autre.



– Heu! pas trop! Cependant il est un point sur lequel j'ai l'avance à votre égard, quoique je sois en arrière sur d'autres.



– Et lequel, s'il vous plaît?



– Je sais votre nom; vous ne connaissez pas le mien.



– Ah! vous ne m'avez pas encore décliné votre vrai nom!



– Comprenez! je vous connais,

de souvenir

, pour vous avoir vu; tandis que vous… depuis une heure que vous me dévisagez, vous ne pouvez pas classer ma figure ni ma personne dans votre mémoire. Non! je ne vous ai pas dit vraiment comment je m'appelle…



Veghte faisait décidément mauvaise figure: pour prévenir l'explosion, l'étranger se hâta d'ajouter:



– Je vous ai un peu mystifié, Basil; mais c'est pour rire; voici mon vrai nom. Je suis Horace Johnson.



CHAPITRE II

UN CRI DE MORT

Ce nom n'était pas tout à fait inconnu à Veghte, mais, pour le moment, il lui aurait été impossible de se rappeler le lieu ni l'époque où il l'avait déjà entendu.



A la fin il crut se souvenir que le propriétaire de ce nom avait voyagé avec lui, deux ans auparavant, sur les bords du lac Saint-Clair, et qu'en cette circonstance, ayant été pourchassés par un détachement de Chippewas, ils avaient eu toutes les peines du monde à leur échapper.



– C'est bizarre que je ne vous aie pas reconnu! dit-il enfin en souriant et lui tendant la main; il me semblait bien que j'avais entendu votre voix et vu votre visage quelque part; mais, quand ma vie en aurait dépendu, je n'aurais pu dire où; pourquoi avez-vous tant tardé à vous faire connaître?



– Eh! je vous l'ai dit: histoire de rire! Je vous avais reconnu au premier coup-d'œil: je me suis amusé à me cacher le visage en commençant, et je vous ai ensuite montré ma figure fort adroitement lorsque j'ai allumé ma pipe; j'avais passablement envie de rire en examinant vos efforts pour me dévisager. A présent, voyons un peu! Il y a deux bonnes années que nous avons essuyé cette bousculade au bord du vieux lac Saint-Clair, n'est-ce pas? Ce fut alors notre dernière entrevue: qu'en dites-vous?



– Deux ans à l'automne passé. Vous avez considérablement changé depuis cette époque, Horace.



– Hélas, oui! sans plaisanter. Je n'en puis dire autant de vous; vous êtes toujours le même: toujours la même chevelure, toujours le même visage. Qu'êtes-vous donc devenu pendant tout ce temps?



– J'ai été beaucoup à Presqu'île; quoique depuis trois mois je sois absent du fort. J'ai passé un certain temps à Michilimakinuk, ensuite au fort Sandusky; puis, à Saint-Joseph; enfin à Ouatanon.



– Il est singulier que nous ne nous soyons pas rencontrés: j'ai fréquenté ces trois forts, surtout le Sandusky.



– Quand avez-vous quitté ce dernier poste?



– Vers le milieu d'octobre.



– Eh bien! moi j'y ai passé la première semaine de novembre. Vous avez pris plus de temps que moi pour faire le voyage.



– Ma foi! je n'étais pas pressé: j'ai marché à petites journées.



– Moi aussi: seulement, quand j'ai vu la tourmente qui se préparait, j'ai doublé le pas dans l'espoir d'arriver au fort cette nuit. Mais, le moyen de marcher!.. quand il y a deux pieds de neige!



Les deux nouveaux amis se rassirent auprès du feu, et, commodément appuyés sur le coude, s'envoyèrent réciproquement d'énormes bouffées de fumée: la conversation continua, entremêlée d'un échange de regards curieux.



Par moments ils s'oubliaient dans une rêveuse contemplation de leur feu dont l'activité croissait avec la fureur de l'ouragan. Sur leurs têtes se balançaient mélancoliquement les gigantesques branches chargées de neige, déversant par intervalles de petites avalanches qui roulaient jusque dans le brasier.



– Encore un redoublement de neige! remarqua Johnson après avoir vainement essayé de sonder les ténèbres du regard. Encore quelques heures comme cela, et nous ne pourrons plus regagner le fort.



– Je ne m'étonnerais point qu'elle tombât sans discontinuer tout le jour: la tempête a commencé d'une façon régulière, elle durera longtemps. Vous souvenez-vous de la tourmente qui eut lieu à Noël de l'année dernière? Il neigea sans relâche pendant toute une semaine? fit Veghte d'un ton interrogateur.



– Oui, oui! je m'en souviendrai tant que je vivrai. J'étais à une douzaine de milles du fort Sandusky lorsque ça commença, et j'étais un peu indécis sur la direction que je prendrais. Je me décidai à faire un tour de chasse, et, dans l'après-midi je tirai un ours: cet animal, au lieu de tomber mort tranquillement, prit ses jambes à son cou et se sauva: naturellement, je lui courus après. A la trace du sang sur la neige, je m'apercevais qu'il était grièvement blessé, et je m'attendais, de minute en minute, à le voir culbuter et me donner le temps de le rejoindre. Mais la vilaine brute ne cessa de courir et courir encore jusqu'à la nuit close.



«Sans me décourager, je le suivis de mon mieux, tantôt près, tantôt loin, ne le perdant pas de vue. A la fin, le voyant disparaître comme par enchantement, je doublai le pas si vivement, que, sans m'en apercevoir je perdis pied et me trouvai culbuté dans un trou avec mon diable d'ours.



«Il y eut un petit instant de confusion, j'avais les yeux, le nez, la bouche, pleins de neige. En me relevant j'avais perdu mon gibier; plus d'ours! J'eus beau fouiller les broussailles, vérifier tous les environs; mon stupide animal avait décampé; je n'en ai plus entendu parler.



«Pendant ce temps-là, il avait continué de neiger, et, pour conclusion, il ne me restait d'autre ressource que d'allumer vivement du feu, et de m'organiser un gîte le plus confortablement possible jusqu'au jour. Remarquez bien que l'air était glacial quoiqu'il tombât tant de neige. Nous autres, gens des bois, nous ne sommes jamais en peine pour nous installer; au bout d'une minute j'avais trouvé un gros, bel arbre, un peu creux, parfait pour servir de cheminée.



«Bon! j'allume ma pipe, je m'adosse à mon arbre, et me voilà à réfléchir… Je ne sais pas pourquoi, mais, sans m'en douter, je ne pouvais me sortir cet ours de la tête: Et avec des idées bizarres! qui auraient fait mourir de rire un Indien.



«Je me le figurais grand-père d'une nombreuse famille qui l'attendait ce soir là pour fêter son retour par un beau festin. Je le voyais encore s'asseyant au haut bout de la table aussi majestueusement qu'un vieux général anglais, racontant à ses convives que je l'avais fort maltraité et presque tué, tandis que, lui, il n'avait pas daigné faire un pas contre moi pour se venger. Puis, il me semblait entendre tous ses enfants et ses amis faire serment de me poursuivre à outrance pour laver cette insulte dans mon sang.



«Je ne sais combien de temps avait duré ce

fandango

 de rêveries, lorsque je m'avisai de lever les yeux: mon diable d'ours était là, à six pas, avec sa blessure saignante!



«Oui, Sir! j'étais pétrifié! Je pense que mes cheveux se sont mis tout debout sur ma tête, au point de soulever mon chapeau. Mais, le pire de tout cela, c'était que dans ma préoccupation d'allumer le feu, j'avais oublié mon fusil par terre, assez loin de moi et je n'y avais plus pensé. En regardant l'ours, je m'aperçus que le bout du canon touchait presque une de ses grosses pattes: il n'aurait pas fait bon aller le chercher là.



«La brute avait la gueule grande, ouverte, pleine de sang: à son air je reconnus sans peine qu'elle n'avait pas de bons sentiments pour moi. Je suppose que sa première idée avait été de s'enterrer dans quelque arbre creux pour y mourir; mais ensuite, ne se trouvant pas aussi gravement blessée qu'elle l'avait cru d'abord, elle avait un peu repris courage, avait fait un petit tour dans les environs, et apercevant le feu, était venue voir ce que ça signifiait.



«Il paraît que nous étions tous deux aussi stupéfaits l'un que l'autre, car l'ours s'arrêta en grognant, et me regarda sans bouger pendant deux ou trois minutes. Si j'avais eu l'esprit de me tenir tranquille, l'animal serait parti sans rien me dire: mais j'étais complètement abruti. Voyant que je ne pouvais mettre la main sur mon fusil, je me levai sans trop savoir pourquoi. Tant que j'étais resté immobile, il avait eu l'air de ne pas me reconnaître; dès que j'eus bougé, il comprit son affaire.



«Avec un grondement très-sérieux il marcha sur moi. Je reculai, je pris un tison et le lui présentai au nez. Cette démonstration ne fut pas de son goût; elle le fit reculer à son tour. Cependant il ne s'avoua pas vaincu, et cinq secondes après, il avait regagné son premier poste, et de là, il me guettait avec un certain air qui ne présageait rien de bon.



«Je connus de suite qu'il était déterminé à me surveiller jusqu'au jour: cela me fit songer. Je passai en revue ma provision de bois; il m'en restait juste pour deux heures au plus.



«J'étais donc assez embarrassé de savoir quel parti prendre.



«En regardant autour de moi, je remarquai que l'arbre avait de grosses racines saillantes; je pouvais m'élancer et à l'aide de ce marchepied naturel, grimper sur l'arbre. Mais, au même instant, je fis la réflexion que le tronc était assez gros pour que mon ennemi pût y monter après moi, et qu'il serait fort capable de commettre cette indélicatesse. A ce moment je ne pus m'empêcher de conclure que j'avais tiré un méchant coup de fusil, et que j'avais été bien stupide de laisser fuir cette bête avec une aussi minime blessure.



«Si, seulement, j'avais pu rattraper mon fusil, j'aurais pu terminer assez bien la plaisanterie; mais, comme vous voyez, c'était là, précisément, le point difficile. L'ours était, pour ainsi dire, assis dessus; et il n'aurait, vraiment, pas été commode de le déranger.



«Enfin je me rappelai qu'aucun animal ne tient bon contre le feu, et je me décidai à le charger avec un bon tison.

 



«J'avisai une superbe branche bien enflammée; pour aviver encore son incandescence, je la fis tournoyer pendant quelques secondes autour de ma tête, et je me jetai sur l'animal en poussant un grand cri.



«Probablement j'aurais réussi à ravoir mon fusil si je n'avais pas fait une fâcheuse glissade. Le talon me tourna si malheureusement que je tombai, et le tison sauta loin de moi.



«Je ne fus pas long à me relever; mais toute mon agilité ne me procura d'autre profit que de n'avoir pas été mis en pièces par les griffes de cette brute obstinée.



«Pendant ce temps, mon feu baissait; il n'en avait pas pour longtemps à s'éteindre. Ça me contrariait, car il n'allait pas faire bon, sans foyer, par une nuit aussi froide; impossible de faire du bois,

l'autre

 me guettait.



«Vlan! je prends mon élan, je saute en l'air et me voilà sur l'arbre! Avant de gagner la cime, je donne un coup d'œil en bas, pour savoir ce que faisait mon compagnon.



«Il paraît que j'avais fait mon ascension au moment où il ne me regardait pas, car je l'aperçus tournant la tête en tout sens comme s'il me cherchait.



«Ce n'était pas le cas de rien dire; je grimpai tout doucement jusqu'aux plus hautes branches, et je m'y installai le mieux possible en attendant le jour. Mais, le poste était terriblement peu confortable, je vous en réponds! Il n'y faisait pas bon, à cheval sur la rude écorce, dans une atmosphère glaciale, sous la neige tombant à gros flocons. Que voulez-vous? Je n'avais pas le choix de prendre un autre parti, il fallait bien en passer par là.



«Dès les premiers moments le froid et le sommeil, – deux vilains camarades, – vinrent me visiter rudement… si rudement qu'au bout de quelques minutes je dégringolais dans la neige, juste à deux pieds de mon ours.



«La chute m'avait très-bien réveillé, je bondis comme un ressort, et je saisis dans le foyer un tison demi-mort pour m'en faire une arme. Je le rallumai en le faisant tournoyer au-dessus de ma tête, et j'attendis de pied ferme mon noir ennemi.



«L'animal ne bougea pas et ne souffla mot. Après avoir attendu une ou deux minutes je m'approchai; il était mort, raide, froid comme une pierre. Je pris mon fusil avec une satisfaction facile à concevoir, je renouvelai ma provision de bois, je rallumai mon feu, et je pus enfin examiner l'animal à mon aise. Il avait été touché au cœur; positivement, il était blessé mortellement; je ne comprends pas comment il avait pu courir aussi longtemps. Il me semble…»



Le narrateur s'interrompit en voyant Basil lui faire un signe de la main: il s'assit aussitôt et se tut, en prêtant l'oreille. Durant quelques secondes tous deux écoutèrent, retenant même leur souffle pour mieux entendre.



– Un son a frappé mes oreilles pendant que vous parliez; dit Basil en reprenant avec soin sa position.



– Bah! c'est le vent, et rien de plus.



– Ç'a été ma première pensée, mais le son s'est répété; je ne pouvais m'y tromper.



– Eh bien! qu'est-ce que c'était?



– Quelque chose comme un cri de détresse. Il venait des profondeurs du bois, à environ un quart de mille.



Johnson regarda son compagnon d'un air significatif.



– Savez-vous quel animal fait entendre cette voix, Basil? Ne l'avez-vous jamais remarqué…?



– Je sais ce que vous voulez dire. Le cri de la panthère ne m'est pas inconnu, je ne m'y trompe pas; c'est un rauquement furibond: mais cette fois il n'y a rien de semblable.



– Mais, l'éloignement peut l'avoir modifié en l'affaiblissant.



Veghte secoua la tête d'un air de supériorité dédaigneuse.



– Pensez-vous que j'aie vécu trente ans dans les bois, pour commettre une pareille erreur? Ah! le voilà encore…! interrompit brusquement Basil en se levant pour sonder du regard les ténèbres environnantes.



Il était impossible de rien voir dans l'infernale obscurité de cette sombre nuit: Basil se retourna vers Johnson qui, demi-couché, fumait imperturbablement sa pipe.



– L'avez-vous entendu, cette fois?..



– Oui… oui… quelque chose; un murmure; mais je n'oserais dire que ce n'est pas le vent. Justement! entendez-le hurler dans les cimes des arbres.



Veghte lui

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