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Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile

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LE COMTE

Qu'entendez-vous par un quart de chute?

FIGARO, faisant des signaux de la main au Comte

Monsieur, c'est que je n'ai tombé que devant le sénat comique du scenario; ils m'ont épargné la chute entière en refusant de me jouer. Ah! si j'avais là mon musicien, mon chanteur, mon orquestre (sic), mes cors de chasse, mon fifre et mes timballes, car je ne puis chanter à moins d'un train du diable à mes trousses. N'importe, je vais vous lire le morceau. (Il tire un grand papier au dos duquel sont écrits en gros caractères ces mots: DEMANDEZ TOUT BAS OÙ L SERRE LA CLEF DE LA JALOUSIE, et pendant qu'il débite l'ariette, il tient le papier de façon que le public et le Comte puissent lire le verso.) C'est une ariette de bravoure majestueuse:

 
J'aime mieux être un bon Barbier,
Traînant ma poudreuse mantille;
Tout bon auteur de son métier
Est souvent forcé de piller,
Grapiller,
Houspiller…
 

Un grand coup d'orquestre! Brouuuum!

 
Il vous pille
Chez ses devanciers les Auteurs;
 

Turelu, turelu; les flûtes: Brouuum!..

 
Il grapille,
Dans la Bourse des Amateurs.
 

Tirelan, tirelan tam, tam; les haut bois!

 
Il houspille,
Hélas! à regret le public
Quand il le rassemble en pic-nic (sic)
Pour écouter sa triste affaire…
 

Ah! que c'est bien dit: «Sa triste affaire!» Ici vous entendez, Messieurs: public, pic-nic. Pou, pou, pou, les bassons, reprise vivement; gros violons, moyens violons, petits violons, cors, cornillons, cornets, tambours, tambourins, quintons, flutais, flageolets, galoubets et autres siffleurs de même farine. Sa triste affaire, avons nous dit…

Reprise:
 
D'abord il a fallu la faire,
Souvent ensuite la défaire,
Au gré des acteurs la refaire,
En en parlant n'oser surfaire,
Presque toujours se contrefaire,
Et n'obtenir pour tout salaire
Que les brouhahas du parterre,
La critique du monde entier;
Enfin, pour coup de pied dernier,
La ruade folliculaire.
Ah! quel triste, quel sot métier,
J'aime mieux être un bon Barbier (bis),
un bon Barbier,
bier,
bier.
 
BARTOLO

Assurément, voilà une belle poussée!

LE COMTE, bas à Rosine

Vous avez lu le papier?

ROSINE, bas

Oui, à sa ceinture.

FIGARO

Une telle ariette n'avoir pas été exécutée! Y eut-il jamais un pareil revers! (Il montre au Comte le dos du papier.)

LE COMTE

Je conçois qu'on s'en occupe. Seriez-vous par hasard celui qu'on nomme ici le Barbier de Séville par excellence?

FIGARO

Monsieur, Excellence vous-même!

LE COMTE

Auteur d'un couplet mis au bas du portrait d'une très-belle dame habillée en sous-tourière?..

FIGARO, cherchant à comprendre

Il se peut, Monsieur.

LE COMTE, à Bartholo

Les vers ne sont pas mal faits, quoique sur un air commun. Voici le couplet. (A part.) Moi qui allais chanter! Il débite:

 
Pour irriter nos désirs,
Sœur Vénus dessous la bure
Tient la clef de nos plaisirs.
 
FIGARO

Turelure!

LE COMTE

Attachée à sa ceinture.

FIGARO

Robin Turelure, relure160

ROSINE

Il est très-joli.

BARTOLO

Plein de sel et de délicatesse…

FIGARO

Il n'est pas de moi; j'en connais l'auteur. Charmant! Vénus, sa ceinture, la clef… moi je vois le trousseau! Charmant! un pareil ouvrage n'est pas facile à faire!..

BARTOLO

Non, je vous assure. Voilà comme j'aime une chanson, où l'on détourne agréablement… (A Figaro, qui tient le papier de son ariette à moitié roulé.) Qu'est-ce qu'il y a donc d'imprimé derrière votre papier?

LE COMTE, à part

O étourdi!

ROSINE, à part

Tout est perdu!

FIGARO, roulant vite le papier

Monsieur, c'est une affiche de spectacle sur le verso de laquelle nous autres pauvres poëtes…

BARTOLO

De la jalousie… j'ai lu.

FIGARO

Le Danger de la jalousie, voilà ce que c'est.

BARTOLO veut prendre le papier

Les journaux n'en ont pas parlé?

FIGARO, serrant le papier

N'en ont pas parlé… Eh, mon Dieu, Monsieur, si les journaux n'étaient pas une forte branche de commerce, et qui fait fleurir les manufactures d'encre et de papier marbré, les journaliers feraient peut-être aussi bien…

BARTOLO

Les journaliers?.. Cet homme veut écrire, et ne sait pas seulement parler sa langue. Enfin, quel sujet vous amenait ici, journalier?

Var. XCI.

FIGARO, au Comte

…Que les brouhahas du parterre! un morceau superbe en vérité, ce n'est pas pour me vanter.

BARTOLO

En voilà assez!..

Var. XCII.

Pourquoi donc chez moi?

BARTOLO

Pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre, mon minet!..

Var. XCIII.

BARTOLO, rentrant

Venez avec moi, seigneur Alonzo; si ce malheureux s'est blessé, je ne serai pas assez fort tout seul.

ROSINE, restée seule

Nous avons beau faire, il prévoit et devine tout; je n'ai jamais aussi vivement senti le malheur de ma situation.

Var. XCIV.

Mon coquemar161 et mon beau bassin d'argent sont dans un joli état!

FIGARO

Que diriez-vous donc, si l'on vous enlevait votre bien ou votre femme?..

BARTOLO se retourne

Ma femme!..

Var. XCV.

LE COMTE, haut

Avez-vous craint que je ne misse pas assez de zèle pour votre écolière? Certes, c'est en montrer beaucoup…

Var. XCVI.

BARTOLO

Dom Bazile, je vous trouve ce soir un air tout à fait extraordinaire.

DOM BAZILE

Quel Demonio! on l'aurait à moins.

Var. XCVII.

Si je ne me pique pas d'un aussi grand talent pour montrer que vous, mes façons de me faire entendre au moins vous sont connues.

Var. XCVIII.

BAZILE, en s'en allant

Diable emporte, si j'y comprends rien! Sans cette bourse, je croirais qu'ils se sont donné le mot pour rire à mes dépens; ma foi, qu'ils s'entendent s'ils peuvent, voici qui me met la conscience en repos sur tous les points!

Var. XCIX.

ROSINE

Qui peut vous troubler à ce point?

BARTOLO

Avez-vous bien l'audace de me parler?

LE COMTE

Monsieur, expliquez-vous.

BARTOLO

Que je m'explique, traître?.. C'est donc pour ce bel emploi que tu t'es introduit dans ma maison?

Var. C.

…Peut-être, en ce moment, aux pieds d'une autre femme!..

Var. CI.

SCÈNE III
BARTOLO, seul, les grosses clefs à la main

Voyons si tout est bien fermé dans l'intérieur. Pour la porte de la rue, j'en réponds actuellement. Quel temps! quel orage!.. Elle est couchée, tous les gens malades… et je suis seul! Voilà la sueur froide qui me prend… Qui va là?.. Ce n'est rien; il suffit d'une mauvaise conscience pour troubler la meilleure tête. Il faut pourtant l'éveiller; elle va s'effrayer de mon apparition.

(Il frappe.)
ROSINE, en dedans

Qu'est-ce?

 
BARTOLO

Rosine!.. ouvrez, c'est moi.

ROSINE

Je vais me coucher.

Var. CII.

Asseyez-vous!

ROSINE

Je ne veux pas m'asseoir.

Var. CIII.

Mais pressez la cérémonie.

BARTOLO

Je vais tout disposer pour demain.

ROSINE, effrayée

Demain?..

BARTOLO

Si tu veux, on peut avancer l'instant?

ROSINE

Le plutôt sera le mieux.

Var. CIV.

…Enferme-toi dans ma chambre, je vais m'envelopper d'un manteau… sitôt qu'il sera remonté dans ce salon, j'enlève l'échelle et vais chercher main-forte. Enfermé chez moi et arrêté comme voleur…

Var. CV.

Ce n'est que le vil agent d'un grand Seigneur corrompu.

Var. CVI.

Cruelles!.. avec ce mot qui flatte leur orgueil, un amant les mène toujours plus loin qu'elles ne veulent!..

Var. CVII.

FIGARO

En effet, il s'en est peu fallu que nous n'ayons été entraînés par l'inondation que la pluie et les ravins amènent de toutes parts; mais, nouveau Léandre, il a conjuré les éléments. (Il récite avec emphase:)

 
Il dit aux torrents, à l'orage,
Je suis attendu par l'amour,
S'il faut périr en ce passage,
Gardons la mort pour mon retour!
 
LE COMTE

Ainsi, ma belle Rosine, laissons là mes dangers, parlons de ceux que vous courez en ce logis.

Var. CVIII.

…C'est l'aveu que j'attendais pour te détester.

Var. CIX.

Par ma foi, Monseigneur, la chimère que vous poursuivez, la voilà réalisée.

Var. CX.

Tous mes gens cachés autour de ce logis vont accourir au moindre signal.

Var. CXI.

Voilà bien une autre musique!

Var. CXII.

Argument sans réplique!..

Var. CXIII.

(Dans le manuscrit, la scène finit ainsi:)

FIGARO, pendant qu'on signe

L'ami Bazile! à votre manière de raisonner, à vos façons de conclure, si mon père eut fait le voyage d'Italie, je croirais ma foi que nous sommes un peu parents.

DOM BAZILE

Monsieur Figaro, ce voyage d'Italie, il n'est pas du tout nécessaire pour que cela soit, parce que mon père, il a fait plusieurs fois celui d'Espagne.

FIGARO

Oui? Dans ce cas nous devons partager comme frères tout ce que vous avez reçu dans cette journée.

DOM BAZILE

Je ne sais pas bien l'usage ici, mais chez nous, Monsieur Figaro, pour succéder ensemblement, il faut prouver sa filiation maternelle; l'autre il ne suffit pas chez nous; je dis chez nous… (Il met la bourse dans sa poche.)

LE COMTE

Crains-tu, Figaro, que ma générosité ne reste au-dessous d'un service de cette importance? Laisse là ces misères, je te fais mon secrétaire avec mille piastres d'appointements.

DOM BAZILE

Alors, mon frère, je suis très-content d'agir avec vous, s'il vous convient, selon la coutume espagnole.

FIGARO l'embrasse en riant

Ah friandas! il ne faut que vous en montrer!..

Var. CXIV.

Rosine avec eux! Nous arrivons fort à propos.

Var. CXV.

LE COMTE

Seigneur Bartholo, tout ce bruit est désormais inutile; le notaire vient de nous faire signer un contrat de mariage en bonne forme, à la signora Rosine et à moi comte Almaviva.

Var. CXVI.

ROSINE

Il dit vrai!

FIGARO

Il dit vrai!

LE NOTAIRE

Il dit vrai!..

BARTOLO, furieux

Il dit vrai!.. Jeune insensée!..

Var. CXVII.

BARTOLO

Comment cela s'il vous plaît?

LE COMTE

En vous appropriant un bien que les lois vous avaient seulement chargé de conserver…

BARTOLO

Pour votre Excellence, peut-être?

LE COMTE

Non, mais pour que Mademoiselle pût disposer d'elle librement un jour.

BARTOLO

C'est bien dit «un jour»; mais il n'est pas arrivé.

Var. CXVIII.

BARTOLO

L'ordonnance est formelle, et nous verrons!

FIGARO

Voyez l'ordonnance, et nous emmenons la demoiselle!

BARTOLO

On prouvera quelle est mal mariée!

FIGARO

Bien épousée!

BARTOLO

Que le mariage est nul!

FIGARO

Que l'époux est de qualité.

BARTOLO

Nul, de toute nullité!.. Je vous ferai sabrer tous par M. Braillard, mon avocat.

FIGARO

Il vous fera perdre encore ce procès-là! Quand ces Messieurs ont passé toute une ville au fil de la langue, ils n'ont blessé que le tympan des juges.

BARTOLO

Qui te parle, à toi, maître fripon?

LE COMTE

Docteur, vous voyez que c'est un mal sans remède.

Var. CXIX.

Allons seigneur tuteur, faisons-nous justice honnêtement; consentez à tout, et je ne vous demande rien de son bien.

BARTOLO

Eh, vous vous moquez de moi, Monsieur le Comte, avec vos dénouements de comédie. Ne s'agit il donc que de venir dans les maisons enlever les pupilles et laisser le bien aux tuteurs? Il semble que nous soyons sur les planches!

DOM BAZILE

Ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l'argent vous reste, et vous verrez que ce n'est pas toute perte.

FIGARO

Au contraire, pour un homme de son âge, c'est tout gain.

Var. CXX.

BARTOLO

Je me rends, parce qu'il est clair qu'elle m'aurait trompé toute sa vie.

ROSINE

Non, monsieur, mais je vous aurais haï jusqu'à la mort.

BARTOLO, signant

Qu'elle est neuve! comme si l'un n'était pas une suite de l'autre!

Var. CXXI.

LE NOTAIRE

Et qui me paiera dans le second contrat?

FIGARO

Le premier dépôt que nous vous mettrons dans les mains.

BARTOLO

Quel événement! Voilà qui est fini, mais le mal vient toujours de ce qu'on ne peut faire tout soi-même.

FIGARO

C'est précisément le contraire, docteur; car si vous n'aviez pas été chercher ces Messieurs vous-même, on n'aurait pas marié Mademoiselle pendant ce temps; jusques-là vous vous étiez assez bien conduit.

APPENDICES

I

PAPIERS DIVERS ET MANUSCRITS INÉDITS DE BEAUMARCHAISACHETÉS A LONDRES.DEUX LETTRES DE M. ÉD. FOURNIER RELATIVESA CES PAPIERS

Nous avons dit, dans la notice qui ouvre ce volume, que le manuscrit original du Barbier de Séville, sur lequel nous avons relevé nos variantes, fait partie des manuscrits de Beaumarchais achetés à Londres, en 1863, pour le compte de la Comédie-Française, par M. Édouard Fournier. Nous avons eu communication, aux archives du théâtre, de ces précieux manuscrits, qui s'y trouvent réunis, en sept volumes, reliés, grand in-8º. Comme il a été très-souvent question, dans les journaux et ailleurs, de cette inespérée et précieuse acquisition, faite moyennant un prix si restreint et dans des conditions si heureuses, nous avons cru devoir raconter au lecteur l'histoire de cet achat et lui donner ensuite une idée de son considérable intérêt, par une sorte de catalogue détaillé des sept volumes, faisant ainsi passer sous ses yeux, pièce par pièce, la collection tout entière.

Notre confrère et ami M. Édouard Fournier, à qui nous nous sommes tout naturellement adressé pour avoir d'authentiques renseignements sur cette affaire, nous a communiqué aussitôt deux lettres écrites par lui, à l'époque de l'achat, aux journaux le Temps et le Figaro pour relever certaines erreurs émises dans ces deux feuilles relativement à ladite acquisition. En reproduisant ces deux lettres complétées par quelques notes que M. Ed. Fournier a bien voulu, pour nous, y ajouter, nous croyons donner l'historique entier de la curieuse et importante négociation terminée si heureusement pour les archives de la Comédie-Française.

G. D'H.
I
Au Directeur du Journal LE TEMPS
Paris, le 25 septembre 1863.

Monsieur,

Permettez-moi de compléter par quelques lignes la nouvelle, très-vraie, que vous avez donnée hier sur la découverte de sept volumes manuscrits de Beaumarchais à Londres.

Il y a quinze jours, me trouvant avec non ami Francisque Michel, chez un des libraires de Soho-Square162 qui s'occupent le plus spécialement de livres rares, il nous parla de manuscrits de Beaumarchais conservés chez lui depuis quarante ans au moins, et oubliés après une mise en vente infructueuse en 1828163.

On ne les avait retrouvés que la semaine précédente. Je demandai à les voir; on me les apporta tout couverts encore de leur poussière, et Francisque Michel voulant bien m'en laisser l'examen, je ne tardai pas à voir de quel prix était l'important ensemble de renseignements, de pièces, de mémoires, de poésies, qui m'était soumis, et ma résolution fut aussitôt prise. Je priai le libraire de me dire ce qu'il comptait demander de ces sept volumes. Sur sa réponse, plus modeste qu'exagérée, je m'empressai d'écrire à M. Édouard Thierry, administrateur de la Comédie-Française, pour lui apprendre quelle admirable occasion lui était offerte de compléter, sans une trop forte dépense, la collection de manuscrits de Beaumarchais conservée à la bibliothèque du théâtre. «Vous pourrez vous flatter, lui disais-je après lui avoir énuméré les précieuses pièces contenues dans ces volumes, de posséder le lot le plus riche et le plus imprévu de l'héritage manuscrit de Beaumarchais.»

M. Édouard Thierry mit à accepter plus de hâte encore, si c'est possible, que j'en avais mis à offrir. Il répondit courrier par courrier; l'argent demandé était dans sa réponse164.

 

Je n'étais plus à Londres. Obligé d'aller à La Haye pour compléter une découverte faite sur Corneille au British-Museum, j'étais parti le lendemain sans manquer de prévenir M. Thierry, et sans oublier surtout de l'avertir que Francisque Michel se chargeait de terminer la négociation. C'est ce qu'il a fait de la façon la plus intelligente et la plus heureuse. A mon retour de Hollande, il y a huit jours, j'ai appris que les sept volumes manuscrits appartenaient à la Comédie-Française165.

Voilà, monsieur, toute l'affaire. Quoique ce ne soit qu'une histoire et non une fable, je tirerai cette morale: «Il est heureux qu'une fois au moins Londres, qui nous a pris tant de richesses de ce genre, nous en rende une, et que ce trésor reconquis trouve une si digne place.»

Recevez, etc.

ÉDOUARD FOURNIER.
II
A M. le Rédacteur en chef du Journal LE FIGARO
Paris, 12 septembre 1866.

Monsieur,

On a parlé à plusieurs reprises, dans votre journal, des manuscrits de Beaumarchais qui appartiennent aujourd'hui à la Comédie-Française. Chaque fois on s'est plus ou moins trompé. Soyez donc assez bon pour me permettre de rétablir les faits.

Le seul point vrai dans tout ce qu'on a dit dernièrement, chez vous ou ailleurs, est celui-ci: les sept volumes manuscrits, et la plupart autographes, ont été acquis pour le compte du Théâtre-Français, à Londres, par mon entremise, pour le prix de 500 francs, à l'amiable et non aux enchères. C'est à la librairie de Soho-Square, fondée pendant la révolution par l'abbé Dulau, qui se faisait libraire au moment où le comte de Caumont, émigré comme lui, se faisait relieur166, que l'affaire engagée par hasard, un soir, s'est conclue en moins de deux heures.

Je ne vous rappellerai pas la circonstance, déjà racontée par moi dans une lettre que je dus écrire peu de temps après, afin de rétablir la vérité, comme dans celle-ci, et qui fut reproduite par un grand nombre de journaux, même de l'étranger. Ceux de Londres s'en émurent surtout, et après un article du Times où l'on mettait pourtant en doute la valeur de la découverte, un amateur anglais se présenta, qui offrit au libraire, entre les mains duquel le dépôt se trouvait encore, une somme de mille livres sterling (25,000 francs)167.

On dira c'est trop; je répondrai que ce n'est pas assez. Le précieux recueil, si on le dépeçait pour le vendre au détail, suivant l'usage du jour, produirait davantage. J'y connais telles lettres autographes, comme celle par exemple que Beaumarchais écrivit à M. Lenoir, lieutenant de police, pour obtenir la représentation du Mariage de Figaro, qui, mise aux enchères, ne monterait pas à moins de 1,000 francs. Elle a vingt pages in-folio; on n'y trouve pas seulement la pensée de l'homme, mais le lutteur même par l'ardeur fiévreuse de l'écriture hâtée, brûlante, et où l'idée flambe, pour ainsi dire, dans son premier, dans son vrai foyer.

J'aurais pu fort bien, quoique homme de lettres, acquérir pour mon compte ce précieux ensemble de documents. Je fus arrêté non par le prix si minime, mais par l'importance de la chose même. Je me dis que de tels dépôts ne doivent être remis qu'à des établissements immuables, et non rester aux mains de particuliers, après lesquels, quoi qu'ils fassent, le morcellement, le dépècement dont je vous parlais, sont toujours possibles. Je pensai un instant à la Bibliothèque impériale, mais le temps pressait, et il en faut beaucoup à ses défiances pour qu'elle se décide, ainsi que j'en jugeai à ce moment même pour une admirable lettre de Rabelais, en grec et en latin, que je lui fis proposer par l'entremise du ministre, et qu'elle mit trois mois… à refuser. La seule bibliothèque à laquelle je devais songer, même avant celle-là, car les manuscrits de Beaumarchais devaient s'y retrouver en famille, était la bibliothèque du Théâtre-Français. Quand l'idée m'en fut venue, je n'en voulus pas d'autres168.

J'écrivis à Édouard Thierry, dont je connaissais l'obligeante confiance en mes recherches, même en mes trouvailles; je lui dis en quelques lignes le menu du trésor, mes craintes d'être devancé, etc… Courrier par courrier la somme fut envoyée et l'affaire faite. J'étais moi-même déjà parti pour la Hollande; quand je revins à Paris, j'appris l'heureuse conclusion: les manuscrits de Beaumarchais étaient rentrés dans sa maison, sans crainte d'être jamais dispersés et de retourner en détail à Londres, où je sais qu'on les regrette fort du côté du British-Museum. C'est tout ce que je voulais; j'ajouterai qu'Édouard Thierry me combla quand il me dit qu'on n'avait jamais fait un si beau présent à la Comédie-Française169.

J'aurais maintenant tout un chapitre à écrire sur l'ensemble même de l'acquisition. Deux mots vous suffiront. Lorsque j'en essayai le dépouillement, je pensai qu'une semaine, c'est-à-dire un jour par volume, serait tout au plus nécessaire; il m'a fallu tout ce temps-là pour le premier volume seul, qui contient les chansons, les pièces fugitives, les lettres, etc. Dans les autres se trouvent, à l'état de premier jet, le Barbier de Séville, dont j'avais déjà saisi le plan fait sur une feuille volante, à un moment où ce ne devait être qu'une sorte d'opérette folle pour une fête du château d'Étiolles; puis la Mère coupable, revue, annotée, presque refaite; sept ou huit parades comme on les aimait alors, c'est-à-dire au très-gros sel, pour ne pas dire au gros poivre; des correspondances sans fin, politiques surtout: ce Beaumarchais avait pour manie de faire croire qu'il était un homme d'État s'amusant à être auteur; des mémoires de toutes sortes, entre autres un très-curieux sur l'Espagne, fait pour M. de Maurepas170; le détail complet d'une négociation entreprise avec la chevalière d'Éon171, des pétitions, des réclamations, des pièces innombrables, comme les affaires mêmes dont s'occupait Beaumarchais, et qui sont là toutes plus ou moins représentées.

L'homme politique s'y trouve plus que l'homme littéraire, et vous le comprendrez aisément. Il fut inquiété sous la Terreur; on envahit même sa maison, qui faillit être pillée. Il craignit une seconde visite populaire et partit pour Londres, emportant ses papiers, qui établissaient ses rapports avec l'ancien régime, ministres ou grands seigneurs, et qui pouvaient être contre lui autant d'actes d'accusation. Quand tout fut en sûreté chez Dulau, le libraire de confiance des émigrés, il revint à Paris, avec l'espoir d'aller reprendre plus tard, en un temps plus calme, ce qu'il laissait à Londres. Il mourut trop tôt; ses papiers ne sont revenus que lorsque j'eus le bonheur de les retrouver chez le successeur du libraire où il les avait mis en dépôt.

Dans le nombre est un drame, l'Ami de la maison, dont on a beaucoup parlé et qui serait tout à fait d'à-propos pour faire concurrence à ceux qui courent. On le jouerait donc s'il était jouable. C'est une œuvre de jeunesse, pleine de feu sous un amas de cendres! Jamais Beaumarchais, qui avait le don de faire et de refaire sans pourtant se refroidir, ne s'est moins nettement dégagé de lui-même. La pièce n'est qu'un fourré inextricable, avec des feux follets et des vers luisants. Au premier acte, le mari raconte d'une haleine, en quatorze pages, ce qu'il appelle admirablement du reste, «le roman de sa bonhomie.» Près de ce monologue, celui de Figaro n'est qu'un monosyllabe.

Recevez, etc.

ÉDOUARD FOURNIER.
160A cette tourière Beaumarchais substitua en variante sur le manuscrit (provenant de Londres) «un vieux avare», et le couplet commençait alors ainsi: Cet avare, chargé d'or,Vêtu d'un habit de bure,Tient la clef de son trésor… L'autre manuscrit, celui de la Comédie, donne encore une autre variante: AIR: Robin Turelure. Pour irriter nos désirs,Bartholina sous la bureTient la clef de nos plaisirs. D'ailleurs, tout le passage relatif à sœur Vénus est raturé sur le manuscrit, mais assez légèrement cependant pour être très-facilement lu.
161Bouilloire à large ventre, avec un bec pour diriger le liquide et une anse pour saisir le vase.
162Voyez, sur cette librairie, la lettre suivante.
163Le principal employé de la maison Dulau m'en fit voir la mention sur le Catalogue de cette année-là. Le prix en était marqué 300 francs. C'était bien modeste, pour ne pas dire bien modique: il ne vint cependant pas un seul amateur. Pour les Anglais, en dehors de nos grands classiques, notre littérature n'existe guère, comme la leur au reste n'existe pas pour nous, en dehors de Shakespeare, Milton, Byron, Scott et quelques autres. Beaumarchais, en 1828, était presque un inconnu pour eux. L'est-il beaucoup moins aujourd'hui? En tout cas, ce ne sont pas ses pièces qui l'auront popularisé à Londres. On sait que, pour ne pas froisser la gentry, le Mariage de Figaro, cette satire de toutes les noblesses en décadence, est défendue encore aujourd'hui sur les mêmes théâtres où l'on joue la Grande Duchesse d'Offenbach!
164C'était un billet de banque de 500 francs207. Le prix précis de l'achat a été de 509 fr. 10 c. J'ai relevé, moi-même, ce chiffre porté, à la date du 26 septembre 1863, sur le registre des dépenses journalières de la Comédie-Française, qui m'a été obligeamment communiqué par l'aimable secrétaire du théâtre, M. Verteuil. GEORGES D'HEYLLI.. La maison Dulau, qui n'avait pas trouvé marchand à 300 francs, en 1826, avait cru faire une affaire excellente par cette plus-value de 200 francs en 1863.
207Le prix précis de l'achat a été de 509 fr. 10 c. J'ai relevé, moi-même, ce chiffre porté, à la date du 26 septembre 1863, sur le registre des dépenses journalières de la Comédie-Française, qui m'a été obligeamment communiqué par l'aimable secrétaire du théâtre, M. Verteuil. GEORGES D'HEYLLI.
165Ils n'y arrivèrent que six semaines après, à cause du retard que la personne qui s'était chargée de les rapporter dut subir pour son retour de Londres à Paris. Édouard Thierry se hâta de m'en faire part. Voici son billet: «Mon cher ami, «Nous avons les manuscrits de Beaumarchais entre les mains. Quand vous voudrez les venir voir, ou pour mieux dire les revoir, je mettrai mon cabinet à votre disposition. «Tout à vous. «Édouard Thierry. «16 novembre 1863.»
166Il s'était fait, dit Chateaubriand, «libraire du clergé français émigré.» (Mémoires d'outre-tombe, t. III, p. 273.) – Il publia, en 1799, une des premières éditions du Génie du Christianisme.
167Le fait fut raconté, non sans dépit, par le principal employé de la librairie Dulau, à la personne chargée de rapporter les manuscrits, et qui à son tour le raconta à Édouard Thierry, de qui je le tiens.
168J'aurais pu songer à la famille même de Beaumarchais, mais la seule personne que j'y connusse, M. Lemolte Chalary, conseiller à la Cour royale d'Orléans, fils d'une des sœurs de Beaumarchais, était alors en voyage comme tout bon magistrat qui prend ses vacances, et je ne savais où l'atteindre. Quand je le vis à son retour, il en fut très-fâché, moins encore pourtant que M. Delarue, petit-fils de Beaumarchais, qui vint me voir après ma lettre au Temps. Il doutait d'abord de la réalité de la découverte, mais lorsque je l'en eus convaincu, il eut le plus vif regret de n'en pas avoir été instruit le premier à cause des révélations parfois compromettantes que pouvait contenir la partie politique des manuscrits.
169Ce furent ses propres expressions.
170On sait de quelle faveur il jouissait près de ce ministre, qui le remit à flot. Je lis dans les Nouvelles de la cour, conservées aux archives du château d'Harcourt, sous la date du 13 septembre 1776: «Les affaires du sieur Caron de Beaumarchais commencèrent à se trouver en meilleur état, grâce au goût qu'a pris pour lui M. de Maurepas, que ses saillies amusent beaucoup.»
171Au mois de janvier 1776. – C'est cette négociation, où le plus beau rôle ne fut pas pour Beaumarchais, et que l'on connaît déjà par les publications de M. Frédéric Gaillardet, qui tenait surtout au cœur de M. Delarue quand il vint me parler des manuscrits de son grand-père. Elle est ici plus complète que partout et ne tient pas moins d'un volume.
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