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Le Cathécumène, traduit du chinois

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Je frémissois de tant d'absurdités & d'horreurs: mais, faisant effort sur moi-même, pour achever de m'instruire je leur demandai quel étoit leur culte. Ils me dirent, vous l'allez voir, voilà le Prêtre qui monte à l'autel, suivez les cérémonies.

Je vis en effet cet homme singuliérement & richement vêtu, se courber, se relever, se promener d'un côté à l'autre, lisant, marmotant des paroles que je n'entendois pas: je leur dis, cet homme ne parle donc pas votre langue? – Vraiment non, répondirent-ils; toutes nos prieres sont dans une langue étrangere, qui n'est guere entendue que de la millieme partie de la nation; & la plupart même des livres de notre religion sont écrits dans un langage si ancien, que personne ne le comprend plus. – Je témoignai ma surprise, mais on me répéta doucement, suivez les cérémonies. Je vis alors le Prêtre prendre entre ses mains une grande feuille de pâte. Je leur dis: est-ce encore là votre Dieu? Pas encore, me repliqua-t-on; mais vous n'attendrez pas longtems. – Je redoublai d'attention, pour voir comme on devenoit Dieu. Le Prêtre s'inclina, marmota quelques mots, leva le morceau de pâte par dessus sa tête: tout le monde étoit prosterné, on m'obligea d'en faire autant. Je ne comprenois rien à tout cela. Cependant le Prêtre prit une coupe d'argent, dans laquelle je lui avois vu mettre de l'eau & du vin; il s'inclina encore, prononça des paroles, leva la coupe par dessus sa tête. Interdit, étonné, je demandai l'explication de ce que je voyois. – On me répondit, ce morceau de pâte que vous avez vu d'abord, & que vous voyez encore, ce vin & cette eau qui sont renfermés dans cette coupe, existoient tout-à-l'heure, & n'existent plus. – Comment! ils n'existent plus, & je les vois comme je les voyois auparavant! – N'importe, me dit-on, vos sens vous trompent: d'abord, c'étoit en effet de la pâte, c'étoit du vin & de l'eau; à présent par le moyen des paroles que le Prêtre vient de prononcer, cette pâte s'est anéantie, elle est devenue le Corps même de notre Dieu: cette eau & ce vin ont cessé d'être, ils sont devenus le sang de Dieu. Etes-vous au fait à présent? Convenez que voilà un beau mystere. – Admirable en effet! Le corps de Dieu d'un côté & son sang de l'autre! Que cela est heureusement imaginé! Mais, Messieurs, êtes-vous bien assurés de ce que vous me dites? – Comment en pouvez-vous douter? Le Prêtre a dit les paroles. – Et votre Dieu est obligé de s'y soumettre, & de se rendre là à point nommé? – Sans doute. – J'avois ouï dire que Dieu avoit créé l'homme, & ici c'est l'homme qui crée Dieu. – Oui, Monsieur. – Et vous pouvez tous opérer ce prodige. – Oh! non, il n'y a parmi nous que les Prêtres qui ayent ce pouvoir. – Et qu'est-ce que les Prêtres? – Ce sont des hommes qui embrassent cet état pour vivre, & à qui l'on donne dix sols pour faire ce prodige. – Cela ne me paroît pas cher, & il ne le font apparemment qu'une seule fois dans leur vie? – Point du tout, il le peuvent à toute heure, à tout moment: mais pour l'ordinaire, il se contentent d'une seule fois par jour. – En vérité cela me paroît bien modeste de leur part. Vous avez donc chaque jour autant de Dieux que de Prêtres? – Vous y êtes précisément. – Et avez-vous beaucoup de Prêtres? – Un nombre presqu'infini. – Et par conséquent un nombre presqu'infini de Dieux. Ah! Messieurs, la belle manufacture que vous avez là! Je suis dans un étonnement. – Ne vous pressez pas de vous étonner, me dirent-ils, vous n'êtes pas au bout. – Apparemment, leur dis-je alors, qu'il n'y a qu'un seul de vos Prêtres qui fasse cette cérémonie à une heure fixée: votre Dieu ne pourroit se trouver en deux endroits à la fois. – Vous vous trompez encore: il y a peut-être, en ce moment même, cinq cens mille Prêtres qui prononcent les mêmes paroles. – Et cinq cens mille Dieux créés à la fois au même instant? – Oui, Monsieur, & c'est absolument un seul & même Dieu partout. – Et les cinq cent mille Dieux ne font qu'un? – A merveille, vous voyez bien que cela va tout seul, & que rien n'est plus aisé à comprendre, vous l'avez saisi d'abord, mais ne perdez pas le Prêtre de vue, & observez attentivement ce qu'il fait.

Je levai les yeux, & je l'aperçus qui rompoit la feuille de pâte entre ses doigts; je frémis, & ne pus m'empêcher de m'écrier: ah! Messieurs, voilà le Prêtre qui casse les bras & les jambes à votre Dieu! Ils se mirent à sourire & me dirent avec douleur: ne craignez rien, il l'a divisé en trois parties, il est vrai, mais c'est sans lui faire aucun mal: car le corps de Dieu se trouve à présent tout entier dans chacune de ces trois parties, & vous devez convenir que cela se comprend aussi aisément que tout le reste. – Je fus obligé de l'avouer. En même tems je remarquai que le Prêtre mettoit un petit morceau de pâte dans la coupe où étoit le sang; étonné encore, je leur dis: le voilà qui met le corps dans le sang, & il me semble au contraire que c'est le sang qui devroit être dans le corps. Ils se moquerent de moi, & me dirent de ne pas insister sur ces bagatelles, & que j'allois voir bien autre chose.

En effet je vis le Prêtre qui plioit proprement les deux grandes parties de la feuille de pâte, l'une sur l'autre; il se frappa trois fois la poitrine, il aprocha sa bouche: jugez de ma surprise! je le vis saisir son Dieu entre les dents, lui faire craquer les os, le manger, le dévorer, l'avaler enfin & l'absorber dans son estomach. On me dit, vous voilà bien étonné: vous ignoriez qu'un homme pût manger Dieu: vous voyez pourtant que cela est bientôt fait. – Ah! Messieurs, leur dis-je, il en a mangé trente pour le moins, car j'ai bien vu qu'il l'a mâché assez longtems, & il ne l'a pu sans le diviser entre ses dents; & vous venez de me dire que dans chaque partie il reconnoissoit un Dieu tout entier. – Eh bien! trente fois, me répondit-on. – J'avoue, repris-je alors, qu'il étoit bien juste qu'il les mangeât, puisqu'il les avoit faits. Mais comment n'a-t-il pu faire qu'une bouchée de ce corps tout entier, ou plutôt de ces trente corps? Comment le goût de la chair de cet homme Dieu ne l'a-t-il pas fait frémir? – Vous n'y êtes pas, reprirent-ils: il n'a senti que le volume & le goût de la petite feuille de pâte: ne vous avons-nous pas dit que toutes ses apparences continuoient de subsister? – C'est-à-dire, que votre Dieu après avoir fait un miracle pour venir là, en opére un second pour vous en faire douter. – Oui, Monsieur, afin que nous ayons du mérite à croire. – Je vois, Messieurs, que vous n'en êtes pas les dupes, & que vous ne donnez pas dans ces pièges-là. Mais sans doute votre Dieu a enseigné formellement & évidemment ce Dogme, il a institué distinctement le Sacrifice & toutes les cérémonies, il a créé des Prêtres? – Rien de tout cela: on ne trouve dans son histoire écrite par ses disciples, ni ces sacrifices, ni ces mistères, ni ces Prêtres, ni ces prodiges sans nombre: mais nous lisons dans cette histoire, qu'étant un soir à souper avec ses amis il prit par forme de conversation un morceau de pain qu'il partagea avec eux en leur disant: ceci est mon Corps, & quand vous ferez ces choses, vous les ferez en mémoire de moi; il n'a jamais dit que ce peu de mots sur cette importante matière. Cent auteurs ont travaillé, ont écrit sur ce passage, & en ont enfin tiré cette admirable doctrine que nous venons de vous enseigner. – Il falloit que ce fussent d'habiles gens. – Oh! nous vous en faisons juge; il faut vous dire aussi, qu'ils étoient tous prêtres. – C'est-à-dire de ceux qui se vantent de faire le miracle? – Oui, Monsieur. – Eh mais! je suis un peu moins étonné que je n'étois d'abord. – Malgré une autorité si décisive, des nations entieres ont alteré, ont défiguré, ont nié ce dogme; il a fallu le défendre les armes à la main, & il n'en a guère coûté que trois ou quatre cens mille hommes, pour le conserver dans toute sa pureté chez quelques peuples seulement, car il a été aboli chez beaucoup d'autres.

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