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Cinq semaines en ballon

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«Nous nous sommes attardés, dit le docteur. Il nous faut maintenant traverser une zone de feu avec notre ballon rempli d’air inflammable!

– Mais à terre! à terre! reprenait toujours Kennedy.

– Le risque d’être foudroyé serait presque le même, et nous serions vite déchirés aux branches des arbres!

– Nous montons, monsieur Samuel!

– Plus vite! plus vite encore.»

Dans cette partie de l’Afrique, pendant les orages équatoriaux, il n’est pas rare de compter de trente à trente-cinq éclairs par minute. Le ciel est littéralement en feu, et les éclats du tonnerre ne discontinuent pas.

Le vent se déchaînait avec une violence effrayante dans cette atmosphère embrasée ; il tordait les nuages incandescents ; on eut dit le souffle d’un ventilateur immense qui activait tout cet incendie.

Le docteur Fergusson maintenait son chalumeau à pleine chaleur ; le ballon se dilatait et montait ; à genoux, au centre de la nacelle, Kennedy retenait les rideaux de la tente. Le ballon tourbillonnait à donner le vertige, et les voyageurs subissaient d’inquiétantes oscillations. Il se faisait de grandes cavités dans l’enveloppe de l’aérostat ; le vent s’y engouffrait avec violence, et le taffetas détonait sous sa pression. Une sorte de grêle, précédée d’un bruit tumultueux, sillonnait l’atmosphère et crépitait sur le Victoria. Celui-ci, cependant, continuait sa marche ascensionnelle ; les éclairs dessinaient des tangentes enflammées à sa circonférence ; il était plein feu.

Le Victoria au milieu de l’orage.

«À la garde de Dieu! dit le docteur Fergusson ; nous sommes entre ses mains ; lui seul peut nous sauver. Préparons-nous à tout événement, même à un incendie ; notre chute peut n’être pas rapide.»

La voix du docteur parvenait à peine à l’oreille de ses compagnons ; mais ils pouvaient voir sa figure calme au milieu du sillonnement des éclairs ; il regardait les phénomènes de phosphorescence produits par le feu Saint-Elme qui voltigeait sur le filet de l’aérostat.

Celui-ci tournoyait, tourbillonnait, mais il montait toujours ; au bout d’un quart d’heure, il avait dépassé la zone des nuages orageux, les effluences électriques se développaient au-dessous de lui, comme une vaste couronne de feux d’artifices suspendus à sa nacelle.

C’était là l’un des plus beaux spectacles que la nature pût donner à l’homme. En bas, l’orage. En haut, le ciel étoilé, tranquille, muet, impassible, avec la lune projetant ses paisibles rayons sur ces nuages irrités.

Le docteur Fergusson consulta le baromètre ; il donna douze mille pieds d’élévation. Il était onze heures du soir.

«Grâce au ciel, tout danger est passé, dit-il ; il nous suffit de nous maintenir à cette hauteur.

– C’était effrayant! répondit Kennedy.

– Bon, répliqua Joe, cela jette de la diversité dans le voyage, et je ne suis pas fâché d’avoir vu un orage d’un peu haut. C’est un joli spectacle!»

XVII. Les montagnes de la Lune. – Un océan de verdure.

Les montagnes de la Lune. – Un océan de verdure. – On jette l’ancre. – L’éléphant remorqueur. – Feu nourri. – Mort du pachyderme. – Le four de campagne. – Repas sur l’herbe. – Une nuit à terre.


Vers six heures du matin, le lundi, le soleil s’élevait au-dessus de l’horizon ; les nuages se dissipèrent, et un joli vent rafraîchit ces premières lueurs matinales.

La terre, toute parfumée, reparut aux yeux des voyageurs. Le ballon, tournant sur place au milieu des courants opposés, avait à peine dérivé ; le docteur, laissant se contracter le gaz, descendit afin de saisir une direction plus septentrionale. Longtemps ses recherches furent vaines ; le vent l’entraîna dans l’ouest, jusqu’en vue des célèbres montagnes de la Lune, qui s’arrondissent en demi-cercle autour de la pointe du lac Tanganayika ; leur chaîne, peu accidentée, se détachait sur l’horizon bleuâtre ; on eut dit une fortification naturelle, infranchissable aux explorateurs du centre de l’Afrique ; quelques cônes isolés portaient la trace des neiges éternelles.

«Nous voilà, dit le docteur, dans un pays inexploré ; le capitaine Burton s’est avancé fort avant dans l’ouest ; mais il n’a pu atteindre ces montagnes célèbres ; il en a même nié l’existence, affirmée par Speke son compagnon ; il prétend qu’elles sont nées dans l’imagination de ce dernier ; pour nous, mes amis, il n’y a plus de doute possible.

– Est-ce que nous les franchirons ? demanda Kennedy.

– Non pas, s’il plaît à Dieu ; j’espère trouver un vent favorable qui me ramènera à l’équateur ; j’attendrai même, s’il le faut, et je ferai du Victoria comme d’un navire qui jette l’ancre par les vents contraires.»

Mais les prévisions du docteur ne devaient pas tarder à se réaliser. Après avoir essayé différentes hauteurs, le Victoria fila dans le nord-est avec une vitesse moyenne.

«Nous sommes dans la bonne direction, dit-il en consultant sa boussole, et à peine à deux cents pieds de terre, toutes circonstances heureuses pour reconnaître ces régions nouvelles ; le capitaine Speke, en allant à la découverte du lac Ukéréoué, remontait plus à l’est, en droite ligne au-dessus de Kazeh.

– Irons-nous longtemps de la sorte ? demanda Kennedy.

– Peut-être ; notre but est de pousser une pointe du côté des sources du Nil, et nous avons plus de six cents milles à parcourir, jusqu’à la limite extrême atteinte par les explorateurs venus du Nord.

– Et nous ne mettrons pas pied à terre, fit Joe, histoire de se dégourdir les jambes ?

– Si, vraiment ; il faudra d’ailleurs ménager nos vivres, et, chemin faisant, mon brave Dick, tu nous approvisionneras de viande fraîche.

– Dès que tu le voudras, ami Samuel.

– Nous aurons aussi à renouveler notre réserve d’eau. Qui sait si nous ne serons pas entraînés vers des contrées arides. On ne saurait donc prendre trop de précautions.»

À midi, le Victoria se trouvait par 29° 15’de longitude et 3° 15’de latitude. Il dépassait le village d’Uyofu, dernière limite septentrionale de l’Unyamwezi, par le travers du lac Ukéréoué, que l’on ne pouvait encore apercevoir.

Les peuplades rapprochées de l’équateur semblent être un peu plus civilisées, et sont gouvernées par des monarques absolus, dont le despotisme est sans bornes ; leur réunion la plus compacte constitue la province de Karagwah.

Il fut décidé entre les trois voyageurs qu’ils accosteraient la terre au premier emplacement favorable. On devait faire une halte prolongée, et l’aérostat serait soigneusement passé en revue ; la flamme du chalumeau fut modérée ; les ancres lancées au dehors de la nacelle vinrent bientôt raser les hautes herbes d’une immense prairie ; d’une certaine hauteur, elle paraissait couverte d’un gazon ras, mais en réalité ce gazon avait de sept à huit pieds d’épaisseur.

Le Victoria effleurait ces herbes sans les courber, comme un papillon gigantesque. Pas un obstacle en vue. C’était comme un océan de verdure sans un seul brisant.

«Nous pourrons courir longtemps de la sorte, dit Kennedy ; je n’aperçois pas un arbre dont nous puissions nous approcher ; la chasse me paraît compromise.

– Attends, mon cher Dick ; tu ne pourrais pas chasser dans ces herbes plus hautes que toi ; nous finirons par trouver une place favorable.»

C’était en vérité une promenade charmante, une véritable navigation sur cette mer si verte, presque transparente, avec de douces ondulations au souffle du vent. La nacelle justifiait bien son nom, et semblait fendre des flots, à cela près qu’une volée d’oiseaux aux splendides couleurs s’échappait parfois des hautes herbes avec mille cris joyeux ; les ancres plongeaient dans ce lac de fleurs, et traçaient un sillon qui se refermait derrière elles, comme le sillage d’un vaisseau.

Tout à coup, le ballon éprouva une forte secousse ; l’ancre avait mordu sans doute une fissure de roc cachée sous ce gazon gigantesque.

«Nous sommes pris, fit Joe.

– Eh bien! jette l’échelle», répliqua le chasseur.

Ces paroles n’étaient pas achevées, qu’un cri aigu retentit dans l’air, et les phrases suivantes, entrecoupées d’exclamations, s’échappèrent de la bouche des trois voyageurs.

«Qu’est cela ?

– Un cri singulier!

– Tiens! nous marchons!

– L’ancre a dérapé.

– Mais non! elle tient toujours, fit Joe, qui halait sur la corde.

– C’est le rocher qui marche!»

Un vaste remuement se fit dans les herbes, et bientôt une forme allongée et sinueuse s’éleva au-dessus d’elles.

«Un serpent! fit Joe.

– Un serpent! s’écria Kennedy en armant sa carabine.

– Eh non! dit le docteur, c’est une trompe d’éléphant.

– Un éléphant, Samuel!»

Et Kennedy, ce disant, épaula son arme.

«Attends, Dick, attends!

– Sans doute! L’animal nous remorque.

– Et du bon côté, Joe, du bon côté.»

L’éléphant s’avançait avec une certaine rapidité ; il arriva bientôt à une clairière, où l’on put le voir tout entier ; à sa taille gigantesque, le docteur reconnut un mâle d’une magnifique espèce ; il portait deux défenses blanchâtres, d’une courbure admirable, et qui pouvaient avoir huit pieds de long ; les pattes de l’ancre étaient fortement prises entre elles.

L’animal essayait vainement de se débarrasser avec sa trompe de la corde qui le rattachait à la nacelle.

«En avant! hardi! s’écria Joe au comble de la joie, excitant de son mieux cet étrange équipage. Voilà encore une nouvelle manière de voyager! Plus que cela de cheval! un éléphant, s’il vous plaît.

– Mais où nous mène-t-il ? demanda Kennedy, agitant sa carabine qui lui brûlait les mains.

– Il nous mène où nous voulons aller, mon cher Dick! Un peu de patience!

– «Wig a more! Wig a more!» comme disent les paysans d’Écosse, s’écriait le joyeux Joe. En avant! en avant!»

 

Le Victoria remorqué par un éléphant.

L’animal prit un galop fort rapide ; il projetait sa trompe de droite et de gauche, et, dans ses ressauts, il donnait de violentes secousses à la nacelle. Le docteur, la hache à la main, était prêt à couper la corde s’il y avait lieu.

«Mais, dit-il, nous ne nous séparerons de notre ancre qu’au dernier moment.»

Cette course, à la suite d’un éléphant, dura près d’une heure et demie ; l’animal ne paraissait aucunement fatigué ; ces énormes pachydermes peuvent fournir des trottes considérables, et, d’un jour à l’autre, on les retrouve à des distances immenses, comme les baleines dont ils ont la masse et la rapidité.

«Au fait, disait Joe, c’est une baleine que nous avons harponnée, et nous ne faisons qu’imiter la manœuvre des baleiniers pendant leurs pêches.»

Mais un changement dans la nature du terrain obligea le docteur à modifier son moyen de locomotion.

Un bois épais de camaldores apparaissait au nord de la prairie et à trois milles environ ; il devenait dès lors nécessaire que le ballon fût séparé de son conducteur.

Kennedy fut donc chargé d’arrêter l’éléphant dans sa course ; il épaula sa carabine ; mais sa position n’était pas favorable pour atteindre l’animal avec succès ; une première balle, tirée au crâne, s’aplatit comme sur une plaque de tôle ; l’animal n’en parut aucunement troublé ; au bruit de la décharge, son pas s’accéléra, et sa vitesse fut celle d’un cheval lancé au galop.

«Diable! dit Kennedy.

– Quelle tête dure! fit Joe.

– Nous allons essayer de quelques balles coniques au défaut de l’épaule», reprit Dick en chargeant sa carabine avec soin, et il fit feu.

L’animal poussa un cri terrible, et continua de plus belle.

«Voyons, dit Joe en s’armant de l’un des fusils, il faut que je vous aide, monsieur Dick, ou cela n’en finira pas.»

Et deux balles allèrent se loger dans les flancs de la bête.

L’éléphant s’arrêta, dressa sa trompe, et reprit à toute vitesse sa course vers le bois ; il secouait sa vaste tête, et le sang commençait à couler à flots de ses blessures.

«Continuons notre feu, monsieur Dick.

– Et un feu nourri, ajouta le docteur, nous ne sommes pas à vingt toises du bois!»

Dix coups retentirent encore, l’éléphant fit un bond effrayant ; la nacelle et le ballon craquèrent à faire croire que tout était brisé ; la secousse fit tomber la hache des mains du docteur sur le sol.

La situation devenait terrible alors ; le câble de l’ancre fortement assujetti ne pouvait être ni détaché, ni entamé par les couteaux des voyageurs ; le ballon approchait rapidement du bois, quand l’animal reçut une balle dans l’œil au moment où il relevait la tête ; il s’arrêta, hésita ; ses genoux plièrent ; il présenta son flanc au chasseur.

«Une balle au cœur», dit celui-ci, en déchargeant une dernière fois la carabine.

L’éléphant poussa un rugissement de détresse et d’agonie ; il se redressa un instant en faisant tournoyer sa trompe, puis il retomba de tout son poids sur une de ses défenses qu’il brisa net. Il était mort.

«Sa défense est brisée! s’écria Kennedy. De l’ivoire qui en Angleterre vaudrait trente-cinq guinées les cent livres!

– Tant que cela, fit Joe, en s’affalant jusqu’à terre par la corde de l’ancre.

– À quoi servent tes regrets, mon cher Dick ? répondit le docteur Fergusson. Est-ce que nous sommes des trafiquants d’ivoire ? Sommes-nous venus ici pour faire fortune ?»

Joe visita l’ancre ; elle était solidement retenue à la défense demeurée intacte. Samuel et Dick sautèrent sur le sol, tandis que l’aérostat à demi dégonflé se balançait au-dessus du corps de l’animal.

«La magnifique bête! s’écria Kennedy. Quelle masse! Je n’ai jamais vu dans l’Inde un éléphant de cette taille!

– Cela n’a rien d’étonnant, mon cher Dick ; les éléphants du centre de l’Afrique sont les plus beaux. Les Anderson, les Cumming les ont tellement chassés aux environs du Cap, qu’ils émigrent vers l’équateur, où nous les rencontrerons souvent en troupes nombreuses.

– En attendant, répondit Joe, j’espère que nous goûterons un peu de celui-là! Je m’engage à vous procurer un repas succulent aux dépens de cet animal. M. Kennedy va chasser pendant une heure ou deux, M. Samuel va passer l’inspection du Victoria, et, pendant ce temps, je vais faire la cuisine.

– Voilà qui est bien ordonné, répondit le docteur. Fais à ta guise.

– Pour moi, dit le chasseur, Je vais prendre les deux heures de liberté que Joe a daigné m’octroyer.

– Va, mon ami ; mais pas d’imprudence. Ne t’éloigne pas.

– Sois tranquille.»

Et Dick, armé de son fusil, s’enfonça dans le bois.

Alors Joe s’occupa de ses fonctions. Il fit d’abord dans la terre un trou profond de deux pieds ; il le remplit de branches sèches qui couvraient le sol, et provenaient des trouées faites dans le bois par les éléphants dont on voyait les traces. Le trou rempli, il entassa au-dessus un bûcher haut de deux pieds, et il y mit le feu.

Ensuite il retourna vers le cadavre de l’éléphant, tombé à dix toises du bois à peine ; il détacha adroitement la trompe qui mesurait près de deux pieds de largeur à sa naissance ; il en choisit la partie la plus délicate, et y joignit un des pieds spongieux de l’animal ; ce sont en effet les morceaux par excellence, comme la bosse du bison, la patte de l’ours ou la hure du sanglier.

Lorsque le bûcher fut entièrement consumé à l’intérieur et à l’extérieur, le trou, débarrassé des cendres et des charbons, offrit une température très élevée ; les morceaux de l’éléphant, entourés de feuilles aromatiques, furent déposés au fond de ce four improvisé, et recouverts de cendres chaudes ; puis, Joe éleva un second bûcher sur le tout, et quand le bois fut consumé, la viande était cuite à point.

Alors Joe retira le dîner de la fournaise ; il déposa cette viande appétissante sur des feuilles vertes, et disposa son repas au milieu d’une magnifique pelouse ; il apporta des biscuits, de l’eau-de-vie, du café, et puisa une eau fraîche et limpide à un ruisseau voisin.

Ce festin ainsi dressé faisait plaisir à voir, et Joe pensait, sans être trop fier, qu’il ferait encore plus de plaisir à manger.

«Un voyage sans fatigue et sans danger! répétait-il. Un repas à ses heures! un hamac perpétuel! qu’est-ce que l’on peut demander de plus ? Et ce bon M. Kennedy qui ne voulait pas venir!»

De son côté, le docteur Fergusson se livrait à un examen sérieux de l’aérostat. Celui-ci ne paraissait pas avoir souffert de la tourmente ; le taffetas et la gutta-percha avaient merveilleusement résisté ; en prenant la hauteur actuelle du sol, et en calculant la force ascensionnelle du ballon, il vit avec satisfaction que l’hydrogène était en même quantité ; l’enveloppe jusque-là demeurait entièrement imperméable.

Depuis cinq jours seulement, les voyageurs avaient quitté Zanzibar ; le pemmican n’était pas encore entamé ; les provisions de biscuit et de viande conservée suffisaient pour un long voyage ; il n’y eut donc que la réserve d’eau à renouveler.

Les tuyaux et le serpentin paraissaient être en parfait état ; grâce à leurs articulations de caoutchouc, ils s’étaient prêtés à toutes les oscillations de l’aérostat.

Son examen terminé, le docteur s’occupa de mettre ses notes en ordre. Il fit une esquisse très réussie de la campagne environnante, avec la longue prairie à perte de vue, la forêt de camaldores, et le ballon immobile sur le corps du monstrueux éléphant.

Le croquis du docteur Fergusson.

Au bout de ses deux heures, Kennedy revint avec un chapelet de perdrix grasses, et un cuissot d’oryx, sorte de gemsbok, appartenant à l’espèce la plus agile des antilopes. Joe se chargea de préparer ce surcroît de provisions.

«Le dîner est servi», s’écria-t-il bientôt de sa plus belle voix.

Et les trois voyageurs n’eurent qu’à s’asseoir sur la pelouse verte ; les pieds et la trompe d’éléphant furent déclarés exquis ; on but à l’Angleterre comme toujours, et de délicieux havanes parfumèrent pour la première fois cette contrée charmante.

Kennedy mangeait, buvait et causait comme quatre ; il était enivré ; il proposa sérieusement à son ami le docteur de s’établir dans cette forêt, d’y construire une cabane de feuillage, et d’y commencer la dynastie des Robinsons africains.

La proposition n’eut pas autrement de suite, bien que Joe se fût proposé pour remplir le rôle de Vendredi.

La campagne semblait si tranquille, si déserte, que le docteur résolut de passer la nuit à terre. Joe dressa un cercle de feux, barricade indispensable contre les bêtes féroces ; les hyènes, les couguars, les chacals, attirés par l’odeur de la chair d’éléphant, rodèrent aux alentours. Kennedy dut à plusieurs reprises décharger sa carabine sur des visiteurs trop audacieux ; mais enfin la nuit s’acheva sans incident fâcheux.

XVIII. Le Karagwah. – Le lac Ukéréoué. – Une nuit dans une île.

Le Karagwah. – Le lac Ukéréoué. – Une nuit dans une île. – L’Équateur. – Traversée du lac. – Les cascades. – Vue du pays. – Les sources du Nil. – L’île Benga. – La signature d’Andrea Debono. – Le pavillon aux armes d’Angleterre.


Le lendemain, dès cinq heures, commençaient les préparatifs du départ. Joe, avec la hache qu’il avait heureusement retrouvée, brisa les défenses de l’éléphant. Le Victoria, rendu à la liberté, entraîna les voyageurs vers le nord-est avec une vitesse de dix-huit milles.

Le docteur avait soigneusement relevé sa position par la hauteur des étoiles pendant la soirée précédente. Il était par 2° 40’de latitude au-dessous de l’équateur, soit à cent soixante milles géographiques ; il traversa de nombreux villages sans se préoccuper des cris provoqués par son apparition ; il prit note de la conformation des lieux avec des vues sommaires ; il franchit les rampes du Rubemhé, presque aussi roides que les sommets de l’Ousagara, et rencontra plus tard, à Tenga, les premiers ressauts des chaînes de Karagwah, qui, selon lui, dérivent nécessairement des montagnes de la Lune. Or, la légende ancienne qui faisait de ces montagnes le berceau du Nil s’approchait de la vérité, puisqu’elles confinent au lac Ukéréoué, réservoir présumé des eaux du grand fleuve.

De Kafuro, grand district des marchands du pays, il aperçut enfin à l’horizon ce lac tant cherché, que le capitaine Speke entrevit le 3 août 1858.

Samuel Fergusson se sentait ému, il touchait presque à l’un des points principaux de son exploration, et, la lunette à l’œil, il ne perdait pas un coin de cette contrée mystérieuse que son regard détaillait ainsi :

Au-dessous de lui, une terre généralement effritée ; à peine quelques ravins cultivés ; le terrain, parsemé de cônes d’une altitude moyenne, se faisait plat aux approches du lac ; les champs d’orge remplaçaient les rizières ; là croissaient ce plantain d’où se tire le vin du pays, et le «mwani», plante sauvage qui sert de café. La réunion d’une cinquantaine de huttes circulaires, recouvertes d’un chaume en fleurs, constituait la capitale du Karagwah.

On apercevait facilement les figures ébahies d’une race assez belle, au teint jaune brun. Des femmes d’une corpulence invraisemblable se traînaient dans les plantations, et le docteur étonna bien ses compagnons en leur apprenant que cet embonpoint, très apprécié, s’obtenait par un régime obligatoire de lait caillé.

À midi, le Victoria se trouvait par 1° 45’de latitude australe ; à une heure, le vent le poussait sur le lac.

Ce lac a été nommé Nyanza[40] Victoria par le capitaine Speke. En cet endroit, il pouvait mesurer quatre-vingt-dix milles de largeur ; à son extrémité méridionale, le capitaine trouva un groupe d’îles, qu’il nomma archipel du Bengale. Il poussa sa reconnaissance jusqu’à Muanza, sur la côte de l’est, où il fut bien reçu par le sultan. Il fit la triangulation de cette partie du lac, mais il ne put se procurer une barque, ni pour le traverser, ni pour visiter la grande île d’Ukéréoué ; cette île, très populeuse, est gouvernée par trois sultans, et ne forme qu’une presqu’île à marée basse.

Le Victoria abordait le lac plus au nord, au grand regret du docteur, qui aurait voulu en déterminer les contours inférieurs. Les bords, hérissés de buissons épineux et de broussailles enchevêtrées, disparaissaient littéralement sous des myriades de moustiques d’un brun clair ; ce pays devait être inhabitable et inhabité ; on voyait des troupes d’hippopotames se vautrer dans des forêts de roseaux, ou s’enfuir sous les eaux blanchâtres du lac.

 

Celui-ci, vu de haut, offrait vers l’ouest un horizon si large qu’on eut dit une mer ; la distance est assez grande entre les deux rives pour que des communications ne puissent s’établir ; d’ailleurs les tempêtes y sont fortes et fréquentes, car les vents font rage dans ce bassin élevé et découvert.

Le docteur eut de la peine à se diriger ; il craignait d’être entraîné vers l’est ; mais heureusement un courant le porta directement au nord, et, à six heures du soir, le Victoria s’établit dans une petite île déserte, par 0° 30’de latitude, et 32° 2’de longitude à vingt milles de la côte.

Les voyageurs purent s’accrocher à un arbre, et, le vent s’étant calmé vers le soir, ils demeurèrent tranquillement sur leur ancre. On ne pouvait songer à prendre terre ; ici, comme sur les bords du Nyanza, des légions de moustiques couvraient le sol d’un nuage épais. Joe, même, revint de l’arbre couvert de piqûres ; mais il ne se fâcha pas, tant il trouvait cela naturel de la part des moustiques.

Néanmoins, le docteur, moins optimiste, fila le plus de corde qu’il put, afin d’échapper à ces impitoyables insectes qui s’élevaient avec un murmure inquiétant.

Le docteur reconnut la hauteur du lac au-dessus du niveau de la mer, telle que l’avait déterminée le capitaine Speke, soit trois mille sept cent cinquante pieds.

«Nous voici donc dans une île! dit Joe, qui se grattait à se rompre les poignets.

– Nous en aurions vite fait le tour, répondit le chasseur, et, sauf ces aimables insectes, on n’y aperçoit pas un être vivant.

– Les îles dont le lac est parsemé, répondit le docteur Fergusson, ne sont, à vrai dire, que des sommets de collines immergées ; mais nous sommes heureux d’y avoir rencontré un abri, car les rives du lac sont habitées par des tribus féroces. Dormez donc, puisque le ciel nous prépare une nuit tranquille.

– Est-ce que tu n’en feras pas autant, Samuel ?

– Non ; je ne pourrais fermer l’œil. Mes pensées chasseraient tout sommeil. Demain, mes amis, si le vent est favorable, nous marcherons droit au nord, et nous découvrirons peut-être les sources du Nil, ce secret demeuré impénétrable. Si près des sources du grand fleuve, je ne saurais dormir.»

Kennedy et Joe, que les préoccupations scientifiques ne troublaient pas à ce point, ne tardèrent pas à s’endormir profondément sous la garde du docteur.

Le mercredi 23 avril, le Victoria appareillait à quatre heures du matin par un ciel grisâtre ; la nuit quittait difficilement les eaux du lac, qu’un épais brouillard enveloppait, mais bientôt un vent violent dissipa toute cette brume. Le Victoria fut balancé pendant quelques minutes en sens divers et enfin remonta directement vers le nord.

Le docteur Fergusson frappa des mains avec joie.

«Nous sommes en bon chemin! s’écria-t-il. Aujourd’hui ou jamais nous verrons le Nil! Mes amis, voici que nous franchissons l’équateur! nous entrons dans notre hémisphère!

– Oh! fit Joe ; vous pensez, mon maître, que l’équateur passe par ici ?

– Ici même, mon brave garçon!

– Eh bien! sauf votre respect, il me paraît convenable de l’arroser sans perdre de temps.

– Va pour un verre de grog! répondit le docteur en riant ; tu as une manière d’entendre la cosmographie qui n’est point sotte.»

Et voilà comment fut célébré le passage de la ligne à bord du Victoria.

Celui-ci filait rapidement. On apercevait dans l’ouest la côte basse et peu accidentée ; au fond, les plateaux plus élevés de l’Uganda et de l’Usoga. La vitesse du vent devenait excessive : près de trente milles à l’heure.

Les eaux du Nyanza, soulevées avec violence, écumaient comme les vagues d’une mer. À certaines lames de fond qui se balançaient longtemps après les accalmies, le docteur reconnut que le lac devait avoir une grande profondeur. À peine une ou deux barques grossières furent-elles entrevues pendant cette rapide traversée.

«Le lac, dit le docteur, est évidemment, par sa position élevée, le réservoir naturel des fleuves de la partie orientale d’Afrique ; le ciel lui rend en pluie ce qu’il enlève en vapeurs à ses effluents. Il me paraît certain que le Nil doit y prendre sa source.

– Nous verrons bien», répliqua Kennedy.

Vers neuf heures, la côte de l’ouest se rapprocha ; elle paraissait déserte et boisée. Le vent s’éleva un peu vers l’est, et l’on put entrevoir l’autre rive du lac. Elle se courbait de manière à se terminer par un angle très ouvert, vers 2° 40’de latitude septentrionale. De hautes montagnes dressaient leurs pics arides à cette extrémité du Nyanza ; mais entre elles une gorge profonde et sinueuse livrait passage à une rivière bouillonnante.

Tout en manœuvrant son aérostat, le docteur Fergusson examinait le pays d’un regard avide.

«Voyez! s’écria-t-il, voyez, mes amis! les récits des Arabes étaient exacts! Ils parlaient d’un fleuve par lequel le lac Ukéréoué se déchargeait vers le nord, et ce fleuve existe, et nous le descendons, et il coule avec une rapidité comparable à notre propre vitesse! Et cette goutte d’eau qui s’enfuit sous nos pieds va certainement se confondre avec les flots de la Méditerranée! C’est le Nil!

– C’est le Nil! répéta Kennedy, qui se laissait prendre à l’enthousiasme de Samuel Fergusson.

– Vive le Nil!» dit Joe, qui s’écriait volontiers vive quelque chose quand il était en joie.

Des rochers énormes embarrassaient çà et là le cours de cette mystérieuse rivière. L’eau écumait ; il se faisait des rapides et des cataractes qui confirmaient le docteur dans ses prévisions. Des montagnes environnantes se déversaient de nombreux torrents, écumants dans leur chute ; l’œil les comptait par centaines. On voyait sourdre du sol de minces filets d’eau éparpillés, se croisant, se confondant, luttant de vitesse, et tous couraient à cette rivière naissante, qui se faisait fleuve après les avoir absorbés.

La dernière cataracte du Nil.

«Voilà bien le Nil, répéta le docteur avec conviction. L’origine de son nom a passionné les savants comme l’origine de ses eaux ; on l’a fait venir du grec, du copte, du sanscrit[41] ; peu importe, après tout, puisqu’il a dû livrer enfin le secret de ses sources!

– Mais, dit le chasseur, comment s’assurer de l’identité de cette rivière et de celle que les voyageurs du nord ont reconnue!

– Nous aurons des preuves certaines, irrécusables, infaillibles, répondit Fergusson, si le vent nous favorise une heure encore.»

Les montagnes se séparaient, faisant place à des villages nombreux, à des champs cultivés de sésame, de dourrah, de cannes à sucre. Les tribus de ces contrées se montraient agitées, hostiles ; elles semblaient plus près de la colère que de l’adoration ; elles pressentaient des étrangers, et non des dieux. Il semblait qu’en remontant aux sources du Nil on vint leur voler quelque chose. Le Victoria dut se tenir hors de la portée des mousquets.

«Aborder ici sera difficile, dit l’Écossais.

– Eh bien! répliqua Joe, tant pis pour ces indigènes ; nous les priverons du charme de notre conversation.

– Il faut pourtant que je descende, répondit le docteur Fergusson, ne fût-ce qu’un quart d’heure. Sans cela, je ne puis constater les résultats de notre exploration.

– C’est donc indispensable, Samuel ?

– Indispensable, et nous descendrons, quand même nous devrions faire le coup de fusil!

– La chose me va, répondit Kennedy en caressant sa carabine.

– Quand vous voudrez, mon maître, dit Joe en se préparant au combat.

– Ce ne sera pas la première fois, répondit le docteur, que l’on aura fait de la science les armes à la main ; pareille chose est arrivée à un savant français, dans les montagnes d’Espagne, quand il mesurait le méridien terrestre.

– Sois tranquille, Samuel, et fie-toi à tes deux gardes du corps.

– Y sommes-nous, monsieur ?

– Pas encore. Nous allons même nous élever pour saisir la configuration exacte du pays.»

L’hydrogène se dilata, et, en moins de dix minutes, le Victoria planait à une hauteur de deux mille cinq cents pieds au-dessus du sol.

On distinguait de là un inextricable réseau de rivières que le fleuve recevait dans son lit ; il en venait davantage de l’ouest, entre les collines nombreuses, au milieu de campagnes fertiles.

«Nous ne sommes pas à quatre-vingt-dix milles de Gondokoro, dit le docteur en pointant sa carte, et à moins de cinq milles du point atteint par les explorateurs venus du nord. Rapprochons-nous de terre avec précaution.»

40Nyanza signifie lac.
41Un savant byzantin voyait dans Neilos un nom arithmétique. N représentait 50, E 5, I 10, L 30, O 70, S 200 : ce qui fait le nombre des jours de l’année.
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