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Correspondance, 1812-1876. Tome 1

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CXLII
A M. FRANZ LISZT, A GENÈ

La Châtre, 5 mai 1836.

Mon bon enfant et frère,

Je vous prie de me pardonner mon énorme silence. J'ai été bien agitée et terriblement occupée depuis que je ne vous ai écrit. Mon procès a été gagné; puis l'adversaire, après avoir engagé son honneur à ne pas plaider, s'est mis à manquer de parole et à oublier sa signature et son serment, comme des bagatelles qui ne sont plus de mode. Si la possession de mes enfants et la sécurité de ma vie n'étaient en jeu, vraiment ce ne serait pas la peine de les défendre au prix de tant d'ennuis. Je combats par devoir plutôt que par nécessité.

Voilà les raisons de mon long silence. J'attendais toujours que mon sort fût décidé pour vous dire le présent et l'avenir. De lenteur en lenteur, la chère Thémis m'a conduite jusqu'à ce jour, sans que je puisse rien fixer pour le lendemain. Je serais depuis longtemps près de vous, sans tous ces déboires. C'est mon rêve, c'est l'Eldorado que je me fais quand je puis avoir, entre le procès et le travail, un quart d'heure de rêvasserie. Pourrai-je entrer dans ce beau château en Espagne? Serai-je quelque jour assise aux pieds de la belle et bonne Marie, sous le piano de Votre Excellence, ou sur quelque roche suisse, avec l'illustre docteur Ratissimo?

Hélas! je suis un pauvre diable bien misérable! J'ai toujours vécu le nez en l'air, le nez dans les étoiles, tandis que le puits était à mes pieds, et qu'un tas de myrmidons crottés, criards, haineux je ne sais de quoi, en fureur je ne sais pourquoi, tâchaient de m'y faire rouler. Espérons!

Si vous ne partez qu'à la fin de juin, peut-être pourrai-je encore vous aller trouver et passer quelques jours avec vous; après quoi, vous vous envolerez pour l'Italie, heureux oiseau à qui l'on n'arrache pas méchamment et cruellement les ailes; et moi, plus éclopée et plus modeste, j'irai m'asseoir sur la rive de quelque petit lac de poche, pour y dormir le reste de la saison.

J'ai été à Paris passer un mois, j'y ai vu tous mes amis: Meyerbeer, sur qui j'écris assez longuement à l'heure qu'il est (j'adore les Huguenots); madame Jal110, pour qui j'ai eu le bonheur de faire quelque chose; votre mère, qui a eu la bonté de venir m'embrasser; Henri Heine, qui tombe dans la monomanie du calembour, etc., etc. Je n'ai pas vu Jules Janin et je ne sais pas s'il a écrit contre moi. C'est vous qui me l'apprenez; je n'irai pas aux informations. J'ai le bonheur de ne pas lire de journaux et de ne pas en entendre parler.

Je ne comprends rien à Sainte-Beuve. Je l'ai aimé, fraternellement. Il a passé sa vie à me vexer, à me grogner, à m'épiloguer et à me soupçonner; si bien que j'ai fini par l'envoyer au diable. Il s'est fâché, et nous sommes brouillés, à ce qu'il paraît. Je crois qu'il ne se doute pas de ce que c'est que l'amitié, et qu'il a, en revanche, une profonde connaissance de l'amour de soi-même, pour ne pas dire de soi seul.

Jocelyn est, en somme, un mauvais ouvrage. Pensées communes, sentiment faux, style lâché, vers plats et diffus, sujet rebattu, personnages traînant partout, affectation jointe à la négligence; mais, au milieu de tout cela, il y a des pages et des chapitres qui n'existent dans aucune langue et que j'ai relus jusqu'à sept fois de suite en pleurant comme un âne. Ces endroits sont faciles à noter; ce sont tous ceux qui ont rapport au sentiment théosophique, comme disent les phrénologues. Là, le poète est sublime; la description, souvent diffuse, vague et trop chatoyante, est, en certains endroits, délicieuse. En somme, il est fâcheux que Lamartine ait fait Jocelyn, et il est heureux pour l'éditeur que Jocelyn ait été fait par Lamartine.

J'ai fait connaissance avec lui. Il a été très bon pour moi. Nous avons fumé ensemble dans un salon qui est extrêmement bonne compagnie, mais où on me passe tous mes caprices; il m'a donné de bon tabac et de mauvais vers. Je l'ai trouvé excellent homme, un peu maniéré et très vaniteux. J'ai fait aussi connaissance avec Berryer, qui m'a semblé beaucoup meilleur garçon, plus simple et plus franc, mais pas assez sérieux pour moi; car je suis très sérieuse, malgré moi et sans qu'il y paraisse.

Je me suis brouillée avec madame A…, qui est une bavarde. J'ai fait connaissance et amitié avec David Richard111. Il y a entre nous deux liens: l'abbé de Lamennais, que j'adore, comme vous savez, et Charles Didier, qui est mon vieux et fidèle ami. A propos, vous me demandez ce qui en est d'une nouvelle histoire sur mon compte, où il jouerait un rôle?—Je ne sais ce que c'est. Que dit-on?—Ce qu'on dit de vous et de moi. Vous savez comme c'est vrai; jugez du reste. Beaucoup de gens disent à Paris et en province que ce n'est pas madame d'… qui est à Genève avec vous, mais moi. Didier est dans le même cas que vous, à l'égard d'une dame qui n'est pas du tout moi.

Je n'ai pas vu madame Montgolfier. Elle m'a écrit et m'a envoyé votre lettre. Je lui répondrai à Lyon, je n'en ai pas encore eu le temps.

Cette lettre de vous est la troisième à laquelle je n'avais pas encore répondu. Je vous en donne aujourd'hui pour votre argent.—Bonjour! il est six heures du matin. Le rossignol chante, et l'odeur d'un lilas arrive jusqu'à moi par une mauvaise petite rue tortueuse, noire et sale, que j'habite au sein de la jolie ville de la Châtre, sous-préfecture recommandable, où ma pauvre poésie se bat les flancs contre l'atmosphère mortelle. Si vous voyiez ce séjour, vous ne comprendriez pas que je m'en accommode; mais j'y ai de bons amis, des hôtes excellents, et, à deux pas de la ville, des promenades charmantes, une Suisse en miniature.

Adieu, cher Franz. Dites à Marie que je l'aime, que c'est à son tour de m'écrire; au docteur Ratto, qu'il est un pédant, parce qu'il ne m'écrit pas. Vous, je vous embrasse de coeur.

J'oubliais de vous dire que j'ai fait un roman en trois volumes in-octavo, rien que ça! Je ne peux pas le faire paraître avant la fin de mon procès, parce qu'il est trop républicain. Buloz, qui l'a payé, enrage112.—Vous, qu'est-ce que c'est que toute cette musique que vous faites? Quand, où et comment l'entendrai-je? Que vous êtes heureux d'être musicien!

GEORGE.

CXLIII
A M. AUGUSTE MARTINEAU-DESCHENEZ, A PARIS

La Châtre. 23 mai 1836.

J'espère, mon enfant, que tu me pardonnes de ne t'avoir pas écrit la victoire que les tribunaux m'ont accordée.

Dabord, j'avais de mon histoire par-dessus la tête, et, si j'avais pu oublier que j'existais, je l'aurais fait de bon coeur. J'ai permis que ma biographie matrimoniale fût insérée dans le Droit; tu la liras, ou tu l'as lue. Dispense-moi donc de t'en embêter une seconde fois.

Ensuite, je n'ai pas cru manquer à l'amitié, j'ai cru user de son plus doux privilège en me reposant sur mes lauriers. Ma paresse a fait des mécontents, des grognons. Tu n'en es pas, toi qui es si doux, si affectueux, si sympathique. Dis-moi que tu n'as pas songé à me bouder, que tu n'as pas douté de mon affection, et n'en parlons plus.

Que fais-tu? donne-moi de tes nouvelles. Moi, je végète. Couchée sur une terrasse, dans un site délicieux, je regarde les hirondelles voler, le soleil se lever, se coucher, se barbouiller le nez de nuages, les hannetons donner de la tête contre les branches, et je ne pense à rien du tout, sinon qu'il fait beau et que nous sommes au mois de mai. Je suis dans le plus parfait et dans le plus désirable des crétinismes connus.

M. D… est toujours campé à Nohant, tandis que mes bons amis de la Châtre continuent à me donner l'hospitalité. J'attends qu'il formule un acte d'appel ou qu'il prenne le parti de se tenir pour battu. Mon sort est donc encore incertain, non pour l'avenir, mais pour la saison présente. Je gagnerai, mais je voudrais bien que ce fût fini. On me dit qu'il désire entrer en arrangement, je ne m'y refuserai pas si c'est de l'argent seulement qu'il demande. Je suis ici en attendant une fin à ces incertitudes.

Bonsoir, bon petit enfant! je t'embrasse fraternellement.

GEORGE.

CXLIV
A MADAME D'AGOULT, A GENÈVE

La Châtre, 25 mai 1836.

Vous avez bien fait de décacheter ma lettre, c'est une bonne action dont je vous remercie, puisqu'elle me vaut une si bonne et si affectueuse réponse. La seule chose qui me peine véritablement, c'est votre départ si prochain pour l'Italie. J'aurai beau faire, je ne serai pas libre avant les vacances; mais il ne me sera plus aussi facile d'aller vous rejoindre, car où vous trouverais-je? Quoi que vous fassiez, ne quittez aucune ville sans m'écrire, ne fût-ce que deux lignes, pour me dire où vous êtes et combien de temps vous y restez. Rien ne me fera renoncer à l'espérance d'aller vivre quelques semaines près de vous. C'est un des plus doux rêves de ma vie, et, comme, sans en avoir l'air, je suis très persévérante dans mes projets, soyez sûre que, malgré les destins et les flots, je les réaliserai.

 

Pour le moment, je ferais mal de m'absenter du pays. Mes adversaires, battus au grand jour, cherchent à me nuire dans les ténèbres. Ils entassent calomnies sur absurdités pour m'aliéner d'avance l'opinion de mes juges. Je m'en soucie assez peu; mais je veux pouvoir rendre compte, jour par jour, de toutes mes démarches. Si j'allais à Genève maintenant, on ne manquerait pas de dire que j'y vais voir Franz seulement et de trouver la chose très criminelle. Ne pouvant dire qu'entre Franz et moi il y a un bon ange dont la présence sanctifie notre amitié, je resterais sous le poids d'un soupçon qui servirait de prétexte entre mille pour me refuser la direction de mes enfants.

S'il ne s'agissait que de ma fortune, je ne voudrais pas y sacrifier un jour de la vie du coeur; mais il s'agit de ma progéniture, mes seules amours, et à laquelle je sacrifierais les sept plus belles étoiles du firmament, si je les avais. Ne quittez toujours pas Genève sans me dire où vous allez. Cet hiver, je serai libre, j'aurai quelque argent (bien que je n'aie pas hérité de vingt-cinq sous: c'est un ragot de journaliste en disette de nouvelles diverses), et j'irai certainement courir après vous, loin des huissiers, des avoués et des rhumatismes.

Je n'ai pas besoin de vous charger de dire à Franz tous mes regrets de ne pas l'avoir vu. Il s'en est fallu de si peu! Il sait bien, au reste, que c'est un vrai chagrin pour moi. Il n'y a qu'une chose au monde qui me console un peu de toutes mes mauvaises fortunes: c'est que vous me semblez heureux tous deux, et que le bonheur de ceux que j'aime m'est plus précieux que celui que je pourrais avoir. J'ai si bien pris l'habitude de m'en passer, que je ne songe jamais à me plaindre, même seule, la nuit sous l'oeil de Dieu. Et pourtant je passe de longues heures tête à tête avec dame Fancy113. Je ne me couche jamais avant sept heures du matin; je vois coucher et lever le soleil, sans que ma solitude soit troublée par un seul être de mon espèce. Eh bien, je vous jure que je n'ai jamais moins souffert. Quand je me sens disposée à la tristesse, ce qui est fort rare, je me commande le travail, je m'y oublie et je rêve alternativement. Une heure est donnée à la corvée d'écrire, l'autre au plaisir de vivre.

Ce plaisir est si pur dans ce temps-ci, avec tous ces chants d'oiseaux et toutes ces fleurs! Vous êtes trop jeune pour savoir combien il est doux de ne pas penser et de ne pas sentir. Vous n'avez jamais envié le sort de ces belles pierres blanches qui, au clair de lune, sont si froides, si calmes, si mortes. Moi, je les salue toujours quand je passe auprès d'elles, la nuit, dans les chemins. Elles sont l'image de la force et de la pureté. Rien ne prouve qu'elle soient insensibles au plaisir de ne rien faire. Elles contemplent, elles vivent d'une vie qui leur est propre. Les paysans sont convaincus que la lune a une action sur elles, que le clair de lune casse les pierres et dégrade les murs. Moi, je le crois. La lune est une planète toute de glace et de marbre blanc. Elle est pleine de sympathie pour ce qui lui ressemble, et, quand les âmes solitaires se placent sous son regard, elle les favorise d'une influence toute particulière. Voilà pourquoi on appelle les poètes lunatiques. Si vous n'êtes pas contente de cette dissertation, vous êtes bien difficile.

Si vous voulez que je vous parle histoire ancienne, je vous dirai de madame A…, que je n'ai jamais eu de sympathie pour elle. J'ai eu beaucoup d'estime pour son caractère; mais, un beau jour, elle m'a fait une méchanceté, la chose du monde que je comprends le moins et que je puis le moins excuser. Depuis que je ne vous ai écrit, elle m'a fait amende honorable. Est-ce bonté? Est-ce légèreté de tête et de coeur? Je n'ai plus guère confiance en elle, et, sans la maltraiter (car, à vrai dire, d'après cette conduite fantasque, je m'aperçois que je ne la connais pas du tout), je m'éloignerai d'elle avec soin. Je ne veux pas la juger; mais il y a sur la figure de celle chez qui l'on a surpris un mauvais sentiment quelque chose qui ne s'efface plus et qui vous glace à jamais. Je suis toute d'instinct et de premier mouvement. N'êtes vous pas de même? Il m'a semblé que si.

Je ne dis pas que je n'aime pas Sainte-Beuve. J'ai eu beaucoup trop d'affection pour lui pour qu'il me soit possible de passer à l'indifférence ou à l'antipathie, à moins d'un tort grave. Je ne lui ai point vu de méchanceté, à lui, mais de la sécheresse, de la perfidie non raisonnée, non volontaire, non intéressée, mais partant d'un grand crescendo d'égoïsme. Je crois que je le juge mieux que vous. Demandez à Franz, qui le connaît davantage.

L'abbé de Lamennais se fixe, dit-on, à Paris. Pour moi, ce n'est pas certain. Il y va, je crois, avec l'intention de fonder un journal. Le pourra-t-il? Voilà la question. Il lui faut une école, des disciples. En morale et en politique, il n'en aura pas s'il ne fait d'énormes concessions à notre époque et à nos lumières. Il y a encore en lui, d'après ce qui m'est rapporté par ses intimes amis, beaucoup plus du prêtre que je ne croyais. On espérait l'amener plus avant dans le cercle qu'on n'a pu encore le faire. Il résiste. On se querelle et on s'embrasse. On ne conclut rien encore. Je voudrais bien que l'on s'entendît. Tout l'espoir de l'intelligence vertueuse est là. Lamennais ne peut marcher seul.

Si, abdiquant le rôle de prophète et de poète apocalyptique, il se jette dans l'action progressive, il faut qu'il ait une armée. Le plus grand général du monde ne fait rien sans soldats. Mais il faut des soldats éprouvés et croyants. Il trouvera facilement à diriger une populace d'écrivassiers sans conviction qui se serviront de lui comme d'un drapeau et qui le renieront ou le trahiront à la première occasion. S'il veut être secondé véritablement, qu'il se méfie des gens qui ne disputeront pas avec lui avant d'accepter sa direction. En réfléchissant aux conséquences d'un tel engagement, je vous avoue que je suis moi-même très indécise. Je m'entendrais aisément avec lui sur tout ce qui n'est pas le dogme. Mais, là, je réclamerais une certaine liberté de conscience, et il ne me l'accorderait pas. S'il quitte Paris sans s'être entendu avec deux ou trois personnes qui sont dans les mêmes proportions de dévouement et de résistance que moi, j'éprouverai une grande consternation de coeur et d'esprit. Les éléments de lumière et d'éducation des peuples s'en iront encore épars, flottant sur une mer capricieuse, échouant sur tous les rivages, s'y brisant avec douleur, sans avoir pu rien produire. Le seul pilote qui eût pu les rassembler leur aura retiré son appui et les laissera plus tristes, plus désunis et plus découragés que jamais.

Si Franz a sur lui de l'influence, qu'il le conjure de bien connaître et de bien apprécier l'étendue du mandat que Dieu lui a confié. Les hommes comme lui font les religions et ne les acceptent pas. C'est là leur devoir. Ils n'appartiennent point au passé. Ils ont un pas à faire faire à l'humanité. L'humilité d'esprit, le scrupule, l'orthodoxie sont des vertus de moine que Dieu défend aux réformateurs. Si l'oeuvre que je rêve pour lui peut s'accomplir, c'est vous qui serez obligée de vous joindre à son bataillon sacré. Vous avez l'intelligence plus mâle que bien des hommes, vous pouvez être un flambeau pur et brillant.

J'ai écrit à Paris pour qu'on vous envoie le numéro du Droit. Je suis toujours dans le statu quo pour mon procès. L'acte d'appel est fait. Je suis encore à la Châtre chez mes amis, qui me gâtent comme un enfant de cinq ans. J'habite un faubourg en terrasse sur des rochers; à mes pieds, j'ai une vallée admirablement jolie. Un jardin de quatre toises carrées, plein de roses, et une terrasse assez spacieuse pour y faire dix pas en long, me servent de salon, de cabinet de travail et de galerie. Ma chambre à coucher est assez vaste; elle est décorée d'un lit à rideaux de cotonnade rouge, vrai lit de paysan, dur et plat, de deux chaises de paille et d'une table de bois blanc. Ma fenêtre est située à six pieds au-dessus de la terrasse. Par le treillage de l'espalier, je sors et je rentre la nuit pour me promener dans mes quatre toises de fleurs sans ouvrir de portes et sans éveiller personne.

Quelquefois je vais me promener seule à cheval, à la brune. Je rentre sur le minuit. Mon manteau, mon chapeau d'écorce et le trot mélancolique de ma monture me font prendre dans l'obscurité pour un marchand forain ou pour un garçon de ferme. Un de mes grands amusements, c'est de voir le passage de la nuit au jour; cela s'opère de mille manières différentes. Cette révolution, si uniforme en apparence, a tous les jours un caractère particulier.

Avez-vous eu le loisir d'observer cela? Non! Travaillez-vous? Vous éclairez votre âme. Vous n'en êtes pas à végéter comme une plante. Allons, vivez et aimez-moi. Ne partez pas sans m'écrire. Que les vents vous soient favorables et les cieux sereins! Tout prospère aux amants. Ce sont les enfants gâtés de la Providence. Ils jouissent de tout, tandis que leurs amis vont toujours s'inquiétant. Je vous avertis que je serai souvent en peine de vous si vous m'oubliez.

Je vous ferai arranger une belle chambre chez moi.

Je fais un nouveau volume à Lélia. Cela m'occupe plus que tout autre roman n'a encore fait: Lélia n'est pas moi. Je suis meilleure enfant que cela; mais c'est mon idéal. C'est ainsi que je conçois ma muse, si toutefois je puis me permettre d'avoir une muse.

Adieu, adieu! le jour se lève sans moi.—-Per la ala del balcone, presto andiamo via di qua

CXLV
A MADAME MARLIANI, A PARIS

La Châtre, 28 juin 1836.

Mon amie,

J'ai écrit pour vous satisfaire, non pas à l'abbé114, il nous a trop positivement défendu à tous de jamais lui adresser qui que ce soit (fût-ce le pape); mais à mon ami Didier, qui se chargera de vous faire faire connaissance avec lui d'une manière plus affectueuse et plus intime, en vous donnant rendez-vous quelque jour rue du Regard. Il ira vous voir à cet effet, et vous dira l'heure où vous pourrez rencontrer chez lui le bon abbé dans un bon jour.

Toujours affable et modeste, il est quelquefois très troublé et très mal à l'aise, quand on lui présente une lettre de recommandation. Il a toute la timidité naïve du génie. Si vous le trouvez causant à son aise avec ses amis de la rue du Regard, où il passe une partie de ses journées, vous le connaîtrez bien mieux, et le plaisir qu'il aura lui-même à vous connaître ne sera troublé par aucun mal-à-propos.

Didier est à Genève en ce moment, mais pour très peu de jours. Aussitôt qu'il sera revenu à Paris, il ira chez vous. Je lui ai fait passer votre adresse.

Vous êtes bien aimable de me donner de vos nouvelles et de me conter vos soucis. J'espère que les choses ne tourneront pas aussi mal que vous le craignez. Vous avez de la force, ayez aussi de l'espérance, c'est une des faces du courage. Quoi qu'il vous arrive, vous me trouverez toujours pleine de sollicitude et de dévouement pour vous, vous n'en doutez pas, j'espère.

Mon procès est toujours pendant devant la cour de Bourges. J'attends l'épreuve décisive et j'ai toujours grand espoir d'en sortir aussi bien que des deux autres. Priez pour moi, vous qui êtes une bonne et belle âme, chère à Dieu, sans doute.

C'est à cause de cela que je ne puis m'imaginer qu'il vous abandonne jamais à un malheur réel.

Adieu; aimez-moi toujours, votre amitié m'est précieuse et douce. Donnez-moi quelquefois de vos nouvelles, et donnez à votre mari une poignée de main de la part de votre ami commun.

GEORGE

FIN DU TOME PREMIER

110Femme de lettres.
111Le docteur David Richard, savant phrénologiste, ami de l'abbé de Lamennais et de Charles Didier.
112Engelvald, roman dont l'action se passait au Tyrol et qui fut détruit.
113Rêverie, imagination
114Lamennais.
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