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Amitié amoureuse

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XXIV
Philippe à Denise

26 janvier.

Grand-Hôtel, boulevard Anspach.

Suite de mes «impressions de voyage». Donc, j'ai repris, madame Nisette, le train de neuf heures quarante-sept à Compiègne. Mais on m'avait trompé en me disant que j'arriverais à Bruxelles à quatre heures du matin. J'ai dû attendre encore deux heures à Tergnier, port de mer de quatre mille âmes.

Buffet modeste, où j'ai jeté les bases d'une amitié solide avec un employé galonné du chemin de fer, en lui offrant un punch. Je suis allé passer une heure à un bal populaire proche de la gare. Entrée: vingt centimes. Le spectacle de la joie des simples m'a pour un instant consolé de la vie. Vu une belle fille au bras d'un artilleur.

Arrivé enfin à Bruxelles à cinq heures et demie. Descendu au Grand-Hôtel. Levé à midi; déjeuné, erré dans les rues. Je craignais d'être trop piloté et un peu envahi; mais pas du tout: je n'ai vu, au cercle où je dois faire une conférence, que le gérant. Je suis donc libre jusqu'à ce soir.

Parcouru la rue de la Loi et la rue Royale. «Le silence infini de ces rues rectilignes m'effraie», comme dit Pascal. Pas un café, pas une brasserie dans la ville haute qui est noble, propre, blanche, élégante et un peu froide. En bas, le boulevard Anspach qui ressemble aux boulevards de Lyon. Le gérant du cercle m'a recommandé le palais de justice; mais c'est trop loin, je le verrai une autre fois. Cueilli ces fragments de romances à l'étalage d'un marchand de journaux.

La Nacelle (air de Béranger à l'Académie).

 
Ne pleure plus, ma Marie, et remarque
Le bleu du ciel et le vent indulgent…
 

La Misère des Flandres (air de Béranger à l'Académie).

 
J'ai vu là-bas, près d'une croix de pierre
Un pauvre veuf implorer l'Éternel…
 

Je voudrais bien être avenue Montaigne… Je vous baise les mains, amie incomparable.

XXV
Philippe à Denise

Marchienne, 30 janvier.

Je trouve, madame mon amie, vos deux billets exquis en arrivant chez madame de X… grand réconfort et attendrissement. C'est le premier moment agréable de mon voyage. J'ai fait hier soir ma conférence devant un public quelque peu empaillé. Pourtant, tout a plutôt bien marché, sauf un peu de bafouillage çà et là, et je les ai déridés par instants. En somme, quelque chose d'intermédiaire entre le succès d'estime et le succès proprement dit. Et puis, comme vous le dites avec éloquence, omnia nihil.

Couché à dix heures. Nuit réparatrice. Pris train à une heure. Traversé pays tout noir de charbon. Lugubre. Arrivé à trois heures chez madame de X… charmante. Causé de Paris pendant une heure. Monté dans une chambre où je n'ai juste que le temps de vous rappeler que je suis toujours à vos pieds. Sais-tu, madame, savez-vous?

XXVI
Philippe à Denise

Anvers, 3 février.

Madame,

Je n'ai pas eu le temps de vous écrire hier, et aujourd'hui je n'ai qu'un moment. Mardi, à Marchienne, grand succès. Hier, déjeuné à Bruxelles avec les de X… Mangé huîtres exquises et choses bizarres excellentes. Puis, parti pour Anvers. Là, très grand succès. Braves gens. Promenade nocturne fantastique à travers les rues jusqu'à deux heures du matin.

Des cafés-concerts d'une décoration folle: style indien, babylonien, assyrien, byzantin, extra-oriental, quelque chose d'éclatant et de barbare, fait pour donner une vision d'Eldorado et d'Alhambra aux matelots qui débarquent après six mois de mer, et des chanteurs de tous les pays et de toutes les langues. C'est d'un cosmopolisme bien amusant.

Adieu, madame mon amie, je serai demain à Paris.

XXVII
Denise à Philippe

10 avril.

J'ai pensé à vous, hier, et vous ai regretté; c'était mon dernier five o'clock. Dans le salon, par hasard, quatre littérateurs de la jeune génération, dont deux génials déjà. Ils se connaissent, un dîner s'improvise, ce qui est toujours une manière favorable de réunir les gens. On a causé, causé, causé; discuté, discuté, discuté; philosophé, blagué, psychologué. Puis ça a fini par une lutte à mains plates, entre l'un d'eux et la jeune femme d'un autre, suprêmement intelligente, fine, distinguée. Au fort du combat, comme elle perdait ses forces, son mari s'écrie: «Mais ruse donc, salaude!» Nous en avons ri pendant vingt minutes, tous, et si follement, de ce vieux gros mot dans cette bouche de raffiné éloquent, que nous ne nous sommes arrêtés de rire que pour reprendre des forces et repartir plus fort.

Nous avions dîné dans la serre, parmi les fleurs, un désir réalisé pour satisfaire le caprice de l'un des convives. La pluie tombait dru sur le plafond de verre. C'était un joli bruit grésillant.

Et ce service au milieu de tout cela… mon vieux domestique ahuri (il a été dressé par ma tante, l'habitude des cours). L'un accaparant les huîtres, l'autre le poulet en gelée, un troisième le rôti, un autre les écrevisses. Le dessert sur la table, pas plus respecté: raisins, amandes, sucreries, en branle dès après le potage. Non, non, il fallait nous voir! Le café pris, au salon, les plus hautes pensées tripotaillées par tous, pafs de joie, ivres d'éloquence et d'idées remuées; puis de la savante musique qui calme; puis je chante avec toute mon âme – vous n'avez pas encore entendu cette voix-là – et toute mon émotion artistique surexcitée, en communion avec la leur. Et après tout cela, je ne sais quoi d'alangui, de très suave, de recueilli qui faisait qu'on ne pouvait plus se quitter; enfin, exquis!

Je vous aurais voulu là, correct. Mais c'est égal si – vous – là – auriez – pas – donné – dîner – pour – des prunes – je crois!

Adieu, moqueur par excellence. Un bon shake hands très friendly, et surtout tâchez d'avoir en me lisant, à défaut d'indulgence, the most understanding soul

XXVIII
Philippe à Denise

11 avril.

C'est ma chance, cela! et si vous croyez que ça me console de penser que j'aurais pu être là… Je n'ai même pas la ressource de vous dire: Ne pouviez-vous m'appeler par téléphone? Vous l'auriez fait, je n'étais pas chez moi; j'ai dîné au Cercle, puis, été à une réception chez le prince X… Rien que des Altesses – sauf moi – régnant dans les salons de leurs nobles sujets.

Ma chère amie, je ne veux plus rencontrer un prince, plus un seul, parce que je n'aime pas rester debout des soirées entières, et ces rustres-là ne s'asseyant jamais, laissent non seulement les hommes mais toutes les femmes perchées sur leurs pattes de dinde, de neuf heures à minuit, par respect de l'Altesse royale.

Et quelles comédies admirables se jouent là! J'aurais un plaisir infini – vous entendez, infini – à les raconter si je n'avais des amis, de charmants amis, parmi les fidèles de ces grotesques. Mais le prince de X… la princesse de N… la duchesse M… le duc de B… lui-même, sont si gentils à mon égard, que vraiment ce serait mal: je ne peux pas; mais ça me tente, ça me démange, ça me ronge…

En tout cas, cela m'a servi à formuler ce principe qui est plus vrai, soyez-en convaincue, que l'existence de Dieu:

– Tout homme qui veut garder l'intégrité de sa pensée, l'indépendance de son jugement, voir la vie, l'humanité et le monde en observateur libre, au-dessus de tout préjugé, de toute croyance préconçue et de toute religion, doit s'écarter absolument de ce qu'on appelle les relations mondaines, car la bêtise universelle est si contagieuse qu'il ne pourra fréquenter ses semblables, les voir, les écouter, sans être malgré lui entamé par leurs convictions, leurs idées et leur morale d'imbéciles.

Enseignez cela à Hélène si vous voulez en faire une vraie femme, et laissez-moi vous baiser les mains.

XXIX
Denise à Philippe

13 avril.

Saperlipopette, quelle boutade, quelle énergie, quelle verve! Faut-il que vous vous soyez assez ennuyé devant vos Altesses sérénissimes! Je crois aisément qu'il s'est remué moins d'idées chez le prince X… hier soir, qu'en mon humble home. Mais soyez sûr, ami, que vos grands seigneurs ne détiennent pas à eux seuls le record de l'ennui. Ah! qu'ils vous paraîtraient sublimes si vous les fréquentiez en sortant de chez des bourgeois… J'en possède de stupéfiants dans la famille de mon mari. Pour ceux qui ont un cœur et qui pensent, le bourgeoisisme, voilà le seul, le véritable ennemi.

Les grands seigneurs, s'ils n'ont pas le fond, ont au moins la forme; c'est déjà cela, et qui manque totalement aux autres. Le bourgeoisisme? C'est les petits sentiments doublés d'idées étroites. Vivre avec de hautes pensées, de nobles préoccupations d'étude, d'art; avoir de grands sentiments, de grandes générosités, cela arrive de temps en temps aux nobles, aux princes, aux rois; mais les bourgeois, rien, rien, rien, vous dis-je. Ils sont creux, ils sont bêtes, ils sont rusés, ils sont lâches, ils sont égoïstes, ils sont voleurs. Ils savent entourer d'une telle hypocrisie leurs vilaines actions qu'ils deviennent impeccables devant la loi et restent pourtant, d'instinct, repoussants. Par bourgeois, j'entends ceux-là à qui peut s'appliquer cette définition: le bourgeoisisme n'est pas un état social, mais un état de l'âme; il est des bourgeois jusque parmi les artistes.

 

Ah! les classes dirigeantes! les gros exploiteurs de tous et de tout… du génie aussi bien que du travail… Rien que de penser à eux, je me sens devenir socialiste. Et leur délicatesse? leurs femmes jettent la pierre à la pauvre amoureuse qui succombe dans les bras de l'amant. Mais les perles qui tombent de leurs lèvres, qui les recueillera? J'ai connu une veuve remariée; un jour on parlait devant elle et son second mari des nuits plus ou moins douces au souvenir; elle s'écria: «Eh bien, moi, mes deux plus belles nuits sont mes deux nuits de noce!»

– Oh, Marie! répondit le second mari, tu m'avais pourtant dit…»

Et je vous passe l'explication avec Léon, successeur de Paul, et l'écœurement où nous étions, mère, moi et une autre jeune femme qui avait mis imprudemment ce sujet délicat entre ces bouches profanes.

Pour le coup j'ai formulé cet axiome: le remariage est un adultère posthume.

Quand j'ai passé une heure, par force, en compagnie de ces gens de la grosse espèce, je rentre chez moi en hâte, je prends un bain, et je voudrais arracher de mon cerveau toutes les pensées qui l'ont traversé; elles me semblent souillées. Comme Hamlet j'ai envie de m'écrier: «to sleep… to dream!»

XXX
Philippe à Denise

14 avril.

Peut-être avez-vous raison; au moins mes princes sont princes. Que j'aime donc vos lettres! Je me réjouis de dîner ce soir avec vous. J'espère que l'instinctive madame Ravelles aura l'esprit de me mettre auprès de vous. Je vous préviens obligeamment que si elle ne le fait pas, je serai d'une humeur de dogue.

Et puis, n'allez pas prendre des airs effarouchés, n'est-ce pas, parce que j'aime votre âme qui est bien la plus jolie et la plus droite que je connaisse?

XXXI
Denise à Philippe

14 avril.

Voyez-vous cela?.. Comme je suis très bonne, voici ma réponse à votre petit bleu pour le cas où je serais séparée de vous à ce dîner; mot: fiche de consolation – et aussi pour que vous ne fassiez pas une mine si triste que, du coup, pour en combattre le déplorable effet, je doive devenir d'aspect très gai. O diplomatie!.. Et tout ça pour rien: «Rodrigue, qui l'eût cru?»

Je crois simplement, monsieur mon ami, que mon âme est douce, clairvoyante et ferme, tendre un peu, surtout éprise d'un certain idéal de fierté et de respect de soi. Il ne faut pas m'en savoir trop de gré. Maupassant disait un peu paradoxalement: «Le génie, c'est un bon estomac.» Moi je dis: «L'organisation d'un être, c'est son caractère, et le caractère c'est la fatalité.» L'éducation nous donne un peu d'hypocrisie, c'est tout.

Et prouvez-moi le contraire? Notre organisme est un enchevêtrement inextricable de mélanges de races, et c'est l'hérédité cruelle qui nous fait ce que nous sommes. Voilà pourquoi la fille de mon papa, que je suis, n'est pas muette, au contraire de l'amoureuse de Molière. J'ai eu une arrière grand'mère très vive et très bavarde; il en résulte que de langue en langue, comme de fil en aiguille, j'aime non parler, mais écrire.

Monsieur, j'ai bien l'honneur de vous dire bonsoir par la présente. Ah! cher nonchalant, vous devez avoir eu une marmotte, vous, parmi vos aïeux.

XXXII
Philippe à Denise

16 avril.

Hélène vous a-t-elle dit que je l'ai rencontrée aux Champs-Élysées et que, sous l'œil vigilant de miss May très correcte, nous avons entamé un petit flirt? Elle était divinement jolie, votre fille, dans sa toilette de velours bleu et cette fourrure pelucheuse gris-pâle de chinchilla. Elle m'a dit sur ses «petits amis les pauvres» et sur le froid, des choses divines.

Je vous préviens, madame, qu'elle m'a invité à dîner pour demain soir avec ses amies et sa chère grand'mère de Nimerck, et que je viendrai si vous ne me décommandez pas, car j'ai promis de faire une représentation avec le grand guignol.

Yours always.

XXXIII
Denise à Philippe

17 avril.

Hélène? c'est une enfant soyeuse, douce et tendre, quiète et recueillie, pâle, estompée, une enfant de rêve, un coin du ciel dans ma vie.

Venez. Depuis ce matin on prépare à votre intention une partie du salon. Votre théâtre y est déjà et les marionnettes pendent languissamment sur un bras de fauteuil, attendant que vous leur donniez la vie. Que d'âmes de femmes sont ainsi qui s'éveillent entre les mains délicatement caressantes de l'homme qui les aime…

Hélène m'a conté votre promenade et je dois vous dire que vous avez aussi une petite place dans ce cœur-là. Oui, n'est-ce pas, elle est un peu divine, ma fille? J'aime la laisser vivre dans l'engourdissement de ses doux instincts; elle séduit, captive, parce que j'ai respecté cette fleur d'enfance qui la fait si naïve dans ses huit ans, si loin des choses pratiques de la vie. De là viennent ces finesses de pensées qui vous enchantent.

En dehors de cela, il y a en elle une source de poésie. Elle est vraiment belle, physiquement et moralement. Mon Dieu! quand je songe qu'il me faudra un jour donner ce cher trésor à un homme qui peut-être ne comprendra rien à toutes les exquises et fines choses qu'elle représente!.. Le pire des maris n'est pas celui qui bat, trompe, boit; c'est celui qui ne croit pas en nous, qui nous dédaigne poliment, nous juge inférieure à lui et nous fait souffrir dans nos élans, dans toutes les choses bonnes, fines et tendres que nous croyons devoir lui offrir.

Oh! les morts vivants! ceux qui nous méprisent parce qu'avant nous la foule des vulgaires pensées, des vulgaires femmes, ont éteint pour jamais leur âme. Ceux que leurs souvenirs déçus hantent, les éteints de la vie que rien ne peut ni ranimer, ni faire croire à quelque chose de bon, de droit, de beau! Ceux-là qui ne nous demandent ou ne nous donnent rien, je les hais.

L'atrophie du corps n'est rien, l'atrophie de l'âme est tout; de même que la possession est peu de chose tandis que le désir est tout.

Tenez, Vandérem dans son roman: la Cendre, a fait une étude parfaite, juste et douloureuse, de cet état d'âme de l'homme qui entre dans le mariage en cendres.

Ne dites pas que cette chose-là n'arrive pas, puisqu'elle m'est arrivée. Je vous jure, c'est le moindre des maux, qu'on nous préfère une maritorne. Mais ce par quoi j'ai passé! Encore étais-je énergique; mais Hélène? tendre, mélancolique, perdue dans le rêve, elle mourrait s'il lui fallait souffrir ce que j'ai souffert. Rien que d'y penser, je déteste déjà mon gendre.

Il faudra qu'un de ces soirs je vous conte le douloureux drame – si calme, si correct – de ma vie, et que je vous présente un peu ce premier secrétaire d'ambassade qui est mon mari, et de qui me vinrent tous mes désenchantements, à l'éternelle et très grande stupéfaction de ma belle-mère, nature froide, orgueilleuse, assez vulgaire, qui n'y a rien compris. Pour elle, la politesse tient lieu de tout.

XXXIV
Philippe à Denise

18 avril.

Encore profondément troublé de notre conversation d'hier au soir, je vous envoie, ma chère, chère amie, le témoignage de mon respect et de ma tendresse.

XXXV
Denise à Philippe

18 avril.

Comme vous êtes bon, comme cette dépêche m'a fait du bien!

Après votre départ, je me suis demandé pourquoi je vous avais tout dit; j'ai été prise, malgré moi, d'une honte douloureuse. J'étais seule, brisée par mes souvenirs, pauvre marionnette plus vide et plus molle que celles d'Hélène, traînant éparses sur les meubles. Et voilà que votre mot tendre me montre que vous avez pressenti ce qui devait se passer en moi, l'anéantissement où m'avaient laissée ces confidences.

Oui, j'ai bien souffert; aussi vous serez toujours indulgent à l'amie blessée, n'est-ce pas?

J'ai parfois des énervements, des rages, à cette ressouvenance de ma vie manquée, perdue. Que de tendresse, pourtant, je me sens au cœur, et comme j'aurais su aimer, il me semble. Mais il y a des êtres qui vivent ainsi dans un perpétuel inachèvement; c'est fini, jamais rien ne me tirera des limbes où je demeure et dans lesquels mon cœur révolté ne peut pas s'éteindre.

J'avais vingt-deux ans quand j'ai désespéré de pouvoir continuer ma vie comme le hasard et la société me l'avaient créée; Hélène avait deux ans. J'ai pris ma fille et me suis sauvée. J'ai trente ans bientôt. Pendant ces six ans de séparation consentie de part et d'autre, me sont apparus de jolis commencements d'aventures, mais seulement cela. J'étais en plein arrêt d'enthousiasme au moment où eux s'emballaient; de là des ennuis. Le monde, pour cette raison, me donna quelques amants que je ne pris pas, et il ne sentit pas mon cœur vivre dans toute la pureté ardente et fougueuse d'une tendresse toujours à vide, sans but, un peu exaltée, justement à cause de ce sans but.

Mettez, avec cela, que j'ai l'esprit coquet; ce qui m'entraîne parfois à donner à des indifférents toutes sortes de petites choses intellectuelles pimpantes, que les fats prennent pour des avances, peut-être? J'ai donc une réputation un peu calomniée. Je ne m'en disculperai pas à vous. Vous savez mieux que tous autres ce qu'est ma vie.

Mais tout cela vous expliquera pourquoi je suis si heureuse de notre bizarre et fervente amitié, heureuse de passer ces soirées intimes avec vous, dans la joie douce et recueillie d'avoir trouvé un cœur un peu frère du mien.

XXXVI
Philippe à Denise

19 juin, minuit.

Mon amie, les mots me manquent pour vous exprimer la tendresse respectueuse qui me lie chaque jour davantage à vous. Ce soir, vous me parliez, de votre voix douce et basse, contenue, presque sans parole, toute pleine d'émotion. Vous me parliez et j'étais bien ému. Vous m'apparaissiez une chose de résignation, de force, de paix, une chose qui m'est aussi précieuse, aussi rare, aussi chère que peut vous être votre Hélène. Tout, de vous, d'elle, me semble une harmonie. Ne dites pas que je suis fou, ne dites rien, afin que des mots irréparables ne soient pas entre nous, et laissez-moi garder dans mon cœur l'idée de vous ainsi que d'une chose sainte.

XXXVII
Denise à Philippe

1er juillet.

Eh quoi, mon cher clair obscur, vous m'écrivez presque une lettre d'amour pour laquelle je m'apprête à vous bien gronder, puis vous disparaissez: ni lettre, ni visite pendant douze jours!

Durant ce siècle, vous comprenez bien, ma colère est tombée; ne parlons donc plus de la lettre, je l'ai oubliée. Seulement, comme je quitte Paris dans quelques jours, je viens obligeamment vous le dire, afin qu'un ami un peu bizarre que je possède dans les abords de l'avenue de Messine ne vienne pas frapper à mon huis pour apprendre que j'en suis bien loin… ce qui donnerait peut-être trop d'importance à un léger ressentiment…

Je devrais même être partie; mais comme j'avais eu l'intention louable de révérender ma vieille tante de Giraucourt avant mon départ pour Nimerck, elle m'a invitée à dîner. Je n'ai pu refuser: cela aurait fait de la peine à ma mère qui, étant donnée la grande différence de leur âge, considère un peu cette sœur aînée comme sa mère.

C'est cette tante-là que mon frère Gérald, mes cousins et moi, avons irrévérencieusement baptisée: l'habitude des cours. Et ce que ce nom lui sied bien! une merveille! Elle sait, je crois le Gotha par cœur, et c'est à peine si elle ne libelle pas ses invitations: d'ordre de la baronne de Giraucourt, etc., etc.

Elle a un tempérament de ralliée. Elle était royaliste – de par les sentiments paternels, – mais elle n'a pas su résister à l'entraînant second empire; elle deviendrait, je crois, républicaine, si les républicains s'avisaient d'avoir une cour et surtout beaucoup de décorum.

C'est un type, ma tante. Je vous la ferai connaître. Grande, encore belle sous ses cheveux blancs, généreuse, intelligente et fantasque, elle dépense tous ses revenus en bonnes œuvres. Elle déteste ma belle-mère et l'intimide; c'est curieux et amusant à voir. Quand ses réceptions de famille sont émaillées de quelques étrangers, le maître des cérémonies – lisez valet de chambre – passe discrètement entre les groupes, au salon, avant le dîner, pour remettre une carte sur laquelle est écrit: «Monsieur du Rand» – ma tante ne peut se résoudre à ne pas ennoblir tous les gens qu'elle fréquente – «est prié de se mettre à table à la droite de madame da Borde et d'offrir son bras à madame de Nières».

 

Et M. Durand, madame Deborde, madame Danières, l'espagnolisée pour un soir, se troublent, se perdent en lisant trop attentivement leurs petites pancartes; cela amène les confusions les plus drolatiques, tandis que ma tante, très digne, froissée de leurs maladresses, murmure: «Pas l'habitude des cours…» et que nous faisons des efforts surhumains, nous autres jeunes, pour ne pas mourir de fou rire.

Une idée? Si vous veniez à Nimerck avec nous? Gérald nous quittera là pour aller s'embarquer à Cherbourg.

Cela distraira un peu ma pauvre maman de son chagrin, d'avoir à s'occuper d'un hôte.

Je serais ravie de voyager ces quelques heures avec vous; mais ça ne s'arrange pas, hein? Avez-vous remarqué comme rien n'est favorable à nos désirs, à nos joies dans la vie? Quel dommage de passer son temps à dire: quel dommage!

Adieu; je me fais l'effet d'un Jérémie de poche. Adieu. Vraiment, vous ne pouvez pas partir vendredi?

Me voilà subissant envers vous une loi d'attraction bien extraordinaire… ne devrais-je pas être un peu fâchée, indiscipliné ami? Adieu, adieu. Ce sentiment peut durer indéfiniment entre nous – je veux dire l'espace d'un matin, ce qui est énorme.

Adieu, adieu, adieu! cette fois, c'est sérieux. Adieu, monsieur mon ami, pensez, travaillez; ne vous contentez pas de traîner votre nonchalance dans des lieux selects, et d'accrocher des cœurs de femme au bout de vos éperons; ne donnez ni votre âme, ni votre esprit à la foule, cette cohue insupportable, sans cœur, sans bonté, sans distinction et sans joie.

C'est la grâce que je vous souhaite en vous disant amen et en serrant affectueusement votre main.

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