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La vie de Rossini, tome II

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En Italie, l'on joue de suite une trentaine de fois l'opéra qui a réussi; c'est à peu près le nombre de fois que l'on peut entendre avec plaisir un bon opéra146. On joue tous les jours excepté le vendredi, jour de la mort du Sauveur, et excepté aussi, dans les pays soumis à l'Autriche, dix-sept anniversaires de jours de mort et de naissance des trois derniers empereurs ou impératrices. Il est de règle que le maestro qui a écrit l'opéra dirige l'exécution de sa musique au piano, durant les trois premières représentations; jugez de la corvée lorsque l'opéra tombe! Il faut qu'un opéra soit détestable pour qu'il ne se donne pas au moins trois fois; c'est le droit du maestro. Je voudrais que cet usage s'établît en France; il est raisonnable. J'ai vu plusieurs opéras ressusciter à la troisième représentation. La cabale, sachant que ses efforts sont inutiles, est beaucoup moins active à la première représentation.

Pour chaque saison, composée d'environ quatre-vingts à cent représentations, on donne communément trois opéras, dont deux nouveaux, et écrits a posta (exprès) pour le théâtre; et quatre ballets, savoir: deux grands ballets tragiques, et deux ballets bouffes.

Chaque ville en Italie a un théâtre, et la plupart des théâtres des grandes villes telles que Turin, Gênes, Venise, Bologne, Milan, Naples, Rome, Florence, Livourne, etc., ont pour constitution qu'à de certaines époques déterminées on y donne des opéras nouveaux et composés exprès pour ces théâtres. C'est uniquement à cause de cet usage que la musique est encore un art vivant en Italie. Si le hasard ne l'avait pas établi, les pédants, à force de louer les grands maîtres anciens, auraient empêché les nouveaux de paraître. Sans cet usage, la musique serait en Italie aussi morte que la peinture. Le peintre à talent y est obligé de prier à genoux pour qu'on l'emploie, tandis que pour le musicien les rôles sont changés; c'est le gros financier payant qui prie l'artiste célèbre de travailler pour le théâtre dont il a l'entreprise. Avoir de la musique nouvelle est devenu un objet de vanité municipale en Italie, et des villes comme Saint-Cloud se font faire de la musique nouvelle deux ou trois fois par an. Si Colbert avait fait établir par Louis XIV que tous les ans, le 26 décembre, le 20 février et le 25 août on donnerait une tragédie nouvelle aux Français, l'art de la tragédie vivrait encore en France. Forcés d'être, les poètes auraient été forcés de voir qu'ils ne peuvent être avec succès qu'en suivant les progrès des lumières dans la nation.

Si l'on veut en France, non pas former des compositeurs, ce n'est pas commencer par le commencement, comme disait Diderot147, mais former d'abord un public, il faut établir que tous les ans, et à époques fixes et immuables, l'on donnera trois opéras nouveaux à Louvois, composés exprès pour ce théâtre. Le public aura le plaisir de juger. Rossini, dit-on, va passer à Paris en décembre 1823, pour aller écrire un opéra nouveau à Londres; il serait beau de l'arrêter au passage148.

Je donnerai un exemple des spectacles d'Italie. Je le prendrai dans un voyageur connu. Le 1er février 1818, le spectacle de la Scala commençait à sept heures, en été il commence à neuf heures moins un quart. Le 1er février 1818, il était composé du premier acte de la Gazza ladra, qui dura de sept heures à huit heures un quart; du ballet de la Vestale, de Viganò, où jouaient Mlle Pallerini et Molinari, qui dura de huit heures et demie à dix heures; du second acte de la Gazza ladra, de dix heures un quart à onze heures et un quart; et enfin, de la Calzolaja (la cordonnière), petit ballet bouffe de Viganò, que le public avait sifflé le premier jour par dignité, mais qu'il revoyait cependant avec délices, parce qu'il y avait du nouveau. (Le neuf, dans le genre comique, est toujours sifflé le premier jour par un public qui se respecte.) Ce petit ballet terminait le spectacle, qui finit entre minuit et une heure. Tous les huit jours on plaçait un pas nouveau dans le petit ballet.

Pour chaque scène de l'opéra, pour chaque scène du ballet, il y a à la Scala une décoration nouvelle, et le nombre des scènes est toujours fort considérable; car l'auteur compte pour le succès sur le plaisir que les spectateurs auront à voir des décorations nouvelles et brillantes. Jamais une décoration (scena) ne sert pour deux pièces: si l'opéra ou le ballet tombe, la décoration, qui souvent est admirable et que l'on n'a vue qu'une seule fois, n'en est pas moins impitoyablement barbouillée le lendemain; car l'on se sert longtemps des mêmes toiles. Ces décorations sont peintes à la colle. Elles sont faites dans un système absolument différent des décorations que l'on exécute à Paris en 1823. A Paris, tout papillote, tout est plein de petits détails spirituels et soigneusement travaillés. A Milan, au contraire, tout est sacrifié à la masse et à l'effet. C'est le génie de David appliqué aux décorations. Il arrive de là que même les aspects les plus gais prennent quelque chose d'imposant qui frappe et produit la sensation du beau. Qu'on se figure la magnificence des palais, des intérieurs d'églises, des scènes de montagnes, etc. Mais rien de semblable n'existant hors d'Italie, il est impossible de décrire ces décorations (scène) par des paroles. Tout au plus pourrais-je dire que les vues des cathédrales de Cantorbéry et de Chartres au Diorama, ou, à Londres, les panoramas sublimes de Berne et de Lausanne, par M. Baker, m'ont rappelé la perfection des décorations de la Scala par MM. Perego, Sanquirico et Tranquillo, avec cette différence toutefois que les panoramas et dioramas ne prétendent qu'au mérite de portraits fidèles, tandis que les décorations sont des portraits de lieux célèbres, ennoblis par les traits les plus hardis du beau idéal. Les voyageurs qui ont admiré ces chefs-d'œuvre de l'art, je pourrais dire qui en ont senti le pouvoir, car ces scène doublent l'efficacité de la musique et des ballets, ces voyageurs, dis-je, auront peine à croire qu'on ne les paie que quatre cents francs pièce aux grands peintres Perego, Sanquirico et Tranquillo149. Il est vrai que l'administration de la Scala fait faire cent vingt ou cent quarante décorations nouvelles chaque année. Que dire de ces chefs-d'œuvre à qui les a vus? et, ce qui est bien autrement difficile, comment en parler à qui ne les a pas vus, sans s'exposer au reproche d'exagération? Ces décorations sont, comme les ballets de Viganò, l'éternel écueil de qui raconte des voyages en Italie. Il y a cette différence que, pour les décorations de la Scala, Perego étant mort, Sanquirick l'a dignement remplacé, et Tranquillo, élève de Sanquirick150, égale son maître, tandis que Viganò a emporté son secret dans la tombe.

CHAPITRE XLV
DE SAN-CARLO ET DE L'ÉTAT MORAL DE NAPLES,
PATRIE DE LA MUSIQUE

Les personnes qui ont voyagé en Italie, et dont l'âme, s'élevant au-dessus de l'utile et du commode, peut goûter le beau, me demandent compte de ma préférence continue pour la Scala, que je cite avant San-Carlo; rien de plus injuste en apparence; Naples est le lieu natal des beaux chants. Milan est déjà gâté par le voisinage des idées prétendues raisonnables du Nord151. Les trente premiers compositeurs du monde sont nés dans le voisinage du Vésuve, tandis que pas un seul peut-être n'a paru en Lombardie. L'orchestre de San-Carlo est fort supérieur à celui de la Scala qui suit en musique exactement le même principe qui donne un si brillant coloris aux tableaux de l'école française actuelle. A force d'avoir peur du ridicule, cet orchestre finit par ne rien marquer; c'est comme nos médecins qui laissent mourir leurs malades sans secours, de peur de paraître des Sangrado.

 

De peur de n'être pas doux et harmonieux, c'est-à-dire, dans le fond, par la crainte du ridicule qui, chez les peuples ultra-civilisés, s'attache facilement à toute énergie et à toute originalité, les coloristes français ont fini par peindre tout en gris, même la plus belle verdure. De même, à la Scala, l'orchestre se croirait perdu s'il sortait du piano. C'est absolument le défaut contraire à celui de l'orchestre de Louvois, qui met son orgueil à être toujours fort et à se moquer des chanteurs: l'orchestre de la Scala est leur très humble serviteur.

Jusqu'ici, tout est en faveur de Naples; mais la monarchie absolue de la maison d'Autriche est une monarchie oligarchique, c'est-à-dire raisonnable, économique, calculante. Les grands seigneurs autrichiens aiment la musique et s'y connaissent. Les princes autrichiens ont de la bonté et de la science dans le caractère; ils se gardent de rien faire sans consulter longuement un conseil de vieillards, à la vérité sans génie, mais fort prudents. Le despotisme de Naples à l'égard de San-Carlo et de M. Barbaja, a été au contraire le favoritisme le plus plaisant, accompagné de toutes ses absurdités. A Naples, sous M. Barbaja, il est arrivé que San-Carlo est resté quelquefois une semaine sans ouvrir. Au lieu d'un grand ballet et d'un opéra en deux actes, le Barbaja en est venu, pour ne pas fatiguer la voix chanceuse de Mlle Colbrand, à ne plus donner qu'un acte d'opéra et un ballet. Des étrangers sont arrivés à Naples, y ont fait un séjour de trois mois et n'ont jamais pu voir le second acte de la Medea ou de la Cora. Je m'en serais facilement consolé, mais ces étrangers étaient Allemands et tenaient à la musique de Mayer. D'ailleurs la Médée et la Cora étaient à la mode. Pendant deux mois l'on donnait toujours le premier acte de la Medea; pendant deux autres mois, toujours le second; suivant le degré de décadence de Mlle Colbrand.

Naples en est venu (chose horrible à dire!) à avoir des journées sans spectacle musical. Cela n'eût rien été en 1785, avant la déclaration de guerre du tiers-état contre l'aristocratie; cinquante salons aimables vous eussent été ouverts; mais voici le petit changement qui est arrivé: les haines sont tellement envenimées depuis les massacres de la reine Caroline et de l'amiral Nelson, que les premières conventions qu'on fait à Naples entre amants, c'est de ne pas parler politique; lorsqu'un des deux s'avise: d'ouvrir la bouche sur ce qui, entre hommes et lorsqu'il n'y a pas de figure suspecte, fait la seule conversation intéressante au monde, c'est un signe évident qu'il veut rompre. Ayant connu en Russie le jeune R… j'étais reçu avec bonté dans la charmante famille du marquis N… qui se compose de deux fils et d'une fille. Le fils aîné est carbonaro, l'autre dévoué au gouvernement actuel; le père est de l'ancien parti du roi Murat et des innovations françaises; la mère est du parti dévot, et la fille est passionnée pour les carbonari modérés qui veulent la constitution de France avec les Chambres; je suppose qu'un homme qu'elle aime est exilé à Londres. Il arrive de là que dans cette famille très bien élevée, et très unie d'ailleurs, un silence de mort règne presque toujours à table, ou bien l'on en est réduit à parler de la pluie et du beau temps, de la dernière éruption du Vésuve ou de la neuvaine de saint Janvier. Remarquez que le théâtre même et Rossini sont devenus des affaires de parti, sur lesquelles il faut observer le silence pour ne pas se mettre en colère; et la violence qu'on se fait à Naples est mille fois plus pénible que dans nos climats raisonnables. Bel opéra que le Mosè! dit le fils cadet, partisan du roi. – Oui, ajoute l'aîné, et joliment chanté! hier soir la Colbrand ne chantait faux (non calava) que d'un demi-ton seulement. Là-dessus silence complet. Mal parler de la Colbrand, c'est mal parler du roi, et les deux frères sont convenus de ne pas se brouiller. «Tout a été supprimé par la révolution, me disait le fils aîné, carbonaro, jusqu'au plaisir de faire l'amour. Ces maudits Français nous ont apporté leur vanité et leurs mœurs réglées; toutes nos jeunes femmes font bon ménage. Après cela étonnez-vous que nous autres malheureux jeunes gens, nous voulions, pour nous distraire, avoir au moins une Chambre des communes et des discussions orageuses, surtout ayant d'aussi bons acteurs que Poerio, Dragonetti, etc.152. Une reste absolument à Naples que les ballets, les premiers du monde après Paris et la rive de Mergelina.» Je rapporte avec conscience les paroles de mon ami napolitain. Il n'y a rien de commun entre les ballets de Naples, dignes de M. Gardel, et les ballets de Viganò, invention nouvelle et romantique qui a été sifflée à San-Carlo. Les décorations ou le plaisir des yeux sont vingt fois mieux à Naples qu'à Paris; mais comme le malheur veut qu'on passe à Milan pour arriver à Naples, les décorations de San-Carlo semblent communes et souvent choquantes.

J'espère encore quelque chose pour la musique, des Calabres, des provinces de l'Est, de Tarente et en général de tout ce qui est au delà de Naples. Ma raison est assez difficile à dire, car elle choque à la fois le sens commun et la décence153. Essayons toutefois. Les arts chez un peuple sont le résultat de son état physique et de sa civilisation tout entière, c'est-à-dire de plusieurs centaines d'habitudes. Or, depuis un siècle, la musique vivait et s'élevait jusqu'au ciel dans la belle Parthénope, lorsque les Français sont venus tracasser la ville de Naples, y apporter des mœurs, des livres, des idées libérales, et surtout opprimer les amours; mais les mœurs, des contrées fort étendues situées au delà de Naples, n'ont point changé. Toujours, dans les familles, le frère aîné se fait prêtre, marie l'un des cadets pour continuer la maison, et vit fort bien avec sa belle-sœur. Les uniques plaisirs de la famille, qui vit fort unie, sont de faire de la musique. Mais savez-vous quelle est leur crainte au milieu de cette douce petite vie? c'est que quelque méchant voisin ne les regarde de mauvais œil.

La jettatura (prononcez i-é-tatoura) est le croquemitaine du royaume de Naples. Si vous avez une jettatura, tout dépérit chez vous. Pour prévenir la jettatura, chacun des membres de la famille porte une douzaine de reliques et d'agnus Dei, et tous les hommes ont une corne de corail à leur chaîne de montre; plusieurs portent pendue au cou, comme le portrait d'une maîtresse, une corne de huit à dix pouces de longueur, que l'on cache plus ou moins bien dans les plis du gilet. Lorsque je revins de Palerme à Naples, comme les grandes cornes sont à fort bon marché à Palerme, l'on me chargea de douze ou quinze cornes de bœuf, de trois pieds de long, que j'apportai à Naples, où on les fit curieusement monter en or, et où je les vis bientôt après figurer dans les chambres à coucher et dans les salons. En revenant de Palerme à Naples, notre speronara eut un fort gros temps. Pour ne pas penser au mal de mer, je chantais; les patrons se mirent à jurer, à dire que je tentais Dieu, et à murmurer entre eux que je pourrais bien être une jetattura154. Je leur fis observer le grand nombre de cornes que j'avais avec moi, et ils se calmèrent; pour cimenter la réconciliation, je me rapprochai d'une petite sainte Rosalie, devant laquelle brûlait un cierge, et je priai sainte Rosalie d'envoyer l'enseignement mutuel en Sicile; elle me répondit qu'elle y songerait dans trois siècles.

C'est dans les Calabres et au milieu de toute cette manière d'être qu'ont paru les Paisiello, les Pergolèse, les Cimarosa et cent autres. Certainement, des matelots américains ne m'auraient pas pris pour une jettatura; mais qu'a produit en fait d'arts la raisonnable Amérique? Un écrivain moderne, l'aimable Vauvenargues, ce me semble, a dit: «Le sublime est le son d'une grande âme.» On peut dire avec plus de vérité: Les arts sont le produit de toute la civilisation d'un peuple et de toutes ses habitudes, même les plus baroques ou les plus ridicules. Ainsi, la doctrine du purgatoire préoccupant toutes les têtes en Italie, vers l'an 1300, tout le monde voulut bâtir une chapelle, tout le monde voulut y placer le tableau de son saint patron, pour en être protégé en cas d'entrée au purgatoire; et c'est incontestablement à une idée aussi baroque que nous devons Raphaël et le Corrège.

De même, la tyrannie et l'espionnage de Come le Grand à Florence, des Farnèse à Parme, etc., empêchant le plaisir de la conversation en Italie, la solitude a été créée; et la solitude ne peut exister longtemps sous ce beau climat sans amour. L'amour y est sombre, jaloux, passionné; en un mot le véritable amour155. Cet amour-là trouvant la musique à l'église vers l'an 1500 (les prêtres s'emparent de tous les sens en ce pays-là, pour effrayer l'âme des pécheurs et les porter à faire des largesses à l'église)156, y vit le moyen, et le moyen unique, le seul qui existe au monde, d'exprimer toutes les nuances fugitives de son bonheur ou de son désespoir.

 

L'antique miserere du Vatican, composé par Allegri vers l'an 1400, a également produit, je n'en fais aucun doute, le duetto si mondain:

Io ti lascio perchè uniti,

du premier acte du Matrimonio segreto, et l'air sublime de Romeo:

Ombra adorata, aspetta.

Voici une anecdote vraie, et que l'on peut lire contée fort au long dans de vieux manuscrits poudreux, conservés à Bologne, et qu'il n'est pas facile d'approcher157. En 1273, Bonifazio Jeremei, qui tenait à une famille guelfe jusqu'à la fureur, se prit de passion pour Isnelda, fille du célèbre Orlando Lambertazzi, l'un des chefs du parti gibelin; les plaisanteries que faisaient les jeunes gens du parti guelfe sur la beauté célèbre d'Isnelda, avaient sans doute contribué à la faire aimer de Jeremei. Ils se virent dans un couvent, malgré la haine de parti qui divisait leurs familles; obligés de ne pas même se regarder, lorsque dans les fêtes de la religion, ils se rencontraient à l'église, leur passion n'en devint que plus vive. Enfin, Isnelda consentit à recevoir son amant dans sa chambre. Un des espions placés tous les soirs par ses frères autour de leur palais, vint les avertir qu'un homme jeune, et apparemment bien armé, venait d'y entrer. Les Lambertazzi pénètrent de force dans la chambre de leur sœur; et, tandis qu'elle se sauve, l'un d'eux frappe Bonifazio dans la poitrine, avec un de ces poignards empoisonnés dont les Sarrasins avaient introduit l'usage en Italie. Précisément à la même époque, le Vieux de la Montagne, si redouté des princes d'Occident, armait avec ces sortes de poignards les jeunes fanatiques, depuis si célèbres sous le nom d'assassins. Bonifazio tombe sur le coup; les Lambertazzi le transportent dans une cour déserte de leur palais, et le cachent sous des décombres. Ils se retiraient à peine, qu'Isnelda, suivant les traces de sang à travers les divers degrés et les passages secrets du palais de son père, arrive enfin à la cour déserte et remplie de hautes herbes où l'on avait caché le corps de son amant; un reste de vie semblait l'animer encore. Une tradition populaire assurait que s'il se trouvait quelqu'un d'assez dévoué pour faire le sacrifice de sa propre vie, on pouvait, en suçant une plaie faite par les poignards empoisonnés de l'Orient, sauver le blessé. Isnelda connaissait les poignards de ses frères, elle se jette sur la poitrine de son amant, elle y puise un sang empoisonné; mais elle y trouve la mort sans parvenir à le rappeler à la vie. Au bout de quelques heures, lorsque ses femmes inquiètes de son absence arrivèrent auprès d'elle, elles la trouvèrent étendue sans vie auprès du cadavre de celui qu'elle avait aimé.

Voilà l'amour qui est digne d'inspirer les beaux-arts.

Naples, comparée à Milan et indépendamment du climat, n'a pour soi que l'admirable Casaciello158, et sa manière de jouer un ancien opéra de Paisiello, le seul avec la Nina, je crois, qui vive encore aujourd'hui. Si vous n'avez jamais ri de votre vie, dirais-je à ce gros squire anglais qui se perd en raisonnements sur l'utilité des Sociétés bibliques ou sur l'immoralité des Français, allez à Naples voir Casacia dans la Scuffiara o sia la Modista raggiratrice.

Plusieurs causes contribuent à augmenter la disposition naturelle de l'Italien pour la musique. Comment lire, dans un pays où la police intercepte les trois quarts des livres, et note ensuite sur un livre rouge, les imprudents qui lisent l'autre quart? On ne lit donc pas en Italie; toute véritable discussion est prohibée; et un livre, à force de déshabitude, est devenu pour les jeunes gens une corvée dont la seule apparition fait frémir. Or, un livre, le plus mauvais pamphlet, distrait l'homme de ses pensées, et essuie, pour ainsi dire, goutte à goutte la sensibilité à mesure qu'elle est produite par les événements de la vie, et avant qu'elle forme le torrent des passions. La sensibilité détruite par les distractions n'a le temps de s'exagérer le prix de rien.

Par l'absence forcée de toute lecture, dans un pays écrasé sous la double tyrannie des prêtres et des gouvernements, et pavé d'espions, le pauvre jeune homme n'a pour distraction que sa voix et son mauvais clavecin; il est forcé de penser beaucoup aux impressions de son âme; c'est la seule nouveauté qui soit à sa disposition.

Ce jeune Italien, à force de regarder ses sentiments dans tous les sens, observe et surtout sent des nuances qui lui auraient échappé si, comme l'Anglais, il eût trouvé sur sa table pour se distraire une page de Quentin Durward, ou un article du Morning-Chronicle; car il s'en faut bien qu'il soit toujours agréable au premier abord de songer aux sentiments qui nous agitent. On centuple ses peines en les analysant et l'on diminue son bonheur. Mais à Naples, je ne vois exactement qu'une distraction non prohibée aux passions que le climat met dans les cœurs; c'est la musique, et encore cette distraction n'est-elle qu'une autre expression de ces mêmes passions, et tend-elle à augmenter leur poignante énergie.

146Un opéra bien chanté est différent tous lès jours, à cause des nuances et agréments du chant.
147Je voudrais bien que l'on imprimât huit volumes in-8º, formés par deux mille lettres dans lesquelles Diderot rend compte à sa maîtresse de tout ce qui se passait, de son temps, à Paris. C'est ce que Diderot a fait de mieux.
148A l'exception de M. Dragonetti et de deux ou trois autres symphonistes, le théâtre de Londres n'a pas de grands talents; la nation est plus insensible; et cependant tout va beaucoup mieux pour la musique à Londres qu'à Paris: c'est qu'il n'y a pas de parti contraire ni d'honneur.
149Les miniatures maniérées, sans effet et sans grandiose, que l'on nous donne à Louvois et à l'Opéra, coûtent cinq ou six fois davantage. Se rappeler la vue de Rome à la reprise des Horaces, le 14 août 1823. On voit bien que David est absent; la peinture tombe, et revient au galop au genre national de Boucher. Voir l'exposition de l'industrie en 1823.
150Sanquirick est la prononciation milanaise du mot italien Sanquirico.
151Rien de plus funeste qu'une fausse application des sciences; on marche alors dans l'erreur avec une raideur de persuasion bien ridicule. Voyez les mathématiques appliquées aux probabilités; voyez les raisonnements d'un philosophe français sur le duetto, cités plus haut. Des gens, fournis d'ailleurs d'une très-bonne dialectique, raisonnent fort conséquemment sur des faits qui leur sont invisibles. Le raisonnement en musique ne conduit jamais qu'au récitatif obligé; le chant, l'aria est un art nouveau dont il faut avoir le sentiment. Or, ce sentiment est fort rare en France au nord de la Loire. Il est fort commun à Toulouse et dans les Pyrénées. Rappelez-vous les petits polissons qui chantaient sous nos fenêtres de Pierrefite{*}, et que vous fîtes monter. Toulouse, par ses chants, par ses idées religieuses, par je ne sais quelle couleur sombre, me rappelle toujours une ville de l'État du Pape. On justifie en 1829 la condamnation de Calas. {*} Route de Cauterets.
152Gens pleins d'éloquence, et au moins égaux en talent à tout ce qu'on possède en France ou en Angleterre depuis la mort de Sheridan ou de Grattan.
153J'espère, en arrivant à cette partie de ma brochure, que les cinq sixièmes des gens pour qui elle n'est pas écrite auront fermé le livre. Je me permets ici plusieurs idées que j'aurais effacées dans les premières pages. Pouvons-nous espérer de la perfectibilité de l'esprit humain que l'on inventera pour le public l'art de choisir les écrivains qui lui conviennent, et pour les auteurs l'art de choisir leur public? Avez-vous lu avec délices les romans de Walter Scott et les brochures de M. Courier? j'écris pour vous. Avez-vous lu avec délices l'Histoire de Cromwel, les Mélanges de M. Villemain et les Histoires de MM. Lacretelle ou Raoul Rochette? fermez ce livre-ci, il est chimérique, inconvenant et plat.
154Stendhal veut dire un jettatore. N. D. L. E.
155Il ne peut être question de vanité et du plaisir d'être distingué en public par une femme à la mode, dans un pays où la première nécessité est de se faire oublier d'une douzaine de ministres fort méchants, et qui n'ont rien à faire. Quand tout cela serait faux aujourd'hui, cela était vrai il y a cinquante ans, lorsqu'on faisait mourir en prison l'historien Giannone; or les lois ne passent dans les mœurs qu'au bout d'un siècle.
156Saint Philippe Neri invente l'oratorio en 15… Voir la scène du moine dans la Mandragora, excellente comédie de Machiavel. Le moine se plaint de ce qu'on ne fait plus de processions le soir.
157Lettre de M. Courier sur la tache d'encre, le savant Furia et le chambellan Pulcini, 1812.
158Les Casaciello sont comme les Vestris; celui qui règne aux Florentins, le Feydeau de Naples, est le troisième du nom.
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