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Correspondance, 1812-1876. Tome 3

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CCCXVI
A JOSEPH MAZZINI, A LONDRES

Nohant, 15 octobre 1850.

Mon ami,

Je n'ai pas subi d'influences, vous vous trompez. Je vis dans une retraite trop absolue pour cela. Je vous ai refusé avant d'avoir reçu un mot de Louis Blanc, et, entre ma première et ma seconde lettre à vous, je n'ai rien reçu de lui qui ait pu agir sur ma résolution.

Louis Blanc n'a pas refusé, que je sache, son concours à l'oeuvre du Proscrit. C'est vous qui me disiez qu'il voulait rester en dehors, et, d'après lui, on ne l'aurait même pas consulté. Il ne résulte point de sa lettre à moi qu'il soit décidé à se séparer hautement de cette nuance du parti. Il me semble au contraire, que, si on l'avait bien voulu, il s'y serait joint, tout en faisant loyalement ses réserves quant à l'avenir. La doctrine de l'abstention, si on peut appeler ainsi ce que je vous disais, m'est toute personnelle, et, si je l'ai attribuée à Louis Blanc, c'est en réponse à ce que vous me disiez de lui. Vous êtes plus près de lui que moi, pour connaître ses intentions et ses dispositions. Faites donc un effort pour le rapprocher de votre centre d'action, si vous le jugez utile, et qu'il se prononce.

Il me dit, et je le connais sincère et ferme, qu'il saura toujours mettre de côté les questions personnelles devant l'accomplissement d'un devoir. Qu'il juge donc lui-même de son devoir politique. Là, je ne suis point compétente. S'il connaissait comme moi l'antipathie de Ledru-Rollin pour ses idées et pour sa personne, il n'agirait jamais de concert avec lui en quoi que ce soit. Mais ce n'est pas moi qui me charge de répéter ce que j'entends. Vous trouveriez d'ailleurs que c'est une misérable chose que de se soucier de cela; moi aussi, au point de vue de la rancune d'amour-propre. Mais, au point de vue de la raison, je ne concevrais guère qu'il soit dans la logique du devoir de se jeter dans un filet qui vous attend pour vous étrangler.

Or l'entourage de Ledru attend celui de Louis Blanc pour lui rendre cet office. Ce qui est arrivé arrivera.

Vous pensez, mon ami, que je vois trop la question de personnes; mais enfin les personnes représentent des principes, et, vous-même, vous voyez bien que vous êtes arrêté devant Louis Blanc par une formule. Il dit: A chacun suivant ses besoins. C'est le premier terme d'une formule triple bien simple, et qui est dans l'esprit de chacun. Vous admettez le second terme: A chacun suivant ses oeuvres.

Le troisième sera celui des saint-simoniens, qui ne valait rien, isolé et exclusif, mais qui a sa valeur et son droit, joint aux deux autres: A chacun suivant sa capacité.

Oui, je crois qu'il faut admettre ces trois termes pour arriver à un résumé complet de la doctrine sociale. Mais je ne vois pas que Louis Blanc, qui s'est attaché particulièrement à la première question, se soit prononcé contre les deux autres, et je crois cette première indispensable pour que les deux autres puissent exister. A l'homme épuisé, mourant de misère, d'ignorance et d'abrutissement, il faut le pain avant tout. Tant qu'on ne voudra s'occuper du pain qu'après tout le reste, l'homme mourra au physique et au moral. Je ne vois pas, d'ailleurs, dans la formule simple de Louis Blanc une solution matérialiste.

Qu'on développe et qu'on dise: «A chacun suivant les besoins de son estomac, de son coeur et de son intelligence.» Ou bien: «A chacun selon son appétit, sa conscience et son génie.» C'est toujours la même chose.

Ici, je suis d'accord avec Leroux, qui est parti de là pour composer un étrange système de triade où mon intelligence ne peut le suivre.

Vous voyez bien que je ne suis pas plus en désaccord de principes avec vous qu'avec Louis Blanc, et je ne saisis pas même le combat que ces formules, posées d'une manière ou de l'autre, peuvent se livrer dans votre esprit ou dans le sien. Ou je ne suis pas assez intelligente pour le comprendre, ou la différence est imaginaire et tient à des préventions toutes politiques, ou bien encore vous ne vous êtes pas assez interrogés et compris l'un l'autre. C'est le défaut des formules. Il y a un moment où le sentiment général, étant un, les admet comme l'expression d'une vérité irréfutable dans la pratique; mais, tant qu'elles planent dans la sphère des discussions métaphysiques, elles prennent, pour les divers esprits, diverses significations mystérieuses, et on se dispute sur des mots sans tomber d'accord sur l'idée. Toutes les fois que j'ai entendu démolir Louis Blanc, c'est au moyen d'inductions qui n'étaient nullement, selon moi, la déduction de ses formules.

Quant à moi, je vous avoue que je suis si lasse, si ennuyée, si fatiguée, si affligée de voir les faits entravés toujours par des mots, et le fond sacrifié à la forme, que je ne m'occupe plus du tout des formules, et que, si j'en avais trouvé une, j'en ferais bien bon marché. Ce qui m'occupe aujourd'hui, ce qui fait que vous me croyez en dissidence avec vous quand je ne pense pas y être, c'est le caractère, l'intuition, la volonté des hommes; je me demande à quel but ils marchent, et cela me suffit. Eh bien, on crée un centre, on lui donne un journal, un manifeste pour organe.

Votre manifeste est beau et juste, à ce qu'il me semble. S'il était isolé, je ne ferais pas de réserves; mais il est encadré par un groupe, qui croit devoir s'en prendre au socialisme de Louis Blanc de l'impuissance politique et sociale du gouvernement provisoire. Pour moi, ce groupe se trompe. Ce groupe met à sa tête un homme que j'estime comme particulier, auquel je ne crois pas comme homme politique; et, avec cela, on se prononce assez ouvertement contre un homme au caractère duquel je crois fermement; ma conscience me défend de joindre ma signature à ces signatures.

Il y a plus, Louis Blanc y apporterait la sienne, que je ne le suivrais pas, parce que je sais des choses qu'il ne sait peut-être pas, parce que je me souviens de choses que je ne dois pas dire, les ayant surprises au laisser-aller de l'intimité.

Aimez-moi donc comme si de rien n'était, mon ami, et, de ce que je ne fais pas un acte que vous me conseillez de faire, n'y voyez pas une différence de sentiments et de principes: voyez-y seulement une manière différente d'apprécier un fait passager.

Ce qui me fait rester calme devant vos tendres reproches, c'est la profonde conviction que, si vous étiez moi, vous feriez ce que je fais.

Il y a plus, si vous étiez à ma place, vous seriez communiste comme je le suis, ni plus ni moins, parce que je crois que vous n'avez jugé le communisme que sur des oeuvres encore incomplètes, quelques-unes absurdes et repoussantes, dont il n'y a pas même à se préoccuper. La vraie doctrine n'est pas exposée encore et ne le sera peut-être pas de notre vivant. Je la sens profondément dans mon coeur et dans ma conscience, il me serait impossible probablement de la définir, par la raison qu'un individu ne peut pas marcher trop en avant de son milieu historique, et que, eussé-je la science et le talent qui me manquent, je n'aurais pas pour cela la divine clef de l'avenir. Tant de progrès paraissent impossibles qui seront tout simples dans un temps moins reculé que nous ne pensons! Mon communisme suppose les hommes bien autres qu'ils ne sont, mais tels que je sens qu'ils doivent être.

L'idéal, le rêve de mon bonheur social, est dans des sentiments que je trouve en moi-même, mais que je ne pourrais jamais faire entrer par la démonstration dans des coeurs fermés à ces sentiments-là. Je suis bien certaine que, si je fouillais au fond de votre âme, j'y trouverais le même paradis que je trouve dans la mienne. Je dis avec vous que c'est irréalisable quant à présent; mais la tendance qui y entraîne les hommes malgré eux, et dont quelques-uns se rendent compte, dès à présent plus ou moins bien, comment et pourquoi la maudire et la repousser?

Bonsoir, ami; la nuit vient, et je ne veux point discuter davantage. Je ne crois pas qu'il en soit besoin, vous me connaissez et me comprenez de reste. Si nous ne marchons point du même pas, je crois que c'est toujours sur le même chemin que nous sommes; seulement vous faites une étape, à laquelle je ne crois pas devoir m'arrêter. Vous me retrouverez non loin, et, si votre tentative a été heureuse, que Dieu en soit béni, et vous aussi.

GEORGE.

CCCXVII
A M. SULLY-LÈVY, ARTISTE DRAMATIQUE, À PARIS

Nohant, 18 novembre 1850.

Je vous remercie de votre bon souvenir, mon cher enfant, et vous remercie encore de votre obligeance pour nous. Je compte bien que ce ne sera pas la dernière fois que nous la mettrons à l'épreuve, et que cela me fournira l'occasion de vous être utile autant que je le désire.

Pour le moment, mon pouvoir n'est pas grand à la Porte-Saint-Martin, puisque, après y avoir trouvé peu de bonne grâce pour engager les acteurs indispensables à ma pièce, j'ai été forcée de me retourner vers un autre théâtre. Et je ne sais pas encore auquel Hetzel se sera fixé. Si ce ministère continue, j'aurai toujours de la peine à faire de l'art comme je l'entends; car partout je trouve des gens que mon nom épouvante et des influences qui me traversent. N'importe, j'arriverai par la patience; Je suis en pourparler au Vaudeville pour notre Nello16.

Si j'y peux quelque chose, est-il entendu que vous aimeriez à jouer sur ce théâtre et dans cette pièce? Je pense aller bientôt à Paris; fixez vos désirs sur quelque point, et j'espère que je pourrai vous aider à les réaliser.

 

Je vous ai promis une lettre pour Rachel. Je vous l'envoie; c'est elle qui pourrait tout, si elle voulait.

Tout le monde désire vous revoir et s'applaudit de vous connaître, et moi, à la tête de ma troupe d'enfants, je vous serre les mains, de tout mon coeur.

Nous rejouons demain Nello avec le troisième acte tout refait. C'est le vieux Frantz qui fait votre rôle.

CCCXVIII
M. ARMAND BARBÈS, A BELLE-ISLE-EN-MER

Nohant, 28 novembre 1850.

De quoi donc vous alarmez-vous ainsi, mon ami? Vraiment; vous êtes le seul en France, à croire qu'un soupçon sur votre compte soit possible. Tout le monde voit ici la vérité; elle est trop grossière de la part du pouvoir pour imposer même aux esprits les plus bornés. C'est une exception en votre faveur, c'est-à-dire une aggravation de peine. Ce pouvoir, eût-il eu l'infâme pensée de vouloir vous exposer aux méfiances de vos frères, n'a ici qu'une déception dont la honte retombe sur lui. J'avoue que je rougirais pour vous d'avoir à vous défendre contre de si fantastiques apparences. Non, non, il est des hommes placés trop haut pour qu'un plaidoyer en leur faveur ne soit pas une sorte d'outrage gratuit, La France entière me répondrait dans son coeur: «De quoi vous mêlez-vous?» Vos ennemis eux-mêmes souriraient des perplexités de votre grande âme et de mon indiscrète sollicitude pour une réputation que nul ne peut atteindre, et que, dans l'avenir comme dans le présent, le monde entier honore ou subit. Les méchants la subissent avec rage, ils s'en vengent en vos qualifiant de jacobin. Eh bien, ceci ne vous fâche pas, puisque vous savez ce que cela signifie dans leur appréciation. Quant à la trahison, je vous assure qu'ils n'ont pas même espéré le faire croire. Ils ont voulu vous séparer des autres victimes pour ôter peut-être au reste de l'hécatombe le prestige qui s'attachait à votre nom.

Calmez-vous, mon frère; vous êtes trop modeste, trop humble de croire à une atteinte possible portée à votre caractère. S'il existe dans les murs de Belle-Isle, s'il a existé dans ceux de Doullens des esprits assez malades, des coeurs assez aigris pour vous accuser (et cela même, j'en doute), soyez certain que ces hallucinations de la souffrance et de la colère n'ont pas dépassé le mur des cachots où elles sont trop expiées. Mais vous, homme fort, ne vous laissez pas amoindrir, dans le sanctuaire de votre raison supérieure, par des illusions du même genre. Ne croyez pas que la plainte amère et folle qui pourrait sortir contre vous de ces tristes murs aurait le moindre écho en France. Souvenez-vous que vous êtes notre force, à nous, et que vous seul pourriez nous l'ôter, en doutant de vous-même. Soyez tranquille, si une insulte parlait de je ne sais quels bourbiers de la réaction, nous ne la laisserions pas passer, et, tout en la méprisant, nous l'écraserions. Mais cette insulte ne viendra pas, et nous ne devons même pas supposer qu'elle puisse venir; ce n'est pas quand il s'agit de vous qu'il faut aller au-devant d'un semblant de soupçon.

Vous avez dû recevoir une lettre de Louis Blanc et une de Landolphe que je vous ai fait passer par M. P… Soutenez les vivants dans leur lutte, vous qui êtes déjà à moitié dans le ciel. Et que ce calme de la tombe illustre où l'on vous tient enfermé vous conserve comme Jésus dans la sienne. Songez à en sortir vivant et fort; car le jour viendra de lui-même, et nous aurons encore besoin de vous dans le monde des souffrances et des passions.

Donnez-moi de vos nouvelles. Je crains que vous ne soyez réellement malade sans vouloir l'avouer, et que tout cela ne soit le résultat très naturel et très impartial d'une consultation de médecins. Vous avez peut-être été assez malade à ce moment-là pour qu'on n'ait pas voulu prendre la responsabilité d'aggraver trop votre état par le transfèrement. Je ne crois pas que personne ait demandé grâce pour vous. Ce ne pourrait être qu'un ami maladroit; mais c'est fort invraisemblable qu'on vous aime et qu'on agisse malgré vous. L'inquiétude que j'éprouve a saisi tout le monde. Rassurez-nous. Conservez-vous. Il le faut, et pour la cause et pour ceux qui, comme moi, vous chérissent de toute leur âme.

GEORGE.

CCCXIX
A JOSEPH MAZZINI, A LONDRES

Nohant, novembre 1850.

Mon ami,

Je vous envoie la lettre que vous m'avez ordonnée pour miss Hays. Je suis bien paresseuse pour répondre à toutes ces formules qui s'adressent au nom plus qu'à l'âme, et j'y réponds si bêtement, que je ferais mieux de me taire. Mais vous l'avez voulu, et, comme je donnerais mon sang pour vous, je ne me fais pas un mérite die répandre un peu d'encre. Cela me fait penser que vous ne m'avez jamais demandé d'écrire à madame Ashurst, et que, celle-là, vous la nommez toujours votre amie. Elle doit donc être meilleure que toutes les autres, et, en ce cas; parlez-lui de moi et dites-lui pour moi tout ce que je ne sais pas écrire. Vous le lui direz mieux et elle le comprendra. Ce que vous estimez, ce que vous aimez, je l'aime et je l'estime aussi. Quant à l'honorable John Minter Morgan, je lui fais un grand salut; mais, en parcourant son ouvrage, je suis tombée sur un éloge si naïf de M. Guizot et du King of the French, que je n'ai pu m'empêcher de rire.

C'est assez vous parler des autres. Permettez-moi de vous parler de vous et de vous dire tout bonnement ce que j'en pense, à présent que je vous ai vu. C'est que vous êtes aussi bon que vous êtes grand, et que je vous aime pour toujours. Mon coeur est brisé, mais les morceaux en sont encore bons, et, si je dois succomber physiquement à mes peines avant de vous retrouver, du moins j'emporterai dans ma nouvelle existence, après celle-ci, une force qui me sera venue de vous. Je suis fermement convaincue que rien de tout cela ne se perd, et qu'à l'heure de mon agonie, votre esprit visitera le mien, comme il l'avait déjà fait plusieurs fois avant que nous eussions échangé aucun rapport extérieur.

Tout ce que vous m'avez dit sur les vivants et sur les morts est bien vrai, et c'est ma foi que vous me résumiez. A présent que vous êtes parti, quoique nous ne nous soyons guère quittés pendant ces deux jours, je trouve que nous ne nous sommes pas assez parlé! Moi surtout, je me rappelle tout ce que j'aurais voulu vous demander et vous dire. Mais j'ai été un peu paralysée par un sentiment de respect que vous m'inspirez avant tout. Croyez pourtant que ce respect n'exclut pas la tendresse, et que, excepté votre mère, personne n'aura désormais des élans plus fervents envers vous et pour vous.

J'espère que vous me donnerez de vos nouvelles de Paris, si vous en avez le temps. Je suis en dehors des conditions de l'activité, je ne puis rien pour vous, que vous aimer; mais Dieu écoute ces prières-là, et elles ne sont pas sans fruit.

Adieu, mon frère; quand vous souffrez, pensez à moi et appelez mon âme auprès de la vôtre. Elle ira.

Ma famille d'enfants et d'amis vous envoie ses voeux sincères.

GEORGE.

CCCXX
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHÂTRE

Nohant, décembre 1850.

Mes enfants, envoyez-moi deux objets dont j'ai le plus pressant besoin: une dinde et Muller17.

Une dinde! la meilleure que vous aurez, morte ou vive! il nous arrive des truffes; mais on va aux épinettes, pas de dinde! on va dans le village, pas de dinde! Il faudrait attendre à samedi pour n'en pas trouver de bonne, peut-être. Envoyez-nous ce que vous aurez, et, quand les truffes auront suffisamment parfumé l'intérieur de ladite volaille, venez la manger avec nous. Je crois que, par ce temps humide, trois jours seront le maximum. Nous sommes à jeudi: venez donc samedi ou dimanche; qu'Eugénie fixe elle-même, d'après ses notions culinaires, le jour convenable.

Muller! J'ai besoin tout de suite de lui pour remettre au net la chanson du père Rémy et d'autres airs berrichons; Bocage attend. On va jouer Claudie à la Porte-Saint-Martin: grands acteurs, peut-être Bocage, traité superbe pour moi, etc.; enfin, ça paraît lancé.

Vite Muller! vite la dinde! j'envoie le cabriolet pour l'un et pour l'autre.

Je vous embrasse,

GEORGE

Pouvez-vous me renvoyer ce que vous avez lu des Mémoires?

CCCXXI
A JOSEPH MAZZINI, A LONDRES

Nohant, 24 décembre 1850.

Mon ami,

Je crois que je vais vous faire plaisir en vous disant Qu'on a retrouvé, dans un coin de la chambre que vous avez habitée ici, une bague qui doit vous appartenir et vous être chère. Si j'en juge par la devise: Ti conforti amor materno, ce doit être un don de votre mère, et vous croyez sans doute l'avoir perdue. Je l'ai serrée précieusement, et, quand vous m'indiquerez une occasion sûre, je vous l'enverrai. Faut-il, en attendant, la faire remettre à M. Accursi?

J'ai reçu votre lettre au pape, elle est fort belle. Mais votre voix sera-t-elle écoutée? N'importe, après tout! D'autres que le pape liront cette lettre et ranimeront leur zèle et leur patriotisme pour entraîner ou combattre le zèle ou la tiédeur des princes. Les bonnes pensées sont déjà de bonnes actions, et vous n'avez que de ces pensées-là.

Je suis vivement touchée de tout ce que vous me dites de bon et d'affectueux de la part de vos amies. Remerciez-les pour moi de leur affectueuse hospitalité. J'y répondrais avec empressement si j'étais libre. Mais, avant de l'être, il faut que je passe toute une année dans les chaînes. J'ai conclu un marché, un véritable marché, pour travailler un an entier et recevoir une somme. Je jouissais depuis quelques années d'une sorte d'indépendance; mais, l'âge d'établir les enfants étant venu, et, moi n'ayant jamais su épargner en refusant d'assister autant de gens qu'il m'était possible, je me suis vue dans la nécessité de penser sérieusement au prix matériel du travail de l'art. Comme, au reste, ce travail dont je vous ai parlé me plaît18 et était depuis longtemps un besoin moral pour moi, j'aurais mauvaise grâce à me plaindre, tandis que des millions d'hommes accomplissent des travaux rebutants et antipathiques pour une rétribution insuffisante à leurs premiers besoins. Je regarde même ce que je fais, au point de vue de l'argent, comme un devoir que je continue à remplir pour soulager des gens plus pauvres que moi, puisque, jusqu'à ce jour, je leur ai tout donné, sans penser à ma propre famille; et, pour cela, je suis blâmée par les esprits positifs. Je vais donc réparer mes fautes, qui n'étaient pourtant pas grandes, à mon sens, puisque j'avais réussi à donner cent cinquante mille francs à ma fille. Et il me semblait qu'avec cela on pouvait vivre.

Tout cela n'est rien, mon ami; c'est pour vous dire seulement que je ne bougerai pas de ma campagne que je n'aie accompli ma tâche et satisfait à toutes les exigences justes ou injustes. Je me porte bien maintenant, et, si je suis triste, du moins, je suis calme. J'ai appris à être gaie à la surface; ce qui, en France, à l'heure qu'il est, est comme une question de savoir-vivre. Quelle étrange époque que celle où tout est sur le point de se dissoudre de fond en comble, et où c'est être blessant et cruel de s'en apercevoir!

Parlez-moi de temps en temps, mon ami. Votre voix me soutiendra, et la vibration en est restée dans mon coeur bien pure et bien consolante. Vous, vous n'avez pas besoin qu'on vous recommande le courage et la patience, vous en avez pour nous tous. Vous avez besoin d'être aimé, parce que c'est un besoin des âmes complètes, et comme un instinct de justice religieuse qui leur fait demander aux autres l'échange de ce qu'elles donnent. Comptez que, pour ma part, je suis portée autant par la sympathie que par le devoir à vous aimer comme un frère.

A vous,

G. S.

16Joué au théâtre de l'Odéon, sous le titre de Maître Faville.
17Muller Strubing, réfugié politique, savant musicien, qui était en ce moment l'hôte de la famille Duvernet.
18Il s'agissait de ses Mémoires.

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