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L'homme qui rit

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III. LES HOMMES INQUIETS SUR LA MER INQUIÈTE

Deux hommes sur le navire étaient absorbés, ce vieillard et le patron de l’ourque, qu’il ne faut pas confondre avec le chef de la bande; le patron était absorbé par la mer, le vieillard par le ciel. L’un ne quittait pas des yeux la vague, l’autre attachait sa surveillance aux nuages. La conduite de l’eau était le souci du patron; le vieillard semblait suspecter le zénith. Il guettait les astres par toutes les ouvertures de la nuée.

C’était ce moment où il fait encore jour, et où quelques étoiles commencent à piquer faiblement le clair du soir.

L’horizon était singulier. La brume y était diverse.

Il y avait plus de brouillard sur la terre, et plus de nuage sur la mer.

Avant même d’être sorti de Portland-Bay, le patron, préoccupé du flot, eut tout de suite une grande minutie de manoeuvres. Il n’attendit pas qu’on eût décapé. Il passa en revue le trelingage, et s’assura que la bridure des bas haubans était en bon état et appuyait bien les gambes de hune, précaution d’un homme qui compte faire des témérités de vitesse.

L’ourque, c’était là son défaut, enfonçait d’une demi-vare par l’avant plus que par l’arrière.

Le patron passait à chaque instant du compas de route au compas de variation, visant par les deux pinnules aux objets de la côte, afin de reconnaître l’aire de vent à laquelle ils répondaient. Ce fut d’abord une brise de bouline qui se déclara; il n’en parut pas contrarié, bien qu’elle s’éloignât de cinq pointes du vent de la route. Il tenait lui-même la barre le plus possible, paraissant ne se fier qu’à lui pour ne perdre aucune force, l’effet du gouvernail s’entretenant par la rapidité du sillage.

La différence entre le vrai rumb et le rumb apparent étant d’autant plus grande que le vaisseau a plus de vitesse, l’ourque semblait gagner vers l’origine du vent plus qu’elle ne faisait réellement. L’ourque n’avait pas vent largue et n’allait pas au plus près, mais on ne connaît directement le vrai rumb que lorsqu’on va vent arrière. Si l’on aperçoit dans les nuées de longues bandes qui aboutissent au même point de l’horizon, ce point est l’origine du vent; mais ce soir-là il y avait plusieurs vents, et l’aire du rumb était trouble; aussi le patron se méfiait des illusions du navire.

Il gouvernait à la fois timidement et hardiment, brassait au vent, veillait aux écarts subits, prenait garde au lans, ne laissait pas arriver le bâtiment, observait la dérive, notait les petits chocs de la barre, avait l’oeil à toutes les circonstances du mouvement, aux inégalités de vitesse du sillage, aux folles ventes, se tenait constamment, de peur d’aventure, à quelque quart de vent de la côte qu’il longeait, et surtout maintenait l’angle de la girouette avec la quille plus ouvert que l’angle de la voilure, le rumb de vent indiqué par la boussole étant toujours douteux, à cause de la petitesse du compas de route. Sa prunelle, imperturbablement baissée, examinait toutes les formes que prenait l’eau.

Une fois pourtant il leva les yeux vers l’espace et tâcha d’apercevoir les trois étoiles qui sont dans le baudrier d’Orion; ces étoiles se nomment les trois Mages, et un vieux proverbe des anciens pilotes espagnols dit: Qui voit les trois mages n’est pas loin du sauveur.

Ce coup d’oeil du patron au ciel coïncida avec cet apart grommelé à l’autre bout du navire par le vieillard:

– Nous ne voyons pas même la Claire des Gardes, ni l’astre Antarès, tout rouge qu’il est. Pas une étoile n’est distincte.

Aucun souci parmi les autres fugitifs.

Toutefois, quand la première hilarité de l’évasion fut passée, il fallut bien s’apercevoir qu’on était en mer au mois de janvier, et que la bise était glacée. Impossible de se loger dans la cabine, beaucoup trop étroite et d’ailleurs encombrée de bagages et de ballots. Les bagages appartenaient aux passagers, et les ballots à l’équipage, car l’ourque n’était point un navire de plaisance et faisait la contrebande. Les passagers durent s’établir sur le pont; résignation facile à ces nomades. Les habitudes du plein air rendent aisés aux vagabonds les arrangements de nuit; la belle étoile est de leurs amies; et le froid les aide à dormir, à mourir quelquefois,

Celle nuit-là, du reste, on vient de le voir, la belle étoile était absente.

Le languedocien et le génois, en attendant le souper, se pelotonnèrent près des femmes, au pied du mât, sous des prélarts que les matelots leur jetèrent.

Le vieux chauve resta debout à l’avant, immobile et comme insensible au froid.

Le patron de l’ourque, de la barre où il était, fit une sorte d’appel guttural assez semblable à l’interjection de l’oiseau qu’on appelle en Amérique l’Exclamateur; à ce cri, le chef de la bande approcha, et le patron lui adressa cette apostrophe: Etcheco jaüna ! Ces deux mots basques, qui signifient «laboureur de la montagne», sont, chez ces antiques cantabres, une entrée en matière solennelle et commandent l’attention.

Puis le palron montra du doigt au chef le vieillard, et le dialogue continua en espagnol, peu correct, du reste, étant de l’espagnol montagnard. Voici les demandes et les réponses:

– Etchceo jaüna, que es este hombre[4]?

– Un hombre.

– Que lenguas habla?

– Todas.

– Que cosas sabe?

– Todas.

– Qual païs!

– Ningun, y todos.

– Qual Dios?

– Dios.

– Como le llamas?

– El Tonto.

– Como dices que le llamas?

– El Sabio.

– En vuestre tropa, que esta?

– Esta lo que esta.

– El gefe?

– No.

– Pues, que esta?

– La alma.

– Le Fou. – Comment dis-tu que tu le nommes? – Le Sage.

– Dans votre troupe, qu’est-ce qu’il est? – Il est ce qu’il

est. – Le chef? – Non. – Alors, quel est-il? – L’âme.

Le chef et le patron se séparèrent, chacun retournant à sa pensée, et peu après la Matutina sortit du golfe.

Les grands balancements du large commencèrent.

La mer, dans les écartements de l’écume, était d’apparence visqueuse; les vagues, vues dans la clarté crépusculaire à profil perdu, avaient des aspects de flasques de fiel. Ça et là une lame, flottant à plat, offrait des fêlures et des étoiles, comme une vitre où l’on a jeté des pierres. Au centre de ces étoiles, dans un trou tournoyant, tremblait une phosphorescence, assez semblable à cette réverbération féline de la lumière disparue qui est dans la prunelle des chouettes.

La Matutina traversa fièrement et en vaillante nageuse le redoutable frémissement du banc Chambours. Le banc Chambours, obstacle latent à la sortie de la rade de Portland, n’est point un barrage, c’est un amphithéâtre. Un cirque de sable sous l’eau, des gradins sculptés par les cercles de l’onde, une arène ronde et symétrique, haute comme une Yungfrau, mais noyée, un colisée de l’océan entrevu par le plongeur dans la transparence visionnaire de l’engloutissement, c’est là le banc Chambours. Les hydres s’y combattent, les léviathans s’y rencontrent; il y a là, disent les légendes, au fond du gigantesque entonnoir, des cadavres de navires saisis et coulés par l’immense araignée Kraken, qu’on appelle aussi le poisson-montagne. Telle est l’effrayante ombre de la mer.

Ces réalités spectrales ignorées de l’homme se manifestent à la surface par un peu de frisson.

Au dix-neuvième siècle, le banc Chambours est en ruine. Le brise-lames récemment construit a bouleversé et tronqué à force de ressacs cette haute architecture sous-marine, de même que la jetée bâtie au Croisie en 1760 y a changé d’un quart d’heure l’établissement des marées. La marée pourtant, c’est éternel; mais l’éternité obéit à l’homme plus qu’on ne croit.

IV. ENTRÉE EN SCÈNE D’UN NUAGE DIFFÉRENT DES AUTRES

Le vieux homme que le chef de la troupe avait qualifié d’abord le Fou, puis le Sage, ne quittait plus l’avant. Depuis le passage du banc Chambours, son attention se partageait entre le ciel et l’océan. Il baissait les yeux, puis les relevait; ce qu’il scrutait surtout, c’était le nord-est,

Le patron confia la barre à un matelot, enjamba le panneau de la fosse aux câbles, traversa le passavent et vint au gaillard de proue.

Il aborda le vieillard, mais non de face. Il se tint un peu en arrière, les coudes serrés aux hanches, les mains écartées, la tête penchée sur l’épaule, l’oeil ouvert, le sourcil haut, un coin des lèvres souriant, ce qui est l’attitude de la curiosité, quand elle flotte entre l’ironie et le respect.

Le vieillard, soit qu’il eût l’habitude de parler quelquefois seul, soit que sentir quelqu’un derrière lui l’excitât à parler, se mit à monologuer, en considérant l’étendue.

– Le méridien d’où l’on compte l’ascension droite est marqué dans ce siècle par quatre étoiles, la Polaire, la chaise de Cassiopée, la tête d’Andromède, et l’étoile Algénib, qui est dans Pégase. Mais aucune n’est visible.

Ces paroles se succédaient automatiquement, confuses, à peu près dites, et en quelque façon sans qu’il se mêlât de les prononcer. Elles flottaient hors de sa bouche et se dissipaient. Le monologue est la fumée des feux intérieurs de l’esprit.

Le patron interrompit:

– Seigneur…

Le vieillard, peut-être un peu sourd en même temps que très pensif, continua:

– Pas assez d’étoiles, et trop de vent. Le vent quitte toujours sa route pour se jeter sur la côte. Il s’y jette à pic. Cela tient à ce que la terre est plus chaude que la mer. L’air en est plus léger. Le vent froid et lourd de la mer se précipite sur la terre pour le remplacer. C’est pourquoi dans le grand ciel le vent souffle vers la terre de tous les côtés. Il importerait de faire des bordées allongées entre le parallèle estimé et le parallèle présumé. Quand la latitude observée ne diffère pas de la latitude présumée de plus de trois minutes sur dix lieues, et de quatre sur vingt, on est en bonne route.

 

Le patron salua, mais le vieillard ne le vit point. Cet homme, qui portait presque une simarre d’universitaire d’Oxford ou de Goettingue, ne bougeait pas de sa posture hautaine et revêche. Il observait la mer en connaisseur des flots et des hommes. Il étudiait les vagues, mais presque comme s’il allait demander dans leur tumulte son tour de parole, et leur enseigner quelque chose. Il y avait en lui du magister et de l’augure. Il avait l’air du pédant de l’abîme.

Il poursuivit son soliloque, peut-être fait, après tout, pour être écouté.

– On pourrait lutter, si l’on avait une roue au lieu d’une barre. Par une vitesse de quatre lieues à l’heure, trente livres d’effort sur la roue peuvent produire trois cent mille livres d’effet sur la direction. Et plus encore, car il y a des cas o l’on fait faire à la trousse deux tours de plus.

Le patron salua une deuxième fois, et dit:

– Seigneur…

L’oeil du vieillard se fixa sur lui. La tête tourna sans que le corps remuât.

– Appelle-moi docteur.

– Seigneur docteur, c’est moi qui suis le patron.

– Soit, répondit le «docteur».

Le docteur – nous le nommerons ainsi dorénavant – parut consentir au dialogue:

– Patron, as-tu un octant anglais?

– Non.

– Sans octant anglais, tu ne peux prendre hauteur ni par derrière, ni par devant.

– Les basques, répliqua le patron, prenaient hauteur avant qu’il y eût des anglais,

– Méfie-toi de l’olofée.

– Je mollis quand il le faut.

– As-tu mesuré la vitesse du navire?

– Oui.

– Quand?

– Tout à l’heure.

– Par quel moyen?

– Au moyen du loch.

– As-tu eu soin d’avoir l’oeil sur le bois du loch?

– Oui.

– Le sablier fait-il juste ses trente secondes?

– Oui.

– Es-tu sûr que le sable n’a point usé le trou entre les deux empoulettes?

– Oui.

– As-tu fait la contre-épreuve du sablier par la vibration d’une balle de mousquet suspendue…

– A un fil plat tiré de dessus le chanvre roui? Sans doute.

– As-tu ciré le fil de peur qu’il ne s’allonge?

– Oui.

– As-tu fait la contre-épreuve du loch?

– J’ai fait la contre-épreuve du sablier par la balle de mousquet et la contre-épreuve du loch par le boulet de canon.

– Quel diamètre a ton boulet?

– Un pied.

– Bonne lourdeur.

– C’est un ancien boulet de notre vieille ourque de guerre, la Casse de Par-grand.

– Qui était de l’armada?

– Oui.

– Et qui portait six cents soldats, cinquante matelots et vingt-cinq canons?

– Le naufrage le sait.

– Comment as-tu pesé le choc de l’eau contre le boulet?

– Au moyen d’un peson d’Allemagne.

– As-tu tenu compte de l’impulsion du flot contre la corde portant le boulet?

– Oui.

– Quel est le résultat?

– Le choc de l’eau a été de cent soixante-dix livres.

– C’est-à-dire que le navire fait à l’heure quatre lieues de France.

– Et trois de Hollande.

– Mais c’est seulement le surplus de la vitesse du sillage sur la vitesse de la mer.

– Sans doute.

– Où te diriges-tu?

– A une anse que je connais entre Loyola et Saint-Sébastien.

– Mets-toi vite sur le parallèle du lieu de l’arrivée.

– Oui. Le moins d’écart possible.

– Méfie-toi des vents et des courants. Les premiers excitent les seconds.

– Traidores[5].

– Pas de mots injurieux. La mer entend. N’insulte rien. Contente-toi d’observer,

– J’ai observé et j’observe. La marée est en ce moment contre le vent; mais tout à l’heure, quand elle courra avec le vent, nous aurons du bon.

– As-tu un routier?

– Non. Pas pour cette mer.

– Alors tu navigues à tâtons?

– Point. J’ai la boussole.

– La boussole est un oeil, le routier est l’autre.

– Un borgne voit.

– Comment mesures-tu l’angle que fait la route du navire avec la quille?

– J’ai mon compas de variation, et puis je devine.

– Deviner, c’est bien; savoir c’est mieux.

– Christophe[6] devinait.

– Quand il y a de la brouille et quand la rose tourne vilainement, on ne sait plus par quel bout du harnais prendre le vent, et l’on finit par n’avoir plus ni point estimé, ni point corrigé. Un âne avec son routier vaut mieux qu’un devin avec son oracle.

– Il n’y a pas encore de brouille dans la bise, et je ne vois pas de motif d’alarme.

– Les navires sont des mouches dans la toile d’araignée de la mer.

– Présentement, tout est en assez bon état dans la vague et dans le vent.

– Un tremblement de points noirs sur le flot, voilà les hommes sur l’océan.

– Je n’augure rien de mauvais pour cette nuit.

– Il peut arriver une telle bouteille à l’encre que tu aies de la peine à te tirer d’intrigue.

– Jusqu’à présent tout va bien.

L’oeil du docteur se fixa sur le nord-est.

Le patron continua:

– Gagnons seulement le golfe de Gascogne, et je réponds de tout. Ah! par exemple, j’y suis chez moi. Je le tiens, mon golfe de Gascogne. C’est une cuvette souvent bien en colère, mais là je connais toutes les hauteurs d’eau et toutes les qualités de fond; vase devant San Cipriano, coquilles devant Cizarque, sable au cap Penas, petits cailloux au Boucaut de Mimizan, et je sais la couleur de tous les cailloux.

Le patron s’interrompit; le docteur ne l’écoutait plus.

Le docteur considérait le nord-est. Il se passait sur ce visage glacial quelque chose d’extraordinaire.

Toute la quantité d’effroi possible à un masque de pierre y était peinte. Sa bouche laissa échapper ce mot:

– A la bonne heure!

Sa prunelle, devenue tout à fait de hibou et toute ronde, s’était dilatée de stupeur en examinant un point de l’espace.

Il ajouta:

– C’est juste. Quant à moi, je consens.

Le patron le regardait.

Le docteur reprit, se parlant à lui-même ou parlant à quelqu’un dans l’abîme:

– Je dis oui.

Il se tut, ouvrit de plus en plus son oeil avec un redoublement d’attention sur ce qu’il voyait, et reprit:

– Cela vient de loin, mais cela sait ce que cela fait.

Le segment de l’espace où plongeaient le rayon visuel et la pensée du docteur, étant opposé au couchant, était éclairé par la vaste réverbération crépusculaire presque comme par le jour. Ce segment, fort circonscrit et entouré de lambeaux de vapeur grisâtre, était tout simplement bleu, mais d’un bleu plus voisin du plomb que de l’azur.

Le docteur, tout à fait retourné du côté de la mer et sans regarder le patron désormais, désigna de l’index ce segment aérien, et dit:

– Patron, vois-tu?

– Quoi?

– Cela.

– Quoi?

– Là-bas.

– Du bleu. Oui.

– Qu’est-ce?

– Un coin du ciel.

– Pour ceux qui vont au ciel, dit le docteur. Pour ceux qui vont ailleurs, c’est autre chose.

Et il souligna ces paroles d’énigme d’un effrayant regard perdu dans l’ombre.

Il y eut un silence.

Le patron, songeant à la double qualification donnée par le chef à cet homme, se posa en lui-même cette question: Est-ce un fou? Est-ce un sage?

L’index osseux et rigide du docteur était demeuré dressé comme en arrêt vers le coin bleu trouble de l’horizon.

Le patron examina ce bleu,

– En effet, grommela-t-il, ce n’est pas du ciel, c’est du nuage.

– Nuage bleu pire que nuage noir, dit le docteur. Et il ajouta:

– C’est le nuage de la neige.

– La nube de la nieve, fit le patron comme s’il cherchait mieux comprendre en se traduisant le mot.

– Sais-tu ce que c’est que le nuage de la neige? demanda le docteur.

– Non.

– Tu le sauras tout à l’heure.

Le patron se remit à considérer l’horizon.

Tout en observant le nuage, le patron parlait entre ses dents.

– Un mois de bourrasque, un mois de pluie, janvier qui tousse et février qui pleure, voilà tout notre hiver à nous autres asturiens. Notre pluie est chaude. Nous n’avons de neige que dans la montagne. Par exemple, gare à l’avalanche! l’avalanche ne connaît rien; l’avalanche, c’est la bête.

– Et la trombe, c’est le monstre, dit le docteur,

Le docteur, après une pause, ajouta;

– La voilà qui vient.

Il reprit:

– Plusieurs vents se mettent au travail à la fois. Un gros vent, de l’ouest, et un vent très lent, de l’est.

– Celui-là est un hypocrite, dit le patron.

La nuée bleue grandissait.

– Si la neige, continua le docteur, est redoutable quand elle descend de la montagne, juge de ce qu’elle est quand elle croule du pôle.

Son oeil était vitreux. Le nuage semblait croître sur son visage en même temps qu’à l’horizon.

Il reprit avec un accent de rêverie:

– Toutes les minutes amènent l’heure. La volonté d’en haut s’entr’ouvre.

Le patron de nouveau se posa intérieurement ce point d’interrogation: Est-ce un fou?

– Patron, repartit le docteur, la prunelle toujours attachée sur le nuage, as-tu beaucoup navigué dans la Manche?

Le patron répondit:

– C’est aujourd’hui la première fois.

Le docteur, que le nuage bleu absorbait, et qui, de même que l’éponge n’a qu’une capacité d’eau, n’avait qu’une capacit d’anxiété, ne fut pas, à cette réponse du patron, ému au del d’un très léger dressement d’épaule.

– Comment cela?

– Seigneur docteur, je ne fais habituellement que le voyage d’Irlande. Je vais de Fontarabie à Black-Harbour ou à l’île Akill, qui est deux îles. Je vais parfois à Brachipult, qui est une pointe du pays de Galles. Mais je gouverne toujours par del les îles Scilly. Je ne connais pas cette mer-ci.

– C’est grave. Malheur à qui épelle l’océan! La Manche est une mer qu’il faut lire couramment. La Manche, c’est le sphinx. Méfie-toi du fond.

– Nous sommes ici dans vingt-cinq brasses.

– Il faut arriver aux cinquante-cinq brasses qui sont au couchant et éviter les vingt qui sont au levant.

– En route, nous sonderons.

– La Manche n’est pas une mer comme une autre. La marée y monte de cinquante pieds dans les malines et de vingt-cinq dans les mortes eaux. Ici, le reflux n’est pas l’èbe, et l’èbe n’est pas le jusant. Ah! tu m’avais l’air décontenancé en effet.

– Cette nuit, nous sonderons.

– Pour sonder, il faut s’arrêter, et tu ne pourras.

– Pourquoi?

– Parce que le vent.

– Nous essaierons.

– La bourrasque est une épée aux reins.

– Nous sonderons, seigneur docteur.

– Tu ne pourras pas seulement mettre côté à travers.

– Foi en Dieu.

– Prudence dans les paroles. Ne prononce pas légèrement le nom irritable.

– Je sonderai, vous dis-je.

– Sois modeste. Tout à l’heure tu vas être souffleté par le vent.

– Je veux dire que je tâcherai de sonder.

– Le choc de l’eau empêchera le plomb de descendre et la ligne cassera. Ah! tu viens dans ces parages pour la première fois!

– Pour la première fois.

– Eh bien, en ce cas, écoute, patron.

L’accent de ce mot, écoute, était si impératif que le patron salua.

– Seigneur docteur, j’écoute.

– Amure à bâbord et borde à tribord.

– Que voulez-vous dire?

– Mets le cap à l’ouest.

– Caramba!

– Mets le cap à l’ouest.

– Pas possible,

– Comme tu voudras. Ce que je t’en dis, c’est pour les autres. Moi, j’accepte.

– Mais, seigneur docteur, le cap à l’ouest…

– Oui, patron.

– C’est le vent debout!

– Oui. patron.

– C’est un tangage diabolique!

– Choisis d’autres mots. Oui, patron.

– C’est le navire sur le chevalet!

– Oui, patron.

– C’est peut-être le mât rompu!

– Peut-être.

– Vous voulez que je gouverne à l’ouest!

– Oui.

– Je ne puis.

– En ce cas, fais ta dispute avec la mer comme tu voudras.

– Il faudrait que le vent changeât.

– Il ne changera pas de toute la nuit.

– Pourquoi?

– Ceci est un souffle long de douze cents lieues.

– Aller contre ce vent-là! impossible.

– Le cap à l’ouest, te dis-je!

– J’essaierai. Mais malgré tout nous dévierons.

– C’est le danger.

– La brise nous chasse à l’est.

– Ne va pas à l’est.

– Pourquoi?

– Patron, sais-tu quel est aujourd’hui pour nous le nom de la mort?

– Non.

– La mort s’appelle l’est.

– Je gouvernerai à l’ouest.

Le docteur cette fois regarda le patron, et le regarda avec ce regard qui appuie comme pour enfoncer une pensée dans un cerveau. Il s’était tourné tout entier vers le patron et il prononça ces paroles lentement, syllabe à syllabe:

– Si cette nuit, quand nous serons au milieu de la mer, nous entendons le son d’une cloche, le navire est perdu.

 

Le patron le considéra, stupéfait.

– Que voulez-vous dire?

Le docteur ne répondit pas. Son regard, un instant sorti, était maintenant rentré. Son oeil était redevenu intérieur. Il ne sembla point percevoir la question étonnée du patron. Il n’était plus attentif qu’à ce qu’il écoutait en lui-même. Ses lèvres articulèrent, comme machinalement, ces quelques mots bas comme un murmure:

– Le moment est venu pour les âmes noires de se laver.

Le patron fit cette moue expressive qui rapproche du nez tout le bas du visage.

– C’est plutôt le fou que le sage, grommela-t-il.

Et il s’éloigna.

Cependant il mit le cap à l’ouest.

Mais le vent et la mer grossissaient.

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