Бесплатно

La Daniella, Vol. I

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

XVII

3 avril, à Frascati.

Depuis deux jours, bien que le soleil ne se montre pas plus qu'à Londres, je me goberge de la douceur du temps. Les soirées sont froides dans l'intérieur de Piccolomini; ma cheminée se garderait bien de ne pas fumer; et d'ailleurs, le bois manque; mais quelqu'un qui me choie m'a apporté un brasero3, et cela me permet de me réchauffer les doigts pour vous écrire. Le reste du temps, je suis dehors jusqu'à l'heure de dormir, et je m'en trouve fort bien.

Ce quelqu'un vous intrigue un peu, j'espère? Patience! je vous raconterai. Il faut que je vous dise d'abord que je suis au beau milieu d'un paradis terrestre, moyennant quelque chose comme trois francs par jour, toutes dépenses comprises, ce qui me permettra de passer ici plusieurs mois sans me préoccuper de ma pauvreté.

J'ignore ce que deviendra le climat. On m'annonce des chaleurs qui me feront revenir de mes doutes sur le beau ciel de l'Italie. Dans l'état de faiblesse où je suis encore, le temps doux et voilé que nous tenons m'est fort agréable; mais il n'y aurait guère moyen de faire de la peinture sans soleil, et il faut que ce pays-ci soit bien beau puisqu'il l'est encore à travers son manteau de brouillards. Brumières, qui voulait que je l'attendisse pour venir ici, m'annonçait bien que je n'y trouverais pas encore le moindre effet pittoresque; mais je suis peut-être moins peintre que contemplatif, et, quand je ne peux pas essayer d'être un interprète quelconque de la nature, je n'en reste pas moins son amant fidèle et ravi.

Figurez-vous que, sans sortir de mon jardin, j'ai la campagne, le verger, la solitude et le désert. Le parterre qui s'étend devant la maison n'annonce guère ce luxe: c'est un carré de légumes et de vigne, enfermé dans des haies de buis taillé. En août, la vue est terminée par une grande fontaine murale en hémicycle avec les niches et les bustes classiques. L'eau est limpide, les plantes grimpantes abondent, et, sur la terrasse dont cette architecture est le contre-fort, de beaux arbres inclinent leurs branches touffues. Mais là n'est pas le charme de cet enclos dont l'ancienne splendeur a fait place, d'une part à l'abandon, de l'autre aux soins vulgaires de l'utilité domestique. Une belle allée d'arbres centenaires s'en va en montant rapidement vers des terres ensemencées et plantées d'oliviers. Heureusement, on a laissé subsister ces arbres, et on n'a pu songer à niveler le terrain, de sorte que l'ancien parc des Piccolomini, sacrifié au prosaïsme de l'exploitation, a gardé ses chênes verts courbés en berceaux impénétrables au soleil et à la pluie, ses aspérités de montagne et son clair ruisselet qui court en bouillonnant sous des masses de fleurs sauvages. Il y a même un coin, tout à fait inculte, qui forme ravin et qui se compose tout aussi bien qu'un grand paysage. Le ruisseau qui sort d'une belle source dans la villa voisine, nous arrive de la hauteur et forme une cascatelle charmante qui, de son amphithéâtre de rochers et de verdure, arrose une petite prairie tout à fait naturelle, traverse l'enclos et s'en va réjouir une troisième villa contiguë à celle-ci. On voit qu'ici l'on ne s'est pas disputé l'eau courante. Bien au contraire, on se l'est libéralement distribuée, et, comme elle abonde partout, ceux qui ont bien voulu lui permettre de rire et de sauter à travers leurs jardins ont rendu à leurs voisins un véritable service.

Les collines Tusculanes ne sont, d'ici à leur point le plus élevé ( Tusculum), qu'un immense jardin partagé entre quatre ou cinq familles princières. Et quels jardins! celui de Piccolomini ne compte plus. Vendu à des bourgeois qui font argent de leur propriété, il n'a de beau que ce que l'on n'a pu lui ôter. Hais la villa Falconieri, qui le borne à l'est, et la villa Aldobrandini, qui le borne au couchant, la villa Conti, qui touche à cette dernière; plus haut, la Ruffinella, et, en revenant vers l'est, la Taverna et Mondragone, tout cela se tient et communique si bien, que j'en aurais pour trois heures à vous décrire ces lieux enchantés, ces futaies monstrueuses, ces fontaines, ces bosquets et ces escarpements semés de ruines romaines et pélasgiques; ces ravins de lierre, de liseron et de vigne sauvage, où pendent des restes de temple, et où tombent des eaux cristallines. Je renonce au détail, qui viendra peut-être par le menu; je ne peux que vous donner une notion de l'ensemble.

Le caractère général est de deux sortes: celui de l'ancien goût italien, et celui de la nature locale qui a repris le dessus, grâce à l'indifférence ou à la décadence pécuniaire des maîtres de ces folles et magnifiques résidences. Si vous voulez une exacte description de ces résidences, telles qu'elles étaient encore il y a cent ans, vous la trouverez dans les spirituelles lettres du président de Brosses, l'homme qui, malgré son apparente légèreté, a le mieux vu l'Italie de son temps. Il s'est beaucoup moqué des jeux d'eaux et girandes, des statues grotesques et des concerts hydrauliques de ces villégiatures de Frascati. Il a eu raison. Lorsqu'il voyait dépenser des sommes folles et des efforts d'imagination puérile pour créer ces choses insensées, il s'indignait de cette décadence du goût dans le pays de l'art, et il riait au nez de tons ces vilains faunes et de toutes ces grimaçantes naïades outrageusement mêlés aux débris de la statuaire antique. Il appelait cela gâter l'art et la nature à grands frais d'argent et de bêtise, et je m'imagine que, dans ce temps-là, quand tous ces fétiches étaient encore frais, quand ces eaux sifflaient dans des flûtes, que les arbres étaient taillés en poire, les gazons bien tondus et les allées bien tracées, un homme de sens et de liberté, comme lui, devait à bon droit s'indigner et se moquer.

Mais, s'il revenait ici, il y trouverait un grand et heureux changement: les Pans n'ont plus de flûte, les nymphes n'ont plus de nez. A beaucoup de dieux badins, il manque davantage encore, puisqu'il n'en reste qu'une jambe sur le socle. Le reste git au fond des bassins. Les eaux ne soufflent plus dans des tuyaux d'Orgue; elles bondissent encore dans des conques de marbre et le long des grandes girandes; mais elles y chantent de leur voix naturelle. Les rocailles se sont tapissées de vertes chevelures, qui les rendent à la vérité. Les arbres ont repris leur essor puissant sous un climat énergique, et sont devenus des colosses encore jeunes et pleins de santé. Ceux qui sont morts ont dérangé la symétrie des allées; les parterres se sont remplis de folles herbes; les fraises et les violettes ont tracé des arabesques aux contours des tapis verts; la mousse a mis du velours sur les mosaïques criardes: tout a pris un air de révolte, un cachet d'abandon, un ton de ruine et un chant de solitude.

Et maintenant, ces grands parcs jetés aux flancs des montagnes, forment, dans leurs plis verdoyants, des vallées de Tempé, où les ruines rococo et les ruines antiques dévorées par la même végétation parasite donnent à la victoire de la nature un air de gaieté extraordinaire. Comme, en somme, les palais sont d'une coquetterie princière ou d'un goût charmant; que ces jardins, surchargés de détails puérils, avaient été dessinés avec beaucoup d'intelligence sur les ondulations gracieuses du sol, et plantés avec un grand sentiment de la beauté des sites; enfin, comme les sources abondantes y ont été habilement dirigées pour assainir et vivifier cette région bocagère, il ne serait pas rigoureusement vrai de dire que la nature y ait été mutilée et insultée. Les brimborions fragiles y tombent en poussière; mais les longues terrasses d'où l'on dominait l'immense tableau de la plaine, des montagnes et de la mer; les gigantesques perrons de marbre et de lave qui soutiennent les ressauts du terrain, et qui ont, certes, un grand caractère, les allées couvertes qui rendent ces vieux Édens praticables en tout temps; enfin, tout ce qui, travail élégant, utile ou solide, a survécu au caprice de la mode, ajoute au charme de ces solitudes, et sert à conserver, comme dans des sanctuaires, les heureuses combinaisons de la nature et la monumentale beauté des ombrages. Il suffit de voir, autour des collines de Frascati, l'aride nudité des monts Tusculans, ou l'humidité malsaine des vallées, pour reconnaître que l'art est parfois bien nécessaire à l'oeuvre de la création.

Mais voyez donc, mon ami, comme je défends mes villas contre les injures du président de Brosses, et peut-être contre les critiques que j'appréhende de votre part! C'est que l'amour de la propriété s'est emparé de moi, quand je me suis vu ici seul, absolument seul de mon espèce artiste, jouissant de toutes ces résidences désertes. D'ici à un ou deux mois, me dit-on, il ne viendra à Frascati ni seigneurs indigènes ni forestieri, et, sous ce dernier titre, on confond les artistes, les touristes et les malades de tout genre qui cherchent l'air salubre au commencement des grandes chaleurs. En attendant, les villas ne sont habitées que par leurs gardiens, de bons vieux serviteurs qui me confient les clefs des parcs avec une bonne grâce charmante; ce qui me permet de choisir chaque jour celui qui me plaît, ou de les parcourir tous dans une grande excursion, si j'ai de bonnes jambes.

Quelle douce manière de posséder, n'est-ce pas? n'avoir rien à surveiller, rien à ordonner, rien à réparer; quitter quand bon me semblera, sans me soucier de ce que les choses deviendront en mon absence; revenir de même, sans que personne fasse attention à moi; jouir sans contrôle et sans contestation de plusieurs Trianons de caractères différents; me promener en pantoufles dans tous les paysages de Watteau, sans risquer de rencontrer personne à qui je doive mes égards et ma conversation! Vraiment, je suis trop heureux, et j'ai peur que ce ne soit un rêve. Tout cela à moi, pauvre diable qui ai vécu trois ans à Paris, triste et courbé sous la préoccupation de payer la vue des gouttières et les bottes à tremper dans la boue liquide des rues! A moi tout cela pour trois francs par jour, sans que j'aie à me tourmenter de cette responsabilité de soi-même, si rigoureuse pour la dignité de l'individu, mais si funeste à la poésie et à l'indépendance, dans les grands centres de civilisation! Par quelles vertus ai-je mérité d'être gâté à ce point! Et la Mariuccia, qui plaint ma figure absorbée, mon air nonchalant, et qui regarde avec une maternelle pitié mon mince bagage, et ma bourse plus mince encore!

 

Cette Mariuccia est un être excellent et divertissant au possible. Elle est rieuse et bavarde comme le ruisseau de son jardin, et, pour peu qu'on l'excite par des questions, elle arrive à une éloquence pétulante, accompagnée d'une mimique exaltée qui la transfigure en une sorte de pythonisse rustique. Elle est un spécimen si complet et si naïf de sa Classe et de sa localité, que je vois, mieux que dans un livre, à travers ses descriptions, ses préjugés et ses raisonnements, le caractère du milieu où je me trouve jeté.

Mais un autre type plus étrange encore aux yeux d'un homme naïf tel que moi, c'est ce quelqu'un dont il faut enfin que je vous entretienne. Aussi, je reprends mon récit où je l'ai laissé.

Hier matin, je demandai à la Mariamoda si elle avait fait blanchir mon linge.

– Certainement, dit-elle en apportant une corbeille de linge blanc, humide et frippé. La vieille femme qui m'aide à mes lessives s'en est chargée.

– C'est fort bien; mais je ne peux pas porter ce linge sans qu'il soit repassé.

Le mot repasser m'embarrassa; car, si je sais un peu ma littérature italienne, je n'ai pas encore à mon service tout le vocabulaire de la vie pratique, et la Mariuccia n'entend pas un mot de français. J'appelai la pantomime à mon secours, et, comme si un gueux de mon espèce eût prétendu à un grand luxe en exigeant du linge passé au fer, elle s'écria d'un air stupéfait:

– Vous voulez la stiratrice?

– C'est cela! la repasseuse! Est-ce une industrie inusitée à Frascati?

– Oh! oui-da, reprit-elle avec orgueil; il n'y a pas de pays au monde où l'on trouve des meilleures artisanes.

– Eh bien, confiez ceci à une de vos merveilleuses ouvrières.

– Voulez-vous que ce soit ma nièce?

– Je ne demande pas mieux, répondis-je, étonné du regard clair et pénétrant que son petit oeil gris attachait sur le mien.

Elle remporta la corbeille, et, à l'heure où je rentrais pour souper, car je me suis arrangé pour rester dehors le plus tard possible, je trouvai installées autour d'un brasero, dans une grande pièce du rez-de-chaussée, où la Mariuccia juge plus commode de me servir mes repas, trois personnes qui causaient, les pieds sur la cendre chaude et les coudes sur les genoux: c'était la vieille femme en haillons qui fait la perpétuelle biancheria de Mariuccia, un gros capucin de bonne mine, et une fille mince dont un grand mouchoir de laine rouge enveloppait la tête et les épaules. Les deux femmes ne se dérangèrent pas. Le capucin seul se leva et me fit des politesses qui aboutirent à l'humble demande d'un baïoque, un sou du pays, pour les besoins de son ordre. Je lui en donnai cinq, qu'il reçut avec une profonde reconnaissance.

– Cristo! s'écria la vieille femme, à laquelle il montra, d'un air naïf, cette grosse pièce de cuivre dans sa main crasseuse, quelle générosité!

Et, se tournant vers moi, elle m'accabla d'une grêle d'épithètes élogieuses. Pour n'être pas enivré de ses flatteries, je lui donnai vite deux baloques qui restaient dans ma poche, et elle se confondit en révérences et en tentatives de baisements de mains auxquelles je me hâtai de me soustraire.

Mais, voulant savoir jusqu'où allait cette misère ou cette passion pour la mendicité, je m'adressai à la jeune fille, dont je ne voyais pas la figure cachée sous son châle, et qui me semblait très-proprement habillée.

– Et vous, mademoiselle, lui dis-je en m'asseyant sur l'escabeau qu'avait laissé libre le frère quêteur à côté d'elle, est-ce que vous ne me demandez rien?

Elle releva la tête, écarta son châle rouge, et me tendit la main sans rien dire.

– Daniella! m'écriai-je en la reconnaissant à la pâle lueur que le brasero renvoyait à sa figure; Daniella à Frascati! Daniella qui tend la main…

– Pour que vous y mettiez la vôtre, répondit-elle en souriant. Vous êtes cause que j'ai perdu une bonne place; mais je ne la regrette pas, s'il me reste votre amitié.

– Parlez plus bas, lui dis-je; expliquez-moi…

– Oh! je n'ai pas besoin d'en faire un secret, reprit-elle; je n'ai rien fait de mal; et, d'ailleurs, le frère Cyprien est mon oncle, et la Mariuccia est ma tante. C'est moi qui suis la stiratrice, et je vous rapporte votre biancheria.

– Oui, oui, dit la Mariuccia, qui venait d'entrer et qui posait mon humble dîner sur la table, nous sommes tous parents: le capucin est mon frère, la vieille femme est ma tante, à moi, et vous pouvez parler tous les deux devant nous; c'est en famille, rien ne sortira d'ici.

– C'est très-bien, pensai-je; il n'y manque que le cousin Tartaglia pour que tout Frascati sache les particularités sérieuses ou ridicules de ma retraite à Frascati.

– Daniella, dis-je à la jeune fille, je vous prie de ne pas…

– C'est bien, c'est bien, dit la vieille femme en sortant; causez ensemble; nous savons toute l'histoire. Pauvre Daniella! ce n'est pas sa faute, c'est une bonne fille qui nous a tout dit..

– Et moi, dit le capucin en ramassant sa besace et son bâton, je vous présente mes révérences, seigneur étranger… Danieluccia, je prierai pour toi, afin que l'orgueil de cette Anglaise soit vaincu par la miséricorde divine!

Je vous laisse à penser si j'étais de bonne humeur de voir ébruiter ainsi ce qui avait pu se passer à propos de moi dans la famille B***. Je voulus faire expliquer la Daniella.

– Non, pas à présent, me répondit-elle; vous me en colère. Je vas porter votre linge dans votre chambre et je reviendrai.

XVIII

3 avril.

– Qu'est-ce? qu'y a-t-il? demandai-je à la Mariuccia. Que vous a-t-elle donc dit, à tous tant que vous êtes?

– Les choses comme elles se sont passées, répondit-elle; cette Anglaise, la grosse dame, je la connais bien! Elle vient presque tous les ans à Frascati; mais je n'ai jamais pu dire son nom…

– Eh bien?

– Eh bien, il y a deux ans, elle a pris ma nièce en amitié et elle l'a emmenée. Elle la payait bien et la rendait très-heureuse; et puis, quand elles ont été là-bas, en Angleterre, je crois, lady Bo… lady Bi… au diable son nom! a pris une nièce, la… la…

– N'importe!

– La Medora! Voilà son nom, à elle! Il parait qu'elle est belle: comment la trouvez-vous?

– Je n'en sais rien; allez toujours.

– Eh! vous savez bien qu'elle est belle et riche, mais méchante… Non: la Daniella dit qu'elle est bonne, mais folle. Elle a commencé par aimer ma nièce comme si la pauvre fille eût été sa soeur. Elle a voulu l'avoir à elle seule pour son service. Elle lui donnait des robes de soie, des bijoux, de l'argent. Oh! dans une année, la Daniella a plus gagné qu'elle ne gagnera dans tout le reste de sa vie, à moins qu'elle ne veuille encore quitter le pays et suivre d'autres forestieri; mais je ne le lui conseille pas: vous autres étrangers, vous êtes tous maniaques, bizarres!

– Merci; après?

– Après, après! Vous savez bien que vous avez dit à ma nièce qu'elle était plus jolie que sa maîtresse. Depuis ce moment-là, la signorina n'a plus voulu la supporter; elle l'a tourmentée, chagrinée, offensée. La petite a répondu deux ou trois paroles un peu vives, et, pendant que vous étiez encore malade, on l'a renvoyée. Allons, il n'y a pas grand mal; on lui a fait un beau cadeau, et elle pourra bien se marier ici avec qui elle voudra. On est toujours mieux dans son pays que sur les chemins; et, si vous l'aimez, ma nièce, si elle vous plaît, et que vous souhaitiez rester chez nous, il ne tient qu'à vous d'être son mari. Vous êtes peintre, vous trouverez de l'ouvrage dans les villas. Justement, la princesse Borghèse veut faire réparer Mondragone. Vous ferez de la fresque et vous gagnerez bien de quoi élever vos enfants.

– Ainsi, répondis-je, émerveillé du plan rapide de la Mariuccia, vous avez arrangé tout cela en famille, avec la vieille femme, le capucin et… la Daniella?

– La Daniella ne dit rien du tout; on ne sait pas si elle vous aime; mais…

– Mais vous le pensez, puisque vous me mariez avec elle?

– Eh! qui sait?

Le chi lo sa de la Mariuccia est son grand et dernier argument. Elle le dit si souvent à tout propos, que j'ai déjà compris que cela signifiait en certaines occasions: Laissez-moi faire, et en certaines autres: Je n'y tiens pas.

– Cette fois, l'accent était problématique, et je dus insister pour savoir si j'étais tombé dans une de ces intrigues dont Brumières et Tartaglia m'avaient signalé les fâcheuses conséquences; mais l'oeil clair et la figure enjouée de Mariuccia ne permettaient pas le soupçon, et, dans ses réponses subséquentes, je ne vis que l'empressement d'une bienveillance irréfléchie pour sa nièce et pour moi.

– S'il en est ainsi, pensai-je, je dois avoir une franchise égale.

Et, comme la Daniella ne reparaissait pas, je priai sa tante de monter avec moi dans ma chambre, où nous la trouvâmes occupée à brosser mes habits et à ranger mes ustensiles de toilette, comme si elle eût été à mon service.

– Que faites-vous là? lui dis-je en entrant, avec un peu de dureté.

Elle me regarda avec un mélange de décision et de douceur qui paraît être dans son caractère comme sur sa physionomie.

– Je nettoie et je range votre appartement, répondit-elle, comme je faisais à Rome, pendant que vous étiez malade.

Le souvenir des soins empressés et intelligents de cette bonne fille me fit rougir de ma brusquerie.

– Ma chère enfant, lui dis-je, asseyez-vous, et causons. Je veux savoir comment je suis la cause de votre séparation d'avec la famille B***. Vous avez dit, à ce sujet, ce que vous avez cru devoir dire; il faut que je le sache, afin de redresser la vérité si vous vous êtes trompée en ce qui me concerne.

– C'est aisé à dire, répondit-elle avec assurance. Vous avez fait le projet d'épouser la Medora. Comme vous avez beaucoup d'esprit, vous avez deviné que, pour la rendre amoureuse de vous, elle qui n'a jamais pu être amoureuse de personne, il fallait faire semblant de devenir amoureux d'une autre, sous son nez, et vous avez réussi à le lui persuader. Moi, j'aurais été sacrifiée à ce jeu-là, si j'avais eu affaire à de mauvais maître; mais lady Harriet est généreuse, et, avec ce qu'elle m'a donné en me congédiant, j'aurais tort de me plaindre. N'est-ce pas là ce que j'ai dit, ma tante Mariuccia?

– Peut-être, répondit la tante; mais j'avais compris que le signore te plaisait, et je pensais que tu lui avais plu. À présent, si les choses vont autrement, s'il doit épouser l'Anglaise et que ton dos lui ait servi d'échelle, il te devra un beau cadeau de noces, et tout est dit.

Bien que l'explication de la Daniella dût couper court à toute pensée d'alliance entre elle et moi dans l'esprit de ses parents, je ne pus supporter le plan ridiculement fourbe qu'elle m'attribuait à l'égard de sa maîtresse. Je crus devoir m'en expliquer avec elle.

– Ma chère, lui dis-je, il vous a plu d'interpréter ma conduite dans un sens que je désavoue absolument. Je n'ai pas fait semblant d'être épris de vos charmes. C'a été une plaisanterie dont j'étais loin de prévoir les conséquences et que personne, je l'espère encore, n'a prise au sérieux. Quoi qu'il en soit, j'ai eu un grand tort, puisque le résultat de ceci a été une mésintelligence momentanée entre vous et des personnes auxquelles vous deviez être attachée. Je suis assez coupable sans que vous me prêtiez un projet aussi absurde et aussi cupide que celui de vouloir me faire aimer d'une personne trop riche pour moi et que je ne connais pas assez pour l'aimer moi-même. Je vous prie donc, dans vos épanchements avec votre nombreuse famille, de ne pas me faire jouer inutilement ce vilain rôle.

– Inutilement! reprit-elle en français, français qu'il me faut vous traduire plus que si c'était de l'italien. Vous consentiriez cependant à ce que je le fisse utilement?

 

– Voulez-vous bien vous expliquer?

– Si ma famille se persuadait que nous nous aimons, vous et moi, il y aurait pour vous quelque inconvénient à le laisser croire, et il vaudrait mieux donner à penser que vous ne songez qu'à la Medora.

– Et quel serait l'inconvénient dont vous parlez?

– Des coups de couteau pour vous et des coups de poing pour moi.

– De la part de qui? Je veux tout savoir.

– De la part de mon frère, un méchant homme, je vous avertis… Je ne dépends que de lui, je n'ai plus ni père ni mère.

– Alors, c'est une menace sous laquelle il vous a plu de me placer, en faisant vos confidences…

– Moi, vous menacer et vous exposer! s'écria la Daniella en levant au ciel ses yeux étincelants. Cristo! croyez-vous que j'aurais dit seulement que je vous connaissais, si Tartaglia ne fût venu ici ce matin?

– Tartaglia? Bon! voici le bouquet! Et qu'est-il venu faire à Frascati?

– Il est venu savoir de vos nouvelles de la part de la Medora, mais en secret, et en se servant d'un prétexte, car il paraît qu'elle est inquiète de vous et qu'elle s'en cache, parce qu'elle craint de vous avoir fâché par ses refus. Alors, comme ce pauvre garçon s'est mis en tête de faire réussir votre mariage avec elle, il a dit à la Mariuccia qu'il fallait m'empêcher de vous voir, parce que vous me feriez la cour et que vous ne m'épouseriez pas. Voilà comment, en venant ici rapporter votre linge, j'ai été forcée de répondre à des questions, et, si tout cela s'est embrouillé dans la cervelle de ma tante, ce n'est pas de ma faute; mais le capucin est prudent, la vieille femme est bonne, la Mariuccia est excellente, et les choses en resteront là, pourvu que vous me permettiez de leur dire que vous ne pensez qu'à la Medora. Autrement…

– Autrement?

– Autrement, des idées viendront à mon frère, et il vous fera un mauvais parti.

– C'est assez revenir sur ce danger-là, ma chère, lui dis-je avec impatience. Je me suis pas habitué à me battre au couteau; mais, de quelque façon que je m'y prenne, gare à votre frère et à tous vos parents et amis, s'ils me cherchent noise. Je suis d'un naturel très-doux; mais je sens qu'avec des exploiteurs comme avec des bandits, je peux devenir très-méchant et vendre ma peau extrêmement cher à quelques-uns.

En parlant ainsi à Daniella, en italien, afin que la Mariuccia l'entendît, je les observais attentivement l'une et l'autre, la première surtout, que je crois assez rusée et qui pourrait bien avoir pour moi, non pas une passion de keepsake, comme miss Medora, mais un sentiment fondé sur des vues intéressées. La Mariuccia, quoique fine, me parut n'avoir que de bonnes intentions. Quand à la stiratrice, il me fut difficile de pénétrer ses sentiments. Elle semblait épier les miens propres: nous restions donc tous deux sur la défensive.

Quand j'eus fini de parler, elle garda un instant le silence, comme pour chercher une solution à une situation qu'il lui plaisait apparemment de croire embarrassante ou périlleuse; et, tout à coup, au lieu de me répondre elle s'adressa à sa tante.

– Je vous ai raconté, lui dit-elle, que le signore avait tué un voleur et mis deux autres en fuite auprès de Casalmorte, Je sais comme il est hardi, et plus fort qu'il n'en a l'air: je l'ai vu se battre avec ces mauvaises gens. Si quelqu'un doit avoir peur, ce n'est pas lui, et Masolino fera bien de se tenir tranquille.

Puis, se retournant vers moi, elle ajouta en français:

– Mais pourquoi donc, pour éviter des querelles, ne voulez-vous point passer pour amoureux de la Medora?

– Parce que cela n'est pas vrai, et que je déteste le mensonge, répondis-je avec impatience. Il vous a plu d'inventer cela; mais soyez sûre que, si j'établis ici quelque relation qui me mette à même de vous démentir, je n'y manquerai dans aucune occasion.

Ses yeux brillèrent d'une satisfaction si vive, que je compris qu'entre la maîtresse et la suivante, il y avait un duel de vanité féminine en règle, dont le hasard m'avait rendu l'objet litigieux.

– C'est étonnant, cela! dit-elle en se maniérant avec beaucoup de gentillesse, il faut l'avouer. Comment est-il possible que vous ne vouliez pas d'elle qui vous aime tant?

Sur ce mot-là, je me fâchai tout rouge. Que Medora se soit follement confiée à mon honneur, cela n'est pas douteux; mais il ne sera pas dit qu'elle s'y soit confiée en vain; et, fût-elle tout à fait indigne de ma loyauté, il me resterait encore à la disculper pour l'honneur de lady Harriet et de l'excellent lord B***. J'imposai donc silence aux malices de la soubrette avec tant de sévérité, qu'elle baissa les yeux comme effrayée, et se retira bientôt avec une confusion feinte ou réelle.

Je regrettai qu'elle n'eût pas témoigné quelque regret qui me permît de la congédier plus amicalement. Elle m'a soigné si bien, que je lui dois de la reconnaissance, et je n'ai pu encore trouver le moment de la lui exprimer, puisqu'elle avait disparu du palais *** avant mon départ de Rome.

En outre, bien que j'aie d'elle une médiocre opinion, je dois reconnaître que j'ai pour sa figure et ses manières des moments de sympathie réelle. Je l'entendis causer jusqu'à minuit avec la Mariuccia dans le grenier voisin de ma chambre. Je ne voulais ni ne pouvais saisir un mot de leurs longs discours; mais je vis bien à l'intonation tantôt narrative, tantôt gaie de leur dialogue, que Daniella n'était pas très-inquiète de son sort. La durée de ce tranquille babillage, qui accompagnait je ne sais quel travail, me prouvait aussi qu'elle n'était pas sous le coup d'une surveillance bien redoutable. Enfin, j'entendis ouvrir les portes, descendre l'escalier de bois de l'étage que nous occupons, Mariuccia et moi, et grincer sur ses gonds la grille de l'enclos qui donne sur la ruelle malpropre et montueuse décorée du nom emphatique de via Piccolomini.

3Brasero et le mot espagnol, apparemment familier à Jean Yalreg.
Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»