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Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)

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— Ah çà! mais tu deviens très ergoteuse! s'écriait monseigneur, marchant à grands pas, ou plutôt roulant comme une toupie à travers le jardin. Est-ce que, par hasard, tu donnes aussi dans le Voltaire? Cette chère maman est capable de t'avoir empestée de ces bavards-là! Voyons, que fais-tu? Comment vis-tu ici? Qu'est-ce que tu lis?

— En ce moment, monseigneur, je lis les Pères de l'Église, et j'y trouve beaucoup de points de vue contradictoires.

— Il n'y en a pas!

— Pardon, cher monseigneur! les avez-vous lus?

— Qu'elle est bête! Ah çà, pourquoi lis-tu les Pères de l'Église? Il y a beaucoup de choses qu'une jeune personne peut lire; mais je suis sûr que tu fais l'esprit fort, et que tu te mêles de juger. C'est un ridicule, à ton âge!

— Il est pour moi seul, puisque je ne fais part à personne de mes réflexions.

— Oui, mais ça viendra. Prends-y garde. Tu étais dans le bon chemin quand tu as quitté le couvent: à présent tu bats la breloque. Tu montes à cheval, tu chantes de l'italien, tu tires le pistolet, à ce qu'on m'a dit! Il faut que je te confesse. Fais ton examen de conscience pour demain. Je parie que j'aurai à te laver la tête!

— Pardon, monseigneur, mais je ne me confesserai point à vous.

— Pourquoi donc ça?

— Parce que nous ne nous entendrions pas. Vous me passeriez tout ce que je ne me passe point, et me gronderiez de ce que je considère comme innocent. Ou je ne suis plus catholique, ou je le suis autrement que vous.

— Qu'est-ce à dire, oison bridé?

— Je m'entends, mais ce n'est pas vous qui résoudrez la question.

— Allons, allons, il faut que je te gronde... Sache donc, malheureuse enfant... Mais voilà l'heure du dîner, je te dirai cela après. J'ai une faim de chien. Dépêchons-nous de rentrer.»

Et après le dîner, il avait oublié de me prêcher. Il l'oublia jusqu'à la fin, et partit en me laissant très attachée à sa bonté, mais très peu édifiée de son genre de piété, qui ne pouvait pas être le mien.

La veille de son départ, il fit une chose des plus bêtes. Il entra dans la bibliothèque et procéda à l'incendie de quelques livres et à la mutilation de plusieurs autres. Deschartres le trouva brûlant, coupant, rognant, et se réjouissant fort de son œuvre. Il l'arrêta avant que le dommage fût considérable, le menaça d'aller avertir ma grand'mère de ce dégât, et ne put lui arracher des mains le fer et le feu qu'en lui remontrant que cette bibliothèque était une propriété confiée à sa garde, qu'il en était responsable, et que, comme maire de la commune, il était d'ailleurs autorisé à verbaliser, même contre un archevêque dilapidateur. J'arrivai pour mettre la paix; la scène était vive et des plus grotesques.

Quelques jours après, j'allai à confesse à mon curé de la Châtre, qui était un homme de belles manières, assez instruit et en apparence intelligent. Il me fit des questions qui ne blessaient en rien la chasteté, mais qui, selon moi, blessaient toute convenance et toute délicatesse. Je ne sais à quel cancan de petite ville il avait ouvert l'oreille. Il pensait que j'avais un commencement d'amour pour quelqu'un et voulait savoir de moi si la chose était vraie. «Il n'en est rien, lui répondis-je, je n'y ai même pas songé. — Cependant, reprit-il, on assure...»

Je me levai du confessional sans en écouter davantage et saisie d'une indignation irrésistible: «Monsieur le curé, lui dis-je, comme personne ne me force à venir me confesser tous les mois, pas même l'Église qui ne me prescrit que les sacremens annuels, je ne comprends pas que vous doutiez de ma sincérité. Je vous ai dit que je ne connaissais pas seulement par la pensée le sentiment que vous m'attribuez. C'était trop répondre déjà. J'eusse dû vous dire que cela ne vous regardait pas.

— Pardonnez-moi, reprit-il d'un ton hautain, le confesseur doit interroger les pensées, car il en est de confuses qui peuvent s'ignorer elles-mêmes et nous égarer!

— Non, monsieur le curé, les pensées qu'on ignore n'existent pas. Celles qui sont confuses existent déjà, et peuvent être cependant si pures qu'elles n'exigent pas qu'on s'en confesse. Vous devez croire ou que je n'ai pas de pensées confuses, ou qu'elles ne causent aucun trouble à ma conscience, puisque avant votre interrogatoire je vous avais dit la formule qui termine la confession.

— Je suis fort aise, répliqua-t-il, qu'il en soit ainsi. J'ai toujours été édifié de vos confessions; mais vous venez d'avoir un mouvement de vivacité qui prend sa source dans l'orgueil, et je vous engage à vous en repentir et à vous en accuser ici même, si vous voulez que je vous donne l'absolution.

— Non, monsieur, lui répondis-je. Vous êtes dans votre tort, et vous avez causé le mien dont je vous avoue n'être pas disposée à me repentir dans ce moment-ci.»

Il se leva à son tour et me parla avec beaucoup de sécheresse et de colère. Je ne répondis rien. Je le saluai et ne le revis jamais. Je n'allai même plus à la messe à sa paroisse.

A l'heure qu'il est, je ne sais pas encore si j'ai eu tort ou raison de rompre ainsi avec un très honnête homme et un très bon prêtre. Puisque j'étais chrétienne et croyais devoir pratiquer encore le catholicisme, j'aurais dû, peut-être, accepter avec l'esprit d'humilité le soupçon qu'il m'exprimait. Cela ne me fut point possible, et je ne sentis aucun remords de ma fierté. Toute la pureté de mon être se révoltait contre une question indiscrète, imprudente et selon moi étrangère à la religion. J'aurais tout au plus compris les questions de l'amitié, hors du confessional, dans l'abandon de la vie privée; mais cet abandon n'existait pas entre lui et moi. Je le connaissais fort peu, il n'était pas très vieux, et, en outre, il ne m'était pas sympathique. Si j'avais eu quelque chaste confidence à faire, je ne voyais pas de raison pour m'adresser à lui, qui n'était pas mon directeur et mon père spirituel. Il me semblait donc vouloir usurper sur moi une autorité morale que je ne lui avais pas donnée, et cet essai maladroit, au beau milieu d'un sacrement où je portais tant d'austérité d'esprit, me révolta comme un sacrilége. Je trouvai qu'il avait confondu la curiosité de l'homme avec la fonction du prêtre. D'ailleurs, l'abbé de Prémord, scrupuleux gardien de la sainte innocence des filles, m'avait dit: On ne doit point faire de questions, je n'en fais jamais, et je ne pouvais, je ne devais jamais avoir foi en un autre prêtre que celui-là.

Il m'était impossible de songer à me confesser à mon vieux curé de Saint-Chartier. J'étais trop intime, trop familière avec lui. J'avais trop joué avec lui dans mon enfance; je lui avais fait trop de niches, et je le sentais aussi incapable de me diriger que je l'étais de m'accuser à lui sérieusement. J'allais à sa messe: en sortant, je déjeûnais avec lui, il essuyait lui-même, bon gré, mal gré, mes souliers crottés. J'étais obligée de lui retenir le bras pour l'empêcher de boire, parce qu'il me ramenait en croupe sur sa jument. Il me racontait ses peines de ménage, les colères de sa gouvernante; je les grondais tous deux, tour à tour, de leurs mauvais caractères. Il n'y avait pas moyen de changer de pareilles relations, ne fût-ce qu'une heure par mois, au tribunal de la pénitence. Je savais, par mon frère et par mes petites amies de campagne, comment il écoutait la confession. Il n'en entendait pas un mot, et comme ces enfans espiègles s'accusaient par moquerie des plus grandes énormités, à toutes choses il répondait: «Très bien, très bien. Allons! est-ce bientôt fini?»

Je n'aurais pu me débarrasser de ces souvenirs, et comme je sentais bien la dévotion catholique me quitter jour par jour, je ne voulais pas m'exposer à la voir partir tout d'un coup, malgré moi, sans me sentir fondée par quelque raison vraiment sérieuse à l'abjurer volontairement.

Je n'avais jamais fait maigre les vendredis et samedis chez ma grand'mère. Elle ne le voulait pas. L'abbé de Prémord m'avait recommandé d'avance de me soumettre à cette infraction à la règle. Ainsi peu à peu j'arrivai à ne pratiquer que la prière, et encore était-elle presque toujours rédigée à ma guise.

Chose étrange ou naturelle, jamais je ne fus plus religieuse, plus enthousiaste, plus absorbée en Dieu qu'au milieu de ce relâchement absolu de ma ferveur pour le culte. Des horizons nouveaux s'ouvraient devant moi. Ce que Leibnitz m'avait annoncé, l'amour divin redoublé et ranimé par la foi mieux éclairée, Jean-Jacques me l'avait fait comprendre, et ma liberté d'esprit, recouvrée par ma rupture avec le prêtre, me le faisait sentir. J'éprouvai une grande sécurité, et de ce jour les bases essentielles de la foi furent inébranlablement posées dans mon âme. Mes sympathies politiques, ou plutôt mes aspirations fraternelles, me firent admettre, sans hésitations et sans scrupule, que l'esprit de l'Église était dévié de la bonne route et que je ne devais pas le suivre sur la mauvaise. Enfin, je m'arrêtai à ceci: que nulle Église chrétienne n'avait le droit de dire: Hors de moi, point de salut.

J'ai entendu depuis des catholiques soutenir, ce que je voulais encore me persuader alors, à savoir: que cette sentence ne ressortait pas absolument des arrêts de l'Église papale. Je pense qu'ils se trompaient, comme j'avais essayé de me tromper moi-même. Mais en supposant qu'ils eussent raison, il faudrait conclure qu'il n'y a pas, qu'il n'y a jamais eu, qu'il ne pourra jamais y avoir d'orthodoxie, ni là, ni ailleurs. Du moment que Dieu ne repousse les fidèles d'aucune Église, le catholicisme n'existe plus. Qu'il paraisse encore excellent à un assez grand nombre d'esprits religieux, et qu'il soit décrété culte de la majorité des Français, je n'y fais aucune opposition de conscience; mais s'il admet lui-même qu'il ne damne pas les dissidens, il doit admettre la discussion, et nul pouvoir humain ne peut légitimement l'entraver, pourvu qu'elle soit sérieuse, tolérante, sincère et digne; car toute calomnie est une persécution, toute injure est un attentat contre lesquels les lois de tout pays doivent une protection impartiale à chacun et à tous.

 

Le jeune homme pour qui on m'avait supposé de l'inclination était un des ***. Je l'appellerai Claudius, du premier nom qui me tombe sous la main et que ne porte aucune personne à moi connue. Sa famille était une des plus nobles du pays et avait eu de la fortune. L'éducation de dix enfans avait achevé de ruiner les parens de Claudius. Quelques-uns avaient entaché leur blason par de grands désordres et une fin tragique. Trois fils restaient. Des deux aînés, je n'ai rien à dire qui ait rapport à cette phase de mon existence philosophique et religieuse. Le seul qui s'y soit trouvé mêlé indirectement, comme on l'a déjà vu, était le plus jeune.

Il était d'une belle figure et ne manquait ni de savoir, ni d'intelligence, ni d'esprit. Il se destinait aux sciences, où il a eu depuis une certaine notoriété. Pauvre à cette époque, encore plus par le fait de l'avarice sordide de sa mère que par sa situation, il se destinait à être médecin. De grandes privations et beaucoup d'ardeur au travail avaient ébranlé sa santé. On le croyait phthisique. Il en a été appelé: mais il est mort de maladie dans la force de l'âge.

Deschartres, qui avait été lié avec son père, et qui s'intéressait à un gentilhomme étudiant, me l'avait présenté et l'avait même engagé à me donner quelques leçons de physique. Je m'occupais aussi d'ostéologie, voulant apprendre un peu de chirurgie et d'anatomie par conséquent, pour seconder Deschartres, au besoin, dans les opérations où je pouvais être initiée, pour le remplacer même dans le cas de blessures peu graves. Il avait coupé des bras, amputé des doigts, remis des poignets, rafistolé des têtes fendues en ma présence et avec mon aide. Il me trouvait très adroite, très prompte et sachant vaincre la douleur et le dégoût quand il le fallait. De très bonne heure il m'avait habituée à retenir mes larmes et à surmonter mes défaillances. C'était un très grand service qu'il m'avait rendu que de me rendre capable de rendre service aux autres.

Ce Claudius apporta des têtes, des bras, des jambes dont Deschartres avait besoin pour me démontrer le point de départ. Il me les faisait dessiner d'après nature (le temps nous manqua pour aller plus loin que la théorie de la charpente osseuse). Un médecin de la Châtre nous prêta même un squelette de petite fille tout entier, qui resta longtemps étendu sur ma commode; et, à ce propos, je dois me rappeler et constater un effet de l'imagination qui prouve que toute femmelette peut se vaincre.

Une nuit, je rêvais que mon squelette se levait et venait tirer les rideaux de mon lit. Je m'éveillai, et le voyant fort tranquille à la place où je l'avais mis, je me rendormis fort tranquillement.

Mais le rêve s'obstina, et cette petite fille desséchée se livra à tant d'extravagances qu'elle me devint insupportable. Je me levai et la mis à la porte, après quoi je dormis fort bien. Le lendemain elle recommença ses sottises; mais cette fois je me moquai d'elle, et elle prit de parti de rester sage, pendant tout le reste de l'hiver, sur ma commode.

Je reviens à Claudius. Il était moins facétieux que mon squelette, et je n'eus jamais avec lui, à cette époque, que des conversations toutes pédagogiques. Il retourna à Paris, et, chargé par moi de m'envoyer une centaine de volumes, il m'écrivit plusieurs fois pour me donner des renseignemens et me demander mon goût sur le choix des éditions. Je voulais avoir à moi plusieurs ouvrages qui m'avaient été prêtés, une série de poètes que je ne connaissais pas, et divers traités élémentaires, je ne sais plus lesquels, dont Deschartres lui avait donné la liste.

Je ne sais pas s'il chercha des prétextes pour m'écrire plus souvent que de besoin: il n'y parut point jusqu'à une lettre très sérieuse, un peu pédante et pourtant assez belle, qui, je m'en souviens, commençait ainsi: «Ame vraiment philosophique, vous avez bien raison, mais vous êtes la vérité qui tue.»

Je ne me souviens pas du reste, mais je sais que j'en fus étonnée et que je la montrai à Deschartres en lui demandant, avec une naïveté complète, pourquoi de grands éloges sur ma logique étaient mêlés d'une sorte de reproche désespéré.

Deschartres n'était pas beaucoup plus expert que moi sur ces matières. Il fut étonné aussi, lui, relut, et me dit avec candeur: «Je crois bien que cela veut être une déclaration d'amour. Qu'est-ce que vous avez donc écrit à ce garçon?

— Je ne m'en souviens déjà plus, lui dis-je. Peut-être quelques lignes sur La Bruyère, dont je suis coiffée pour le moment. Cela lui sert de prétexte pour revenir, comme vous voyez, sur la conversation que nous avons eue tous les trois à sa dernière visite.

— Oui, oui, j'y suis, dit Deschartres. Vous avez prononcé, de par vos moralistes chagrins, de si beaux anathèmes contre la société, que je vous ai dit: «Quand on voit les choses si en noir, il n'y a qu'un parti à prendre, c'est de se faire religieuse! Vous voyez à quelles conséquences stupides cela mènerait un esprit aussi absolu que le vôtre. Claudius s'est récrié. Vous avez parlé de la vie de retraite et de renoncement d'une manière assez spécieuse, et à présent ce jeune homme vous dit que vous n'avez d'amour que pour les choses abstraites et qu'il en mourra de chagrin.

Espérons que non, répondis-je, mais je crois que vous vous trompez. Il me dit plutôt que mon détachement des choses du monde est contagieux, et qu'il tourne lui-même au scepticisme à cet endroit-là.»

La lettre relue, nous nous convainquîmes que ce n'était pas une déclaration, mais au contraire une adhésion à ma manière de voir, un peu trop solennelle, et du ton d'un homme qui se pose en philosophe vainqueur des illusions de la vie.

En effet, Claudius m'écrivit d'autres lettres où il s'expliqua nettement sur la résolution qui s'était faite en lui depuis qu'il me connaissait. J'étais à ses yeux un être supérieur qui avait d'un mot tranché toutes ses irrésolutions. Il n'y avait de but que la science; la médecine n'était qu'une branche secondaire; il voulait s'élever aux idées transcendantes, n'avoir pas d'autre passion, et demander aux sciences exactes le but de la création.

Ne cherchant plus de prétextes pour m'écrire, il m'écrivit souvent. Ses lettres avaient quelque valeur par leur sincérité froide et tranchante. Deschartres trouva que ce commerce d'esprit ne m'était pas inutile, et rien ne lui sembla plus naturel qu'une correspondance sérieuse entre deux jeunes gens qui eussent pu fort bien être épris l'un de l'autre, tout en se parlant de Malebranche et consorts.

Il n'en fut pourtant rien. Claudius était trop pédant pour ne pas trouver une sorte de satisfaction à ne pas être amoureux en dépit de l'occasion. J'étais trop étrangère à tout sentiment de coquetterie et encore trop éloignée de la moindre notion d'amour pour voir en lui autre chose qu'un professeur.

Ma vie s'arrangeait en cela, et en plusieurs autres points, pour une marche indépendante de tous les usages reçus dans le monde, et Deschartres, loin de me retenir, me poussait à ce qu'on appelle l'excentricité, sans que ni lui ni moi en eussions le moindre soupçon. Un jour, il m'avait dit: «Je viens de rendre visite au comte de... et j'ai eu une belle surprise. Il chassait avec un jeune garçon qu'à sa blouse et à sa casquette, j'allais traiter peu cérémonieusement, quand il m'a dit: «C'est ma fille. Je la fais habiller en gamin pour qu'elle puisse courir avec moi, grimper et sauter sans être gênée par des vêtemens qui rendent les femmes impotentes à l'âge où elles ont le plus besoin de développer leurs forces.»

Ce comte de *** s'occupait, je crois, d'idées médicales, et, à ses yeux, ce travestissement était une mesure d'hygiène excellente. Deschartres abondait dans son sens. N'ayant jamais élevé que des garçons, je crois qu'il était pressé de me voir en homme, afin de pouvoir se persuader que j'en étais un. Mes jupes gênaient sa gravité de cuistre, et il est certain que quand j'eus suivi son conseil et adopté le sarrau masculin, la casquette et les guêtres, il devint dix fois plus magister, et m'écrasa sous son latin, s'imaginant que je le comprenais bien mieux.

Je trouvai, pour mon compte, mon nouveau costume bien plus agréable pour courir, que mes jupons brodés qui restaient en morceaux accrochés à tous les buissons. J'étais devenue maigre et alerte, et il n'y avait pas si longtemps que je ne portais plus mon uniforme d'aide-de-camp de Murat, pour ne plus m'en souvenir.

Il faut se souvenir aussi qu'à cette époque les jupes sans plis étaient si étroites, qu'une femme était littéralement comme dans un étui, et ne pouvait franchir décemment un ruisseau sans y laisser sa chaussure.

Deschartres avait la passion de la chasse, et il m'y emmenait quelquefois à force d'obsessions. Cela m'ennuyait, justement à cause de la difficulté de traverser les buissons, qui sont multipliés à l'infini et garnis d'épines meurtrières dans nos campagnes. J'aimais seulement la chasse aux cailles avec le hallier et l'appeau dans les blés verts. Il me faisait lever avant le jour. Couchée dans un sillon, j'appelais, tandis qu'à l'autre extrémité du champ il rabattait le gibier. Nous rapportions tous les matins huit ou dix cailles vivantes à ma grand'mère, qui les admirait et les plaignait beaucoup, mais qui, ne se nourrissant que de menu gibier, m'empêchait de trop regretter le destin de ces pauvres créatures si jolies et si douces.

Deschartres, très affectueux pour moi et très occupé de ma santé, ne songeait plus à rien quand il entendait glousser la caille auprès de son filet. Je me laissais aussi emporter un peu à cet amusement sauvage de guetter et de saisir une proie. Aussi mon rôle d'appeleur consistant à être couchée dans les blés inondés de la rosée du matin, me ramena les douleurs aiguës dans tous les membres que j'avais ressenties au couvent. Deschartres vit qu'un jour je ne pouvais monter sur mon cheval et qu'il fallait m'y porter. Les premiers mouvemens de ma monture m'arrachaient des cris, et ce n'était qu'après de vigoureux temps de galop aux premières ardeurs du soleil que je me sentais guérie. Il s'étonna un peu et constata enfin que j'étais couverte de rhumatismes. Ce lui fut une raison de plus pour me prescrire les exercices violens et l'habit masculin qui me permettait de m'y livrer.

Ma grand'mère me vit ainsi et pleura. «Tu ressembles trop à ton père, me dit-elle. Habille-toi comme cela pour courir, mais rhabille-toi en femme en rentrant, pour que je ne m'y trompe pas, car cela me fait un mal affreux, et il y a des momens où j'embrouille si bien le passé avec le présent, que je ne sais plus à quelle époque j'en suis de ma vie.»

Ma manière d'être ressortait si naturellement de la position exceptionnelle où je me trouvais, qu'il me paraissait tout simple de ne pas vivre comme la plupart des autres jeunes filles. On me jugea très bizarre, et pourtant je l'étais infiniment moins que j'aurais pu l'être, si j'y eusse porté le goût de l'affectation et de la singularité. Abandonnée à moi-même en toutes choses, ne trouvant plus de contrôle chez ma grand'mère, oubliée en quelque sorte de ma mère, poussée à l'indépendance absolue par Deschartres, ne sentant en moi aucun trouble de l'âme ou des sens, et pensant toujours, malgré la modification qui s'était faite dans mes idées religieuses, à me retirer dans un couvent, avec ou sans vœux monastiques, ce qu'on appelait autour de moi l'opinion n'avait pour moi aucun sens, aucune valeur, et ne me paraissait d'aucun usage.

Deschartres n'avait jamais vu le monde à un point de vue pratique. Dans son amour pour la domination, il n'acceptait aucune entrave à ses jugemens, rapportant tout à sa sagesse, à son omnicompétence, infaillible à ses propres yeux,

Et comme du fumier regardant tout le monde,

excepté ma grand'mère, lui et moi; il ne riait pourtant pas comme moi de la critique. Elle le mettait en colère. Il s'indignait jusqu'à l'invective furibonde contre les sottes gens qui se permettaient de blâmer mon peu d'égards pour leurs coutumes.

Il faut dire aussi qu'il s'ennuyait. Il avait eu une vie extraordinairement active, dont il lui fallait retrancher beaucoup depuis la maladie de ma grand'mère. Il avait acheté, avec ses économies, un petit domaine à dix ou douze lieues de chez nous, où il allait autrefois passer des semaines entières. N'osant plus découcher, dans la crainte de retrouver sa malade plus compromise, il commençait à étouffer dans son embonpoint bilieux. Et puis, surtout, il était privé de la société de cette amie qui lui avait tenu lieu de tout ce qu'il avait ignoré dans la vie. Il avait besoin de s'attacher exclusivement à quelqu'un et de lui reporter l'admiration et l'engouement qu'il n'accordait à personne autre. J'étais donc devenue son Dieu, et peut-être plus encore que ma grand'mère ne l'avait jamais été, puisqu'il me regardait comme son ouvrage et croyait pouvoir s'aimer en moi comme dans un reflet de ses perfections intellectuelles.

 

Bien qu'il m'assommât souvent, je consentais à satisfaire son besoin de discuter et de disserter, en lui sacrifiant des heures que j'aurais préféré donner à mes propres recherches. Il croyait tout savoir, il se trompait. Mais comme il savait beaucoup de choses et possédait une mémoire admirable, il n'était pas ennuyeux à l'intelligence; seulement, il était fatiguant pour le caractère, à cause de l'exubérance de vanité du sien. Avec la figure la plus refrognée et le langage le plus absolu qui se puissent imaginer, il avait soif de quelques momens de gaîté et d'abandon. Il plaisantait lourdement, mais il riait de bon cœur quand je le plaisantais. Enfin il souffrait tout de moi, et tandis qu'il prenait en aversion violente quiconque ne l'admirait pas, il ne pouvait se passer de mes contradictions et de mes taquineries. Ce dogue hargneux était un chien fidèle, et, mordant tout le monde, se laissait tirer les oreilles par l'enfant de la maison.

Voilà par quel concours de circonstances toutes naturelles j'arrivai à scandaliser effroyablement les commères mâles et femelles de la ville de La Châtre. A cette époque, aucune femme du pays ne se permettait de monter à cheval, si ce n'est en croupe de son valet des champs. Le costume, non pas seulement du garçon pour les courses à pied, mais encore l'amazone et le chapeau rond, étaient une abomination: l'étude des os de mort, une profanation; la chasse, une destruction; l'étude, une aberration, et mes relations enjouées et tranquilles avec des jeunes gens, fils des amis de mon père, que je n'avais pas cessé de traiter comme des camarades d'enfance, et que je voyais, du reste, fort rarement, mais à qui je donnais une poignée de main sans rougir et me troubler comme une dinde amoureuse, c'était de l'effronterie, de la dépravation, que sais-je? Ma religion même fut un sujet de glose et de calomnie stupide. Était-il convenable d'être pieuse, quand on se permettait des choses si étonnantes? Cela n'était pas possible. Il y avait là-dessous quelque diablerie. Je me livrais aux sciences occultes. J'avais fait semblant une fois de communier, mais j'avais emporté l'hostie sainte dans mon mouchoir, on l'avait bien vu! J'avais donné rendez-vous à Claudius et à ses frères, et nous en avions fait une cible; nous l'avions traversée à coups de pistolet. Une autre fois j'étais entrée à cheval dans l'église, et le curé m'avait chassée au moment où je caracolais autour du maître-autel. C'était depuis ce jour-là qu'on ne me voyait plus à la messe et que je n'approchais plus des sacremens. André, mon pauvre page rustique, n'était pas bien net dans tout cela. C'était ou mon amant, ou une espèce d'appariteur, dont je me servais dans mes conjurations. On ne pouvait rien lui faire avouer de mes pratiques secrètes: mais j'allais la nuit dans le cimetière déterrer des cadavres avec Deschartres; je ne dormais jamais, je ne m'étais pas mise au lit depuis un an. Les pistolets chargés qu'André avait toujours dans les fontes de sa selle en m'accompagnant à cheval, et les deux grands chiens qui nous suivaient, n'étaient pas non plus une chose bien naturelle. Nous avions tiré sur des paysans, et des enfans avaient été étranglés par ma chienne Velléda. Pourquoi non? Ma férocité était bien connue. J'avais du plaisir à voir des bras cassés et des têtes fendues, et chaque fois qu'il y avait du sang à faire couler, Deschartres m'appelait pour m'en donner le divertissement.

Cela peut paraître exagéré. Je ne l'aurais pas cru moi-même, si, par la suite, je ne l'avais vu écrit. Il n'y a rien de plus bêtement méchant que l'habitant des petites villes. Il en est même divertissant, et quand ces folies m'étaient rapportées, j'en riais de bon cœur, ne me doutant guère qu'elles me causeraient plus tard de grands chagrins.

J'avais déjà subi, de la part de ces imbéciles, une petite persécution, dont j'avais triomphé. Au milieu de l'été, à l'époque où ma grand'mère était le mieux portante, j'avais dansé la bourrée sans encombre à la fête du village, en dépit de menaces qui avaient été faites contre moi à mon insu. Voici à quelle occasion:

Je voyais souvent une bonne vieille fille qui demeurait à un quart de lieue de chez moi, dans la campagne. C'était encore Deschartres qui m'y avait menée et qui la jugeait la plus honnête personne du monde. Je crois encore qu'il ne s'était pas trompé, car j'ai toujours vu cette bonne fille ou occupée de son vieux oncle, qui mourait d'une maladie de langueur et qu'elle soignait avec une piété vraiment filiale, ou vaquant aux soins de la campagne et du ménage avec une activité et une bonhomie touchantes. J'aimais son petit intérieur demi-rustique, tenu avec une propreté hollandaise, ses poules, son verger, ses galettes qu'elle tirait du four elle-même pour me les servir toutes chaudes. J'aimais surtout sa droiture, son bon sens, son dévoûment pour l'oncle et le réalisme de ses préoccupations domestiques, qui me faisait descendre de mes nuages et se présentait à moi avec un charme très pur et très bienfaisant.

Il lui vint une sœur qui me parut aussi très bonne femme, mais dont il plut aux moralistes de la ville de penser et de dire beaucoup de mal, j'ai toujours ignoré pourquoi, et je crois encore qu'il n'y avait pas d'autre raison à cela que la fantaisie de diffamation qui dévore les esprits provinciaux.

Il y avait une quinzaine de jours que cette sœur était au pays et je l'avais vue plusieurs fois. Elle me dit qu'elle viendrait à la fête de notre village; elle y vint, et je lui parlai comme à une personne que l'on connaît sous de bons rapports.

Ce fut une indignation générale, et on décréta que je foulais aux pieds, avec affectation, toutes les convenances. C'était une insulte à l'opinion des messieurs et dames de la ville. Je ne me doutais de rien. Quelqu'un de charitable vint m'avertir, et comme, en somme, on ne me disait contre cette femme rien qui eût le sens commun, je trouvai lâche de lui tourner le dos et continuai à lui parler chaque fois que je me trouvai auprès d'elle dans le mouvement de la fête.

Plusieurs garçons judicieux, artisans et bourgeois, prétendirent que je le faisais à l'exprès pour narguer le monde, et s'entendirent pour me faire ce qu'ils appelaient un affront, c'est-à-dire qu'ils ne me feraient pas danser. Je ne m'en aperçus pas du tout, car tous les paysans de chez nous m'invitèrent, et comme de coutume, je ne savais à qui entendre.

Mais il paraît que je risquais bien de n'avoir pas l'honneur d'être invitée par les gens de la ville, s'ils eussent été tous aussi bêtes les uns que les autres. Il se trouva que les premiers n'étaient pas en nombre, et que j'avais là des amis inconnus qui s'entendirent pour conjurer l'orage: entre autres, un tanneur à qui j'ai toujours su gré de s'être posé pour moi en chevalier dans cette belle affaire, quoique je ne lui eusse jamais parlé. Il se fit donc autour de lui un groupe toujours grossissant de mes défenseurs, et je dansai avec eux jusqu'à en être lasse, un peu étonnée de les voir si empressés autour de moi qui ne les connaissais pas du tout, tandis que Deschartres se promenait à mes côtés d'un air terrible.

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