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Han d'Islande

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XLVIII

...... Quand le méchant m'épie, Me ferez-vous tomber, Seigneur, entre ses mains? C'est lui qui sous mes pas a rompu vos chemins. Ne me châtiez point, car mon crime est son crime.



A. DE VIGNY.

L'heure fatale était arrivée; le soleil ne montrait plus que la moitié de son disque au-dessus de l'horizon. Les postes étaient doublés dans tout le château fort de Munckholm; devant chaque porte se promenaient des sentinelles silencieuses et farouches. La rumeur de la ville arrivait plus tumultueuse et plus bruyante aux sombres tours de la forteresse, livrée elle-même à une agitation extraordinaire. On entendait dans toutes les cours le bruit lugubre des tambours voilés de crêpes; le canon de la tour basse grondait par intervalles; la lourde cloche du donjon se balançait lentement avec des sons graves et prolongés, et, de tous les points du port, des embarcations chargées de peuple se pressaient vers le redoutable rocher. Un échafaud tendu de noir, autour duquel s'épaississait et se grossissait sans cesse une foule impatiente, s'élevait dans la place d'armes du château, au centre d'un carré de soldats. Sur l'échafaud se promenait un homme vêtu de serge rouge, tantôt s'appuyant sur une hache qu'il tenait à la main, tantôt remuant un billot et une claie que portait l'estrade funèbre. Près de là était préparé un bûcher devant lequel brûlaient quelques torches de résine. Entre l'échafaud et le bûcher, on avait planté un pieu auquel était suspendu un écriteau:

Ordener Guldenlew, traître

.– On apercevait, de la place d'Armes, flotter au haut du donjon de Slesvig un grand drapeau noir.



C'est dans ce moment que parut, devant le tribunal toujours assemblé dans la salle d'audience, Ordener condamné. L'évêque seulement était absent; son ministère de défenseur avait cessé.



Le fils du vice-roi était vêtu de noir, et portait à son cou le collier de Dannebrog. Son visage était pâle, mais fier. Il était seul; car on était venu le chercher pour le supplice avant que l'aumônier Athanase Munder fût revenu dans son cachot.



Ordener avait déjà consommé intérieurement son sacrifice. Cependant l'époux d'Éthel songeait encore avec quelque amertume à la vie, et eût peut-être voulu pouvoir choisir pour sa première nuit de noces une autre nuit que celle du tombeau. Il avait prié et surtout rêvé dans sa prison. Maintenant il était debout devant le terme de toute prière et de tout rêve. Il se sentait fort de la force que donnent Dieu et l'amour. La foule, plus émue que le condamné, le considérait avec une attention avide. L'éclat de son rang, l'horreur de son sort, éveillaient toutes les envies et toutes les pitiés. Chacun assistait à son châtiment sans s'expliquer son crime. Il y a au fond des hommes un sentiment étrange qui les pousse, ainsi qu'à des plaisirs, au spectacle des supplices. Ils cherchent avec un horrible empressement à saisir la pensée de la destruction sur les traits décomposés de celui qui va mourir, comme si quelque révélation du ciel ou de l'enfer devait apparaître, en ce moment solennel, dans les yeux du misérable; comme pour voir quelle ombre jette l'aile de la mort planant sur une tête humaine; comme pour examiner ce qui reste d'un homme quand l'espérance l'a quitté. Cet être, plein de force et de santé, qui se meut, qui respire, qui vit, et qui, dans un moment, cessera de se mouvoir, de respirer, de vivre, environné d'êtres pareils à lui, auxquels il n'a rien fait, qui le plaignent tous, et dont nul ne le secourra; ce malheureux, mourant sans être moribond, courbé à la fois sous une puissance matérielle et sous un pouvoir invisible; cette vie que la société n'a pu donner, et qu'elle prend avec appareil, toute cette cérémonie imposante du meurtre judiciaire, ébranlent vivement les imaginations. Condamnés tous à mort avec des sursis indéfinis, c'est pour nous un objet de curiosité étrange et douloureuse, que l'infortuné qui sait précisément à quelle heure son sursis doit être levé.



On se souvient qu'avant d'aller à l'échafaud Ordener devait être amené devant le tribunal, pour être dégradé de ses titres et de ses honneurs. À peine le mouvement excité dans l'assemblée par son arrivée eut-il fait place au calme, que le président se fit apporter le livre héraldique des deux royaumes, et les statuts de l'ordre de Dannebrog.



Alors, ayant invité le condamné à mettre un genou en terre, il recommanda aux assistants le silence et le respect, ouvrit le livre des chevaliers de Dannebrog, et commença à lire d'une voix haute et sévère:



«– Christiern, par la grâce et miséricorde du Tout-Puissant, roi de Danemark et de Norvège, des Vandales et des Goths, duc de Slesvig, de Holstein, de Stormarie et de Dytmarse, comte d'Oldenbourg et de Delmenhurst, savoir faisons— qu'ayant rétabli, sur la proposition de notre grand-chancelier, comte de Griffenfeld (la voix du président passa si rapidement sur ce nom qu'on l'entendit à peine), l'ordre royal de Dannebrog, fondé par notre illustre aïeul saint Waldemar,



«Sur ce que nous avons considéré que cet ordre vénérable ayant été créé en souvenir de l'étendard Dannebrog, envoyé du ciel à notre royaume béni,



«Ce serait mentir à la divine institution de l'ordre si quelqu'un des chevaliers pouvait impunément forfaire à l'honneur et aux saintes lois de l'église et de l'état, Nous ordonnons, à genoux devant Dieu, que quiconque, parmi les chevaliers de l'ordre, aura livré son âme au démon par quelque félonie ou trahison, après avoir été blâmé publiquement par un juge, sera à jamais dégradé du rang de chevalier de notre royal ordre de Dannebrog.» Le président referma le livre.



– Ordener Guldenlew, baron de Thorvick, chevalier de Dannebrog, vous vous êtes rendu coupable de haute trahison, crime pour lequel votre tête va être tranchée, votre corps brûlé, et votre cendre jetée au vent.– Ordener Guldenlew, traître, vous vous êtes rendu indigne de prendre rang parmi les chevaliers de Dannebrog. Je vous invite à vous humilier, car je vais vous dégrader publiquement au nom du roi.



Le président étendit la main sur le livre de l'ordre, et s'apprêtait à prononcer la formule fatale sur Ordener, calme et immobile, lorsqu'une porte latérale s'ouvrit à droite du tribunal. Un huissier ecclésiastique parut, annonçant sa révérence l'évêque de Drontheimhus.



C'était lui en effet. Il entra précipitamment dans la salle, accompagné d'un autre ecclésiastique qui le soutenait.



– Arrêtez! seigneur président, cria-t-il avec une force qui semblait n'être plus de son âge; arrêtez!– Le ciel soit béni! j'arrive à temps:



L'assemblée redoubla d'attention, prévoyant quelque nouvel événement.



Le président se tourna vers l'évêque avec humeur:



– Votre révérence me permettra de lui faire remarquer, que sa présence est inutile ici. Le tribunal va dégrader le condamné, qui touche au moment de subir sa peine.



– Gardez-vous, dit l'évêque, de toucher à celui qui est pur devant le Seigneur. Ce condamné est innocent. Rien ne peut se comparer au cri d'étonnement qui retentit dans l'auditoire, si ce n'est le cri d'épouvante que poussèrent le président et le secrétaire intime.



– Oui, tremblez, juges, poursuivit l'évêque avant que le président eût eu le temps de reprendre son sang-froid; tremblez! car vous alliez verser le sang innocent.



Pendant que l'émotion du président se calmait, Ordener s'était levé consterné. Le noble jeune homme craignait que sa généreuse ruse ne fût découverte, et qu'on n'eût trouvé des preuves de la culpabilité de Schumacker.



– Seigneur évêque, dit le président, dans cette affaire, le crime semble vouloir nous échapper, en passant de tête en tête. Ne vous fiez pas à quelque vaine apparence. Si Ordener Guldenlew est innocent, quel est donc alors le coupable?



– Votre grâce va le savoir, répondit l'évêque.– Puis, montrant au tribunal une cassette de fer qu'un serviteur portait derrière lui:– Nobles seigneurs, vous avez jugé dans les ténèbres; dans cette cassette est la lumière miraculeuse qui doit les dissiper.



Le président, le secrétaire intime et Ordener parurent frappés en même temps, à l'aspect de la mystérieuse cassette. L'évêque poursuivit:



– Nobles juges, écoutez-nous. Aujourd'hui, au moment où nous rentrions dans notre palais épiscopal, afin de nous reposer des fatigues de la nuit, et de prier pour les condamnés, on nous a remis cette boîte de fer scellée. Le gardien du Spladgest l'avait, nous a-t-on dit, apportée ce matin à notre palais pour qu'elle nous fût remise, affirmant qu'elle renfermait sans doute quelque mystère satanique, attendu qu'il l'avait trouvée sur le corps du sacrilège Benignus Spiagudry, dont on a retiré le cadavre du Sparbo.



L'attention d'Ordener redoubla. Tout l'auditoire se taisait religieusement. Le président et le secrétaire courbaient la tête comme deux condamnés. On eût dit qu'ils avaient tous deux oublié leur astuce et leur audace. Il y a un moment dans la vie du méchant où sa puissance s'en va.



– Après avoir béni cette cassette, continua l'évêque, nous en avons brisé le sceau, qui portait, comme vous pouvez le voir encore, les anciennes armoiries abolies de Griffenfeld. Nous y avons trouvé en effet un secret satanique. Vous allez en juger, vénérables seigneurs. Prêtez-nous toute votre attention; car il s'agit ici du sang des hommes, et le Seigneur en pèse chaque goutte.



Alors, ouvrant la formidable cassette, il en tira un parchemin au dos duquel était écrite l'attestation suivante:



«Moi, Blaxtham Cumbysulsum, docteur, je déclare, au moment de mourir, remettre au capitaine Dispolsen, procureur, à Copenhague, de l'ancien comte de Griffenfeld, la pièce suivante, entièrement écrite de la main de Turiaf Musdoemon, serviteur du chancelier comte d'Ahlefeld, afin que le susnommé capitaine en fasse l'usage qu'il lui plaira.– Et je prie Dieu de me pardonner mes crimes.– À Copenhague, le onzième jour du mois de janvier mil six cent quatre-vingt-dix-neuf.

 



«CUMBYSULSUM.»

Le secrétaire intime tremblait d'un tremblement convulsif. Il voulut parler et ne le put. L'évêque cependant remettait le parchemin au président pâle et agité.



– Que vois-je? s'écria celui-ci en déployant le parchemin.–

Note au noble comte d'Ahlefeld, sur le moyen de se défaire juridiquement de Schumacker!

....– Je vous jure, révérend évêque....



Le parchemin tomba des mains du président.



– Lisez, lisez, seigneur, poursuivit l'évêque. Je ne doute pas que votre indigne serviteur n'ait abusé de votre nom, comme il a abusé de celui du malheureux Schumacker. Voyez seulement ce qu'a produit votre haine peu charitable pour votre prédécesseur tombé. Un de vos courtisans a machiné en votre nom sa perte, espérant sans doute s'en faire un mérite auprès de votre grâce.



En montrant au président que les soupçons de l'évêque, qui connaissait tout le contenu de la cassette, ne tombaient pas sur lui, ces paroles le ranimèrent. Ordener respirait également. Il commençait à entrevoir que l'innocence du père de son Éthel allait éclater en même temps que la sienne propre. Il éprouvait un profond étonnement de cette destinée bizarre qui l'avait conduit à la poursuite d'un formidable brigand pour retrouver cette cassette, que son vieux guide Benignus Spiagudry portait sur lui; en sorte qu'elle le suivait pendant qu'il la cherchait. Il méditait aussi la grave leçon des événements qui, après l'avoir perdu par cette fatale cassette, le sauvaient par elle.



Le président, rappelant son sang-froid, lut alors, avec les signes d'une indignation que partageait tout l'auditoire, une longue note, où Musdoemon expliquait en détail l'abominable plan que nous lui avons vu suivre dans le cours de cette histoire. Plusieurs fois le secrétaire intime voulut se lever pour se défendre; mais à chaque fois la rumeur publique le repoussait sur son siège. Enfin l'odieuse lecture se termina au milieu d'un murmure d'horreur.



– Hallebardiers, qu'on saisisse cet homme! dit le président, désignant le secrétaire intime.



Le misérable, sans force et sans parole, descendit de son siège, et fut jeté sur le banc d'infamie, parmi les huées de la populace.



– Seigneurs juges, dit l'évêque, frémissez et réjouissez-vous. La vérité, qui vient d'être portée à vos consciences, va encore vous être confirmée par ce que l'aumônier des prisons de cette royale ville, notre honoré frère Athanase Munder, ici présent, va vous apprendre.



C'était en effet Athanase Munder qui accompagnait l'évêque. Il s'inclina devant son pasteur et devant le tribunal, puis, sur un signe du président, il s'exprima ainsi:



– Ce que je vais dire est la vérité. Me punisse le ciel si je profère ici une parole dans une intention autre que celle de bien faire!– J'avais, d'après ce que j'avais vu ce matin dans le cachot du fils du vice-roi, pensé en moi-même que ce jeune homme n'était point coupable, quoique vos seigneuries l'aient condamné sur ses aveux. Or, j'ai été appelé, il y a quelques heures, pour donner les derniers secours spirituels au malheureux montagnard qui a été si cruellement assassiné devant vous, et que vous aviez condamné, respectables seigneurs, comme étant Han d'Islande. Voici ce que m'a dit ce moribond: «Je ne suis point Han d'Islande; j'ai été bien puni d'avoir pris ce nom. Celui qui m'a payé pour jouer ce rôle est le secrétaire intime de la grande chancellerie; il se nomme Musdoemon, et il a machiné toute la révolte sous le nom de Hacket. Je crois qu'il est le seul coupable dans tout ceci.» Alors il m'a demandé ma bénédiction et recommandé de venir en toute hâte reporter ses dernières paroles au tribunal. Dieu est témoin de ce que je dis. Puisse-je sauver le sang de l'innocent, et ne point faire verser celui du coupable!



Il se tut, saluant de nouveau son évêque et les juges.



– Votre grâce voit, seigneur, dit l'évêque au président, que l'un de mes clients n'avait point saisi à tort tant de ressemblance entre ce Hacket et votre secrétaire intime.



– Turiaf Musdoemon; demanda le président au nouvel accusé, qu'avez-vous à alléguer pour votre défense?



Musdoemon leva sur son maître un regard qui l'effraya. Toute son assurance lui était revenue. Il répondit après un moment de silence:



– Rien, seigneur.



Le président reprit d'une voix altérée et faible:



– Vous vous avouez donc coupable du crime qui vous est imputé? Vous vous avouez auteur d'une conspiration tramée à la fois contre l'état et contre un individu nommé Schumacker.



– Oui, seigneur, répondit Musdoemon. L'évêque se leva.



– Seigneur président, pour qu'il ne reste aucun doute dans cette affaire, que votre grâce demande à l'accusé s'il a eu des complices.



– Des complices! répéta Musdoemon.



Il parut réfléchir un moment. Un horrible malaise se peignit sur le front du président.



– Non, seigneur évêque, dit-il enfin.



Le président jeta sur lui un regard soulagé qui rencontra le sien.



– Non, je n'ai point eu de complices, répéta Musdoemon avec plus de force. J'avais tramé tout ce complot par attachement pour mon maître, qui l'ignorait, pour perdre son ennemi Schumacker.



Les regards de l'accusé et du président se rencontrèrent encore.



– Votre grâce, reprit l'évêque, doit sentir que, puisque Musdoemon n'a point eu de complices, le baron Ordener Guldenlew ne peut être coupable.



– S'il ne l'était pas, révérend évêque, comment se serait-il avoué criminel?



– Seigneur président, comment ce montagnard s'est-il obstiné à se dire Han d'Islande au péril de sa tête? Dieu seul sait ce qui existe au fond des coeurs.



Ordener prit la parole.



– Seigneurs juges, je puis vous le dire, maintenant que le vrai coupable est découvert. Oui, je me suis faussement accusé, pour sauver l'ancien chancelier Schumacker, dont la mort eût laissé sa fille sans protecteur.



Le président se mordit les lèvres.



– Nous demandons au tribunal, dit l'évêque, que l'innocence de notre client Ordener soit proclamée par lui.



Le président répondit par un signe d'adhésion; et, sur la demande du haut-syndic, on acheva l'examen de la redoutable cassette, qui ne renfermait plus que le diplôme et les titres de Schumacker mêlés à quelques lettres du prisonnier de Munckholm au capitaine Dispolsen, lettres amères sans être coupables, et qui ne pouvaient effrayer que le chancelier d'Ahlefeld.



Bientôt le tribunal se retira, et après une courte délibération, tandis que les curieux rassemblés dans la place d'Armes attendaient avec une impatience opiniâtre le fils du vice-roi condamné, et que le bourreau se promenait nonchalamment sur l'échafaud, le président prononça, d'une voix presque éteinte, l'arrêt qui condamnait à mort Turiaf Musdoemon, et réhabilitait Ordener Guldenlew, le réintégrant dans tous ses honneurs, titres et privilèges.



XLIX

Combien me vendras-tu ta carcasse, mon drôle? Je n'en donnerais pas, en honneur, une obole.



Saint Michel à Satan. Mystère.

Ce qui restait du régiment des arquebusiers de Munckholm était rentré dans son ancienne caserne, bâtiment isolé au milieu d'une grande cour carrée dans l'enceinte du fort. À la nuit tombante, on barricada, suivant l'usage, les portes de cet édifice, où s'étaient retirés tous les soldats, à l'exception des sentinelles dispersées sur les tours et du peloton de garde devant la prison militaire adossée à la caserne. Cette prison, la plus sûre et la mieux surveillée de toutes les prisons de Munckholm, renfermait les deux condamnés qui devaient être pendus le lendemain matin, Han d'Islande et Musdoemon.



Han d'Islande est seul dans son cachot. Il est étendu sur la terre, enchaîné, la tête appuyée sur une pierre; quelque faible lumière vient jusqu'à lui à travers une ouverture quadrangulaire grillée, pratiquée dans l'épaisse porte de chêne qui sépare son cachot de la salle voisine, où il entend ses gardiens rire et blasphémer, au bruit des bouteilles qu'ils vident et des dés qu'ils roulent sur un tambour. Le monstre s'agite en silence dans l'ombre, ses bras se resserrent et s'écartent, ses genoux se contractent et se déploient, ses dents mordent ses fers.



Tout à coup il élève la voix, il appelle; un guichetier se présente à l'ouverture grillée.



– Que veux-tu? dit-il au brigand.



Han d'Islande se soulève.



– Compagnon, j'ai froid; mon lit de pierre est dur et humide; donne-moi une botte de paille pour dormir, et un peu de feu pour me réchauffer.



– Il est juste, reprend le guichetier, de procurer au moins ses aises à un pauvre diable qui va être pendu, fût-il le diable d'Islande. Je vais t'apporter ce que tu me demandes.– As-tu de l'argent?



– Non, répond le brigand.



– Quoi! toi, le plus fameux voleur de la Norvège, tu n'as pas dans ta sacoche quelques méchants ducats d'or?



– Non, répond le brigand.



– Quelques petits écus royaux?



– Non, te dis-je!



– Pas même quelques pauvres ascalins?



– Non, non, rien; pas de quoi acheter la peau d'un rat ou l'âme d'un homme.



Le guichetier hocha la tête:



– C'est différent; tu as tort de te plaindre; ta cellule n'est pas aussi froide que celle où tu dormiras demain, sans t'apercevoir, je te jure, de la dureté du lit.



Cela dit, le guichetier se retira, emportant une malédiction du monstre, qui continua de se mouvoir dans ses chaînes, dont les anneaux rendaient par intervalles des bruits faibles, comme s'ils se fussent lentement brisés sous des tiraillements violents et réitérés.



La porte de chêne s'ouvrit; un homme de haute taille, vêtu de serge rouge, et portant une lanterne sourde, entra dans le cachot, accompagné du guichetier qui avait repoussé la prière du prisonnier. Celui-ci cessa tout mouvement.



– Han d'Islande, dit l'homme vêtu de rouge, je suis Nychol Orugix, bourreau du Drontheimhus; je dois avoir demain, au lever du jour, l'honneur de pendre ton excellence par le cou à une belle potence neuve, sur la place publique de Drontheim.



– Es-tu bien sûr en effet de me pendre? répondit le brigand.



Le bourreau se mit à rire.



– Je voudrais que tu fusses aussi sûr de monter droit au ciel par l'échelle de Jacob, que tu es sûr de monter demain au gibet par l'échelle de Nychol Orugix.



– En vérité? dit le monstre avec un malicieux regard.



– Je te répète, seigneur brigand, que je suis le bourreau de la province.



– Si je n'étais moi, je voudrais être toi, reprit le brigand.



– Je ne t'en dirai pas autant, reprit le bourreau; puis, se frottant les mains d'un air vain et flatté:– Mon ami, tu as raison, c'est un bel état que le nôtre. Ah! ma main sait ce que pèse la tête d'un homme.



– As-tu quelquefois bu du sang? demanda le brigand.



– Non; mais j'ai souvent donné la question.



– As-tu quelquefois dévoré les entrailles d'un petit enfant vivant encore?



– Non; mais j'ai fait crier des os entre les ais d'un chevalet de fer; j'ai tordu des membres dans les rayons d'une roue; j'ai ébréché des scies d'acier sur des crânes dont j'enlevais les chevelures; j'ai tenaillé des chairs palpitantes, avec des pinces rougies devant un feu ardent; j'ai brûlé le sang dans des veines entr'ouvertes, en y versant des ruisseaux de plomb fondu et d'huile bouillante.



– Oui, dit le brigand pensif, tu as bien aussi tes plaisirs.



– En somme, continua le bourreau, quoique tu sois Han d'Islande, je crois qu'il s'est encore envolé plus d'âmes de mes mains que des tiennes, sans compter celle que tu rendras demain.



– En supposant que j'en aie une.– Crois-tu donc, bourreau du Drontheimhus, que tu pourrais faire partir l'esprit d'Ingolphe du corps de Han d'Islande, sans qu'il emportât le tien?



La réponse du bourreau commença par un éclat de rire.



– Ah, vraiment! nous verrons cela demain.



– Nous verrons, dit le brigand.



– Allons, dit le bourreau, je ne suis pas venu ici pour t'entretenir de ton esprit, mais seulement de ton corps. Écoute-moi!– Ton cadavre m'appartient de droit après ta mort; cependant la loi te laisse la faculté de me le vendre; dis-moi donc ce que tu en veux.



– Ce que je veux de mon cadavre? dit le brigand.



– Oui, et sois consciencieux.



Han d'Islande s'adressa au guichetier:



– Dis-moi, camarade, combien veux-tu me vendre une botte de paille et un peu de feu?



Le guichetier resta un moment rêveur:

 



– Deux ducats d'or, répondit-il.



– Eh bien, dit le brigand au bourreau, tu me donneras deux ducats d'or de mon cadavre.



– Deux ducats d'or! s'écria le bourreau. Cela est horriblement cher. Deux ducats d'or un méchant cadavre! Non, certes! je n'en donnerai pas ce prix.



– Alors, répondit tranquillement le monstre, tu ne l'auras pas!



– Tu seras jeté à la voirie, au lieu d'orner le musée royal de Copenhague ou le cabinet de curiosités de Berghen.



– Que m'importe?



– Longtemps après ta mort, on viendrait en foule examiner ton squelette, en disant:

Ce sont les restes du fameux Han d'Islande!

 on polirait tes os avec soin, on les rattacherait avec des chevilles de cuivre; on te placerait sous une grande cage de verre, dont on aurait soin chaque jour d'enlever la poussière. Au lieu de ces honneurs, songe à ce qui t'attend, si tu ne veux pas me vendre ton cadavre; on t'abandonnera à la pourriture dans quelque charnier, où tu seras à la fois la pâture des vers et la proie des vautours.



– Eh bien! je ressemblerai aux vivants qui sont sans cesse rongés par les petits et dévorés par les grands.



– Deux ducats d'or! répétait le bourreau entre ses dents; quelle prétention exorbitante! Si tu ne modères ton prix, mon cher Han d'Islande, nous ne pourrons traiter ensemble.



– C'est la première et probablement la dernière vente que je ferai de ma vie; je tiens à faire un marché avantageux.



– Songe que je puis te faire repentir de ton opiniâtreté. Demain tu seras en ma puissance.



– Crois-tu?



Ces mots étaient prononcés avec une expression qui échappa au bourreau.



– Oui, et il y a une manière de serrer le noeud coulant.... tandis que, si tu deviens raisonnable, je te pendrai mieux.



– Peu m'importe ce que tu feras demain de mon cou! répondit le monstre d'un air railleur.



– Allons, ne pourrais-tu te contenter de deux écus royaux? Qu'en feras-tu?



– Adresse-toi à ton camarade, dit le brigand en montrant le guichetier; il me demande deux ducats d'or pour un peu de paille et de feu.



– Aussi, dit le bourreau, apostrophant le guichetier avec humeur, par la scie de saint Joseph! il est révoltant de faire payer du feu et de la méchante paille au poids de l'or. Deux ducats! Le guichetier répliqua aigrement:



– Je suis bien bon de n'en pas exiger quatre!– C'est vous, maître Nychol, qui êtes aussi arabe que le chiffre 2, de refuser à ce pauvre prisonnier deux ducats d'or de son cadavre, que vous pourrez vendre au moins vingt ducats à quelque savant ou à quelque médecin.



– Je n'ai jamais payé un cadavre plus de quinze ascalins, dit le bourreau.



– Oui, repartit le guichetier, le cadavre d'un mauvais voleur ou d'un misérable juif, cela peut-être; mais chacun sait que vous tirerez ce que vous voudrez du corps de Han d'Islande.



Han d'Islande hocha la tête.



– De quoi vous mêlez-vous? dit Orugix brusquement; est-ce que je m'occupe, moi, de vos rapines, des vêtements, des bijoux que vous volez aux prisonniers, de l'eau sale que vous versez dans leur maigre bouillon, des tourments que vous leur faites éprouver pour tirer d'eux de l'argent?– Non! je ne donnerai point deux ducats d'or.



– Point de paille et point de feu, à moins de deux ducats d'or, répondit l'obstiné guichetier.



– Point de cadavre à moins de deux ducats d'or, répéta le brigand immobile.



Le bourreau, après un moment de silence, frappa la terre du pied:



– Allons, le temps me presse. Je suis appelé ailleurs. Il tira de sa veste un sac de cuir qu'il ouvrit lentement et comme à regret.



– Tiens, maudit démon d'Islande, voilà tes deux ducats. Satan ne donnerait certes pas de ton âme ce que je donne de ton corps.



Le brigand reçut les deux pièces d'or. Aussitôt le guichetier avança la main pour les reprendre.



– Un instant, compagnon, donne-moi d'abord ce que je t'ai demandé.



Le guichetier sortit, et revint un moment après, apportant une botte de paille fraîche et un réchaud plein de charbons ardents, qu'il plaça près du condamné.



– C'est cela, dit le brigand en lui remettant les deux ducats, je me chaufferai cette nuit.– Encor

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