Perdus Pour Toujours

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Un véritable homme des cavernes. À seulement trente-neuf ans. Comment est-ce que je n’ai jamais pu m’en rendre compte ? Peut-être que je m’en étais rendu compte mais que je n’avais jamais eu le déplaisir de l’écouter et de discuter du sujet avec lui. Cependant, ce n’est pas à moi de le faire changer, et même si cela était possible. Je n’ai rien contre ceux qui aiment, allez savoir pourquoi, maintenir des simulacres de formes archaïques dans des relations professionnelles qui n’ont quant à elles plus rien d’archaïques. Ce qui m’attriste est que, de manière générale, ces formes de traitement n’ont rien à voir avec la préservation de la courtoisie d’autres temps, elles sont plutôt utilisées pour marquer une position de domination sur les personnes avec lesquelles elles travaillent au quotidien, les collaborateurs, comme il est usage de dire.

Mais je divague, j’ai Gomez qui se tient devant moi et me regarde d’un air ébahi, espérant que je lui réponde quelque chose, mais il me laisse sans voix. Je ne veux pas l’offenser, car selon mes principes tout le monde a le droit d’être comme il est, même imbécile, et au final il ne m’a rien fait. Le mieux c’est de lui dire, comme d’habitude, ce qu’il souhaite et de poursuivre.

« Je ne dis pas que vous avez tort, après tout votre connaissance du Portugal est incommensurablement plus grande que la mienne. N’oubliez pas (et les personnes comme toi ne me laissent pas l’oublier) qu’ici je suis un étranger (malgré avoir vécu là pratiquement toute ma vie) et que, par conséquent certaines choses sont hors de ma portée ; ce que je peux cependant réaffirmer est que le tutoiement par consentement mutuel ne m’a jamais paru problématique, quelles qu’en soit les circonstances » Apaisé et satisfait que je lui reconnaisse des connaissances supérieures, il me fait un grand sourire et dit : « Heureusement que cela ne vous a pas causé de problème, mais si j’étais vous j’arrêterais » – me conseille-t-il de manière paternelle. « Cela rend tout plus facile. Concernant le séminaire, c’est Susana, qui s’est occupée de ma réservation, voyez avec elle les détails, pour vous et votre petite, qu’elle puisse modifier les billets. »

Il se lève en s’aidant de mon bureau, et après avoir sournoisement observer mes papiers sur le plateau. Il se dirige, ensuite, vers la porte, et remonte son pantalon au niveau des jambes, prisonnier de ses cuisses dodues qui s’entrechoquent à chacun de ses pas. « Non, non, ce n’est pas nécessaire, » lui dis-je avec précipitation. « Gabriela va s’occuper de cela, ce n’est pas la peine de déranger Susana. Je vais lui en parler tout de suite. » Avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, j’appuie sur le bouton de l’interphone : « Gabi, tu veux bien aller voir Susana s’il te plaît, et lui demander toutes les informations concernant une réservation pour Funchal qu’elle a faite, et nous en parlons plus tard. Merci. »

Au moins je suis sûr de ne pas avoir des billets en classe éco ni une réservation dans un hôtel deux étoiles du côté plus bas d’une colline quelconque. En fin de compte, c’est toujours le cabinet qui paye et pour Gomez, moins de dépenses pour les autres signifie plus de sous pour ses dépenses et dans ses poches. Ce n’est pas difficile de lire sur son visage que c’était pour cette raison qu’il voulait que ce soit Susana qui s’occupe de cela. Malheureusement pour lui je connaissais déjà cette facette de sa personnalité. Bien que, pour lui il aime le luxe, cet homme est d’une radinerie légendaire avec tous les autres. Voyant alors qu’il n’a aucun moyen de reprendre le contrôle, il me fait un petit signe de la main et sort de mon bureau, les chaussettes à damiers lui tombant sur les mollets et le pantalon remonté sur ses cuisses imposantes.

Je reviens au fax de Neil, je vois qu’il n’est pas compliqué et prends note mentalement de lui répondre aujourd’hui. Je me penche, en suivant, sur l’autre qui a l’air d’être véritablement un premier contact, au sujet d’une succession on dirait. Cependant, il est adressé à mon père – Gabriela n’a pas dû faire attention – et fait référence à une lettre que je n’ai jamais reçu ainsi qu’à un nom qui me rappelle des souvenirs lointains, mais comme cela n’a pas l’air urgent, je la mets sur la pile de choses que je dois faire et retourne m’occuper de ce que j’étais en train d’écrire avant que Gomez n’entre dans mon bureau.

Contrairement à ce que je pensais, comme je n’ai pas eu d’appel téléphonique et que personne ne m’a interrompu, je réussis à expédier la réponse au fax de vendredi avant onze heures et demie. Gabriela vient alors toquer à la porte pour me dire que c’est l’heure, mais je suis déjà en train de mettre mon manteau. Elle me passe mon sac en toile lorsque nous nous croisons dans le couloir et je sors rapidement par le hall. Lorsque je vois que l’ascenseur est au rez-de-chaussée, je me décide à prendre les escaliers, et descends les marches quatre par quatre, attirant l’attention de João, l’agent de sécurité qui, lui, monte. « Eh bien, tu es pressé aujourd’hui. C’est toi qui donnes le cours ? » Me lance-t-il d’en haut après s’être agrippé à la rampe pour ne pas tomber. Je lui réponds que oui, lui dis à plus tard, et continue à descendre sans m’arrêter.

Je sors dans la rue en courant, je tourne à gauche en direction du Chiado et après avoir tourné à droite au coin de la librairie Soares da Costa, je remonte la rue jusqu’en haut et entre dans le troisième immeuble à droite. Je monte au deuxième étage où se trouve le dojo d’Aïkido dans lequel je m’entraîne depuis plus de dix ans. J’ouvre la porte avec la clé et laisse rentrer les personnes qui étaient déjà en train d’attendre. Je cours dans les vestiaires, et change alors, les vêtements du bureau pour le keikogi. Je passe alors les soixante minutes suivantes à transpirer et à faire transpirer les dix autres enthousiastes – pas mal pour un lundi – qui ont choisi d’employer l’heure du déjeuner à perdre des calories plutôt qu’à en accumuler. Le maître Takeda est au Japon pour un séminaire et le maître-adjoint nous a demandé, à moi ainsi qu’à un autre gradé, si nous pouvions l’aider lors de quelques entrainements à l’heure du déjeuner. Toutefois, je vais devoir leur dire que je ne peux pas venir ni le mercredi ni le vendredi. C’est dommage, j’aime bien ces entrainements en milieu de journée, car ils coupent la routine des horaires de bureau et même si ce n’est que deux jours, je sais que je vais en ressentir le manque.

Après avoir terminé l’entrainement, je retourne dans les vestiaires, j’enlève le keikogi, ouvre le casier où se trouvent mes affaires de bain et saute sous la douche. Je me lave presque à l’eau froide et en me dépêchant, me sèche avec une grande serviette que je laisse toujours pendre sur le séchoir puis me mets une nouvelle dose de déodorant sous les bras et deux pschitt de parfum sur le torse.

Je remets ensuite mon uniforme d’avocat et sors avec le dernier de mes équipiers. Il me parle avec engouement de la trilogie Matrix, qu’ils trouvent être les meilleurs films jamais réalisés, et décrit avec détails les bonus inclus dans une énième édition spéciale de la série destinée aux collectionneurs, qui vient juste de sortir – quinze ans et le sens critique d’un nouveau-né.

Je me décide à ne pas le contredire, il y a des choses que nous devons découvrir par nous-même.

Nous nous séparons dans la rue Garrett, et partons, lui en haut, et moi en bas, en direction du centre commercial. Je monte jusqu’au dernier étage et achète un déjeuner léger composé d’une soupe, d’un steak grillé avec du riz, d’un fruit et d’un verre de lait. Je mange seul, sans précipitation, assis sur une table de l’espace commun à tous les restaurants, pendant que je pense aux choses que je vais devoir faire cet après-midi. Quand je finis, je descends les escaliers et sors à nouveau dans la rue en direction du bureau. J’y arrive un peu avant quatorze heures. À part la radio de Gabriela, branchée comme toujours sur la Voxx, on entend aucun autre bruit, je crois qu’aujourd’hui tout le monde est allé déjeuner à la même heure. C’est mieux ainsi. Je m’assieds à mon bureau et attrape le deuxième et le troisième fax de vendredi que j’expédie en moins d’une heure. J’inscris mon temps de travail pour ce matin sur ma feuille d’heure puis je retourne sur le fax de Neil Allard. Comme je l’espérais, cela ne me prend pas trop de temps. Je pense aussi à mentionner dans ma réponse que je me rends à Funchal, où, même si je ne lui dis pas, je pense qu’il sera avec certitude. Je prends aussi note du temps passé au nom de Neil pour l’ajouter à d’autres tâches déjà effectuées pour le même client. Comme je n’ai rien de plus urgent à traiter, j’en profite pour passer en revue le courrier que Gabriela m’a apporté ce matin. Une notification de l’Ordre des Avocats, accompagnée d’un énorme prospectus, imprimé en couleurs et avec de nombreuses photographies, pour un séminaire qui me paraît aussi cher qu’ennuyant, sur un sujet dont je n’ai jamais entendu parler. Je crois que ça ne m’intéresse pas et place donc la lettre et le prospectus dans le classeur tubulaire qui se trouve au sol à ma droite. Deux avis du tribunal avec des convocations aux audiences de deux procès en cours. Une carte postale de ma cousine Filipa qui est en Australie afin de conclure son diplôme en Biologie Maritime et qui est partie en vacances en Tasmanie ; ça a l’air intéressant, peut-être qu’un jour j’irai y faire un tour. Deux relevés de compte de cartes de crédit, à zéro. Je me demande pourquoi se donnent-ils encore la peine de les envoyer. Une enveloppe C5 grisâtre en provenance de Suisse et adressée à Herr Dr. Nebuloni. Qui est-ce que je connais en Suisse qui pourrait m’envoyer une si grosse enveloppe ? Un certain G. Beauchamp à en juger le nom de l’expéditeur, mais cela ne me dit absolument rien.

J’ouvre l’enveloppe et en sors un paquet de feuilles pliées en deux. Je les déplie et vois que ce sont principalement des photocopies de documents. La majeure partie sont rédigés dans des langues que je ne connais pas, bien qu’une semble être du russe ou quelque chose comme ça, et trois autres étant pour sûr en portugais. Deux actes de naissance, un datant de 1999 et un autre de 2001, de deux enfants, une fille qui s’appelle Olga et un garçon sans prénom sur l’acte et enregistré avec le nom de sa mère ainsi qu’un numéro de série Vanbane10D2001, dont la venue au monde a eu lieu à Luanda, à l’Hôpital Particular. La troisième photocopie en portugais est ce qui me semble être en premier lieu une étiquette de bagage, mais je me rends vite compte qu’il s’agit d’un bracelet d’identification hospitalière de nouveau-né à en juger par la taille. Il y a imprimé dessus « Hôpital Privée de Belém » en majuscules et le nom « Arantes (Walmisson) » qui parait être écrit au stylo. En bas il y a encore une date, « 15.Jan.02 » ainsi qu’une série de numéros et de lettres « SxMClOKDlv:0203 ». Avec un nom pareil, ce Belém doit, c’est certain, se trouver au Brésil. Mais pourquoi m’envoie-t-on cela ? Et pourquoi les photocopies sont-elles froissées et sales. Il s’agit de quelque chose de rouge, de l’eau rouillée ? Il ne pouvait pas en tirer d’autres… ? Je pose les feuilles et prends la lettre qui l’accompagne.

 

« Sehr Geherte Ric, » … Une partie du mystère est résolue au moins. La lettre est adressée à mon père ; mais qui en l’appelant Ric, ne saurait pas encore qu’il est décédé ? Je pensais avoir prévenu tout le monde. Est-ce une vieille lettre ? Non, elle est datée de mercredi dernier. Avec attention, je tente de déchiffrer l’écriture minuscule de ce fameux Gerhard Beauchamp, qui a l’air d’avoir écrit sa lettre à l’encre et avec une plume de canard dont la pointe était mal taillée. « Je te demande pardon pour cette longue absence, mais comme tu le sais déjà si Lentz t’a croisé avant de retourner au Brésil, j’ai été à l’hôpital tout ce temps-là. Celui qui a essayé de me mettre hors service, qui que ce soit, n’a pas été totalement incompétent. Je ne me rappelle plus de rien. D’après ce qu’on m’a dit, je suis resté dans le coma pendant près d’un mois et suis occasionnellement conscient depuis. Il n’y a que depuis trois semaines que je suis complètement réveillé et que je me rappelle où j’avais caché les photocopies que je t’envoie ci-jointes. Elles sont un peu froissées et sales (c’est mon sang) mais je ne voulais pas en faire des nouvelles puisque ça aurait rendu les documents incompréhensibles. J’espère qu’elles peuvent encore servir à quelque chose. Téléphone-moi si tu as besoin car ton numéro n’est plus attribué. À bientôt. Ton Ger. »

Mais quelle lettre bizarre. Je regarde à nouveau les photocopies et je vois qu’elles ont toutes plus ou moins l’air d’être des documents officiels, aucune d’entre elles n’a plus de cinq ans à en juger par ce qui ressemble à des dates. Ce sont vraisemblablement des actes de naissance, peut-être que ceux des enfants angolais ont servi d’exemple. Je n’ai pas la moindre idée de ce que mon père aurait pu avoir à faire avec des histoires comme celle-ci. Et ce n’est cependant pas aujourd’hui que je vais en savoir plus, la lettre ne donne aucun numéro de téléphone et j’ai encore beaucoup trop à faire pour perdre du temps à demander à la PT qu’il me donne le numéro correspondant à l’adresse. Demain, peut-être.

Je me lance sur la pile d’affaires que je dois traiter, lorsque je vois une brochure du séminaire à Funchal que Gomez m’a laissé sur le bureau sans que je ne m’en rende compte. Cela me rappelle que je dois en parler à Gabriela, par téléphone je lui demande qu’elle réserve deux places dans un vol pour demain après-midi, une chambre avec deux lits et vue sur la baie à un étage supérieur du Pearl Bay. L’hôtel est un peu loin du lieu du séminaire, mais de ce que je me rappelle de ma dernière visite là-bas, il sera très bien pour Becca.

Je reviens aux dossiers en cours, et j’expédie en deux temps trois mouvements trois choses que j’avais laissé en suspens il y a quelques jours, peut-être à la recherche du bon moment. Je passe en revue le reste des choses à faire et relis le fax suisse avec cette fois un peu plus d’attention. Il provient d’un certain Guido Creutzer, avocat, qui dit à mon père qu’il a reçu un paquet qui lui était destiné provenant d’un homme nommé Konrad Lentz, décédé. Il demande à mon père de le contacter afin de convenir des détails d’envoi. Deux courriers pour mon père dans la même journée, et tous deux provenant de Suisse. Ma mémoire m’envoie un signal et je reprends la lettre de Beauchamp. Elle aussi parle d’un Lentz, serait-ce le même ? Subitement, je me rappelle des noms que j’ai entendu ce matin sur Euronews. Quinze heures vingt-neuf, il doit y avoir un bulletin d’informations à quinze heures trente et peut-être qu’ils vont reparler de cette affaire

Je me lève d’un coup et cours dans le bureau de Gabriela qui est en train de taper quelque chose à l’ordinateur avec ses écouteurs. Je ferme la porte et allume la télévision avant qu’elle ne puisse me demander ce que je fais. Elle me regarde avec incompréhension.

Je lui fais signe qu’il n’y a rien et retourne devant le téléviseur. C’est bientôt la fin du bulletin et ils reparlent enfin des deux corps mutilés retrouvés il y a une semaine à Manaus et qui ont pu être identifiés hier, Elisa Ferrara, médecin italienne, et un certain Konrad Lentz, journaliste suisse. Une coïncidence de plus, il doit s’agir du même homme que Beauchamp et mon père connaissaient. Mais comment et d’où ? Et qui est ce Beauchamp ? J’éteins la télévision et sors du bureau de Gabriela sans rien lui dire.

De retour à mon bureau, je prends le fax et marque le numéro de téléphone qui y est imprimé. Le téléphone sonne pendant quelques temps avant que quelqu’un ne réponde.

« Creutzer-Scheider advokat firma, Grüezi. »

« Grüezi, mon nom est Carl Nebuloni, je suis avocat et j’ai été contacté par Maître Guido Creutzer, avec qui j’aimerais m’entretenir. »

« Eh bien, Maître Nebuloni ; je crains que Maître Creutzer ne soit pas là ni aujourd’hui ni demain. Est-ce que cela vous dérangerait de rappeler mercredi, ou bien voulez-vous que je lui dise de vous recontacter ? » Je lui dis que j’essayerai de rappeler mais lui donne mon numéro afin que si je ne suis pas là, il puisse parler à Gabriela.

Qui, d’ailleurs, vient juste de rentrer dans mon bureau d’un air déterminé. « Voici les confirmations de tes billets et de ta réservation d’hôtel. Sur ce post-it vert tu as les codes de réservation ; va directement au check-in avec ça, les billets sont électroniques. Sur le post-it jaune il y a le numéro de téléphone de l’hôtel et le nom de l’employé avec qui j’ai parlé, si jamais tu as un problème. »

Je prends les deux bouts de papier autocollants qu’elle me donne et les colle sur la page de demain sur mon agenda. « Demain matin tu viens ou tu veux que j’annule ce que tu avais prévu ? » Je regarde mon agenda et vois que je n’ai qu’une réunion avec les stagiaires les plus expérimentés pour savoir combien d’entre eux souhaiteraient rester avec nous et combien ont déjà d’autres plans. Je lui dis de la décaler à la semaine prochaine et de ne pas oublier de prévenir Meirelles qui est le responsable des stages. Elle me fait une grimace comme pour me dire « tu penses vraiment que je pourrais oublier de prévenir Meirelles », mais prend note.

« Non, je pense que je ne vais pas venir. L’avion est à treize heures c’est ça ? Cela me laisse le temps de m’organiser à la maison. Tu penses qu’ils vont réussir à survire ces quelques jours sans moi ? » lui demandé-je d’un air très sérieux.

« Humm, je ne sais pas Chef. Je pense qu’il y a au moins deux stagiaires à qui vous allez manquer… ». Elle me fait un clin d’œil et nous nous mettons à rire. Je n’ai de contact avec absolument aucune des stagiaires et Gabriela le sait bien. De plus, elle a entendu dire qu’elles me trouvaient trop jeune à leur goût. Mais c’est mieux ainsi, fréquenter des avocates ne m’a attiré que des ennuis.

« Je venais aussi pour te dire que le Colonel Martins est arrivé, je peux le laisser entrer ? » Le Colonel Martins, je l’avais complétement oublié ! Je dis à Gabriela de me laisser, que je vais le chercher dans la salle d’attente. Le Colonel Cunha Martins est un vieillard de presque quatre-vingt-dix ans et qui était déjà notre client à l’époque de mon oncle-grand-père. C’est vraiment quelqu’un de bien et il adore passer au cabinet quand il se promène dans les alentours, alors que la plupart des choses qu’il me demande peuvent être dites ou expliquées par téléphone.

Il prévoit tous les rendez-vous au moins quinze jours avant et planifie tout au moindre détail. Heureusement aussi c’est assez vite expédié, et ça ne dure pas longtemps. Aujourd’hui il est venu me demander de l’aide sur des inventaires pour une altération de testament.

Il m’apporte une feuille A4 manuscrite dans laquelle il explique clairement ce qu’il souhaite mais finit par tout me dire de vive voix. Il me demande des nouvelles de Becca et si tout se passe bien, il me serre ensuite très fort la main et me donne une tape sur l’épaule et sort aussi rapidement qu’il est entré. Au final ça n’a pas duré plus de vingt minutes. Avec son âge et sa vitesse, il doit sûrement représenter le patient parfait de tout gérontologue.

Je remarque qu’il est déjà seize heures vingt, je commence donc à ranger mes affaires pour m’en aller, Becca m’attend pour dix-sept heures et je n’aime pas la décevoir. C’est vrai qu’elle ne sait pas encore lire l’heure mais il y a d’autres manières de savoir si je suis en retard ou pas. Elle voit, par exemple, quels enfants sont déjà partis et ceux qui sont encore là et en faisant une moyenne avec les jours où elle part à l’heure... Ils sont plus difficiles à duper que l’on ne le pense. Dans une impulsion, je mets la lettre de Beauchamp et le fax de Creutzer dans ma sacoche, je ne sais pas bien pourquoi et je prends également l’agenda électronique de mon père et les blocs-notes qu’il gardait dans le double fond du tiroir – des choses vues et revues, mais on ne sait jamais ce qui peut s’y trouver quand on les analyse d’un autre œil.

Je mets mon manteau, toque à la porte de Gabriela pour lui dire au revoir et lui demander si elle veut que je lui ramène quelque chose de Funchal, elle me répond que non et me souhaite un bon voyage.

J’allais sortir lorsque je me souviens de quelque chose, je reviens en arrière et lui dis de ne dire à personne, même sous la torture, où nous allons séjourner. J’esquive la gomme qu’elle me lance et me dirige en courant vers la sortie pour éviter le qualificatif de « patron inhumain qui ne mérite pas sa secrétaire » qui me poursuit.

Le métro n’est pas encore tout à fait plein lorsque je le prends Avenue de la République avant dix-sept heures moins dix, ce qui me laisse le temps de me balader jusqu’à Sancho Pança afin d’observer les filles qui passent. C’est un sport qui apporte beaucoup plus de plaisir en été, comme on pourrait dire, mais un homme dans ma situation doit profiter des opportunités quand elles se présentent. Je n’échangerais contre rien au monde le fait de m’occuper de Becca, mais il est vrai que l’avoir à ma charge a complètement effacé ma vie amoureuse – pour ne pas dire ma vie sexuelle qui est en hibernation. Enfin, par effacer, entendez par là qu’Isabel m’a quitté. Mais ce n’est toutefois pas plus mal. Il vaut mieux qu’elle soit partie plutôt que restée tout en nous rendant la vie difficile à moi ainsi qu’à la petite.

Mais ce n’est pas seulement à cela que je fais référence : être père célibataire est vraiment compliqué. Comment puis-je sortir le soir ? Laisser Becca à une baby-sitter ? Ce devra être quelqu’un de très spécial pour qu’elle l’accepte et je ne serais pas tranquille. De plus, si s’agissait de une mauvais nuit, je ne suis pas sûr qu’une baby-sitter puisse la consoler. On verra bien si Lotta vient passer les vacances de Noël ici. Mais je ne pense pas, elle doit préférer les passer avec Jasper à Copenhague.

Je ne sais pas pourquoi je suis en train de me lamenter, cette phase de cauchemars pour laquelle elle mérite énormément d’attention ne peut pas durer éternellement, et dès qu’elle ira mieux et qu’elle aura grandi un peu plus, je pourrai trouver quelqu’un pour s’occuper d’elle pendant quelques heures afin que je puisse avoir de nouveau une vie sociale. Je dois me trouver des nouveaux amis, car la majorité de ceux que j’avais avant l’accident se sont au fur et à mesure éloignés. Enfin, je ne leur jette pas la pierre, mais je n’ai pas vraiment apprécié ce genre d’attitude.

 

Je suis déjà presque à la porte de la crèche et rien. Il y a des jours où l’on ne peut pas se rincer l’œil. Je me rends la salle du fond où elle doit être en train de terminer son goûter et je suis reçu par une course accélérée, câliné par des bras puis par des mains pleines de miettes et enduites de beurre criant « Kalle, Kalle ! ». Immédiatement, j’oublie que je n’ai pas de vie sociale ou amoureuse et que je ne suis plus allé au cinéma, à un concert ou à une exposition depuis que mes parents sont morts. L’écouter et la voir heureuse, quand on se retrouve chaque jour après le travail, me suffit à être de bonne humeur pour quelques temps. Je lui demande si sa journée s’est bien passée et elle me répond que oui. Nous disons au revoir à ses amis pour aller à la salle de bains afin qu’elle se lave les mains et le visage avant de mettre son écharpe et son manteau, car, même s’il ne pleut pas, le ciel s’obscurcit et c’est une fin d’après-midi désagréable avec beaucoup de vent.

Je m’apprête à sortir mais je retourne dire à Ana que Becca ne va pas revenir avant lundi et reçois alors le deuxième regard chaleureux du jour. C’est agréable car elle est assez jolie mais si jamais cela se passait mal, ce serait Becca qui en souffrirait le plus.

Le voyage du retour en métro s’est déroulé sans incident, malgré le fait d’avoir pris la chaise pliante avec nous et que le métro soit, comme d’habitude à dix-sept heures, bondé.

Arrivés à Marqûes, je lui demande si elle veut aller voir les illuminations et manger une glace, comme elle m’a demandé ce matin, mais elle me dit non de la tête et nous changeons ainsi de rame en direction du Colombo. Nous y arrivons sans difficultés et montons lentement les marches – avec la petite chaise dans la main je ne peux pas du tout la prendre dans mes bras – puis rentrons dans la voiture et nous montons en route vers la maison.

J’ouvre la porte d’entrée à dix-huit heures quinze. On ne peut pas dire que nous avons fait un voyage éclair, en considérant que nous ne sommes même pas sortis de ce qu’on peut considérer le centre-ville.

Je commence à préparer le dîner auquel j’ai pensé tout le long du chemin depuis la crèche. C’est compliqué de cuisiner pour des enfants, ils aiment une chose aussi vite qu’ils ne l’aiment plus. Mais aujourd’hui j’ai une panne d’inspiration culinaire (comme si un jour j’avais été très inspiré …). Je ne cherche alors pas plus loin que des poissons panés avec une purée de pommes de terre, un œuf poché et des rondelles de tomate, que des choses qu’elle aime – ou du moins que d’habitude elle aime. J’accompagne cela avec un verre de lait froid, encore un favori, et pour terminer une banane, qu’elle mange tel un petit singe.

À dix-huit heures trente, nous sommes assis à table et je commence à lui parler du voyage. Au début, elle aime beaucoup l’idée, mais après lorsqu’elle se rend compte qu’elle ne va pas voir ses amis, elle ne sait plus si elle doit être contente ou pas. Finalement, elle arrive à la conclusion que prendre l’avion est plus amusant que d’aller à la crèche et l’excitation s’empare d’elle. Je n’aurais peut-être pas dû lui dire, ça va être difficile de la mettre au lit maintenant…

« Kalle, kan ja’sitta på fonste’et? » Me demande-t-elle en me suppliant, comme toutes les fois où nous prenons l’avion. « Javisst, bien sûr, bebé, mais pourquoi ? ». Je lui réponds cela en sachant très bien ce qu’elle veut. Elle me fait une tête qui laisse entendre qu’elle ne comprend pas comment je peux être adulte et ne pas comprendre pourquoi elle souhaite être assise côté hublot. « Et bien c’est pour voir les z’autres z’avions et les petits canards quand ils passent dans le ciel à côté de nous, så kla’t ! » Mais voyons, comment ne puis-je pas comprendre immédiatement que c’est pour cela que les gens s’asseyent côté hublot dans les avions ? Nous continuons dans une discussion qui est un mélange de trois langues, notre tradition jusqu’à environ dix-neuf heures trente, moment à laquelle elle commence à bailler. Cependant, aujourd’hui elle décide qu’elle veut regarder Pippi. Nous allons tout d’abord à la salle de bains pour qu’elle se lave les mains et se brosse les dents et la laisse ensuite me poursuivre dans une course folle jusqu’au salon, entre rires et cris « Non ! Pas de chatouilles ! ». Je mets le DVD dans l’appareil et allume la télévision, m’assieds dans le fauteuil et, comme prévu, au bout de 15 minutes elle dort déjà profondément.

Je la prends dans mes bras et l’emmène jusqu’à sa chambre et lui enfile le pyjama tout délicatement sans faire de bruit. Je la couvre avec la couette car la nuit est humide et sors sur la pointe des pieds en laissant la lampe de chevet au cas où elle se réveille.

Je range la cuisine, mets la vaisselle dans le lave-vaisselle et prépare les vêtements pour les valises, que je ferai demain. Je m’assieds ensuite devant la télévision afin de regarder les informations de vingt-et-une heures trente sur Euronews. Ils mentionnent à nouveau les noms de Lentz et de Ferrara, mais précisent cette fois-ci que les deux victimes étaient au service d’une l’institution de l’Union Européenne qui s’occupe de la protection de l’enfance (IEPE) et qu’ils s’étaient rendus au Brésil afin d’enquêter sur des cas d’adoptions illégales de la part de citoyens de l’UE, accompagnés de plaintes pour ventes et enlèvements d’enfants.

On ne peut pas dire qu’ils entrent trop dans les détails, mais à vrai dire ce n’est pas non plus une chaîne spécialisée dans de telles choses. Demain je vais essayer de voir si je peux me procurer un journal qui pourrait m’en dire plus sur cette histoire à l’aéroport. Peut-être que l’un d’entre eux aura préparé un traitement un peu plus approfondi sur la mort de ces deux personnes, en comparaison à celui d’Euronews.

À la fin des informations, je prends ma sacoche et vais dans le bureau afin de faire des photocopies de la lettre, des annexes et du fax, j’ouvre le coffre où mes parents laissaient leurs papiers importants et y glisse les originaux. Si les personnes assassinées menaient une enquête sur des cas d’adoptions illégales et sur des enlèvements d’enfants au Brésil, le plus probable est que le bracelet d’identification et les documents qui semblent être des actes de naissance se réfèrent également à des enfants adoptés illégalement ou enlevés dans d’autres pays. Ne pouvant pas lire les autres, je me replonge dans les actes de naissances angolais. Je remarque une chose dont je ne m’étais pas aperçu avant, en dessous du nom de la mère, sur l’espace destiné à la profession, il y a, dans les deux cas, un trait fait au stylo. Et, encore dans les deux cas, sur l’espace destiné à l’identification du père, un trait également fait au stylo.

Peut-être que cela ne veut rien dire, mais c’est tout de même étrange que quelqu’un paye un hôpital particulier, en supposant que le nom corresponde bien à la personne, mais ne déclare pas la profession de la mère ni le nom ou la profession du père, n’y laissant que le nom de la mère. Peut-être qu’il s’agissait d’une grossesse non-désirée qui n’a pas pu être interrompue pour une bonne raison. Mais dans ce cas, il aurait mieux valu tout cacher. Plus j’y pense et plus cela me paraît étrange. Et une fois de plus je me demande ce que mon père avait à voir avec cela.

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