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OEuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 09

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SUICIDES

A Georges Legrand.

IL ne passe guère de jour sans qu’on lise dans quelque journal le fait divers suivant:

«Dans la nuit de mercredi à jeudi, les habitants de la maison portant le no 40 de la rue de... ont été réveillés par deux détonations successives. Le bruit partait d’un logement habité par M. X... La porte fut ouverte, et on trouva ce locataire baigné dans son sang, tenant encore à la main le revolver avec lequel il s’était donné la mort.

«M. X... était âgé de cinquante-sept ans, jouissait d’une aisance honorable et avait tout ce qu’il faut pour être heureux. On ignore absolument la cause de sa funeste détermination.»

Quelles douleurs profondes, quelles lésions du cœur, désespoirs cachés, blessures brûlantes poussent au suicide ces gens qui sont heureux? On cherche, on imagine des drames d’amour, on soupçonne des désastres d’argent et, comme on ne découvre jamais rien de précis, on met sur ces morts, le mot «Mystère».

Une lettre trouvée sur la table d’un de ces «suicidés sans raison», et écrite pendant la dernière nuit, auprès du pistolet chargé, est tombée entre nos mains. Nous la croyons intéressante. Elle ne révèle aucune des grandes catastrophes qu’on cherche toujours derrière ces actes de désespoir; mais elle montre la lente succession des petites misères de la vie, la désorganisation fatale d’une existence solitaire, dont les rêves sont disparus, elle donne la raison de ces fins tragiques que les nerveux et les sensitifs seuls comprendront.

La voici:

«Il est minuit. Quand j’aurai fini cette lettre, je me tuerai. Pourquoi? Je vais tâcher de le dire, non pour ceux qui liront ces lignes, mais pour moi-même, pour renforcer mon courage défaillant, me bien pénétrer de la nécessité maintenant fatale de cet acte qui ne pourrait être que différé.

J’ai été élevé par des parents simples qui croyaient à tout. Et j’ai cru comme eux.

Mon rêve dura longtemps. Les derniers lambeaux viennent seulement de se déchirer.

Depuis quelques années déjà un phénomène se passe en moi. Tous les événements de l’existence qui, autrefois, resplendissaient à mes yeux comme des aurores, me semblent se décolorer. La signification des choses m’est apparue dans sa réalité brutale; et la raison vraie de l’amour m’a dégoûté même des poétiques tendresses.

Nous sommes les jouets éternels d’illusions stupides et charmantes toujours renouvelées.

Alors, vieillissant, j’avais pris mon parti de l’horrible misère des choses, de l’inutilité des efforts, de la vanité des attentes, quand une lumière nouvelle sur le néant de tout m’est apparue, ce soir, après dîner.

Autrefois, j’étais joyeux! Tout me charmait: les femmes qui passent, l’aspect des rues, les lieux que j’habite; et je m’intéressais même à la forme des vêtements. Mais la répétition des mêmes visions a fini par m’emplir le cœur de lassitude et d’ennui, comme il arriverait pour un spectateur entrant chaque soir au même théâtre.

Tous les jours, à la même heure depuis trente ans, je me lève; et, dans le même restaurant, depuis trente ans, je mange aux mêmes heures les mêmes plats apportés par des garçons différents.

J’ai tenté de voyager? L’isolement qu’on éprouve en des lieux inconnus m’a fait peur. Je me suis senti tellement seul sur la terre, et si petit, que j’ai repris bien vite la route de chez moi.

Mais alors l’immuable physionomie de mes meubles, depuis trente ans à la même place, l’usure de mes fauteuils que j’avais connus neufs, l’odeur de mon appartement (car chaque logis prend, avec le temps, une odeur particulière), m’ont donné, chaque soir, la nausée des habitudes et la noire mélancolie de vivre ainsi.

Tout se répète sans cesse et lamentablement. La manière même dont je mets en rentrant la clef dans la serrure, la place où je trouve toujours mes allumettes, le premier coup d’œil jeté dans ma chambre quand le phosphore s’enflamme, me donnent envie de sauter par la fenêtre et d’en finir avec ces événements monotones auxquels nous n’échappons jamais.

J’éprouve chaque jour, en me rasant, un désir immodéré de me couper la gorge; et ma figure, toujours la même, que je revois dans la petite glace avec du savon sur les joues, m’a plusieurs fois fait pleurer de tristesse.

Je ne puis même plus me retrouver auprès des gens que je rencontrais jadis avec plaisir, tant je les connais, tant je sais ce qu’ils vont me dire et ce que je vais répondre, tant j’ai vu le moule de leurs pensées immuables, le pli de leurs raisonnements. Chaque cerveau est comme un cirque, où tourne éternellement un pauvre cheval enfermé. Quels que soient nos efforts, nos détours, nos crochets, la limite est proche et arrondie d’une façon continue, sans saillies imprévues et sans porte sur l’inconnu. Il faut tourner, tourner toujours, par les mêmes idées, les mêmes joies, les mêmes plaisanteries, les mêmes habitudes, les mêmes croyances, les mêmes écœurements.

Le brouillard était affreux, ce soir. Il enveloppait le boulevard où les becs de gaz obscurcis semblaient des chandelles fumeuses. Un poids plus lourd que d’habitude me pesait sur les épaules. Je digérais mal, probablement.

Car une bonne digestion est tout dans la vie. C’est elle qui donne l’inspiration à l’artiste, les désirs amoureux aux jeunes gens, des idées claires aux penseurs, la joie de vivre à tout le monde, et elle permet de manger beaucoup (ce qui est encore le plus grand bonheur). Un estomac malade pousse au scepticisme, à l’incrédulité, fait germer les songes noirs et les désirs de mort. Je l’ai remarqué fort souvent. Je ne me tuerais peut-être pas si j’avais bien digéré ce soir.

Quand je fus assis dans le fauteuil où je m’asseois tous les jours depuis trente ans, je jetai les yeux autour de moi, et je me sentis saisi par une détresse si horrible que je me crus près de devenir fou.

Je cherchai ce que je pourrais faire pour échapper à moi-même? Toute occupation m’épouvanta comme plus odieuse encore que l’inaction. Alors, je songeai à mettre de l’ordre dans mes papiers.

Voici longtemps que je songeais à cette besogne d’épurer mes tiroirs; car depuis trente ans, je jette pêle-mêle dans le même meuble mes lettres et mes factures, et le désordre de ce mélange m’a souvent causé bien des ennuis. Mais j’éprouve une telle fatigue morale et physique à la seule pensée de ranger quelque chose que je n’ai jamais eu le courage de me mettre à ce travail odieux.

Donc je m’assis devant mon secrétaire et je l’ouvris, voulant faire un choix dans mes papiers anciens pour en détruire une grande partie.

Je demeurai d’abord troublé devant cet entassement de feuilles jaunies, puis j’en pris une.

Oh! ne touchez jamais à ce meuble, à ce cimetière, des correspondances d’autrefois, si vous tenez à la vie! Et, si vous l’ouvrez par hasard, saisissez à pleines mains les lettres qu’il contient, fermez les yeux pour n’en point lire un mot, pour qu’une seule écriture oubliée et reconnue ne vous jette d’un seul coup dans l’océan des souvenirs; portez au feu ces papiers mortels; et, quand ils seront en cendres, écrasez-les encore en une poussière invisible... ou sinon vous êtes perdu... comme je suis perdu depuis une heure!..

Ah! les premières lettres que j’ai relues ne m’ont point intéressé. Elles étaient récentes d’ailleurs, et me venaient d’hommes vivants que je rencontre encore assez souvent et dont la présence ne me touche guère. Mais soudain une enveloppe m’a fait tressaillir. Une grande écriture large y avait tracé mon nom; et brusquement les larmes me sont montées aux yeux. C’était mon plus cher ami, celui-là, le compagnon de ma jeunesse, le confident de mes espérances; et il m’apparut si nettement, avec son sourire bon enfant et la main tendue vers moi qu’un frisson me secoua les os. Oui, oui, les morts reviennent, car je l’ai vu! Notre mémoire est un monde plus parfait que l’univers: elle rend la vie à ce qui n’existe plus!

La main tremblante, le regard brumeux, j’ai relu tout ce qu’il me disait, et dans mon pauvre cœur sanglotant j’ai senti une meurtrissure si douloureuse que je me mis à pousser des gémissements comme un homme dont on brise les membres.

Alors j’ai remonté toute ma vie ainsi qu’on remonte un fleuve. J’ai reconnu des gens oubliés depuis si longtemps que je ne savais plus leur nom. Leur figure seule vivait en moi. Dans les lettres de ma mère, j’ai retrouvé les vieux domestiques et la forme de notre maison et les petits détails insignifiants où s’attache l’esprit des enfants.

Oui, j’ai revu soudain toutes les vieilles toilettes de ma mère avec ses physionomies différentes suivant les modes qu’elle portait et les coiffures qu’elle avait successivement adoptées. Elle me hantait surtout dans une robe de soie à ramages anciens; et je me rappelais une phrase, qu’un jour, portant cette robe, elle m’avait dite: «Robert, mon enfant, si tu ne te tiens pas droit, tu seras bossu toute ta vie.»

Puis soudain, ouvrant un autre tiroir, je me retrouvai en face de mes souvenirs d’amour: une bottine de bal, un mouchoir déchiré, une jarretière même, des cheveux et des fleurs desséchées. Alors les doux romans de ma vie, dont les héroïnes encore vivantes ont aujourd’hui des cheveux tout blancs, m’ont plongé dans l’amère mélancolie des choses à jamais finies. Oh! les fronts jeunes où frisent les cheveux dorés, la caresse des mains, le regard qui parle, les cœurs qui battent, ce sourire qui promet les lèvres, ces lèvres qui promettent l’étreinte... Et le premier baiser... ce baiser sans fin qui fait se fermer les yeux, qui anéantit toute pensée dans l’incommensurable bonheur de la possession prochaine.

 

Prenant à pleines mains ces vieux gages des tendresses lointaines, je les couvris de caresses furieuses, et dans mon âme ravagée par les souvenirs, je revoyais chacune à l’heure de l’abandon, et je souffrais un supplice plus cruel que toutes les tortures imaginées par toutes les fables de l’enfer.

Une dernière lettre restait. Elle était de moi et dictée de cinquante ans auparavant par mon professeur d’écriture. La voici:

«Ma petite maman chérie,

«J’ai aujourd’hui sept ans. C’est l’âge de raison, j’en profite pour te remercier de m’avoir donné le jour.

«Ton petit garçon qui t’adore,

«Robert.»

C’était fini. J’arrivais à la source, et brusquement je me retournai pour envisager le reste de mes jours. Je vis la vieillesse hideuse et solitaire, et les infirmités prochaines et tout fini, fini, fini! Et personne autour de moi.

Mon revolver est là, sur la table... Je l’arme... Ne relisez jamais vos vieilles lettres.»

Et voilà comment se tuent beaucoup d’hommes dont on fouille en vain l’existence pour y découvrir de grands chagrins.

Suicides a paru dans le Gil-Blas du mardi 17 avril 1883, sous la signature: Maufrigneuse.

DÉCORÉ!

DES gens naissent avec un instinct prédominant, une vocation ou simplement un désir éveillé, dès qu’ils commencent à parler, à penser.

M. Sacrement n’avait, depuis son enfance, qu’une idée en tête, être décoré. Tout jeune il portait des croix de la Légion d’honneur en zinc comme d’autres enfants portent un képi et il donnait fièrement la main à sa mère, dans la rue, en bombant sa petite poitrine ornée du ruban rouge et de l’étoile de métal.

Après de pauvres études il échoua au baccalauréat, et, ne sachant plus que faire, il épousa une jolie fille, car il avait de la fortune.

Ils vécurent à Paris comme vivent des bourgeois riches, allant dans leur monde, sans se mêler au monde, fiers de la connaissance d’un député qui pouvait devenir ministre, et amis de deux chefs de division.

Mais la pensée entrée aux premiers jours de sa vie dans la tête de M. Sacrement, ne le quittait plus et il souffrait d’une façon continue de n’avoir point le droit de montrer sur sa redingote un petit ruban de couleur.

Les gens décorés qu’il rencontrait sur le boulevard lui portaient un coup au cœur. Il les regardait de coin avec une jalousie exaspérée. Parfois, par les longs après-midi de désœuvrement, il se mettait à les compter. Il se disait: «Voyons, combien j’en trouverai de la Madeleine à la rue Drouot.»

Et il allait lentement, inspectant les vêtements, l’œil exercé à distinguer de loin le petit point rouge. Quand il arrivait au bout de sa promenade, il s’étonnait toujours des chiffres: «Huit officiers, et dix-sept chevaliers. Tant que ça! C’est stupide de prodiguer les croix d’une pareille façon. Voyons si j’en trouverai autant au retour.»

Et il revenait à pas lents, désolé quand la foule pressée des passants pouvait gêner ses recherches, lui faire oublier quelqu’un.

Il connaissait les quartiers où on en trouvait le plus. Ils abondaient au Palais-Royal. L’avenue de l’Opéra ne valait pas la rue de la Paix; le côté droit du boulevard était mieux fréquenté que le gauche.

Ils semblaient aussi préférer certains cafés, certains théâtres. Chaque fois que M. Sacrement apercevait un groupe de vieux messieurs à cheveux blancs arrêtés au milieu du trottoir, et gênant la circulation, il se disait: «Voici des officiers de la Légion d’honneur!» Et il avait envie de les saluer.

Les officiers (il l’avait souvent remarqué) ont une autre allure que les simples chevaliers. Leur port de tête est différent. On sent bien qu’ils possèdent officiellement une considération plus haute, une importance plus étendue.

Parfois aussi une rage saisissait M. Sacrement, une fureur contre tous les gens décorés; et il sentait pour eux une haine de socialiste.

Alors, en rentrant chez lui, excité par la rencontre de tant de croix, comme l’est un pauvre affamé après avoir passé devant les grandes boutiques de nourriture, il déclarait d’une voix forte: «Quand donc, enfin, nous débarrassera-t-on de ce sale gouvernement? Sa femme surprise, lui demandait: «Qu’est-ce que tu as aujourd’hui».

Et il répondait: «J’ai que je suis indigné par les injustices que je vois commettre partout. Ah! que les communards avaient raison!»

Mais il ressortait après son dîner, et il allait considérer les magasins de décorations. Il examinait tous ces emblèmes de formes diverses, de couleurs variées. Il aurait voulu les posséder tous, et, dans une cérémonie publique, dans une immense salle pleine de monde, pleine de peuple émerveillé, marcher en tête d’un cortège, la poitrine étincelante, zébrée de brochettes alignées l’une sur l’autre, suivant la forme de ses côtes, et passer gravement, le claque sous le bras, luisant comme un astre au milieu de chuchotements admiratifs, dans une rumeur de respect.

Il n’avait, hélas! aucun titre pour aucune décoration.

Il se dit: «La Légion d’honneur est vraiment par trop difficile pour un homme qui ne remplit aucune fonction publique. Si j’essayais de me faire nommer officier d’Académie!»

Mais il ne savait comment s’y prendre. Il en parla à sa femme qui demeura stupéfaite.

— «Officier d’Académie? Qu’est-ce que tu as fait pour cela.»

Il s’emporta: «Mais comprends donc ce que je veux dire. Je cherche justement ce qu’il faut faire. Tu es stupide par moments.»

Elle sourit: «Parfaitement, tu as raison. Mais je ne sais pas, moi?»

Il avait une idée: «Si tu en parlais au député Rosselin, il pourrait me donner un excellent conseil. Moi, tu comprends que je n’ose guère aborder cette question directement avec lui. C’est assez délicat, assez difficile; venant de toi, la chose devient toute naturelle.»

Mme Sacrement fit ce qu’il demandait. M. Rosselin promit d’en parler au Ministre. Alors Sacrement le harcela. Le député finit par lui répondre qu’il fallait faire une demande et énumérer ses titres.

Ses titres? Voilà. Il n’était même pas bachelier.

Il se mit cependant à la besogne et commença une brochure traitant: «Du droit du peuple à l’instruction.» Il ne la put achever par pénurie d’idées.

Il chercha des sujets plus faciles et en aborda plusieurs successivement. Ce fut d’abord: «L’instruction des enfants par les yeux.» Il voulait qu’on établît dans les quartiers pauvres des espèces de théâtres gratuits pour les petits enfants. Les parents les y conduiraient dès leur plus jeune âge, et on leur donnerait là, par le moyen d’une lanterne magique, des notions de toutes les connaissances humaines. Ce seraient de véritables cours. Le regard instruirait le cerveau, et les images resteraient gravées dans la mémoire, rendant pour ainsi dire visible la science.

Quoi de plus simple que d’enseigner ainsi l’histoire universelle, la géographie, l’histoire naturelle, la botanique, la zoologie, l’anatomie, etc... etc.?

Il fit imprimer ce mémoire et en envoya un exemplaire à chaque député, dix à chaque ministre, cinquante au président de la République, dix également à chacun des journaux parisiens, cinq aux journaux de province.

Puis il traita la question des bibliothèques des rues, voulant que l’État fît promener par les rues des petites voitures pleines de livres, pareilles aux voitures des marchandes d’oranges. Chaque habitant aurait droit à dix volumes par mois en location, moyennant un sou d’abonnement.

«Le peuple, disait M. Sacrement, ne se dérange que pour ses plaisirs. Puisqu’il ne va pas à l’instruction! il faut que l’instruction vienne à lui, etc.»

Aucun bruit ne se fit autour de ces essais. Il adressa cependant sa demande. On lui répondit qu’on prenait note, qu’on instruisait. Il se crut sûr du succès; il attendit. Rien ne vint.

Alors il se décida à faire des démarches personnelles. Il sollicita une audience du ministre de l’instruction publique, et il fut reçu par un attaché de cabinet tout jeune et déjà grave, important même, et qui jouait, comme d’un piano, d’une série de petits boutons blancs pour appeler les huissiers et les garçons de l’antichambre ainsi que les employés subalternes. Il affirma au solliciteur que son affaire était en bonne voie et il lui conseilla de continuer ses remarquables travaux.

Et M. Sacrement se remit à l’œuvre.

M. Rosselin, le député, semblait maintenant s’intéresser beaucoup à son succès, et il lui donnait même une foule de conseils pratiques excellents. Il était décoré d’ailleurs, sans qu’on sût quels motifs lui avaient valu cette distinction.

Il indiqua à Sacrement des études nouvelles à entreprendre, il le présenta à des Sociétés savantes qui s’occupaient de points de science particulièrement obscurs, dans l’intention de parvenir à des honneurs. Il le patronna même au ministère.

Or, un jour, comme il venait déjeuner chez son ami (il mangeait souvent dans la maison depuis plusieurs mois) il lui dit tout bas en lui serrant les mains: «Je viens d’obtenir pour vous une grande faveur. Le comité des travaux historiques vous charge d’une mission. Il s’agit de recherches à faire dans diverses bibliothèques de France.»

Sacrement, défaillant, n’en put manger ni boire. Il partit huit jours plus tard.

Il allait de ville en ville, étudiant les catalogues, fouillant en des greniers bondés de bouquins poudreux, en proie à la haine des bibliothécaires.

Or, un soir, comme il se trouvait à Rouen il voulut aller embrasser sa femme qu’il n’avait point vue depuis une semaine; et il prit le train de neuf heures qui devait le mettre à minuit chez lui.

Il avait sa clef. Il entra sans bruit, frémissant de plaisir, tout heureux de lui faire cette surprise. Elle s’était enfermée, quel ennui! Alors il cria à travers la porte: «Jeanne, c’est moi!»

Elle dut avoir grand’peur, car il l’entendit sauter du lit et parler seule comme dans un rêve. Puis elle courut à son cabinet de toilette, l’ouvrit et le referma, traversa plusieurs fois sa chambre dans une course rapide, nu-pieds, secouant les meubles dont les verreries sonnaient. Puis, enfin, elle demanda: «C’est bien toi, Alexandre?»

Il répondit: «Mais oui, c’est moi, ouvre donc!»

La porte céda, et sa femme se jeta sur son cœur en balbutiant: «Oh! quelle terreur! quelle surprise! quelle joie!»

Alors, il commença à se dévêtir, méthodiquement, comme il faisait tout. Et il reprit, sur une chaise, son pardessus qu’il avait l’habitude d’accrocher dans le vestibule. Mais, soudain, il demeura stupéfait. La boutonnière portait un ruban rouge!

Il balbutia: «Ce... ce... ce paletot est décoré!»

Alors sa femme, d’un bond, se jeta sur lui, et lui saisissant dans les mains le vêtement: «Non... tu te trompes... donne-moi ça.»

Mais il le tenait toujours par une manche, ne le lâchant pas, répétant dans une sorte d’affolement: «Hein?.. Pourquoi?.. Explique-moi?.. A qui ce pardessus?.. Ce n’est pas le mien, puisqu’il porte la Légion d’honneur?»

Elle s’efforçait de le lui arracher, éperdue, bégayant: «Écoute... écoute... donne-moi ça... Je ne peux pas te dire... c’est un secret... écoute.»

Mais il se fâchait, devenait pâle: «Je veux savoir comment ce paletot est ici. Ce n’est pas le mien.»

Alors, elle lui cria dans la figure: «Si, tais-toi, jure-moi... écoute... eh bien! tu es décoré!»

Il eut une telle secousse d’émotion qu’il lâcha le pardessus et alla tomber dans un fauteuil.

— Je suis... tu dis... je suis... décoré.

— Oui... c’est un secret, un grand secret...

Elle avait enfermé dans une armoire le vêtement glorieux, et revenait vers son mari, tremblante et pâle. Elle reprit: «Oui, c’est un pardessus neuf que je t’ai fait faire. Mais j’avais juré de ne te rien dire. Cela ne sera pas officiel avant un mois ou six semaines. Il faut que ta mission soit terminée. Tu ne devais le savoir qu’à ton retour. C’est M. Rosselin qui a obtenu ça pour toi...»

 

Sacrement, défaillant, bégayait: «Rosselin... décoré... Il m’a fait décorer... moi... lui... Ah!..»

Et il fut obligé de boire un verre d’eau.

Un petit papier blanc gisait par terre, tombé de la poche du pardessus. Sacrement le ramassa, c’était une carte de visite. Il lut: «Rosselin — député.»

«Tu vois bien», dit la femme.

Et il se mit à pleurer de joie.

Huit jours plus tard l’Officiel annonçait que M. Sacrement était nommé chevalier de la Légion d’honneur, pour services exceptionnels.

Décoré! a paru dans le Gil-Blas du samedi 13 novembre 1883, sous la signature: Maufrigneuse.

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