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Littérature et Philosophie mêlées

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SUR UN POËTE APPARU EN 1820

Mai 1820.

I

Vous en rirez, gens du monde, vous hausserez les épaules, hommes de lettres, mes contemporains, car, je je vous le dis entre nous, il n'en est peut-être pas un de vous qui comprenne ce que c'est qu'un poëte. Le rencontrera-t-on dans vos palais? Le trouvera-t-on dans vos retraites? Et d'abord, pour ce qui regarde l'âme du poëte, la première condition n'est-elle pas, comme l'a dit une bouche éloquente, de n'avoir jamais calculé le prix d'une bassesse ou le salaire d'un mensonge? Poëtes de mon siècle, cet homme-là se voit-il parmi vous? Est-il dans vos rangs l'homme qui possède l'os magna sonaturum, la bouche capable de dire de grandes choses, le ferrea vox, la voix de fer? l'homme qui ne fléchira pas devant les caprices d'un tyran ou les fureurs d'une faction? N'avez-vous pas été tous, au contraire, semblables aux cordes de la lyre, dont le son varie quand le temps change.

II

Franchement, on trouvera parmi vous des affranchis, prêts à invoquer la licence après avoir déifié le despotisme; des transfuges, prêts à flatter le pouvoir après avoir chanté l'anarchie, et des insensés qui ont baisé hier des fers illégitimes, et, comme le serpent de la fable, veulent aujourd'hui briser leurs dents sur le frein des lois; mais on n'y découvrira pas un poëte. Car, pour ceux qui ne prostituent pas les titres, sans un esprit droit, sans un coeur pur, sans une âme noble et élevée, il n'est point de véritable poëte. Tenez-vous cela pour dit, non pas en mon nom, car je ne suis rien, mais au nom de tous les gens qui raisonnent, et qui pensent – je veux bien ne choisir mon exemple que dans l'antiquité – que ces mots: Dulce et decorum est pro patria mori, sonnent mal dans la bouche d'un fuyard. Je l'avouerai donc, j'ai cherché jusqu'ici autour de moi un poëte, et je n'en ai pas rencontré; de là, il s'est formé dans mon imagination un modèle idéal que je voudrais dépeindre, et, comme Milton aveugle, je suis tenté quelquefois de chanter ce soleil que je ne vois pas.

III

L'autre jour, j'ouvris un livre qui venait de paraître, sans nom d'auteur, avec ce simple titre, Méditations poétiques. C'étaient des vers.

Je trouvai dans ces vers quelque chose d'André de Chénier. Continuant à les feuilleter, j'établis involontairement un parallèle entre l'auteur de ce livre et le malheureux poëte de la Jeune Captive. Dans tous les deux, même originalité, même fraîcheur d'idées, même luxe d'images neuves et vraies; seulement l'un est plus grave et même plus mystique dans ses peintures; l'autre a plus d'enjouement, plus de grâce, avec beaucoup moins de goût et de correction. Tous deux sont inspirés par l'amour. Mais dans Chénier ce sentiment est toujours profane; dans l'auteur que je lui compare, la passion terrestre est presque toujours épurée par l'amour divin. Le premier s'est étudié à donner à sa muse les formes simples et sévères de la muse antique; le second, qui a souvent adopté le style des pères et des prophètes, ne dédaigne pas de suivre quelquefois la muse rêveuse d'Ossian et les déesses fantastiques de Klopstock et de Schiller. Enfin, si je comprends bien des distinctions, du reste assez insignifiantes, le premier est romantique parmi les classiques, le second est classique parmi les romantiques.

IV

Voici donc enfin des poëmes d'un poëte, des poésies qui sont de la poésie!

Je lus en entier ce livre singulier; je le relus encore, et, malgré les négligences, le néologisme, les répétitions et l'obscurité que je pus quelquefois y remarquer, je fus tenté de dire à l'auteur: – Courage, jeune homme! vous êtes de ceux que Platon voulait combler d'honneurs et bannir de sa république. Vous devez vous attendre aussi à vous voir bannir de notre terre d'anarchie et d'ignorance, et il manquera à votre exil le triomphe que Platon accordait du moins au poëte, les palmes, les fanfares et la couronne de fleurs.

THÉATRE

I

On nomme action au théâtre la lutte de deux forces opposées. Plus ces forces se contre-balancent, plus la lutte est incertaine, plus il y a alternative de crainte ou d'espérance, plus il y a d'intérêt. Il ne faut pas confondre cet intérêt qui naît de l'action avec une autre sorte d'intérêt que doit inspirer le héros de toute tragédie, et qui n'est qu'un sentiment de terreur, d'admiration ou de pitié. Ainsi, il se pourrait très bien que le principal personnage d'une pièce excitât de l'intérêt, parce que son caractère est noble et sa situation touchante, et que la pièce manquât d'intérêt, parce qu'il n'y aurait point d'alternative de crainte et d'espérance. Si cela n'était pas, plus une situation terrible serait prolongée, plus elle serait belle, et le sublime de la tragédie serait le comte Ugolin enfermé dans une tour avec ses fils pour y mourir de faim; scène de terreur monotone qui n'a pu réussir, même en Allemagne, pays de penseurs profonds, attentifs et fixes.

II

Dans une oeuvre dramatique, quand l'incertitude des événements ne naît plus que de l'incertitude des caractères, ce n'est plus la tragédie par force, mais la tragédie par faiblesse. C'est, si l'on veut, le spectacle de la vie humaine; les grands effets par les petites causes; ce sont des hommes; mais au théâtre, il faut des anges ou des géants.

III

Il y a des poëtes qui inventent des ressorts dramatiques, et ne savent pas ou ne peuvent pas les faire jouer, semblables à cet artisan grec qui n'eut pas la force de tendre l'arc qu'il avait forgé.

IV

L'amour au théâtre doit toujours marcher en première ligne, au-dessus de toutes les vaines considérations qui modifient d'ordinaire les volontés et les passions des hommes. Il est la plus petite des choses de la terre, s'il n'en est la plus grande. On objectera que, dans cette hypothèse, le Cid ne devrait point se battre avec don Gormas. Eh! point du tout. Le Cid connaît Chimène; il aime mieux encourir sa colère que son mépris, parce que le mépris tue l'amour. L'amour, dans les grandes âmes, c'est une estime céleste.

V

Il est à remarquer que le dénoûment de Mahomet est plus manqué qu'on ne le croit généralement. Il suffit, pour s'en convaincre, de le comparer avec celui de Britannicus. La situation est semblable. Dans les deux tragédies, c'est un tyran qui perd sa maîtresse au moment où il croit s'en être assuré la possession. La pièce de Racine laisse dans l'âme une impression triste, mais qui n'est pas sans quelque consolation, parce que l'on sent que Britannicus est vengé, et que Néron n'est pas moins malheureux que ses victimes. Il semble qu'il devrait en être de même dans Voltaire; cependant le coeur, qui ne se trompe pas, reste abattu; et en effet Mahomet n'est nullement puni. Son amour pour Palmire n'est qu'une petitesse dans son caractère et qu'un moyen dérisoire dans l'action. Lorsque le spectateur voit cet homme songer à sa grandeur au moment où sa maîtresse se poignarde sous ses yeux, il sent bien qu'il ne l'a jamais aimée, et qu'avant deux heures il se sera consolé de sa perte.

Le sujet de Racine est mieux choisi que celui de Voltaire. Pour le poëte tragique, il y a une profonde et radicale différence entre l'empereur romain et le chamelier-prophète. Néron peut être amoureux, Mahomet non. Néron, c'est un phallus; Mahomet, c'est un cerveau.

VI

Le propre des sujets bien choisis est de porter leur auteur: Bérénice n'a pu faire tomber Racine; Lamotte n'a pu faire tomber Inès.

VII

La différence qui existe entre la tragédie allemande et la tragédie française provient de ce que les auteurs allemands voulurent créer tout d'abord, tandis que les français se contentèrent de corriger les anciens. La plupart de nos chefs-d'oeuvre ne sont parvenus au point où nous les voyons qu'après avoir passé par les mains des premiers hommes de plusieurs siècles. Voilà pourquoi il est si injuste de s'en faire un titre pour écraser les productions originales.

La tragédie allemande n'est autre chose que la tragédie des grecs, avec les modifications qu'a dû y apporter la différence des époques. Les grecs aussi avaient voulu faire concourir le faste de la scène aux jeux du théâtre; de là, ces masques, ces choeurs, ces cothurnes; mais, comme chez eux les arts qui tiennent des sciences étaient dans le premier état d'enfance, ils furent bientôt ramenés à cette simplicité que nous admirons. Voyez dans Servius ce qu'il fallait faire pour changer une décoration sur le théâtre des anciens.

Au contraire, les auteurs allemands, arrivant au milieu de toutes les inventions modernes, se servirent des moyens qui étaient à leur portée pour couvrir les défauts de leurs tragédies. Lorsqu'ils ne pouvaient parler au coeur, ils parlèrent aux yeux. Heureux s'ils avaient su se renfermer dans de justes bornes! Voilà pourquoi la plupart des pièces allemandes ou anglaises qu'on transporte sur notre scène produisent moins d'effet que dans l'original; on leur laisse des défauts qui tiennent aux plans et aux caractères, et on leur ôte cette pompe théâtrale qui en est la compensation.

Mme de Staël attribue encore à une autre raison la prééminence des auteurs français sur les auteurs allemands, et elle a observé juste. Les grands hommes français étaient réunis dans le même foyer de lumières; et les grands hommes allemands étaient disséminés comme dans des patries différentes. Il en est de deux hommes de génie comme des deux fluides sur la batterie; il faut les mettre en contact pour qu'ils vous donnent la foudre.

VIII

On peut observer qu'il y a deux sortes de tragédies; l'une qui est faite avec des sentiments, l'autre qui est faite avec des événements. La première considère les hommes sous le point de vue des rapports établis entre eux par la nature; la seconde, sous le point de vue des rapports établis entre eux par la société. Dans l'une, l'intérêt naît du développement d'une des grandes affections auxquelles l'homme est soumis par cela même qu'il est homme, telles que l'amour, l'amitié, l'amour filial et paternel; dans l'autre, il s'agit toujours d'une volonté politique appliquée à la défense ou au renversement des institutions établies. Dans le premier cas, le personnage est évidemment passif, c'est-à-dire qu'il ne peut se soustraire à l'influence des objets extérieurs; un jaloux ne peut s'empêcher d'être jaloux, un père ne peut s'empêcher de craindre pour son fils; et peu importe comment ces impressions sont amenées, pourvu qu'elles soient intéressantes; le spectateur appartient toujours à ce qu'il craint ou à ce qu'il désire. Dans le second cas, au contraire, le personnage est essentiellement actif, parce qu'il n'a qu'une volonté immuable, et que la volonté ne peut se manifester que par des actions. On peut comparer ces deux tragédies, l'une à une statue que l'on taille dans le bloc, l'autre à une statue que l'on jette en fonte. Dans le premier cas, le bloc existe, il lui suffit pour devenir la statue d'être soumis à une influence extérieure; dans le second, il faut que le métal ait en lui-même la faculté de parcourir le moule qu'il doit remplir. A mesure que toutes les tragédies se rapprochent plus ou moins de ces deux types, elles participent plus ou moins de l'un ou de l'autre; il faut une forte constitution aux tragédies de tête pour se soutenir; les tragédies de coeur ont à peine besoin de s'astreindre à un plan. Voyez Mahomet et le Cid.

 
IX

E. – vient d'écrire ceci aujourd'hui 27 avril 1819:

«En général, une chose nous a frappés dans les compositions de cette jeunesse qui se presse maintenant sur nos théâtres: ils en sont encore à se contenter facilement d'eux-mêmes. Ils perdent à ramasser des couronnes un temps qu'ils devraient consacrer à de courageuses méditations. Ils réussissent, mais leurs rivaux sortent joyeux de leurs triomphes. Veillez! veillez! jeunes gens, recueillez vos forces, vous en aurez besoin le jour de la bataille. Les faibles oiseaux prennent leur vol tout d'un trait; les aigles rampent avant de s'élever sur leurs ailes.»

FANTAISIE

Février 1819.

Ce que je veux, c'est ce que tout le monde veut, ce que tout le monde demande, c'est-à-dire du pouvoir pour le roi et des garanties pour le peuple.

Et, en cela, je suis bien différent de certains honnêtes gens de ma connaissance, qui professent hautement la même maxime, et qui, lorsqu'on en vient aux applications, se trouvent n'en vouloir réellement, les uns qu'une moitié, les autres qu'une autre, c'est-à-dire les uns qu'un peu de despotisme, et les autres que beaucoup de licence, à peu près comme feu mon grand-oncle, qui avait sans cesse à la bouche le fameux précepte de l'école de Salerne: manger peu, mais souvent; mais qui n'en admettait que la première partie pour l'usage de la maison.

Février 1819.

L'autre jour je trouvai dans Cicéron ce passage: «Et il faut que l'orateur, en toutes circonstances, sache prouver le pour et le contre. »In omni causa duas contrarias orationes explicari. Eh! dis-je, c'est justement ce qu'il faut dans un siècle où l'on a découvert deux sortes de consciences, celle du coeur et celle de l'estomac.

Voilà pour la conscience de l'orateur selon Cicéron, vir probus dicendi peritus. Pour ce qui est de ses moeurs, – ce que j'en écris ici n'est que pour l'instruction de la jeunesse de nos collèges, – on connaît la simplicité des moeurs antiques. Nous n'avons aucune raison de croire que les orateurs fissent autrement que les guerriers. Après qu'Achille et Patrocle ont tant pleuré Briséis, Achille, dit madame Dacier, conduit vers sa tente la belle Diomède, fille du sage Phorbas, et Patrocle s'abandonne au doux sommeil entre les bras de la jeune Iphis, amenée captive de Scyros. C'est comme Pétrarque, qui, après avoir perdu Laure, mourut de douleur à soixante-dix ans, en laissant un fils et une fille.

Et à Athènes, où les pères envoyaient leurs fils à l'école chez Aspasie, à Athènes, cette ville de la politesse et de l'éloquence: – Qu'as-tu fait des cent écus que t'a valus le soufflet que tu reçus l'autre jour de Midias en plein théâtre? criait Eschine à Démosthène. – Eh quoi! athéniens, vous voulez couronner le front qui s'écorche lui-même à dessein d'intenter des accusations lucratives aux citoyens? En vérité, ce n'est pas une tête que porte cet homme sur ses épaules, c'est une ferme.

Que dirai-je du barreau romain? des honnêtetés que se faisaient mutuellement les Scaurus et les Catulus, en présence de toute la canaille de Rome assemblée? On ne m'écoute pas, je suis Cassandre, criait Sextius. Je ne suis pas assez sur de n'être jamais lu que par des hommes pour rapporter la sanglante réplique de Marc-Antoine. Et au triomphe de César, qui était aussi un orateur: Citoyens, cachez vos femmes! chantaient ses propres soldats. Urbani, claudite uxores, moechum caluum adducimus.

Je saisis cette occasion pour déclarer que je me repens bien sincèrement de n'être pas né dans les siècles antiques; je compte même écrire contre mon siècle un gros livre dont mon libraire vous prie, en passant, monsieur, de vouloir bien lui prendre quelques petites souscriptions.

Et, en effet, ce devait être un bien beau temps que celui où, quand le peuple avait faim, on l'apaisait avec une fable longue, et plate, qui pis est! O tempora! ô mores! vont à leur tour s'écrier nos ministres.

Et où, monsieur, pourvu que l'on ne fût ni borgne, ni bossu, ni boiteux, ni bancal, ni aveugle;

Pourvu, d'ailleurs, que l'on ne fût ni trop faible ni trop puissant, ni trop méchant homme, ni trop homme de bien;

Et surtout, ce qui était de rigueur, pourvu que l'on eût la précaution de ne point bâtir sa maison sur une butte;

Alors, dis-je, en tant que l'on ne fût point emporté par la lèpre ou par la peste, on pouvait raisonnablement espérer de mourir tranquillement dans son lit; ce qui, à la vérité, n'est guère héroïque;

Et où, monsieur, pour peu que l'on se sentit tant soit peu grand homme, – comme vous et moi, monsieur, – c'est-à-dire que l'on eût le noble désir d'être utile à la patrie par quelque action vaillante ou quelque invention merveilleuse, – désir qui, comme on sait, n'engage à rien, – alors, monsieur, il n'y avait rien aussi à quoi un honnête citoyen ne pût raisonnablement prétendre, qui sait? peut-être même à être pendu comme Phocion, ou, comme Duilius, l'accrocheur de vaisseaux, à être conduit par la ville avec une flûte et deux lanternes, à peu près comme de nos jours l'âne savant.

Avril 1819.

Il pourrait, à mon sens, jaillir des réflexions utiles de la comparaison entre les romans de Le Sage et ceux de Walter Scott, tous deux supérieurs dans leur genre. Le Sage, ce me semble, est plus spirituel, Walter Scott est plus original; l'un excelle à raconter les aventures d'un homme, l'autre mêle à l'histoire d'un individu la peinture de tout un peuple, de tout un siècle; le premier se rit de toute vérité de lieux, de moeurs, d'histoire; le second, scrupuleusement fidèle à cette vérité même, lui doit l'éclat magique de ses tableaux. Dans tous les deux, les caractères sont tracés avec art; mais dans Walter Scott ils paraissent mieux soutenus, parce qu'ils sont plus saillants, d'une nature plus fraîche et moins polie. Le Sage sacrifie souvent la conscience de ses héros au comique d'une intrigue; Walter Scott donne à ses héros des âmes plus sévères; leurs principes, leurs préjugés même ont quelque chose de noble en ce qu'ils ne savent point plier devant les événements. On s'étonne, après avoir lu un roman de Le Sage, de la prodigieuse variété du plan; on s'étonne encore plus, en achevant un roman de Scott, de la simplicité du canevas; c'est que le premier met son imagination dans les faits, et le second dans les détails. L'un peint la vie, l'autre peint le coeur. Enfin, la lecture des ouvrages de Le Sage donne, en quelque sorte, l'expérience du sort; la lecture de ceux de Walter Scott donne l'expérience des hommes.

«C'était un homme merveilleux et aussi grotesque qu'il y en ait jamais eu dans le peuple latin. Il mettait ses collections dans ses chaussons, et quand, dans l'ardeur de la dispute, nous lui contestions quelque chose, il appelait son valet: – Hem, hem, hem, Dave, apporte-moi le chausson de la tempérance, le chausson de la justice, ou le chausson de Platon, ou celui d'Aristote, – selon les matières qui étaient mises sur le tapis. Cent choses de cette sorte me faisaient rire de tout mon coeur, et j'en ris encore à présent comme si j'étais à même.» Les savants chaussons de Giraldo Giraldi méritaient, certes, d'être aussi célèbres que la perruque de Kant, laquelle s'est vendue 30,000 florins à la mort du philosophe, et n'a plus été payée que 1,200 écus à la dernière foire de Leipzick; ce qui prouverait, à mon sens, que l'enthousiasme pour Kant et son idéologie diminue en Allemagne. Cette perruque, dans les variations de son prix, pourrait être considérée comme le thermomètre des progrès du système de Kant.

Avril 1820.

L'année littéraire s'annonce médiocrement. Aucun livre important, aucune parole forte; rien qui enseigne, rien qui émeuve. Il serait temps cependant que quelqu'un sortît de la foule, et dît: me voilà! Il serait temps qu'il parût un livre ou une doctrine, un Homère ou un Aristote. Les oisifs pourraient du moins se disputer, cela les dérouillerait.

Mais que faire de la littérature de 1820, encore plus plate que celle de 1810, et plus impardonnable, puisqu'il n'y a plus là de Napoléon pour résorber tous les génies et en faire des généraux? Qui sait? Ney, Murat et Davout auraient peut-être été de grands poëtes. Ils se battaient comme on voudrait écrire.

Pauvre temps que le nôtre! Force vers, point de poésie; force vaudevilles, point de théâtre. Talma, voilà tout.

J'aimerais mieux Molière.

On nous promet le Monastère, nouveau roman de Walter Scott. Tant mieux, qu'il se hâte, car tous nos faiseurs semblent possédés de la rage des mauvais romans. J'en ai là une pile que je n'ouvrirai jamais, car je ne serais pas sûr d'y trouver seulement ce que le chien dont parle Rabelais demandait en rongeant son os: rien qu'ung peu de mouëlle.

L'année littéraire est médiocre, l'année politique est lugubre. M. le duc de Berry poignardé à l'Opéra, des révolutions partout.

M. le duc de Berry, c'est la tragédie. Voici la parodie maintenant.

Une grande querelle politique vient de s'émouvoir, ces jours-ci, à propos de M. Decazes. M. Donnadieu contre M. Decazes. M. d'Argout contre M. Donnadieu. M. Clausel de Coussergues contre M. d'Argout.

M. Decazes s'en mêlera-t-il enfin lui-même? Toutes ces batailles nous rappellent les anciens temps où de preux chevaliers allaient provoquer dans son fort quelque géant félon. Au bruit du cor un nain paraissait.

Nous avons déjà vu plusieurs nains apparaître; nous n'attendons plus que le géant.

Le fait politique de l'année 1820, c'est l'assassinat de M. le duc de Berry; le fait littéraire, c'est je ne sais quel vaudeville. Il y a trop de disproportion. Quand donc ce siècle aura-t-il une littérature au niveau de son mouvement social, des poëtes aussi grands que ses événements?

C'est sans doute par une conviction intime de mon ignorance que je tremble à l'approche d'une tête savante et que je recule à l'aspect d'un livre érudit. Quand le talent de critique se trouva dans mon cerveau, je savais tout juste assez de latin pour entendre ce que signifiait genus irritabile, et j'avais tout juste assez d'esprit et d'expérience pour comprendre que cette qualification s'applique au moins aussi bien aux savants qu'aux poëtes. Me voyant donc forcé d'exercer mon talent de critique sur l'une ou l'autre de ces deux classes constituantes du genus irritabile, je me promis bien de n'établir jamais ma juridiction que sur la dernière, parce qu'elle est réellement la seule qui ne puisse démontrer l'ineptie ou l'ignorance d'un critique. Vous dites à un poëte tout ce qui vous passe par la tête, vous lui dictez des arrêts, vous lui inventez des défauts. S'il se fâche, vous citez Aristote, Quintilien, Longin, Horace, Boileau. S'il n'est pas étourdi de tous ces grands noms, vous invoquez le goût; qu'a-t-il à répondre? Le goût est semblable à ces anciennes divinités païennes qu'on respectait d'autant plus qu'on ne savait où les trouver, ni sous quelle forme les adorer. Il n'en est pas de même avec les savants. Ce sont gens, comme disait Laclos, qui ne se battent qu'à coups de faits; et il est fort désagréable pour un grave journaliste, lequel n'a ordinairement d'un érudit que le pédantisme, de se voir rendre, par quelque savant irrité, les coups de férule qu'il lui avait administrés étourdiment. Joignez à cela qu'il n'y a rien de terrible comme la colère d'un savant attaqué sur son terrain favori. Cette espèce d'hommes-là ne sait dire d'injures que par in-folio; il semble que la langue ne leur fournisse point de termes assez forts pour exprimer leur indignation. Visdelou, cet amant platonique de la Lexicologie, raconte, dans son Supplément à la bibliothèque orientale, que l'impératrice chinoise Uu-Heu commit plusieurs crimes, tels que d'assassiner son mari, son frère, ses fils; mais un surtout qu'il appelle un attentat inouï, c'est d'avoir ordonné, au mépris de toutes les lois de la grammaire, qu'on l'appelât empereur et non impératrice.

 

Tout le monde a entendu parler de Jean Alary, l'inventeur de la pierre philosophale des sciences, voici quelques détails sur cet homme célèbre pour le peintre qui se proposera de faire son portrait:

«Alary portait au milieu de la cour même une longue et épaisse barbe, un chapeau d'une forme haute et carrée qui n'était pas celle du temps, et un long manteau doublé de longue peluche qui lui descendait plus bas que les talons, et qu'il portait même souvent pendant les grandes chaleurs de l'été, ce qui le distinguait des autres hommes, et le faisait connaître du peuple, qui l'appelait hautement le philosophe crotté, de quoi, dit Colletet, sa modestie ne s'offensait jamais.»

Colletet appelait Alary le philosophe crotté, Boileau appelait Colletet le poëte crotté. C'est qu'alors l'esprit et le savoir, ces deux démons si redoutés aujourd'hui, étaient de fort pauvres diables. Aujourd'hui ce qui salit le poëte et le philosophe, ce n'est pas la pauvreté, c'est la vénalité; ce n'est pas la crotte, c'est la boue.

On considère maintenant en France, et avec raison, comme le complètement nécessaire d'une éducation élégante, une certaine facilité à manier ce qu'on est convenu d'appeler le style épistolaire. En effet, le genre auquel on donne ce nom – s'il est vrai que ce soit un genre – est dans la littérature comme ces champs du domaine public que tout le monde est en droit de cultiver. Cela vient de ce que le genre épistolaire tient plus de la nature que de l'art. Les productions de cette sorte sont, en quelque façon, comme les fleurs, qui croissent d'elles-mêmes, tandis que toutes les autres compositions de l'esprit humain ressemblent, pour ainsi dire, à des édifices qui, depuis leurs fondements jusqu'à leur faîte, doivent être laborieusement bâtis d'après des lois générales et des combinaisons particulières. La plupart des auteurs épistolaires ont ignoré qu'ils fussent auteurs; ils ont fait des ouvrages comme ce M. Jourdain, tant de fois cité, faisait de la prose, sans le savoir. Ils n'écrivaient point pour écrire, mais parce qu'ils avaient des parents et des amis, des affaires et des affections. Ils n'étaient nullement préoccupés, dans leurs correspondances, du souci de l'immortalité, mais tout bourgeoisement des soins matériels de la vie. Leur style est simple comme l'intimité, et cette simplicité en fait le charme. C'est parce qu'ils n'ont envoyé leurs lettres qu'à leurs familles qu'elles sont parvenues à la postérité. Nous croyons qu'il est impossible de dire quels sont les éléments du style épistolaire; les autres genres ont des règles, celui-là n'a que des secrets.

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