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Le conte d'hiver

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SCÈNE II

L'extérieur d'une prison
Entre PAULINE et sa suite

PAULINE. – Le geôlier! Qu'on l'appelle. (Un serviteur sort.) Faites-lui savoir qui je suis. – Vertueuse reine! Il n'est point en Europe de cour assez brillante pour toi; que fais-tu dans cette prison? (Le serviteur revient avec le geôlier.) (Au geôlier.) Vous me connaissez, n'est-ce pas mon ami?

LE GEÔLIER. – Pour une vertueuse dame, et que j'honore beaucoup.

PAULINE. – Alors je vous prie, conduisez-moi vers la reine.

LE GEÔLIER. – Je ne le puis, madame; j'ai reçu expressément des ordres contraires.

PAULINE. – On se donne ici bien de la peine pour emprisonner l'honnêteté et la vertu, et leur défendre l'accès des amis sensibles qui viennent les visiter! – Est-il permis, je vous prie, de voir ses femmes? quelqu'une d'elles, Émilie, par exemple?

LE GEÔLIER. – S'il vous plaît, madame, d'écarter de vous votre suite, je vous amènerai Émilie.

PAULINE. – Eh bien! je vous prie de la faire venir. – Vous, éloignez-vous.

(Les gens de la suite sortent.)

LE GEÔLIER. – Et il faut encore, madame, que je sois présent à votre entretien.

PAULINE. – Eh bien! à la bonne heure; je vous prie… (Le geôlier sort.) On se donne ici tant de peine pour ternir ce qui est sans tache, que cela dépasse toute idée. (Le geôlier reparaît avec Émilie.) (A Émilie.) Chère demoiselle, comment se porte notre gracieuse reine?

ÉMILIE. – Aussi bien que peuvent le permettre tant de grandeur et d'infortunes réunies. Dans les secousses de ses frayeurs et de ses douleurs, les plus extrêmes qu'ait souffertes une femme délicate, elle est accouchée un peu avant son terme.

PAULINE. – D'un garçon?

ÉMILIE. – D'une fille. Un bel enfant, vigoureux, et qui semble devoir vivre. La reine en reçoit beaucoup de consolation; elle lui dit: Ma pauvre petite prisonnière, je suis aussi innocente que toi.

PAULINE. – J'en ferais serment. – Maudites soient ces dangereuses et funestes lunes7 du roi! Il faut qu'il en soit instruit, et il le sera; c'est à une femme que cet office sied le mieux, et je le prends sur moi. Si mes paroles sont emmiellées, que ma langue s'enfle et ne puisse jamais servir d'organe à ma colère enflammée. – Je vous prie, Émilie, présentez l'hommage de mon respect à la reine: si elle a le courage de me confier son petit enfant, j'irai le montrer au roi, et je me charge de lui servir d'avocat avec la dernière chaleur. Nous ne savons pas à quel point la vue de cet enfant peut l'adoucir: souvent le silence de la pure innocence persuade où la parole échouerait.

ÉMILIE. – Très-noble dame, votre honneur et votre bonté sont si manifestes que cette entreprise volontaire de votre part ne peut manquer d'avoir un succès heureux: il n'est point de dame au monde aussi propre à remplir cette importante commission. Daignez entrer dans la chambre voisine: je vais sur-le-champ instruire la reine de votre offre généreuse. Elle-même aujourd'hui méditait cette idée: mais elle n'a pas osé proposer à personne ce ministère d'honneur, dans la crainte de se voir refusée.

PAULINE. – Dites-lui, Émilie, que je me servirai de cette langue que j'ai: et s'il en sort autant d'éloquence qu'il y a de hardiesse dans mon sein, il ne faut pas douter que je ne fasse du bien.

ÉMILIE. – Que le ciel vous bénisse! Je vais trouver la reine. Je vous prie, avancez un peu plus près.

LE GEÔLIER. – Madame, s'il plaît à la reine d'envoyer l'enfant, je ne sais pas à quel danger je m'exposerai en le permettant, n'ayant aucun ordre qui m'y autorise.

PAULINE. – Vous n'avez rien à craindre, mon ami: l'enfant était prisonnier dans le sein de sa mère; et il en a été délivré et affranchi par les lois et la marche de la nature. Il n'a point part au courroux du roi: et il n'est pas coupable des fautes de sa mère, si elle en a commis quelqu'une.

LE GEÔLIER. – Je le crois comme vous.

PAULINE. – N'ayez aucune crainte: sur mon honneur, je me placerai entre vous et le danger. (Ils sortent.)

SCÈNE III

Salle dans le palais
Entrent LÉONTES, ANTIGONE, SEIGNEURS et suite

LÉONTES. – Ni le jour, ni la nuit, point de repos: c'est une vraie faiblesse de supporter ainsi ce malheur… Oui, ce serait pure faiblesse, si la cause de mon trouble n'était pas encore en vie. Elle fait partie de cette cause, elle, cette adultère. – Car le roi suborneur est tout à fait hors de la portée de mon bras, au delà de l'atteinte de mes projets de vengeance. Mais elle, je la tiens sous ma main. Supposé qu'elle soit morte, livrée aux flammes, je pourrais alors retrouver la moitié de mon repos. – Holà! quelqu'un!

(Un de ses officiers s'avance.)

L'OFFICIER. – Seigneur?

LÉONTES. – Comment se porte l'enfant?

L'OFFICIER. – Il a bien reposé cette nuit: on espère que sa maladie est terminée.

LÉONTES. – Ce que c'est que le noble instinct de cet enfant! Sentant le déshonneur de sa mère, on l'a vu aussitôt décliner, languir, et en être profondément affecté: il s'en est comme approprié, incorporé la honte; il en a perdu la gaieté, l'appétit, le sommeil, et il est tombé en langueur. (A l'officier.) Laissez-moi seul; allez voir comment il se porte. (L'officier sort.) – Fi donc! fi donc! – Ne pensons point à Polixène. Quand je regarde de ce côté, mes pensées de vengeance reviennent sur moi-même. Il est trop puissant par lui-même, par ses partisans, ses alliances: qu'il vive, jusqu'à ce qu'il vienne une occasion favorable. Quant à la vengeance présente, accomplissons-la sur elle. Camillo et Polixène rient de moi; ils se font un passe-temps de mes chagrins; ils ne riraient pas, si je pouvais les atteindre; elle ne rira pas non plus, celle que je tiens sous ma puissance.

(Entre Pauline tenant l'enfant.)

UN SEIGNEUR. – Vous ne pouvez pas entrer.

PAULINE. – Ah! secondez-moi tous plutôt, mes bons seigneurs: quoi! craignez-vous plus sa colère tyrannique que vous ne tremblez pour la vie de la reine? une âme pure et vertueuse, plus innocente qu'il n'est jaloux!

ANTIGONE. – C'en est assez.

L'OFFICIER. – Madame, le roi n'a pas dormi cette nuit; et il a donné ordre de ne laisser approcher personne.

PAULINE. – Point tant de chaleur, monsieur; je viens lui apporter le sommeil. C'est vous et vos pareils qui rampez près de lui comme des ombres, et gémissez à chaque inutile soupir qu'il pousse; c'est vous qui nourrissez la cause de son insomnie: moi, je viens avec des paroles aussi salutaires que franches et vertueuses pour le purger de cette humeur qui l'empêche de dormir.

LÉONTES. – Quel est donc ce bruit que j'entends?

PAULINE. – Ce n'est pas du bruit, seigneur, mais je sollicite une audience nécessaire pour les affaires de Votre Majesté.

LÉONTES. – Comment? – Qu'on fasse sortir cette dame audacieuse. Antigone, je vous ai chargé de l'empêcher de m'approcher; je savais qu'elle viendrait.

ANTIGONE. – Je lui avais défendu, seigneur, sous peine d'encourir votre disgrâce et la mienne, de venir vous voir.

LÉONTES. – Quoi! ne pouvez-vous la gouverner?

PAULINE. – Oui, seigneur, pour me défendre tout ce qui n'est pas honnête, il le peut: mais dans cette affaire (à moins qu'il n'use du moyen dont vous avez usé, et qu'il ne m'emprisonne, pour mes bonnes actions), soyez sûr qu'il ne me gouvernera pas.

ANTIGONE. – Voyez maintenant, vous l'entendez vous-même, lorsqu'elle veut prendre les rênes, je la laisse conduire: mais elle ne fera pas de faux pas.

PAULINE. – Mon cher souverain, je viens, et je vous conjure de m'écouter; moi, qui fais profession d'être votre loyale sujette, votre médecin, et votre conseiller très-soumis; mais qui pourtant ose le paraître moins, et flatter moins vos maux que certaines gens qui paraissent plus dévoués à vos intérêts; – je viens, vous dis-je, de la part de votre vertueuse reine.

LÉONTES. – Vertueuse reine!

PAULINE. – Vertueuse reine, seigneur; vertueuse reine; je dis vertueuse reine; et je soutiendrais sa vertu dans un combat singulier, si j'étais un homme, fussé-je le dernier de ceux qui vous entourent.

LÉONTES. – Forcez-la de sortir de ma présence.

PAULINE. – Que celui qui n'attache aucun prix à ses yeux mette le premier la main sur moi: je sortirai de ma propre volonté; mais auparavant je remplirai mon message. – La vertueuse reine, car elle est vertueuse, vous a mis au monde une fille; la voilà: elle la recommande à votre bénédiction.

LÉONTES. – Loin de moi, méchante sorcière8! Emmenez-la d'ici, hors des portes. – Une infâme entremetteuse!

PAULINE. – Non, seigneur; je suis aussi ignorante dans ce métier que vous me connaissez mal, seigneur, en me donnant ce nom. Je suis aussi honnête que vous êtes fou; et c'est l'être assez, je le garantis, pour passer pour honnête femme, comme va le monde.

LÉONTES. – Traîtres! ne la chasserez-vous pas? Donnez-lui cette bâtarde. (A Antigone.) Toi, radoteur, qui te laisses conduire par le nez, coq battu par ta poule9, ramasse cette bâtarde, prends-la, te dis-je, et rends-la à ta commère.

 

PAULINE. – Que tes mains soient à jamais déshonorées, si tu relèves la princesse sur cette outrageante et fausse dénomination qu'il lui a donnée.

LÉONTES, à Antigone. – Il a peur de sa femme!

PAULINE. – Je voudrais que vous en fissiez autant: alors il n'y aurait pas de doute que vous n'appelassiez vos enfants vos enfants.

LÉONTES. – Un nid de traîtres!

ANTIGONE. – Je ne suis point un traître, par le jour qui nous éclaire.

PAULINE. – Ni moi, ni personne, hors un seul ici, et c'est lui-même; (montrant le roi) lui qui livre et son propre honneur, et celui de sa reine, et celui de son fils, d'une si heureuse espérance, et celui de son petit enfant, à la calomnie, dont la plaie est plus cuisante que celle du glaive: lui qui ne veut pas (et, dans la circonstance, c'est une malédiction qu'il ne puisse y être contraint) arracher de son coeur la racine de son opinion, qui est pourrie, si jamais un chêne ou une pierre fut solide.

LÉONTES. – Une créature d'une langue effrénée, qui tout à l'heure maltraitait son mari, et qui maintenant aboie contre moi! Cet enfant n'est point à moi: c'est la postérité de Polixène. Ôtez-le de ma vue, et livrez-le aux flammes avec sa mère.

PAULINE. – Il est à vous, et nous pourrions vous appliquer en reproche le vieux proverbe: Il vous ressemble tant que c'est tant pis. – Regardez, seigneurs, quoique l'image soit petite, si ce n'est pas la copie et le portrait du père: ses yeux, son nez, ses lèvres, le froncement de son sourcil, son front et jusqu'aux jolies fossettes de son menton et de ses joues, et son sourire; la forme même de sa main, de ses ongles, de ses doigts. – Et toi, nature, bonne déesse, qui l'as formée si ressemblante à celui qui l'a engendrée, si c'est toi qui disposes aussi de l'âme, parmi toutes ses couleurs, qu'il n'y ait pas de jaune10; de peur qu'elle ne soupçonne un jour, comme lui, que ses enfants ne sont pas les enfants de son mari!

LÉONTES. – Méchante sorcière! – Et toi, imbécile, digne d'être pendu, tu n'arrêteras pas sa langue?

ANTIGONE. – Si vous faites pendre tous les maris qui ne peuvent accomplir cet exploit, à peine vous laisserez-vous un seul sujet.

LÉONTES. – Encore une fois, emmène-la d'ici.

PAULINE. – Le plus méchant et le plus dénaturé des époux ne peut faire pis.

LÉONTES. – Je te ferai brûler vive.

PAULINE. – Je ne m'en embarrasse point: c'est celui qui allume le bûcher qui est l'hérétique, et non point celle qui y est brûlée. Je ne vous appelle point tyran: mais ce traitement cruel que vous faites subir à votre reine, sans pouvoir donner d'autres preuves de votre accusation que votre imagination déréglée, sent un peu la tyrannie et vous rendra ignoble; oui, et un objet d'ignominie aux yeux du monde.

LÉONTES. – Sur votre serment de fidélité, je vous somme de la chasser de ma chambre. Si j'étais un tyran, où serait sa vie? Elle n'aurait pas osé m'appeler ainsi, si elle me connaissait pour en être un. Entraînez-la.

PAULINE. – Je vous prie, ne me poussez pas, je m'en vais. Veillez sur votre enfant, seigneur; il est à vous. Que Jupiter daigne lui envoyer un meilleur génie tutélaire! (Aux courtisans.) A quoi bon vos mains? Vous qui prenez un si tendre intérêt à ses extravagances, vous ne lui ferez jamais aucun bien, non, aucun de vous; allez, allez; adieu, je m'en vais.

(Elle sort.)

LÉONTES, à Antigone. – C'est toi, traître, qui as poussé ta femme à ceci! Mon enfant!.. qu'on l'emporte! – Toi-même, qui montres un coeur si tendre pour lui, emporte-le d'ici et fais-le consumer sur-le-champ par les flammes; oui, je veux que ce soit toi, et nul autre que toi. Prends-le à l'instant, et avant une heure songe à venir m'annoncer l'exécution de mes ordres, et sur de bonnes preuves, ou je confisque ta vie avec tout ce que tu peux posséder; si tu refuses de m'obéir et que tu veuilles lutter avec ma colère, dis-le, et de mes propres mains je vais briser la cervelle de ce bâtard. Va, jette-le au feu, car c'est toi qui animes ta femme.

ANTIGONE. – Non, sire; tous ces seigneurs, mes nobles amis, peuvent, s'ils le veulent, me justifier pleinement.

UN SEIGNEUR. – Oui, nous le pouvons, mon royal maître; il n'est point coupable de ce que sa femme est venue ici.

LÉONTES. – Vous êtes tous des menteurs.

UN SEIGNEUR. – J'en conjure Votre Majesté, accordez-nous plus de confiance; nous vous avons fidèlement servi, et nous vous conjurons de nous rendre cette justice; tombant à vos genoux, nous vous demandons en grâce, comme une récompense de nos services passés et futurs, de changer cette résolution; elle est trop atroce, trop sanguinaire, pour ne pas conduire à quelque issue sinistre; nous voilà tous à vos genoux.

LÉONTES. – Je suis comme une plume, pour tous les vents qui soufflent. – Vivrai-je donc pour voir cet enfant odieux à mes genoux m'appeler son père? Il vaut mieux le brûler à présent que de le maudire alors. Mais soit, qu'il vive… Non, il ne vivra pas. – (A Antigone.) Vous, approchez ici, monsieur, qui vous êtes montré si tendrement officieux, de concert avec votre dame Marguerite, votre sage-femme, pour sauver la vie de cette bâtarde (car c'est une bâtarde, aussi sûr que cette barbe est grise): quels hasards voulez-vous courir pour sauver la vie de ce marmot?

ANTIGONE. – Tous ceux, seigneur, que mes forces peuvent supporter et que l'honneur peut m'imposer, j'irai jusque-là, et j'offre le peu de sang qui me reste pour sauver l'innocence; tout ce que je pourrai faire.

LÉONTES. – Tu pourras le faire. Jure sur cette épée que tu exécuteras mes ordres11.

ANTIGONE. – Je le jure, seigneur.

LÉONTES. – Écoute et obéis; songes-y bien, car la moindre omission sera l'arrêt, non-seulement de ta mort, mais de la mort de ta femme à mauvaise langue; quant à présent, nous voulons bien lui pardonner. Nous t'enjoignons, par ton devoir d'homme lige, de transporter cette fille bâtarde dans quelque désert éloigné, hors de l'enceinte de nos domaines, et là de l'abandonner sans plus de pitié à sa propre protection, aux risques du climat. Comme cet enfant nous est survenu par un hasard étrange, je te charge au nom de la justice, au péril de ton âme et des tortures de ton corps, de l'abandonner comme une étrangère à la merci du sort, à qui tu laisseras le soin de l'élever ou de la détruire; emporte-la.

ANTIGONE. – Je jure de le faire, quoiqu'une mort présente eût été plus miséricordieuse. Allons, viens, pauvre enfant; que quelque puissant esprit inspire aux vautours et aux corbeaux de te servir de nourrices! On dit que les loups et les ours ont quelquefois dépouillé leur férocité pour remplir de semblables offices de pitié. Seigneur, puissiez-vous être plus heureux que cette action ne le mérite! Et toi, pauvre petite, condamnée à périr, que la bénédiction du ciel, se déclarant contre cette cruauté, combatte pour toi!

(Il sort, emportant l'enfant.)

LÉONTES. – Non, je ne veux point élever la progéniture d'un autre.

(Entre un serviteur.)

LE SERVITEUR. – Sous le bon plaisir de Votre Majesté, les députés que vous avez envoyés consulter l'oracle sont revenus depuis une heure. Cléomène et Dion sont arrivés heureusement de Delphes; ils sont tous les deux débarqués, et ils se hâtent pour arriver à la cour.

UN SEIGNEUR. – Vous conviendrez, seigneur, qu'ils ont fait une incroyable diligence.

LÉONTES. – Il y a vingt-trois jours qu'ils sont absents; c'est une grande célérité; elle nous présage que le grand Apollon aura voulu manifester sur-le-champ la vérité. Préparez-vous, seigneurs; convoquez un conseil où nous puissions faire paraître notre déloyale épouse; car, comme elle a été accusée publiquement, son procès se fera publiquement et avec justice. Tant qu'elle respirera, mon coeur sera pour moi un fardeau. Laissez-moi, et songez à exécuter mes ordres.

(Tous sortent.)
FIN DU DEUXIÈME ACTE

ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

Une rue d'une ville de Sicile
Entrent CLÉOMÈNE ET DION

CLÉOMÈNE. – Le climat est pur, l'air est très-doux; l'île est fertile, et le temple surpasse de beaucoup les récits qu'on en fait communément.

DION. – Moi, je citerai, car c'est ce qui m'a ravi surtout, les célestes vêtements (c'est le nom que je crois devoir leur donner) et la vénérable majesté des prêtres qui les portent. – Et le sacrifice! quelle pompe, quelle solennité dans l'offrande! Il n'y avait rien de terrestre.

CLÉOMÈNE. – Mais, par-dessus tout, le soudain éclat et la voix assourdissante de l'oracle, qui ressemblait au tonnerre de Jupiter; mes sens en ont été si étonnés que j'étais anéanti.

DION. – Si l'issue de notre voyage se termine aussi heureusement pour la reine (et que les dieux le veuillent!) qu'il a été favorable, agréable et rapide pour nous, le temps que nous y avons mis nous est bien payé par son emploi.

CLÉOMÈNE. – Grand Apollon, dirige tout pour le bien! Je n'aime point ces proclamations qui cherchent des torts à Hermione.

DION. – La rigueur même de cette procédure manifestera l'innocence ou terminera l'affaire. Quand une fois l'oracle, ainsi muni du sceau du grand-prêtre d'Apollon, découvrira ce qu'il renferme, il se révélera quelque secret extraordinaire à la connaissance publique. – Allons, des chevaux frais, et que la fin soit favorable!

SCÈNE II

Une cour de justice
LÉONTES, des SEIGNEURS et des OFFICIERS siégeant selon leur rang

LÉONTES. – Cette cour assemblée, nous le déclarons à notre grand regret, porte un coup cruel à notre coeur. L'accusée est la fille d'un roi, notre femme, et une femme trop chérie de nous. – Soyons enfin justifiés du reproche de tyrannie par la publicité que nous donnons à cette procédure: la justice aura son cours régulier, soit pour la conviction du crime, soit pour son acquittement. – Faites avancer la prisonnière.

UN OFFICIER DE JUSTICE. – C'est la volonté de Sa Majesté que la reine comparaisse en personne devant cette cour. – Silence!

(Hermione est amenée dans la salle du tribunal par des gardes; Pauline et ses femmes l'accompagnent.)

LÉONTES. – Lisez les chefs d'accusation.

UN OFFICIER lit à haute voix.Hermione, épouse de l'illustre Léontes, roi de Sicile, tu es ici citée et accusée de haute trahison comme ayant commis adultère avec Polixène, roi de Bohême, et conspiré avec Camillo pour ôter la vie à notre souverain seigneur, ton royal époux: et ce complot étant en partie découvert par les circonstances, toi, Hermione, au mépris de la foi et de l'obéissance d'un fidèle sujet, tu leur as conseillé, pour leur sûreté, de s'évader pendant la nuit, et tu as favorisé leur évasion.

HERMIONE. – Tout ce que j'ai à dire tendant nécessairement à nier les faits dont je suis accusée, et n'ayant d'autre témoignage à produire en ma faveur que celui qui sort de ma bouche, il ne me servira guère de répondre non coupable; ma vertu n'étant réputée que fausseté, l'affirmation que j'en ferais serait reçue de même. Mais si les puissances du ciel voient les actions humaines (comme elles le font), je ne doute pas alors que l'innocence ne fasse rougir ces fausses accusations et que la tyrannie ne tremble devant la patience. – (Au roi.) Vous, seigneur, vous savez mieux que personne (vous qui voulez feindre de l'ignorer) que toute ma vie passée a été aussi réservée, aussi chaste, aussi fidèle que je suis malheureuse maintenant, et je le suis plus que l'histoire n'en donne d'exemple, quand même on inventerait et qu'on jouerait cette tragédie pour attirer des spectateurs. Car, considérez-moi, – compagne de la couche d'un roi, possédant la moitié d'un trône, fille d'un grand monarque, mère d'un prince de la plus grande espérance, amenée ici pour parler et discourir pour sauver ma vie et mon honneur devant tous ceux à qui il plaît de venir me voir et m'entendre. Quant à la vie, je la tiens pour être une douleur que je voudrais abréger; mais l'honneur, il doit se transmettre de moi à mes enfants, et, c'est lui seul que je veux défendre. J'en appelle à votre propre conscience, seigneur, pour dire combien j'étais dans vos bonnes grâces avant que Polixène vînt à votre cour, et combien je le méritais. Et depuis qu'il y est venu, par quel commerce illicite me suis-je écartée de mon devoir pour mériter de paraître ici? Si jamais j'ai franchi d'un seul pas les bornes de l'honneur, si j'ai penché de ce côté en action ou en volonté, que les coeurs de tous ceux qui m'entendent s'endurcissent, et que mon plus proche parent s'écrie: Opprobre sur son tombeau!

 

LÉONTES. – Je n'ai jamais ouï dire encore qu'aucun de ces vices effrontés eût moins d'impudence pour nier ce qu'il avait fait que pour le commettre d'abord.

HERMIONE. – Cela est assez vrai, mais c'est une maxime dont je ne mérite pas l'application, seigneur.

LÉONTES. – Vous ne l'avouerez pas.

HERMIONE. – Je ne dois rien avouer de plus que ce qui peut m'être personnel dans ce qu'on m'impute à crime. Quant à Polixène (qui est le complice qu'on me donne), je confesse que je l'ai aimé en tout honneur, autant qu'il le désirait lui-même, de l'espèce d'affection qui pouvait convenir à une dame comme moi, de cette affection et non point d'une autre, que vous m'aviez commandée vous-même. Et si je ne l'eusse pas fait, je croirais m'être rendue coupable à la fois de désobéissance et d'ingratitude envers vous et envers votre ami, dont l'amitié avait, du moment où elle avait pu s'exprimer par la parole, dès l'enfance, déclaré qu'elle vous était dévouée. Quant à la conspiration, je ne sais point quel goût elle a, bien qu'on me la présente comme un plat dont je dois goûter; tout ce que j'en sais, c'est que Camillo était un honnête homme; quant au motif qui lui a fait quitter votre cour, si les dieux n'en savent pas plus que moi, ils l'ignorent.

LÉONTES. – Vous avez su son départ, comme vous savez ce que vous étiez chargée de faire en son absence.

HERMIONE. – Seigneur, vous parlez un langage que je n'entends point; ma vie dépend de vos rêves, et je vous l'abandonne.

LÉONTES. – Mes rêves sont vos actions: vous avez eu un enfant bâtard de Prolixène, et je n'ai fait que le rêver? Comme vous avez passé toute honte (et c'est l'ordinaire de celles de votre espèce), vous avez aussi passé toute vérité. Il vous importe davantage de le nier, mais cela ne vous sert de rien; car de même que votre enfant a été proscrit, comme il le devait être, n'ayant point de père qui le reconnût (ce qui est plus votre crime que le sien), de même vous sentirez notre justice, et n'attendez de sa plus grande douceur rien moins que la mort.

HERMIONE. – Seigneur, épargnez vos menaces. Ce fantôme dont vous voulez m'épouvanter, je le cherche. La vie ne peut m'être d'aucun avantage: la couronne et la joie de ma vie, votre affection, je la regarde comme perdue: car je sens qu'elle est partie, quoique je ne sache pas comment elle a pu me quitter. Ma seconde consolation était mon fils, le premier fruit de mon sein: je suis bannie de sa présence, comme si j'étais attaquée d'un mal contagieux. Ma troisième consolation, née sous une malheureuse étoile, elle a été arrachée de mon sein dont le lait innocent coulait dans sa bouche innocente, pour être traînée à la mort. Moi-même, j'ai été affichée sous le nom de prostituée sur tous les poteaux: par une haine indécente, on m'a refusé jusqu'au privilége des couches, qui appartient aux femmes de toute classe. Enfin, je me suis vue traînée dans ce lieu en plein air, avant d'avoir recouvré les forces nécessaires. A présent, seigneur, dites-moi de quels biens je jouis dans la vie, pour craindre de mourir? Ainsi, poursuivez; mais écoutez encore ces mots: ne vous méprenez pas à mes paroles. – Non; pour la vie, je n'en fais pas plus de cas que d'un fétu. – Mais pour mon honneur (que je voudrais justifier), si je suis condamnée sur des soupçons, sans le secours d'autres preuves que celles qu'éveille votre jalousie, je vous déclare que c'est de la rigueur, et non de la justice. Seigneur, je m'en rapporte à l'oracle: qu'Apollon soit mon juge.

UN DES SEIGNEURS, à la reine. – Cette requête, de votre part, madame, est tout à fait juste; ainsi qu'on produise, au nom d'Apollon, l'oracle qu'il a prononcé.

(Quelques-uns des officiers sortent.)

HERMIONE. – L'empereur de Russie était mon père; ah! s'il vivait encore, et qu'il vît ici sa fille accusée! Je voudrais qu'il pût voir seulement la profondeur de ma misère; mais pourtant avec des yeux de pitié et non de vengeance!

(Quelques officiers rentrent avec Dion et Cléomène.)

UN OFFICIER. – Cléomène, et vous, Dion, vous allez jurer, sur l'épée de la justice, que vous avez été tous deux à Delphes; que vous en avez rapporté cet oracle, scellé et à vous remis par la main du grand-prêtre d'Apollon; et que, depuis ce moment, vous n'avez pas eu l'audace de briser le sceau sacré, ni de lire les secrets qu'il couvre.

CLÉOMÈNE ET DION. – Nous jurons tout cela.

LÉONTES. – Brisez le sceau et lisez.

L'OFFICIER rompt le sceau et lit. – «Hermione est chaste, Polixène est sans reproche, Camillo est un sujet fidèle, Léontes un tyran jaloux, son innocente enfant un fruit légitime; et le roi vivra sans héritier, si ce qui est perdu ne se retrouve pas.»

TOUS LES SEIGNEURS s'écrient.– Loué soit le grand Apollon!

HERMIONE. – Qu'il soit loué!

LÉONTES, à l'officier. – As-tu lu la vérité?

L'OFFICIER. – Oui, seigneur, telle qu'elle est ici couchée par écrit.

LÉONTES. – Il n'y a pas un mot de vérité dans tout cet oracle: le procès continuera; tout cela est pure fausseté.

(Un page entre avec précipitation.)

LE PAGE. – Mon seigneur le roi, le roi!

LÉONTES. – De quoi s'agit-il?

LE PAGE. – Ah! seigneur, vous allez me haïr pour la nouvelle que j'apporte. Le prince, votre fils, par l'idée seule et par la crainte du jugement de la reine, est parti12.

LÉONTES. – Comment, parti?

LE PAGE. – Est mort.

LÉONTES. – Apollon est courroucé, et le ciel même se déchaîne contre mon injustice. – Eh! qu'a-t-elle donc?

(La reine s'évanouit.)

PAULINE. – Cette nouvelle est mortelle pour la reine. – Abaissez vos regards, et voyez ce que fait la mort.

LÉONTES. – Emmenez-la d'ici; son coeur n'est qu'accablé, elle reviendra à elle. – J'en ai trop cru mes propres soupçons. Je vous en conjure, administrez-lui avec tendresse quelques remèdes qui la ramènent à la vie. – Apollon, pardonne à ma sacrilége profanation de ton oracle! (Pauline et les dames emportent Hermione.) Je veux me réconcilier avec Polixène; je veux faire de nouveau ma cour à ma reine; rappeler l'honnête Camillo, que je déclare être un homme d'honneur, et d'une âme généreuse; car, poussé par ma jalousie à des idées de vengeance et de meurtre, j'ai choisi Camillo pour en être l'instrument, et pour empoisonner mon ami Polixène; ce qui aurait été fait, si l'âme vertueuse de Camillo n'avait mis des retards à l'exécution de ma rapide volonté. Quoique je l'eusse menacé de la mort s'il ne le faisait pas, et encouragé par l'appât de la récompense s'il le faisait, lui, plein d'humanité et d'honneur, est allé dévoiler mon projet à mon royal hôte; il a abandonné tous les biens qu'il possède ici, que vous savez être considérables, et il s'est livré aux malheurs certains de toutes les incertitudes, sans autres richesses que son honneur. – Oh! comme il brille à travers ma rouille! combien sa piété fait ressortir la noirceur de mes actions!

(Pauline revient.)

PAULINE. – Ah! coupez mon lacet, ou mon coeur va le rompre en se brisant!

UN DES SEIGNEURS. – D'où vient ce transport, bonne dame?

PAULINE, au roi. – Tyran, quels tourments étudiés as-tu en réserve pour moi? Quelles roues, quelles tortures, quels bûchers? M'écorcheras-tu vive, me brûleras-tu par le plomb fondu ou l'huile bouillante?.. Parle, quel supplice ancien ou nouveau me faut-il subir, moi, dont chaque mot mérite tout ce que ta fureur peut te suggérer de plus cruel? Ta tyrannie travaillant de concert avec la jalousie… Des chimères, trop vaines pour des petits garçons, trop absurdes et trop oiseuses pour des petites filles de neuf ans! Ah! réfléchis à ce qu'elles ont produit, et alors deviens fou en effet; oui, frénétique; car toutes tes folies passées n'étaient rien auprès de la dernière. C'est peu que tu aies trahi Polixène, et montré une âme inconstante, d'une ingratitude damnable; c'est peu encore que tu aies voulu empoisonner l'honneur du vertueux Camillo, en voulant le déterminer au meurtre d'un roi: ce ne sont là que des fautes légères auprès des forfaits monstrueux qui les suivent, et encore je ne compte pour rien, ou pour peu, d'avoir jeté aux corbeaux ta petite fille, quoiqu'un démon eût versé des larmes au milieu du feu avant d'en faire autant; et je ne t'impute pas non plus directement la mort du jeune prince, dont les sentiments d'honneur, sentiments élevés pour un âge si tendre, ont brisé le coeur qui comprenait qu'un père grossier et imbécile diffamait sa gracieuse mère; non, ce n'est pas tout cela dont tu as à répondre, mais la dernière horreur, – ô seigneurs, quand je l'aurai annoncée, criez tous: malheur! – La reine, la reine, la plus tendre, la plus aimable des femmes, est morte; et la vengeance du ciel ne tombe pas encore!

UN SEIGNEUR. – Que les puissances suprêmes nous en préservent!

PAULINE. – Je vous dis qu'elle est morte, j'en ferai serment, et si mes paroles et mes serments ne vous persuadent pas, allez et voyez, si vous parvenez à ramener la plus légère couleur sur ses lèvres, le moindre éclat dans ses yeux, la moindre chaleur à l'extérieur, ou la respiration à l'intérieur, je vous servirai comme je servirais les dieux. Mais toi, tyran, ne te repens point de ces forfaits; ils sont trop au-dessus de tous tes remords; abandonne-toi au seul désespoir. Quand tu ferais mille prières à genoux, pendant dix mille années, nu, jeûnant sur une montagne stérile, où un éternel hiver enfanterait d'éternels orages, tu ne pourrais pas amener les dieux à jeter un seul regard sur toi.

7Expression empruntée du français.
8Mankind witch.
9Woman-tried.
10Couleur de la jalousie.
11Forme de serment jadis usitée.
12C'est le vixit des Latins.
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