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Ma confession

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Voilà ce que proclame la sagesse indienne tout entière.

Voici ce que dit encore la sagesse humaine lorsqu'elle répond sans détour à la question de la vie.

«La vie du corps est un mal et un mensonge. C'est pourquoi l'abolition de cette vie du corps est un bien et pour cela nous devons le désirer,» dit Socrate.

«La vie est ce qui ne doit pas être, c'est un mal; et le passage au néant est le seul bien de la vie,» dit Schopenhauer.

«Tout au monde: sottise, sagesse, richesse, misère, gaieté, chagrin, tout est vanité et sottise. L'homme mourra et il n'en restera rien. Et cela est sot,» dit Salomon.

«Vivre avec la conscience de l'inévitabilité des souffrances, de l'affaiblissement et de la mort est impossible… Il faut se délivrer de la vie, de toute possibilité de la vie,» dit Bouddha.

Ce qu'ont dit ces esprits forts, des millions d'hommes semblables à eux l'ont dit, l'ont pensé, l'ont senti. Et c'est ce que je pense et ce que je sens moi-même.

C'est ainsi que mes incursions dans le domaine des sciences, non seulement ne me débarrassèrent pas de mon désespoir, mais l'augmentèrent encore. L'une ne répondait pas aux questions de la vie. L'autre répondait directement, confirmant mon désespoir et montrant que la situation à laquelle j'étais arrivé n'était pas le fruit de mon erreur, de l'état maladif de mon esprit. Au contraire, elle me démontrait que je pensais correctement et que je tombais d'accord avec les plus forts esprits de l'humanité.

Il n'y a pas à s'y tromper: tout est vanité! Heureux celui qui ne fut jamais né. La mort vaut mieux que la vie, dont il faut se défaire.

VII

N'ayant pas trouvé d'explication dans la science, je commençai à chercher cette explication dans la vie, espérant la trouver chez les hommes qui m'entouraient; je commençai à observer mes semblables, à étudier leur vie et leur manière d'envisager cette question qui m'avait amené à ce désespoir.

Et voici ce que j'ai trouvé chez les hommes qui sont mes égaux par leur instruction et leur façon de vivre.

J'ai trouvé que pour les hommes de mon monde il y a quatre issues à cette affreuse situation dans laquelle nous nous trouvons tous.

La première est celle de l'ignorance. Elle consiste à ne pas savoir, à ne pas comprendre que la vie est un mal et un non-sens. Les personnes qui appartiennent à cette catégorie, – des femmes pour la plupart ou bien des hommes très jeunes ou peu intelligents, – n'ont pas encore compris cette question de la vie qui se présenta à Schopenhauer, à Salomon, à Bouddha. Ils ne voient ni le dragon qui les attend, ni les souris qui rongent les buissons auxquels ils se tiennent, et ils continuent de sucer les gouttes de miel. Mais leur quiétude ne durera que jusqu'au moment où quelque chose dirigera leur attention vers le dragon et les souris et ce sera la fin de leur plaisir. Je n'ai rien à apprendre d'eux et ne puis cesser de savoir ce que je sais déjà.

La seconde issue, c'est l'issue épicurienne. Elle consiste à profiter des biens qui s'offrent à nous; et, sachant que la vie est sans espoir, à ne regarder ni le dragon, ni les souris, mais à sucer le miel de la façon la plus agréable possible, surtout s'il y en a beaucoup.

Salomon exprime ainsi cette idée:

«Et je louai la gaieté, puisqu'il n'y a rien de meilleur pour l'homme, que de manger; de boire et de se divertir; cela la récrée dans les travaux journaliers que lui donne Dieu ici-bas.

«Et ainsi, va, mange ton pain avec gaieté et bois ton vin dans la joie… Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, dans tous les jours de ta vie vaniteuse, dans tous tes jours vaniteux, puisque c'est ta part dans la vie et les travaux que tu fais sous le soleil… Tout ce qui est de la force de ta main, fais-le, puisque, dans le tombeau qui t'attend, il n'y a ni travail, ni réflexion, ni savoir, ni sagesse.»

C'est par de telles réflexions que la majorité des personnes de notre monde entend la possibilité de vivre. Les conditions dans lesquelles elles se trouvent font qu'elles ont plus de biens que de maux, et la stupidité morale leur donne la possibilité d'oublier que le profit de leur situation est occasionnel, que tout le monde ne peut pas avoir mille femmes et des palais, comme Salomon; que pour chaque homme ayant mille femmes il y a mille hommes sans femmes et que pour chaque palais il y a mille hommes qui le bâtissent à la sueur de leur front et que cet accident qui m'a fait Salomon aujourd'hui peut me faire le serf de Salomon demain. La stupidité de l'imagination de ces gens leur donne la possibilité d'oublier ce qui ne laisse pas de repos à Bouddha: l'imminence de la maladie, de la vieillesse et de la mort, qui, si ce n'est aujourd'hui, fera crouler demain tous ces plaisirs.

C'est ainsi que pensent et que sentent la plupart des hommes de notre temps et de notre monde. Quoique quelques-uns de ces gens affirment que la stupidité de leur imagination est de la philosophie, qu'ils nomment positive, ils ne se distinguent pas, à mon avis, de la catégorie de ceux qui sucent le miel pour ne pas voir. Je ne pouvais pas imiter ces gens-là: n'ayant pas leur stupidité d'imagination, je ne pouvais pas la produire en moi artificiellement. Je ne pouvais, pas plus qu'aucun autre homme vivant, arracher les yeux des souris et du dragon après les avoir vus une fois.

La troisième issue est celle de la force et de l'énergie. Elle consiste à détruire la vie, après avoir compris qu'elle est un mal et un non-sens.

C'est ainsi qu'agissent les rares hommes forts et logiques. Ayant compris toute la sottise de la plaisanterie qui nous est jouée, ayant compris aussi que le bien des morts est supérieur aux biens des vivants et que le mieux est de ne pas être, ils agissent en conséquence et terminent d'un seul coup cette stupide plaisanterie par les divers moyens à leur portée: une corde au cou, l'eau, le couteau pour se l'enfoncer dans le cœur, les roues d'une locomotive. Le nombre des personnes de notre société qui agissent de la sorte devient de plus en plus grand, et c'est surtout à la meilleure période de leur vie qu'elles s'y décident, lorsque les forces de l'âme sont dans tout leur épanouissement et qu'elles ne se sont pas encore familiarisées avec les habitudes dégradantes. Il me semblait que cette fin était la plus digne et je voulais agir de la sorte.

La quatrième issue est la faiblesse. Elle consiste à continuer à traîner la vie tout en en comprenant le mal et le non-sens et en sachant d'avance que rien n'en peut résulter.

Les hommes de cette espèce savent que la mort est meilleure que la vie; mais n'ayant pas la force d'agir raisonnablement, de mettre fin au plus vite à cette supercherie et de se tuer, ils ont l'air d'attendre quelque chose. C'est là l'issue de la faiblesse; car, connaissant le mieux et le pouvant, pourquoi ne pas s'y abandonner?.. Je me traînais dans cette catégorie.

C'est ainsi que les hommes de ma qualité se sauvent par quatre chemins de l'horrible contradiction. J'ai eu beau exercer toute la force de mon esprit, je n'ai pas trouvé d'autres issues que ces quatre.

L'une est de ne pas comprendre que la vie est un non-sens, une vanité et un mal, et qu'il vaut mieux ne pas vivre. Je ne pouvais pas ne pas savoir cela, et le sachant, je ne pouvais plus fermer les yeux sur la vérité. La deuxième consiste à profiter de la vie telle qu'elle est, sans penser à l'avenir. Et je ne pouvais faire cela. Moi, comme Çakia-Mouni, je ne pouvais pas aller à la chasse quand je savais que j'entraînais sur mes pas la vieillesse, les souffrances et la mort. Mon imagination était trop vive. En outre, je ne pouvais pas goûter les jouissances qui s'offraient à moi accidentellement et pour un moment. La troisième issue est celle-ci: après avoir compris que la vie est un mal et une sottise, en finir, se tuer. Or je comprenais bien la vie comme cela, mais pour certaines raisons, je ne me tuai pas.

La quatrième issue – vivre comme Salomon ou Schopenhauer, – savoir que la vie est une sotte plaisanterie qui m'a été jouée et vivre malgré cela, s'habiller, écrire, parler et même écrire des livres.

Cela m'était pénible, me répugnait même et cependant je restais dans cette situation.

Voici exactement quel était l'état de mon âme. Mon intelligence m'avait fait reconnaître que la vie n'est pas raisonnable. S'il n'y a pas de raison suprême, – et il n'y en a pas, rien ne peut prouver qu'elle est, – alors la raison est la créatrice de la vie pour moi. S'il n'y avait pas de raison, il n'y aurait donc pas de vie. Comment donc cette raison nie-t-elle la vie, étant son auteur. Mais, d'un autre côté, s'il n'y avait pas de vie, ma raison n'existerait pas non plus; par conséquent la raison est fille de la vie. La vie est tout. La raison est le fruit de la vie et cette raison nie la vie même. Je sentais que dans tout cela quelque chose n'était pas juste.

La vie est un mal dépourvu de sens, c'est certain, me disais-je. Mais je vivais, je vis encore et toute l'humanité a vécu et vit toujours.

Comment cela? Pourquoi vit-elle donc, quand elle pourrait ne pas vivre? Suis-je donc, tout seul avec Schopenhauer, assez intelligent pour comprendre l'absurdité et le mal de la vie?

Les considérations sur la vanité de la vie ne sont pas si ingénieuses et elles ont été faites depuis bien longtemps par les hommes les plus simples. Malgré tout cela on a vécu et on vit encore. Pourquoi donc les autres vivent-ils et ne pensent-ils même jamais au sens de la vie?

Mon savoir, confirmé par la sagesse des sages, m'a montré que tout au monde – d'ordre organique et inorganique – tout est arrangé avec une intelligence extraordinaire, et que ma situation seule est bête. Et ces masses stupides et énormes de gens simples qui ne savent rien de ce qui est monde organisé ou non, elles vivent toujours et croient que leur vie est très raisonnable!..

 

Et il me passait par la tête: Peut-être y a-t-il encore quelque chose que je ne sais pas? L'ignorance agit bien toujours de la sorte. Lorsqu'elle se bute à quelque chose, elle prétend que ce qu'elle ignore est stupide. La réalité est qu'une humanité entière a vécu et vit, ayant l'air d'avoir saisi le sens de son existence, parce que, sans le comprendre, elle n'aurait pas pu vivre. Moi, je dis que toute cette vie est un non-sens et je ne puis vivre.

Personne ne nous empêche de nier la vie par le suicide. Mais alors tue-toi et tu ne raisonneras plus. La vie ne te plaît pas, tue-toi. Et si tu vis et ne peux pas comprendre le sens de ta vie, alors finis-la et ne tourne pas dans cette vie en décrivant et en racontant que tu ne la comprends pas. Tu es venu au milieu d'une compagnie joyeuse, tous s'y trouvent très bien, tous savent ce qu'ils font et toi tu t'ennuies, ce spectacle te répugne, eh bien, alors, va-t'en!

Nous qui sommes persuadés de la nécessité absolue du suicide et ne nous décidons pas à l'accomplir, ne sommes-nous pas véritablement des esprits faibles, sans suite, – tranchons le mot, – des sots qui nous enorgueillissons de notre sottise comme un crétin de sa musette?

Notre sagesse, malgré son incontestable justesse, ne nous a pas donné le savoir du sens de notre vie; tandis que toute l'humanité qui fait la vie ne doute pas de son sens.

Vraiment depuis ce long, long temps que la vie, dont je sais quelque petite chose, existe, les hommes ont vécu, tout en connaissant le raisonnement de l'inutilité de la vie, raisonnement qui fit conclure à son non-sens, et ils ont vécu tout de même, lui attribuant un sens quelconque.

Dès que la vie se fut manifestée chez les hommes, ils lui ont compris ce sens, et cependant ils l'ont supportée, et elle est arrivée jusqu'à moi.

Tout ce qu'il y a en moi et près de moi, matériel ou immatériel, tout est le fruit de leur savoir.

Les instruments mêmes de la pensée à l'aide desquels je délibère sur cette vie et la blâme, – tout cela est fait par eux et non par moi.

Moi-même je suis né, j'ai été élevé, j'ai grandi grâce à eux.

Ce sont eux qui ont extrait le fer de la terre, qui ont commencé à couper la forêt et à ensemencer la terre, qui ont apprivoisé les bœufs, les chevaux, qui nous ont enseigné à vivre ensemble, qui ont organisé notre vie; ce sont eux qui m'ont appris à penser, à parler.

Et moi, leur œuvre, nourri et abreuvé par eux, instruit par eux, je leur ai prouvé par leurs propres mots et leurs propres pensées qu'ils sont un non-sens.

– Dans tout cela quelque chose n'est pas juste, me disais-je. Je me suis trompé quelque part.

Mais cette faute, je ne pouvais absolument pas la trouver.

VIII

Tous ces doutes, que je suis plus ou moins en état de répéter aujourd'hui, je n'aurais pu les formuler alors. Je sentais seulement que, malgré toute la logique de mes conclusions, confirmées par les plus grands penseurs, sur l'inutilité de la vie, quelque chose de faux s'y était glissé.

Était-ce dans le raisonnement même, dans la forme de la question? Je ne le savais pas; je sentais seulement que ma conviction intelligente était complète, mais qu'elle ne suffisait pas.

Tous ces résultats ne purent me convaincre assez pour me faire faire ce qui ressortait de mes méditations, c'est-à-dire pour me tuer. Je ne dirais pas toute la vérité en affirmant que la somme entière du travail de mon intelligence m'ait amené à cette conclusion. Mon intelligence travaillait, mais autre chose aussi – que je ne puis désigner que par les mots: «conscience de la vie». C'était comme une force qui obligeait mon intelligence à se fixer dans une tout autre direction et à me tirer de ma situation désespérée. Cette force m'obligeait à considérer ce fait que, moi et quelques centaines de mes pareils, nous ne composions pas toute l'humanité et que la vie de l'humanité ne m'était pas encore connue.

En jetant les yeux sur le cercle très restreint des hommes de mon âge, j'en voyais que la question de la vie n'intéressait pas. D'autres comprenaient comme moi cette question, mais l'étouffaient dans l'ivresse de la vie; quelques-uns, pleinement convaincus, y mettaient un terme. D'autres enfin l'avaient comprise, mais par faiblesse continuaient cette existence désespérée. Et mes regards n'allaient pas au delà. Il me paraissait que ce petit nombre d'hommes savants, riches et oisifs, dont j'étais, composaient toute l'humanité, et que ces milliards d'hommes qui avaient vécu et vivaient encore, n'étaient pas en réalité des hommes.

Malgré toute la singularité, toute l'incompréhensibilité de ce fait qui me frappe aujourd'hui, – d'avoir pu délibérer sur la vie sans voir la vie qui m'entourait de tous côtés, la vie de l'humanité, – la pensée que j'aie pu être à tel point dans l'erreur et croire que ma vie, celle des Salomon et des Schopenhauer, étaient la vie véritable et normale, tandis que la vie des masses n'était qu'une circonstance d'aucune importance – tout étrange que cela me paraît maintenant, il en a pourtant été ainsi.

Dans l'orgueil de mon esprit, il me semblait incontestable que moi, avec Salomon et Schopenhauer, j'avais posé la question avec une si grande vérité et une telle précision qu'on ne pouvait mieux la formuler.

Si incontestable me paraissait l'idée que tous ces milliards de créatures n'étaient pas encore arrivés à concevoir toute la profondeur de la question, que je cherchais le sens de ma vie sans penser une seule fois:

– Mais quel sens donc lui donnent et donnaient tous les milliards d'êtres qui vivent et ont vécu sur la terre?

Je me débattis longtemps dans cette folie qui nous est surtout propre à nous hommes libéraux et instruits. C'est peut-être grâce à cet étrange amour que j'ai pour le vrai peuple des travailleurs, que je fus obligé à comprendre et à voir que ce peuple n'est pas si bête que nous le pensons; ou bien c'est grâce à la sincérité de ma conviction que la meilleure chose que je pusse faire était de me pendre, que je sentis que, si je voulais vivre et comprendre le sens de la vie, il fallait chercher ce sens, non pas chez ceux qui l'avaient déjà perdu et qui voulaient se tuer, mais chez ces millions d'hommes qui ont vécu et vivent, en organisant leur vie et la nôtre et en en subissant les conséquences.

Et alors je considérais l'énorme masse d'hommes simples, ignorants et peu fortunés, qui vivent et ont vécu – et je constatai tout autre chose.

Je vis que tous ces milliards d'hommes qui ont fini de vivre ou qui vivent encore, je vis que tous, à de rares exceptions près, ne pouvaient être rangés parmi ceux dont je viens déparier; il m'était impossible de les considérer comme ne comprenant pas la question, puisqu'ils la posent et y répondent avec une clarté étonnante.

Je ne pouvais non plus les classer parmi les épicuriens, parce que leur vie se compose de privations et de souffrances bien plus que de jouissances.

Encore moins pouvais-je les considérer comme vivant stupidement jusqu'à la fin de leurs jours, puisqu'ils s'expliquent chaque action de leur vie et la mort elle-même.

Ils tiennent le suicide pour un énorme mal.

Il s'ensuivait, dans mon esprit, que toute l'humanité avait une connaissance quelconque du sens de la vie que je n'admettais pas et que je méprisais…

Il s'ensuivait que, puisque la science raisonnée non seulement ne me donnait pas le sens de la vie, mais l'excluait, tandis que des milliards d'hommes lui en attribuaient un, il s'ensuivait que toute l'humanité était fondée sur quelque savoir faux et méprisable.

– Ainsi, me disais-je, le raisonnement, en la personne des savants et des sages, nie le sens de la vie; tandis que les énormes masses d'hommes, – toute l'humanité – lui reconnaissent ce sens dans un savoir absurde. Et ce savoir absurde repose sur cette même croyance que je ne puis pas ne pas rejeter: Dieu un et trois, la création en six jours, les démons et les anges et tout ce que je ne peux pas reconnaître à moins d'être fou!

Ma position était affreuse. Je savais que je ne trouverais rien sur le chemin de la science raisonnée, excepté la négation de la vie; rien non plus dans la croyance, excepté la négation de la raison, moins possible encore que celle de la vie. Du savoir intelligent il ressortait que la vie est un mal:

– Les hommes le savent donc, il dépend d'eux de ne pas vivre, et cependant ils ont vécu, ils vivent et je vis moi-même, bien que je sache depuis longtemps que la vie est un non-sens, qu'elle est un mal.

Or, la foi me dit que pour comprendre le sens de la vie, je dois renoncer à la raison, à cette même raison, pour laquelle le sens est nécessaire.

IX

De tout cela il naissait une contradiction à laquelle il n'y avait que deux issues: ou ce que j'appelais raisonnable ne l'était pas autant que je le pensais, ou ce qui me paraissait déraisonnable ne l'était pas autant que je le croyais. Et je commençai à raisonner l'enchaînement de mes réflexions que je trouvai tout à fait correct.

La conclusion que la vie n'est rien était inévitable; mais bientôt je m'aperçus d'une erreur: elle consistait en ce que j'avais raisonné sans me conformer à la question que j'avais posée.

– Pourquoi dois-je vivre, c'est-à-dire quel sera le résultat vrai, indestructible de ma vie éphémère et destructible? Quel sens a mon existence limitée dans cet univers infini?

Et pour répondre à cette question j'étudiais la vie.

Évidemment, les solutions de toutes les questions possibles de la vie ne pouvaient pas me contenter, parce que ma question, malgré toute sa simplicité au premier abord, exige l'explication de l'infini par le fini, et au rebours.

En effet, lorsque ma question était:

– Quel est le sens de ma vie temporaire, en dehors de toute cause extraterrestre?

Je répondais comme si la question avait été:

– Quel est le sens de ma vie temporaire, envisagée au point de vue de la cause et de son existence terrestre?..

Et après un long travail de mon esprit, je répondis:

Nul.

Dans mes raisonnements j'associais constamment – ne pouvant agir autrement – le fini au fini et l'infini à l'infini. Tout cela aboutissait à ceci: la force est la force, la substance est la substance, la volonté est la volonté, l'infini est l'infini, le néant est le néant et – c'était tout.

C'était quelque chose d'analogue à ce qui arrive en mathématiques, lorsque, croyant résoudre l'équation, on trouve l'identité. Le cours de la réflexion est correct, mais le résultat se formule par: A = A ou X = X, ou O = O. Il en advint de même de mes réflexions sur la signification de ma vie. Les réponses données par toutes les sciences à cette question ne sont que des identités.

Et, vraiment, le savoir strictement intellectuel qui, comme l'a fait Descartes, commence par le cloute total sur tout, qui rejette tout savoir basé sur la foi et bâtit à neuf sur les lois de la raison et de l'expérience, ce savoir ne peut donner d'autre réponse à la question de la vie que celle que j'ai reçue.

Si tout d'abord il m'avait semblé que le savoir donnait une réponse positive, – la réponse de Schopenhauer, la vie n'a pas de sens, elle est un mal, je compris maintenant, après avoir mieux examiné l'affaire, que la réponse n'était pas positive, que ce n'était que le sentiment qui la fournissait. La réponse nettement exprimée, comme elle l'est par les Bramines, par Salomon et par Schopenhauer, n'est qu'une réponse vague ou une identité: O = O, la vie est une nullité. Ainsi la science philosophique ne nie rien et répond seulement qu'elle ne peut pas décider cette question qui pour elle reste un infini.

Ayant compris cela, je compris aussi qu'on ne pouvait pas chercher dans le raisonnement intellectuel une réponse à ma question et que la réponse donnée par ce raisonnement n'est que l'indication que la réponse ne peut être obtenue qu'à l'aide d'une autre donnée de la question, c'est-à-dire alors seulement que la relation du fini à l'infini sera introduite dans la question. Je compris enfin que, malgré toute l'absurdité et la monstruosité des réponses fournies par la foi, elles ont le privilège d'introduire dans chaque réponse la relation du fini à l'infini, sans laquelle la réponse ne peut exister.

De quelque manière que je me pose la question: «Comment dois-je vivre?» la réponse est: «par la loi de Dieu.» – Que sortira-t-il de vrai de ma vie? – Des souffrances éternelles ou la béatitude éternelle… – Quel sens n'est pas détruit par la mort? – L'union avec le Dieu infini, le paradis.

Ainsi, j'étais inévitablement amené à reconnaître que, indépendamment du savoir intelligent qui autrefois me paraissait unique, toute l'humanité possédait encore une autre connaissance, irraisonnée celle-là: la foi, qui donne la possibilité de vivre.

 

Toute la sottise de la foi restait pour moi la même qu'auparavant, mais je ne pouvais pas ne pas reconnaître qu'elle seule fournissait à l'humanité les réponses aux questions de la vie et, par conséquent, la possibilité de vivre.

Le raisonnement m'avait amené à l'aveu du non-sens de la vie qui, dès lors, n'avait plus de raison d'être, et je voulais me détruire.

Ayant considéré toute l'humanité, je vis que les hommes vivaient en affirmant qu'ils connaissaient le sens de la vie.

Je rentrai alors en moi-même.

Moi aussi, j'avais vécu jusqu'au moment où je m'étais inquiété du sens de la vie.

Ainsi qu'aux autres hommes, la vie et la possibilité de la vie m'étaient offertes par la foi.

Ayant jeté les yeux plus loin, sur les hommes des autres pays, sur mes contemporains et sur ceux qui avaient vécu, je vis toujours la même chose.

Là où est la vie, là, depuis que l'humanité existe, est la foi qui donne la possibilité de vivre, et les caractères principaux de la foi sont les mêmes partout et toujours.

Quelle qu'elle soit, la foi répond à tous que la vie, quoique mortelle, est infinie, et que, ni les souffrances, ni les privations, ni la mort ne peuvent la détruire. Cela veut dire que ce n'est que dans la foi qu'on peut trouver le sens et la possibilité de la vie.

Qu'est-ce donc que la foi?

Et je compris que la foi n'est pas seulement la conviction à l'existencedes choses invisibles, etc., n'en est pas la révélation (ce n'est là que la description d'un des indices de la foi); elle n'est pas la relation de l'homme à Dieu, – il faut définir la foi et puis Dieu, et non pas définir la foi par Dieu; – elle n'est pas non plus le simple consentement de l'homme à croire ce qu'on lui a dit, ainsi que la foi est le plus souvent comprise.

La foi est la connaissance du sens de la vie humaine, connaissance qui fait que l'homme ne se détruit pas, mais vit.

La foi est la force de la vie.

Si l'homme vit, c'est qu'il croit en quelque chose.

S'il ne croyait pas qu'il faut vivre pour quelque chose, il ne vivrait pas.

Puisqu'il ne voit et ne comprend pas le fantôme du fini, il faut qu'il croie à l'infini.

Sans foi on ne peut pas vivre.

Et je me rappelai tout le travail intérieur auquel je m'étais livré, et je fus terrifié. Il était clair pour moi maintenant que pour que l'homme puisse vivre, il doit ou ne pas voir l'infini ou avoir une telle explication du sens de la vie, que le fini soit égal â l'infini.

Je connaissais cette explication, mais je n'en avais pas eu besoin tant que j'avais cru à la possibilité de la justifier par mon intelligence. Mais, en lui opposant la lumière de la raison, toute l'explication précédente s'écroule. Un temps vint où je ne crus plus au fini. Et alors je commençai à bâtir sur les bases de la raison une explication qui me donnât le sens de vie, mais je ne pus rien construire de solide. Avec les meilleurs esprits de l'humanité, je sentis que O égale O, et je fus très étonné d'avoir reçu une pareille solution, alors pourtant qu'il n'en pouvait résulter aucune autre.

Que faisais-je lorsque je cherchais une réponse dans les sciences expérimentales? Je voulais arriver à savoir pourquoi je vivais et pour cela j'étudiais tout ce qui était hors de ma vie. Il est clair que j'ai pu apprendre beaucoup de choses, mais rien de ce qui m'était nécessaire.

Que faisais-je, quand je cherchais une réponse dans les sciences philosophiques? J'étudiais les idées des êtres qui s'étaient trouvés dans la même situation que moi, qui n'avaient pas trouvé de réponse à la question: «Pourquoi est-ce que je vis?» Il est clair que je ne pouvais apprendre autre chose que ce que je savais déjà: qu'on ne pouvait rien savoir.

Que suis-je?

Une partie de l'infini.

Mais c'est encore dans ces deux mots qu'est tout le problème.

Est-il possible que l'humanité ne se soit posé cette question que d'hier? Est-il possible que, jusqu'à moi, personne ne se soit fait cette question, – question si simple qu'elle vient aux lèvres de tout enfant intelligent?

Cette question a donc dû être posée depuis qu'il y a des hommes et il est clair aussi que, depuis qu'il y a des hommes, il n'a pas suffi, pour la résoudre, de mettre le mortel en face du mortel et l'infini en face de l'infini. Mais c'est aussi depuis que l'humanité existe que les rapports du mortel à l'infini ont été trouvés et exprimés.

Tous ces principes qui fournissent un sens à la vie et des idées sur Dieu, la liberté et le bien, nous les soumettons à une analyse basée sur la logique, tandis qu'ils ne supportent pas la critique de la raison.

Si ce n'était pas si affreux, ce serait ridicule.

L'orgueil, le contentement de soi-même nous rendent semblables à des enfants.

Nous démontons, nous détraquons la montre, nous en enlevons le mouvement; nous en faisons un joujou et nous nous étonnons ensuite que la montre ne marche plus.

Lever la contradiction qui existe entre le fini et l'infini est nécessaire et précieux. Cela est aussi nécessaire que la réponse à la question du sens de la vie qui fournit la possibilité de vivre. Et cette seule solution que nous trouvons partout, toujours et chez tous les peuples – solution qui vient du temps où pour nous se perd même la vie des hommes, solution si difficile que nous ne pouvons rien trouver de pareil, cette même solution est détruite par nous à la légère, pour faire place à cette même question propre à chacun et à laquelle nous n'avons pas de réponse.

L'idée d'un Dieu infini, de la divinité de l'âme, de l'union des actions des hommes avec Dieu, de l'unité de l'essence de l'âme, de l'idée humaine du bien et du mal moral – sont des idées élaborées dans l'infini de la pensée humaine qui se cache. Ce sont des idées sans lesquelles il n'y aurait pas de vie, et moi-même je ne serais pas. Rejetant ce travail de toute l'humanité, je voulais faire tout moi-même, d'après une nouvelle manière et d'après moi seul.

Alors je ne pensais pas ainsi; mais les germes de ces idées étaient déjà en moi. Je comprenais:

1° Que ma position, celle de Schopenhauer et de Salomon, était stupide malgré toute notre sagesse. Nous comprenons que la vie est un mal et nous vivons quand même. C'est évidemment absurde, parce que, si la vie est une stupidité (et j'aime par-dessus tout ce qui est intelligent) il faut détruire la vie, personne ne le niera.

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