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Le nain noir

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CHAPITRE XIV

 
«Mais que devins-je, hélas! quand, au lieu de Tancrède,
«Il amène à l'autel, quel changement affreux!
«Le détestable Osmond pour recevoir mes voeux!»
 
Tancrède et Sigismonde.

Une longue pratique dans l'art de la dissimulation avait donné à M. Vere un empire absolu sur ses traits, ses discours et ses gestes; sa démarche même était calculée pour tromper. En quittant ses deux amis pour se rendre chez sa fille, son pas ferme et alerte annonçait un homme occupé d'une affaire importante, mais dont le succès ne lui semble pas douteux. À peine jugea-t-il que ceux qu'il venait de quitter ne pouvaient plus l'entendre, qu'il ne s'avança plus que d'un pas lent et irrésolu, en harmonie avec ses craintes et son inquiétude. Enfin il s'arrêta dans une anti-chambre pour recueillir ses idées et préparer son plan d'argumentation.

– A quel dilemme plus embarrassant fut jamais réduit un malheureux? se dit-il. – Si nous nous divisions, je ne puis mettre en doute que le gouvernement ne me sacrifie comme le premier moteur de l'insurrection. Supposons même que je parvienne à sauver ma tête par une prompte soumission, je n'en suis pas moins perdu sans ressource. J'ai rompu avec Ratcliffe, et je n'ai à espérer de ce côté que des insultes et des persécutions. Il faudra donc que je vive dans l'indigence et dans le déshonneur, méprisé des deux partis que j'aurai trahis tour-à-tour! Cette idée n'est pas supportable; et cependant je n'ai à choisir qu'entre cette destinée et la honte de l'échafaud, à moins que Mareschal et sir Frédéric ne continuent à faire cause commune avec moi. Pour cela il faut que ma fille épouse l'un ce soir, et j'ai promis à l'autre de ne pas employer la violence. Il faut donc que je la décide à recevoir la main d'un homme qu'elle n'aime pas, dans un délai qu'elle trouverait trop court pour se déterminer à devenir l'épouse de celui qui aurait sa gagner son affection. Mais je dois compter sur sa générosité romanesque, et je n'ai besoin que de la mettre en jeu, en peignant de sombres couleurs les suites probables de sa désobéissance.

Après avoir fait ces réflexions, il entra dans l'appartement de sa fille, bien préparé au rôle qu'il allait jouer. Quoique égoïste et ambitieux, son coeur n'était pas entièrement fermé à la tendresse paternelle, et il sentit quelques remords de la duplicité avec laquelle il allait abuser de l'amour filial d'Isabelle; mais il les apaisa en songeant qu'après tout il procurait à sa fille un mariage avantageux; et l'idée qu'il était perdu s'il n'y pouvait réussir acheva de dissiper ses scrupules.

Il trouva sa fille assise près d'une des fenêtres de sa chambre, la tête appuyée sur une main; elle sommeillait ou était plongée dans de si profondes réflexions, qu'elle ne l'entendit pas entrer. Il donna à sa physionomie, une expression de chagrin et d'attendrissement, s'assit auprès d'elle, et ne l'avertit de son arrivée que par un profond soupir qu'il poussa en lui serrant la main.

– Mon père! s'écria Isabelle en tressaillant, d'un ton qui annonçait en même temps la surprise, la crainte et la tendresse.

– Oui, ma fille, votre malheureux père, qui vient les larmes aux yeux vous demander pardon d'une injure dont son affection l'a rendu coupable envers vous, et vous faire ses adieux pour toujours.

– Une injure, mon père! Vos adieux! Que voulez-vous dire?

– Dites-moi d'abord, Isabelle, si vous n'avez pas quelque soupçon que l'étrange événement qui vous est arrivé hier matin n'ait eu lieu que par mes ordres?

– Par… vos ordres… mon père dit Isabelle en bégayant, car la honte et la crainte l'empêchaient d'avouer que cette idée s'était, présentée plus d'une fois à son esprit; idée humiliante et si peu naturelle de la part d'une fille.

– Vous hésitez à me répondre; et vous me confirmez par là dans l'opinion que j'avais conçue. Il me reste donc la tâche pénible de vous avouer que vous ne vous trompez pas. Mais avant de condamner trop rigoureusement votre père, écoutez les motifs de sa conduite. Dans un jour de malheur, je prêtai l'oreille aux propositions que me fit sir Frédéric Langley, étant bien loin de croire que vous puissiez avoir la moindre objection contre un mariage qui vous était avantageux a tous égards: dans un instant plus fatal encore, je pris, de concert avec lui, des mesures pour rétablir notre monarque banni sur son trône, et rendre à l'Écosse son indépendance; et maintenant ma vie est entre ses mains.

– Votre vie, mon père! dit Isabelle ayant à peine la force de parler.

– Oui, Isabelle, la vie de, celui à qui vous devez la vôtre. Je dois rendre justice à Langley: ses menaces, ses fureurs n'ont d'autre cause que la passion qu'il a conçue pour vous; mais lorsque je vis que vous ne partagiez pas ses sentiments, je ne trouvai d'autre moyen pour me tirer d'embarras, que de vous soustraire à ses yeux pour quelque temps. J'avais donc formé le projet de vous envoyer passer quelques mois dans le couvent de votre tante à Paris; et, pour que sir Frédéric ne pût me soupçonner, j'avais imaginé ce prétendu enlèvement par de soi-disant brigands. Le hasard, et un concours de circonstances malheureuses, ont rompu toutes mes mesures eu vous tirant de l'asile momentané que je vous avais assuré. Ma dernière ressource est de vous faire partir du château avec M. Ratcliffe, qui va le quitter ce soir même; après quoi je saurai subir ma destinée.

– Bon Dieu! est-il possible? Oh! mon père, s'écria douloureusement Isabelle, pourquoi ai-je été délivrée? pourquoi ne m'avoir pas fait connaître vos projets?

– Pourquoi? Réfléchissez un instant, ma, fille. J'avais désiré votre union avec sir Frédéric, parce que je croyais qu'elle devait assurer votre bonheur. J'avais approuvé sa recherche, je lui avais promis de l'appuyer de tout mon pouvoir; devais-je lui nuire dans votre esprit, en vous disant que sa passion, portée au-delà des bornes de la raison, ne me laissait d'autre alternative que de sacrifier le père ou la fille? Mais mon parti est pris. Mareschal et moi nous sommes décidés à périr avec courage, et il ne me reste qu'à vous faire partir sous bonne escorte.

– Juste ciel! et n'y a-t-il donc aucun remède à ces moyens extrêmes?

– Aucun, mon enfant, reprit M. Vere avec douleur; un seul, peut-être; mais vous ne voudriez pas me le voir employer, celui de dénoncer nos amis, d'être le premier à les trahir.

– Non, jamais! s'écria Isabelle avec horreur: mais ne peut-on, à force de larmes, de prières… Je veux me jeter aux pieds de sir Frédéric, implorer sa pitié.

– Ce serait vous dégrader inutilement. Il a pris sa résolution; il n'en changerait qu'à une condition, et cette condition vous ne l'apprendrez jamais de la bouche de votre père.

– Quelle est-elle; mon père? dites-le moi, je vous en conjure. Que peut-il demander que nous ne devions lui accorder pour prévenir les malheurs dont nous sommes menacés?

– Vous ne la connaîtrez, Isabelle, dit Ellieslaw d'un ton solennel, que lorsque la tête de votre père sera tombée sur un échafaud. Alors peut-être vous apprendrez par quel sacrifice il était encore possible de le sauver.

– Et pourquoi ne pas m'en instruire de suite? Croyez-vous que je ne ferais pas avec joie le sacrifice de toute ma fortune pour vous sauver? Voulez-vous dévouer au désespoir et aux remords le reste de ma vie, quand j'apprendrai qu'il existait un moyen d'assurer vos jours, et que je ne l'ai pas employé?

– Hé bien! ma fille, dit Ellieslaw, comme vaincu par ses instances, apprenez donc ce que j'avais résolu de couvrir d'un silence éternel. Sachez que le seul moyen de le désarmer est de consentir à l'épouser ce soir même, avant minuit.

– Ce soir, mon père!.. épouser un tel homme!.. un homme! c'est un monstre! vouloir obtenir la main d'une fille en menaçant les jours de son père!.. c'est impossible!

– Vous avez raison, mon enfant, c'est impossible: je n'ai ni le droit ni le désir de vous demander un tel sacrifice. Il est d'ailleurs dans le cours de la nature qu'un vieillard meure et soit oublié, que ses enfants lui survivent et soient heureux.

– Moi, je verrais mourir mon père, quand j'aurais pu le sauver!.. Mais, non, non, mon père, c'est une chose impossible. Quelque mauvaise opinion que j'aie de sir Frédéric, je ne puis le croire si scélérat. Vous croyez me rendre heureuse en me donnant à lui, et tout ce que vous venez de me dire n'est qu'une ruse pour obtenir mon consentement.

– Quoi! dit Ellieslaw d'un ton où l'autorité blessée semblait le disputer à la tendresse d'un père, ma fille me soupçonne d'inventer une fable pour influencer ses sentiments!.. Mais je dois encore supporter cette nouvelle épreuve. Je veux bien même descendre jusqu'à me justifier… Vous connaissez l'honneur inflexible de notre cousin Mareschal; faites attention à ce que je vais lui écrire, et vous jugerez par sa réponse si les périls qui nous menacent sont moins grands que je ne vous les ai représentés, et si j'ai à me reprocher d'avoir rien négligé pour les détourner.

Il s'assit, écrivit quelques lignes à la hâte, et remit son billet à Isabelle, qui lut ce qui suit:

MON CHER COUSIN,

«J'ai trouvé ma fille, comme je m'y attendais, désespérée d'avoir à contracter une union avec sir Frédéric d'une manière si subite et si inattendue. Elle ne conçoit pas même le péril dans lequel nous nous trouvons, et jusqu'à quel point nous nous sommes compromis; employez toute votre influence sur sir Frédéric pour l'engager à modifier ses demandes. Je n'ai ni le pouvoir, ni même la volonté d'engager ma fille à une démarche dont la précipitation est contraire à toutes les règles des convenances et de la délicatesse. Vous obligerez votre cousin,

«R. V.»

 

Dans le trouble qui l'agitait, les yeux obscurcis par les larmes, l'esprit en proie aux alarmes et aux soupçons, Isabelle comprit à peine le sens de ce qu'elle venait de lire, et ne remarqua pas que cette lettre, au lieu d'appuyer sur la répugnance que lui causait ce mariage, ne parlait que du délai trop court qu'on lui accordait pour s'y décider.

Ellieslaw tira le cordon d'une sonnette, et donna son billet à un domestique, avec ordre de lui rapporter sur-le-champ la réponse de M. Mareschal. En attendant, il se promena en silence, d'un air fort agité. Enfin le domestique revint, et lui remit une lettre ainsi conçue:

MON CHER COUSIN,

«Je n'avais pas attendu votre lettre pour faire à sir Frédéric les objections dont vous me parlez. Je viens de renouveler mes instances, et je l'ai trouvé inébranlable comme le mont Chéviot. Je suis fâché qu'on presse ma belle cousine de renoncer d'une manière si subite aux droits de sa virginité. Sir Frédéric consent pourtant à partir du château avec moi, à l'instant où la cérémonie sera terminée; et, comme nous nous mettons demain en campagne, et que nous pouvons y attraper quelques bons horions, il est possible qu'Isabelle se trouve lady Langley à très bon marché. – Du reste, tout ce que, j'ai à vous dire, c'est que, si elle peut se déterminer à ce mariage, ce n'est pas l'instant d'écouter des scrupules de délicatesse. L'affaire est trop sérieuse et trop urgente. Il faut qu'elle saute à pieds joints par-dessus ce qu'on appelle les convenances, et qu'elle se marie à la hâte, ou bien nous nous en repentirons tous à loisir, ou, pour mieux dire, nous n'aurons pas le loisir de nous en repentir. Voilà tout ce que peut vous mander votre affectionné.

«R. M.»

«P. S. N'oubliez pas de dire à Isabelle que, tout bien considéré, je me couperai la gorge avec son chevalier, plutôt que de la voir l'épouser contre son gré.»

Dès qu'Isabelle eut lu cette lettre, le papier s'échappa de ses mains; elle serait tombée elle-même, si son père ne l'eût soutenue et ne l'eût placée sur un fauteuil.

– Grand Dieu, elle mourra! s'écria Ellieslaw, dans le coeur duquel les sentiments de la nature firent taire un instant l'égoïsme. Regardez-moi, Isabelle, regardez-moi, mon enfant; quoi qu'il puisse en arriver, vous ne serez pas sacrifiée. Je mourrai avec la consolation de vous savoir heureuse. Ma fille pourra pleurer sur ma tombe; mais elle ne maudira pas la mémoire de son père.

Il appela un domestique.

– Dites à M. Ratcliffe que je désire le voir ici sur-le-champ.

Pendant cet intervalle, le visage d'Isabelle se couvrit d'une pâleur mortelle; ses lèvres tremblaient comme agitées de convulsions; elle se tordait les mains, comme si la contrainte qu'elle imposait aux sentiments de son coeur s'étendait jusque sur son corps; puis, levant les yeux au ciel et recueillant toutes ses forces: – Mon père, dit-elle, je consens à ce mariage.

– Non, mon enfant, ne parlez pas ainsi: ma chère fille, je vois combien ce consentement vous coûte. Vous ne vous dévouerez point à un malheur certain pour me sauver d'un danger qui n'est peut-être pas inévitable.

Étrange inconséquence de la nature humaine! le coeur d'Ellieslaw était un moment d'accord avec sa bouche en parlant ainsi.

– Mon père, répéta Isabelle, je consens à épouser sir Frédéric.

– Non, ma fille, non! Cependant, si vous pouviez vaincre une répugnance sans motif raisonnable, ce mariage n'offre-t-il pas tous les avantages que nous pouvons désirer? Ne vous assure-t-il pas la richesse, le rang, la considération?

– J'y ai consenti, mon père, répéta encore Isabelle, comme si elle était devenue incapable de prononcer d'autres mots que ceux-là qui lui avaient coûté un si cruel effort pour la première fois.

– Que le ciel te bénisse donc, ma chère enfant! et qu'il te récompense par la richesse, les plaisirs et le bonheur.

Isabelle demanda alors à son père la permission de rester seule dans sa chambre le reste de la soirée.

– Mais ne consentirez-vous pas à voir sir Frédéric? lui demanda son père d'un air inquiet.

– Je le verrai… quand cela sera nécessaire… dans la chapelle à minuit. Mais quant à présent, épargnez-moi sa vue.

– Soit, ma chère enfant; vous ne serez pas contrariée. Mais ne concevez pas de sir Frédéric une trop mauvaise opinion, ajouta-t-il en lui prenant la main, c'est l'excès de sa passion qui le fait agir ainsi.

Isabelle retira sa main d'un air d'impatience.

– Pardonnez-moi, ma chère fille; que le ciel vous bénisse et vous récompense! je vous laisse; et, à onze heures, si vous ne me faites pas demander plus tôt, je reviendrai vous voir.

Quand il fut parti, Isabelle se jeta à genoux et demanda au ciel la force dont elle avait besoin pour accomplir la résolution qu'elle avait prise. Pauvre Earnscliff, dit-elle ensuite, qui le consolera? que pensera-t-il quand il apprendra que celle qui écoutait ce matin même ses protestations de tendresse a consenti ce soir à recevoir la main d'un autre? Il me méprisera! mais s'il est moins malheureux en me méprisant, il y aurait dans la perte de son estime une consolation pour moi.

Elle pleura avec amertume, essayant, mais en vain, de temps en temps, de commencer la prière qu'elle avait eu dessein de prononcer en se jetant à genoux; mais elle se sentit incapable de recueillir son âme pour invoquer le ciel. Dans cet état de désespoir, elle entendit ouvrir doucement la porte de sa chambre.

CHAPITRE XV

 
«… Le temps et le chagrin
«Ont desséché son coeur, aigri son caractère.
«N'importe, il faut le voir, s'offrir à sa colère;
«Conduisez-nous vers lui…»
 
Ancienne comédie.

La personne qui entra était M. Ratcliffe; Ellieslaw, dans le trouble qui l'agitait, ayant oublié de révoquer les ordres qu'il avait donnés pour le faire venir.

– Vous désirez me voir, monsieur, dit-il en ouvrant la porte; et ne voyant qu'Isabelle: – Miss Vere est seule! S'écria-t-il; à genoux! en pleurs!

– Laissez-moi, monsieur Ratcliffe, laissez-moi!

– Non! de par le ciel, répondit Ratcliffe: j'ai demandé plusieurs fois la permission de prendre congé de vous; on me l'a refusée; le hasard m'a mieux servi que mes prières. Excusez-moi donc; mais j'ai un devoir important dont je dois m'acquitter envers vous.

– Je ne puis vous écouter, monsieur Ratcliffe, je ne puis vous parler! ma tête n'est plus à moi. Recevez mes adieux, et laissez-moi, pour l'amour du ciel.

– Dites-moi seulement s'il est vrai que ce monstrueux mariage doive avoir lieu… et cela, ce soir même? J'ai entendu les domestiques en parler. J'ai entendu donner l'ordre de disposer la chapelle.

– Épargnez-moi, de grâce, monsieur Ratcliffe: vous pouvez juger, d'après l'état où vous me voyez, combien une pareille question est cruelle!

– Mariée! à sir Frédéric Langley! cette nuit même…!

– Cela ne se peut… – Cela ne doit pas être… – Cela ne sera pas.

– Il faut que cela soit, monsieur Ratcliffe! la vie de mon père en dépend.

– J'entends! – Vous vous sacrifiez pour sauver celui qui…; mais que les vertus de la fille fassent oublier les fautes du père. En vingt-quatre heures j'aurais plus d'un moyen pour empêcher ce mariage. Mais le temps presse: quelques heures vont décider le malheur de votre vie, et je n'y trouve qu'un seul remède… – Il faut, miss Vere, que vous imploriez la protection du seul être humain qui a le pouvoir de conjurer les maux qu'on vous prépare.

– Et qui peut être doué d'un tel pouvoir sur la terre? dit miss Vere respirant à peine.

– Ne tressaillez pas quand je vous l'aurai nommé, dit Ratcliffe en s'approchant d'elle et en baissant la voix c'est celui qu'on nomme Elsender, le solitaire de Mucklestane-Moor.

– Ou vous avez perdu l'esprit, monsieur Ratcliffe, ou vous venez insulter à mon malheur par une plaisanterie hors de saison.

– Je jouis, comme vous, de toute ma raison, miss Vere, et vous devez savoir que je ne suis pas un homme à me permettre de mauvaises plaisanteries, surtout dans un moment de détresse et quand il s'agit du bonheur de votre vie. Je vous atteste que cet être, qui est tout autre que vous ne le supposez, a le moyen de mettre un obstacle invincible à cet odieux mariage.

– Et d'assurer les jours de mon père?

– Oui, dit Ratcliffe, si vous plaidez sa cause auprès de lui…

Mais comment parvenir à lui parler ce soir?

– J'espère y parvenir, dit Isabelle, se rappelant tout-à-coup la rose qu'il lui avait donnée. Je me souviens qu'il m'a dit que je pouvais avoir recours à lui dans l'adversité; que je n'aurais qu'à lui montrer cette fleur, ou seulement une de ses feuilles. J'avais regardé ce discours comme une preuve de l'égarement de son esprit, et j'étais honteuse de l'espèce de sentiment superstitieux qui m'a fait conserver cette rose.

– Heureux événement! dit Ratcliffe: ne craignez plus rien. Mais ne perdons pas de temps. Êtes-vous en liberté? ne veille-t-on pas sur vous?

– Que faut-il donc que je fasse? dit Isabelle.

– Sortir du château à l'instant, et courir vous. Jeter aux pieds de cet être qui, dans une situation en apparence si méprisable, possède une influence presque absolue sur votre destinée. Les convives et les domestiques ne songent qu'à se divertir. Les chefs sont enfermés et s'occupent du plan de leur conjuration. Mon cheval est sellé, je vais en préparer un pour vous. La plaine de Mucklestane n'est pas éloignée d'ici. Nous pourrons être rentrés avant qu'on s'aperçoive de votre absence. Venez me joindre dans deux minutes à la petite porte du jardin… Ne doutez ni de ma prudence ni de ma fidélité. N'hésitez pas à faire la démarche qui peut seule vous préserver du malheur de devenir l'épouse de sir Frédéric Langley.

– Un malheureux qui se noie, dit Isabelle, s'attache au plus faible rameau. D'ailleurs, monsieur Ratcliffe, je vous ai toujours regardé comme un homme plein d'honneur et de probité; je m'abandonne donc à vos conseils. Je vais aller vous joindre à la porte du parc.

Dès que M. Ratcliffe fut sorti, elle tira les verrous de sa porte, et, descendant par un escalier dérobé qui donnait dans son cabinet de toilette, dont elle ferma pareillement la porte, et dont elle mit la clé dans sa poche, elle se rendit dans le jardin. Il fallait pour y arriver qu'elle passât près de la chapelle du château: elle entendit les domestiques occupés à la préparer, et elle reconnut la voix d'une servante qui disait:

– Épouser un pareil homme! Oh ma foi! tout, plutôt qu'un pareil sort.

– Elle a raison, pensa Isabelle, elle a raison! tout, plutôt que ce mariage; et elle arriva bientôt à la porte du jardin. M. Ratcliffe l'y attendait avec deux chevaux, et ils se mirent en marche vers la hutte du solitaire.

– Monsieur Ratcliffe, dit Isabelle, plus je réfléchis sur ma démarche, plus elle me paraît inconséquente. Le trouble et l'agitation de mon esprit ont pu seuls me déterminer à me la permettre. Mais réfléchissez-y bien! ne ferions-nous pas mieux de retourner au château?.. Je sais que cet homme est regardé par le peuple comme un être doué d'une puissance surnaturelle, comme ayant commerce avec les habitants d'un autre monde; mais vous devez bien penser que je ne puis partager de telles idées, et que si j'avais la faiblesse d'y croire, la religion m'empêcherait d'avoir recours à de tels moyens.

– J'aurais espéré, miss Vere, dit Ratcliffe, que mon caractère et ma façon de penser vous étaient assez connus pour que vous me crussiez incapable d'ajouter foi à de pareilles absurdités.

– Mais de quelle manière un être en apparence si misérable peut-il avoir le pouvoir de me secourir?

– Miss Vere, répondit Ratcliffe après un moment de réflexion, je suis lié par la promesse d'un secret inviolable. Il faut que, sans exiger de moi d'autre explication, vous vous contentiez de l'assurance solennelle que je vous donne qu'il en a le pouvoir, si vous parvenez à lui en inspirer la volonté; et je ne doute pas que vous n'y réussissiez.

– J'ai en vous une confiance sans bornes, monsieur Ratcliffe; mais ne pouvez-vous pas vous tromper vous-même?

– Vous souvenez-vous, ma chère miss, que lorsque vous me priâtes d'intercéder auprès de votre père en faveur d'Haswell et de sa malheureuse famille, et que j'obtins de lui une chose qu'il n'était pas facile de lui arracher, le pardon d'une injure, j'y mis pour condition que vous ne me feriez aucune question sur les causes de l'influence que j'avais sur son esprit? Vous ne vous êtes pas repentie alors de votre confiance en moi: pourquoi n'en auriez-vous pas autant aujourd'hui?

 

– Mais la vie extraordinaire de cet homme, sa retraite absolue, sa figure, son ton amer de misanthropie… Mon sieur Ratcliffe, que dois-je penser de lui, s'il a réellement le pouvoir que vous lui attribuez?

– Je puis vous dire qu'il a été élevé dans la religion catholique, et cette secte chrétienne offre mille exemples de personnes qui se sont condamnées à une vie aussi dure et à une retraite aussi absolue.

– Mais il ne met en avant aucun motif religieux.

– Il est vrai. C'est le dégoût du monde qui a fait naître en lui l'amour de la retraite. Je puis encore vous dire qu'il est né avec une grande fortune. Son père voulait l'augmenter encore en l'unissant à une de ses parentes qui était élevée dans sa maison. Vous connaissez sa figure. Jugez de quels yeux la jeune personne dut voir l'époux qu'on lui destinait. Cependant, habituée à lui dès son enfance, elle ne montrait aucune répugnance à l'épouser; et les amis de sir… de l'homme dont je parle, ne doutèrent pas que le vif attachement qu'il avait conçu pour elle, les excellentes qualités de son coeur, un esprit cultivé, le caractère le plus noble, n'eussent surmonté l'horreur naturelle que son extraordinaire laideur devait naturellement inspirer à une jeune fille.

– Et se trompèrent-ils?

– Vous allez l'apprendre. Il se rendait justice à lui-même, et savait fort bien ce qui lui manquait. « – Je suis, me disait-il… c'est-à-dire, disait-il à un homme en qui il avait confiance, – je suis, en dépit de tout ce que vous voulez bien me dire, un pauvre misérable proscrit, qu'on eût mieux fait d'étouffer au berceau que de laisser grandir pour être un épouvantail sur cette terre où je rampe.» Celle qu'il aimait s'efforçait en vain de le convaincre de son indifférence pour les formes extérieures, en lui parlant de l'estime qu'elle faisait des qualités de l'âme et de l'esprit. – «Je vous entends, lui disait-il, mais vous parlez le langage du froid stoïcisme, ou du moins celui d'une partiale amitié. Voyez tous les livres que nous avons lus, à l'exception de ceux qui, dictés par une philosophie abstraite, n'ont point d'écho dans notre coeur: un extérieur avantageux, une figure au moins qu'on puisse regarder sans horreur, ne sont-ils pas toujours une des premières qualités exigées dans un amant? Un monstre tel que moi ne semble-t-il pas avoir été exclus par la nature de ses plus douces jouissances? Sans mes richesses, tout le monde, excepté vous peut-être et Létitia, ne me fuirai-il pas? Ne me regarderait-on pas comme un être étranger à votre nature, et plus odieux à cause de mon analogie avec ces êtres que l'homme abhorre comme la caricature insultante de son espèce.

– Ces sentiments sont ceux d'un insensé, dit Isabelle.

– Nullement: à moins qu'on ne donne le nom de folie à une sensibilité excessive. Je ne nierai pourtant pas que ce sentiment ne l'ait entraîné dans des excès qui semblaient le fruit d'une imagination dérangée. Se trouvant à ses propres yeux comme séparé du reste des hommes, il se croyait obligé de chercher à se les attacher par des libéralités excessives et souvent mal placées; il croyait que ce n'était qu'à force de bienfaits qu'il pouvait, malgré sa conformation extérieure, obliger le genre, humain à ne pas le repousser de son sein. Il n'est pas besoin de dire que souvent sa bienveillance fut abusée, sa confiance trahie, sa générosité payée d'ingratitude. Ces événements ne sont que trop ordinaires, mais son imagination les attribuait à la haine et au mépris que faisait naître, selon lui, sa difformité. Je vous fatigue peut-être, miss Vere?

– Je vous écoute, au contraire, avec le plus vif intérêt.

– Je continue donc. Il finit par devenir l'être le plus ingénieux à se tourmenter. Le rire des gens du peuple qu'il rencontrait dans les rues, le tressaillement d'une, jeune fille qui le voyait en compagnie pour la première fois, étaient des blessures mortelles pour son coeur. Il n'existait que deux personnes sur la bonne foi et sur l'amitié desquelles il parût compter: l'une était la jeune fille qu'il devait épouser; l'autre un ami qui paraissait lui être sincèrement attaché, et qu'il avait comblé de bienfaits. Le père et la mère de ce malheureux si disgracié de la nature moururent à peu d'intervalle l'un de l'autre, et leur mort retarda la célébration de son mariage, dont l'époque avait été fixée. La future épouse ne changea pourtant pas de détermination, et ne fit aucune objection lorsque, après les délais convenables, il lui proposa d'arrêter le jour de leur union. Il recevait chez lui presque journellement l'ami dont je vous ai parlé. Sa malheureuse étoile voulut qu'il acceptât l'invitation que lui fit cet ami d'aller passer quelques jours chez lui. Il s'y trouva des hommes qui différaient d'opinions politiques. Un soir, après une longue séance à table, les têtes étant échauffées par le vin, une querelle sérieuse survint, plusieurs épées furent tirées à la fois, le maître de la maison fut renversé et désarmé par un de ses convives; il tomba aux pieds de son ami. Celui-ci, quelque contrefait qu'il soit, est doué par la nature d'une grande force, il a des passions violentes; il crut son ami mort, il tira son épée, et perça le coeur de son antagoniste. Il fut arrêté, jugé, et condamné à un an d'emprisonnement, comme coupable d'homicide sans préméditation. Cet événement l'affecta d'autant plus vivement, que celui qu'il avait tué jouissait de la meilleure réputation, et qu'il n'avait tiré l'épée que pour se défendre et à la dernière extrémité. Depuis ce moment, je remarquai… – je veux dire on remarqua que la teinte de misanthropie qu'il avait toujours eue se rembrunissait encore; que le remords, sentiment qu'il était incapable de supporter, ajoutait à sa susceptibilité naturelle; enfin que toutes les fois que le meurtre qu'il avait commis, dans un premier mouvement de colère, se représentait à son imagination, il tombait dans des accès de frénésie qui faisaient craindre un égarement d'esprit. – Son année d'emprisonnement expira. Il se flattait qu'il allait trouver près d'une tendre épouse et d'un ami chéri l'oubli de ses maux, la consolation de ses peines: il se trompait. Il les trouva mariés ensemble. Il ne put résister à ce dernier coup: c'était le dernier câble qui retient un navire, et qui, en se rompant, le laisse exposé à la fureur de la tempête. Sa raison s'aliéna. Il fallut le placer dans une maison destinée aux infortunés qui sont dans cette funeste position; mais son faux ami, qui, par son mariage, était devenu son plus proche parent, fit durer sa détention long-temps après que la cause n'en existait plus, afin de conserver la jouissance des biens immenses du malheureux. Il yavait un homme qui devait tout à cette victime de l'injustice. Il n'avait ni crédit, ni puissance, ni richesses; mais il ne manquait ni de zèle, ni de persévérance: après de longs efforts, il finit par obtenir justice; l'infortuné fut remis en liberté et rétabli dans la possession de ses biens. Ses richesses s'augmentèrent même de toutes celles de la femme qu'il devait épouser: elle mourut sans enfants mâles, et elles lui appartenaient comme son héritier par substitution; mais la liberté n'avait plus de prix à ses yeux, et sa fortune, qu'il méprisait, ne fut plus pour lui qu'un moyen de se livrer aux bizarres caprices de son imagination. Il avait renoncé à la religion catholique; mais peut être-quelques-unes de ses doctrines continuaient-elles à exercer leur influence sur son âme, qui parut désormais ne plus connaître que les inspirations du remords et de la misanthropie. Depuis lors, il a mené alternativement la vie errante d'un pèlerin et celle d'un ermite, s'imposant les privations les plus sévères, non par un principe de dévotion, mais par haine du genre humain. Tous ses discours annoncent l'aversion la plus invétérée contre les hommes, et toutes ses actions tendent à les soulager: jamais hypocrite n'a été plus ingénieux à donner de louables motifs aux actions les plus condamnables, qu'il l'est à concilier avec les principes de sa misanthropie des actions qui prennent leur source dans sa générosité naturelle et dans la bonté de son coeur.

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