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La Femme de Paul

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Et je sens, parfois, d'intolérables envies de l'embrasser. Je n'ai même jamais touché sa main sordide.

L'académicien se tut. Et son compagnon, l'homme politique, murmura: «Oui, vraiment, nous devrions bien nous occuper un peu plus des enfants qui n'ont pas de père.»

Et un souffle de vent traversant, le grand arbre jaune secoua ses grappes, enveloppa d'une nuée odorante et fine les deux vieillards qui la respirèrent à longs traits.

Et le sénateur ajouta: «C'est bon vraiment d'avoir vingt-cinq ans, et même de faire des enfants comme ça.»

CORRESPONDANCE

Mme de X… à Mme de Z…
Étretat, vendredi.

Ma chère tante,

Je viens vers vous tout doucement. Je serai aux Fresnes le 2 septembre, veille de l'ouverture de la chasse que je tiens à ne pas manquer, pour taquiner ces messieurs. Vous êtes trop bonne, ma tante, et vous leur permettez ce jour-là, quand vous êtes seule avec eux, de dîner sans habit et sans s'être rasés en rentrant, sous prétexte de fatigue.

Aussi sont-ils enchantés quand je ne suis pas là. Mais j'y serai, et je passerai la revue, comme un général, à l'heure du dîner; et si j'en trouve un seul un peu négligé, rien qu'un peu, je l'enverrai à la cuisine, avec les bonnes.

Les hommes d'aujourd'hui ont si peu d'égards et de savoir-vivre qu'il faut se montrer toujours sévère. C'est vraiment le règne de la goujaterie. Quand ils se querellent entre eux, ils se provoquent avec des injures de portefaix, et, devant nous, ils se tiennent beaucoup moins bien que nos domestiques. C'est aux bains de mer qu'il faut voir cela. Ils s'y trouvent en bataillons serrés et on peut les juger en masse. Oh! les êtres grossiers qu'ils sont!

Figurez-vous qu'en chemin de fer, un d'eux, un monsieur qui semblait bien, au premier abord, grâce à son tailleur, a retiré délicatement ses bottes pour les remplacer par des savates. Un autre, un vieux qui doit être un riche parvenu (ce sont les plus mal élevés), assis en face de moi, a posé délicatement ses deux pieds sur la banquette, à mon côté. C'est admis.

Dans les villes d'eaux, c'est un déchaînement de grossièreté. Je dois ajouter une chose: ma révolte tient peut-être à ce que je ne suis point habituée à fréquenter communément les gens qu'on coudoie ici, car leur genre me choquerait moins si je l'observais plus souvent.

Dans le bureau de l'hôtel, je fus presque renversée par un jeune homme qui prenait sa clef par-dessus ma tête. Un autre me heurta si fort, sans dire «pardon», ni se découvrir, en sortant d'un bal au Casino, que j'en eus mal dans la poitrine. Voilà comme ils sont tous. Regardons-les aborder les femmes sur la terrasse, c'est à peine s'ils saluent, ils portent simplement la main à leur couvre-chef. Du reste, comme ils sont tous chauves, cela vaut mieux.

Mais il est une chose qui m'exaspère et me choque par-dessus tout, c'est la liberté qu'ils prennent de parler en public, sans aucune espèce de précaution, des aventures les plus révoltantes. Quand deux hommes sont ensemble, ils se racontent, avec les mots les plus crus et les réflexions les plus abominables, des histoires vraiment horribles, sans s'inquiéter le moins du monde si quelque oreille de femme est à portée de leur voix. Hier, sur la plage, je fus contrainte de changer de place pour ne pas être plus longtemps la confidente involontaire d'une anecdote graveleuse, dite en termes si violents que je me sentais humiliée autant qu'indignée d'avoir pu entendre cela. Le plus élémentaire savoir-vivre ne devrait-il pas leur apprendre à parler bas de ces choses de notre voisinage?

Étretat est, en outre, le pays des cancans et, partant, la patrie des commères. De cinq à sept heures on les voit errer en quête de médisances qu'elles transportent de groupe en groupe. Comme vous me le disiez, ma chère tante, le potin est un signe de race des petites gens et des petits esprits. Il est aussi la consolation des femmes qui ne sont plus aimées ni courtisées. Il me suffit de regarder celles qu'on désigne comme les plus cancanières pour être persuadée que vous ne vous trompez pas.

L'autre jour j'assistai à une soirée musicale au Casino, donnée par une remarquable artiste, Mme Masson, qui chante vraiment à ravir. J'eus l'occasion d'applaudir encore l'admirable Coquelin, ainsi que deux charmants pensionnaires du Vaudeville, M… et Meillet. Je pus, en cette circonstance, voir tous les baigneurs réunis cette année sur cette plage. Il n'en est pas beaucoup de marque.

Le lendemain, j'allai déjeuner à Yport. J'aperçus un homme barbu qui sortait d'une grande maison en forme de citadelle. C'était le peintre Jean-Paul Laurens. Il ne lui suffit pas, paraît-il d'emmurer ses personnages, il tient à s'emmurer lui-même.

Puis je me trouvai assise sur le galet à côté d'un homme encore jeune, d'aspect doux et fin, d'allure calme, qui lisait des vers. Mais il les lisait avec une telle attention, une telle passion, dirai-je, qu'il ne leva pas une seule fois les yeux sur moi. Je fus un peu choquée; et je demandai au maître baigneur, sans paraître y prendre garde, le nom de ce monsieur. En moi je riais un peu de ce liseur de rimes; il me semblait attardé, pour un homme. C'est là, pensai-je, un naïf. Eh bien, ma tante, à présent, je raffole de mon inconnu. Figure-toi qu'il s'appelle Sully Prudhomme. Je retournai m'asseoir auprès de lui pour le considérer tout à mon aise. Sa figure a surtout un grand caractère de tranquillité et de finesse. Quelqu'un étant venu le trouver, j'entendis sa voix qui est douce, presque timide. Celui-là, certes, ne doit pas crier de grossièretés en public, ni heurter des femmes sans s'excuser. Il doit être un délicat, mais un délicat presque maladif, un vibrant. Je tâcherai, cet hiver, qu'il me soit présenté.

Je ne sais plus rien, ma chère tante, et je vous quitte en hâte, l'heure de la poste me pressant. Je baise vos mains et vos joues.

Votre nièce dévouée,
Berthe de X…

P. – S.– Je dois cependant ajouter, pour la justification de la politesse française, que nos compatriotes sont en voyage des modèles de savoir-vivre en comparaison des abominables Anglais qui semblent avoir été élevés par des valets d'écurie, tant ils prennent soin de ne se gêner en rien et de toujours gêner leurs voisins.

*
* *
Madame de Z… a Madame de X…
Les Fresnes, samedi.

Ma chère petite, tu me dis beaucoup de choses pleines de raison, ce qui n'empêche que tu as tort. Je fus, comme toi, très indignée autrefois de l'impolitesse des hommes que j'estimais me manquer sans cesse; mais en vieillissant et en songeant à tout, et en observant sans y mêler du mien, je me suis aperçue de ceci: que si les hommes ne sont pas toujours polis, les femmes, par contre, sont toujours d'une inqualifiable grossièreté.

Nous nous croyons tout permis, ma chérie, et estimons en même temps que tout nous est dû, et nous commettons à cœur joie des actes dépourvus de ce savoir-vivre élémentaire dont tu parles avec passion.

Je trouve maintenant, au contraire, que les hommes ont pour nous beaucoup d'égards, relativement à nos allures envers eux. Du reste, mignonne, les hommes doivent être, et sont, ce que nous les faisons. Dans une société où les femmes seraient toutes de vraies grandes dames, tous les hommes deviendraient des gentilshommes.

Voyons, observe et réfléchis.

Vois deux femmes qui se rencontrent dans la rue; quelle attitude! quels regards de dénigrement, quels mépris dans le coup d'œil! Quel coup de tête de haut en bas pour toiser et condamner! Et si le trottoir est étroit, crois-tu que l'une cédera le pas, demandera pardon? Jamais! Quand deux hommes se heurtent en une ruelle insuffisante, tous deux saluent et s'effacent en même temps; tandis que, nous autres, nous nous précipitons ventre à ventre, nez à nez, en nous dévisageant avec insolence.

Vois deux femmes se connaissant qui se rencontrent dans un escalier devant la porte d'une amie que l'une vient de voir et que l'autre va visiter. Elles se mettent à causer en obstruant toute la largeur du passage. Si quelqu'un monte derrière elles, homme ou femme, crois-tu qu'elles se dérangeront d'un demi-pied? Jamais! jamais!

J'attendis, l'hiver dernier, vingt-deux minutes, montre en main, à la porte d'un salon. Et derrière moi deux messieurs attendaient aussi sans paraître prêts à devenir enragés, comme moi. C'est qu'ils étaient habitués depuis longtemps à nos inconscientes insolences.

L'autre jour, avant de quitter Paris, j'allai dîner, avec ton mari justement, dans un restaurant des Champs-Élysées pour prendre le frais. Toutes les tables étaient occupées. Le garçon nous pria d'attendre.

J'aperçus alors une vieille dame de noble tournure qui venait de payer sa carte et qui semblait prête à partir. Elle me vit, me toisa et ne bougea point. Pendant plus d'un quart d'heure elle resta là, immobile, mettant ses gants, parcourant du regard toutes les tables, considérant avec quiétude ceux qui attendaient comme moi. Or, deux jeunes gens qui achevaient leur repas m'ayant vue à leur tour, appelèrent en hâte le garçon pour régler leur note et m'offrirent leur place tout de suite, s'obstinant même à attendre debout leur monnaie. Et songe, ma belle, que je ne suis plus jolie, comme toi, mais vieille et blanche.

C'est à nous, vois-tu, qu'il faudrait enseigner la politesse; et la besogne serait si rude qu'Hercule n'y suffirait pas.

Tu me parles d'Étretat et des gens qui potinent sur cette gentille plage. C'est un pays fini, perdu pour moi, mais dans lequel je me suis autrefois bien amusée.

 

Nous étions là quelques-uns seulement, des gens du monde, du vrai monde, et des artistes, fraternisant. On ne cancanait pas, alors.

Or, comme nous n'avions point l'insipide Casino où l'on pose, où l'on chuchote, où l'on danse bêtement, où l'on s'ennuie à profusion, nous cherchions de quelle manière passer gaiement nos soirées. Or, devine ce qu'imagina l'un de nos maris? Ce fut d'aller danser, chaque nuit, dans l'une des fermes des environs.

On partait en bande avec un orgue de Barbarie dont jouait d'ordinaire le peintre Le Poittevin, coiffé d'un bonnet de coton. Deux hommes portaient des lanternes. Nous suivions en procession, riant et bavardant comme des folles.

On réveillait le fermier, les servantes, les valets. On se faisait même faire de la soupe à l'oignon, (horreur!) et l'on dansait sous les pommiers, au son de la boîte à musique. Les coqs réveillés chantaient dans la profondeur des bâtiments; les chevaux s'agitaient dans la litière des écuries. Le vent frais de la campagne nous caressait les joues, plein d'odeurs d'herbes et de moissons coupées.

Que c'est loin! que c'est loin! voilà trente ans de cela!

Je ne veux pas, ma chérie, que tu viennes pour l'ouverture de la chasse. Pourquoi gâter la joie de nos amis, en leur imposant des toilettes mondaines en ce jour de plaisir campagnard et violent? C'est ainsi qu'on gâte les hommes, petite.

Je t'embrasse.

Ta vieille tante,
Geneviève de Z…

LUI?

A Pierre Decourcelle.

Mon cher ami, tu n'y comprends rien? et je le conçois. Tu me crois devenu fou? Je le suis peut-être un peu, mais non pas pour les raisons que tu supposes.

Oui. Je me marie. Voilà.

Et pourtant mes idées et mes convictions n'ont pas changé. Je considère l'accouplement légal comme une bêtise. Je suis certain que huit maris sur dix sont cocus. Et ils ne méritent pas moins pour avoir eu l'imbécillité d'enchaîner leur vie, de renoncer à l'amour libre, la seule chose gaie et bonne au monde, de couper l'aile à la fantaisie qui nous pousse sans cesse à toutes les femmes, etc., etc. Plus que jamais je me sens incapable d'aimer une femme parce que j'aimerai toujours trop toutes les autres. Je voudrais avoir mille bras, mille lèvres et mille… tempéraments pour pouvoir étreindre en même temps une armée de ces êtres charmants et sans importance.

Et cependant je me marie.

J'ajoute que je ne connais guère ma femme de demain. Je l'ai vue seulement quatre ou cinq fois. Je sais qu'elle ne me déplaît point; cela me suffit pour ce que j'en veux faire. Elle est petite, blonde et grasse. Après-demain, je désirerai ardemment une femme grande, brune et mince.

Elle n'est pas riche. Elle appartient à une famille moyenne. C'est une jeune fille comme on en trouve à la grosse, bonnes à marier, sans qualités et sans défauts apparents, dans la bourgeoisie ordinaire. On dit d'elle: «Mlle Lajolle est bien gentille.» On dira demain: «Elle est fort gentille, Mme Raymon». Elle appartient enfin à la légion des jeunes filles honnêtes «dont on est heureux de faire sa femme» jusqu'au jour où on découvre qu'on préfère justement toutes les autres femmes à celle qu'on a choisie.

Alors pourquoi me marier, diras-tu?

J'ose à peine t'avouer l'étrange et invraisemblable raison qui me pousse à cet acte insensé.

Je me marie pour n'être pas seul!

Je ne sais comment dire cela, comment me faire comprendre. Tu as pitié de moi, et tu me mépriseras, tant mon état d'esprit est misérable.

Je ne veux plus être seul, la nuit. Je veux sentir un être près de moi, contre moi, un être qui peut parler, dire quelque chose, n'importe quoi.

Je veux pouvoir briser son sommeil; lui poser une question quelconque brusquement, une question stupide pour entendre une voix, pour sentir habitée ma demeure, pour sentir une âme en éveil, un raisonnement en travail, pour voir, allumant brusquement ma bougie, une figure humaine à mon côté… parce que… (je n'ose pas avouer cette honte)… parce que j'ai peur, tout seul.

Oh! tu ne me comprends pas encore.

Je n'ai pas peur d'un danger. Un homme entrerait, je le tuerais sans frissonner. Je n'ai pas peur des morts; je crois à l'anéantissement définitif de chaque être qui disparaît!

Alors!.. oui. Alors!.. Eh bien! j'ai peur de moi! j'ai peur de la peur; peur des spasmes de mon esprit qui s'affole, peur de cette horrible sensation de la terreur incompréhensible.

Ris si tu veux. Cela est affreux, inguérissable. J'ai peur des murs, des meubles, des objets familiers qui s'animent, pour moi, d'une sorte de vie animale. J'ai peur surtout du trouble horrible de ma pensée, de ma raison qui m'échappe brouillée, dispersée par une mystérieuse et invisible angoisse.

Je sens d'abord une vague inquiétude qui me passe dans l'âme et me fait courir un frisson sur la peau. Je regarde autour de moi. Rien! Et je voudrais quelque chose! Quoi? Quelque chose de compréhensible. Puisque j'ai peur uniquement parce que je ne comprends pas ma peur.

Je parle! j'ai peur de ma voix. Je marche! j'ai peur de l'inconnu de derrière la porte, de derrière le rideau, de dans l'armoire, de sous le lit. Et pourtant je sais qu'il n'y a rien nulle part.

Je me retourne brusquement parce que j'ai peur de ce qui est derrière moi, bien qu'il n'y ait rien et que je le sache.

Je m'agite, je sens mon effarement grandir; et je m'enferme dans ma chambre; et je m'enfonce dans mon lit, et je me cache sous mes draps; et blotti, roulé comme une boule, je ferme les yeux désespérément, et je demeure ainsi pendant un temps infini avec cette pensée que ma bougie demeure allumée sur ma table de nuit et qu'il faudrait pourtant l'éteindre. Et je n'ose pas.

N'est-ce pas affreux d'être ainsi!

Autrefois je n'éprouvais rien de cela. Je rentrais tranquillement. J'allais et je venais en mon logis sans que rien troublât la sérénité de mon âme. Si l'on m'avait dit quelle maladie de peur invraisemblable, stupide et terrible, devait me saisir un jour, j'aurais bien ri; j'ouvrais les portes dans l'ombre avec assurance; je me couchais lentement, sans pousser les verrous, et je ne me relevais jamais au milieu des nuits pour m'assurer que toutes les issues de ma chambre étaient fortement closes.

Cela a commencé l'an dernier d'une singulière façon.

C'était en automne, par un soir humide. Quand ma bonne fut partie, après mon dîner, je me demandai ce que j'allais faire. Je marchai quelque temps à travers ma chambre. Je me sentais las, accablé sans raison, incapable de travailler, sans force même pour lire. Une pluie fine mouillait les vitres; j'étais triste, tout pénétré par une de ces tristesses sans causes qui vous donnent envie de pleurer, qui vous font désirer de parler à n'importe qui pour secouer la lourdeur de notre pensée.

Je me sentais seul. Mon logis me paraissait vide comme il n'avait jamais été. Une solitude infinie et navrante m'entourait. Que faire? Je m'assis. Alors une impatience nerveuse me courut dans les jambes. Je me relevai, et je me remis à marcher. J'avais peut-être aussi un peu de fièvre, car mes mains, que je tenais rejointes derrière mon dos, comme on fait souvent quand on se promène avec lenteur, se brûlaient l'une à l'autre, et je le remarquai. Puis soudain un frisson de froid me courut dans le dos. Je pensai que l'humidité du dehors entrait chez moi, et l'idée de faire du feu me vint. J'en allumai; c'était la première fois de l'année. Et je m'assis de nouveau en regardant la flamme. Mais bientôt l'impossibilité de rester en place me fit encore me relever, et je sentis qu'il fallait m'en aller, me secouer, trouver un ami.

Je sortis. J'allai chez trois camarades que je ne rencontrai pas; puis, je gagnai le boulevard, décidé à découvrir une personne de connaissance.

Il faisait triste partout. Les trottoirs trempés luisaient. Une tiédeur d'eau, une de ces tiédeurs qui vous glacent par frissons brusques, une tiédeur pesante de pluie impalpable accablait la rue, semblait lasser et obscurcir la flamme du gaz.

J'allais d'un pas mou, me répétant: «Je ne trouverai personne avec qui causer.»

J'inspectai plusieurs fois les cafés, depuis la Madeleine jusqu'au faubourg Poissonnière. Des gens tristes, assis devant des tables, semblaient n'avoir pas même la force de finir leurs consommations.

J'errai longtemps ainsi, et vers minuit, je me mis en route pour rentrer chez moi. J'étais fort calme, mais fort las. Mon concierge, qui se couche avant onze heures, m'ouvrit tout de suite, contrairement à son habitude; et je pensai: «Tiens, un autre locataire vient sans doute de remonter.»

Quand je sors de chez moi, je donne toujours à ma porte deux tours de clef. Je la trouvai simplement tirée, et cela me frappa. Je supposai qu'on m'avait monté des lettres dans la soirée.

J'entrai. Mon feu brûlait encore et éclairait même un peu l'appartement. Je pris une bougie pour aller l'allumer au foyer, lorsqu'en jetant les yeux devant moi, j'aperçus quelqu'un assis dans mon fauteuil, et qui se chauffait les pieds en me tournant le dos.

Je n'eus pas peur, oh! non, pas le moins du monde. Une supposition très vraisemblable me traversa l'esprit; celle qu'un de mes amis était venu pour me voir. La concierge, prévenue par moi à ma sortie, avait dit que j'allais rentrer, avait prêté sa clef. Et toutes les circonstances de mon retour, en une seconde, me revinrent à la pensée: le cordon tiré tout de suite, ma porte seulement poussée.

Mon ami, dont je ne voyais que les cheveux, s'était endormi devant mon feu en m'attendant, et je m'avançai pour le réveiller. Je le voyais parfaitement, un de ses bras pendant à droite; ses pieds étaient croisés l'un sur l'autre; sa tête, penchée un peu sur le côté gauche du fauteuil, indiquait bien le sommeil. Je me demandais: Qui est-ce? On y voyait peu d'ailleurs dans la pièce. J'avançai la main pour lui toucher l'épaule!..

Je rencontrai le bois du siège! Il n'y avait plus personne. Le fauteuil était vide!

Quel sursaut, miséricorde!

Je reculai d'abord comme si un danger terrible eût apparu devant moi.

Puis je me retournai, sentant quelqu'un derrière mon dos; puis, aussitôt, un impérieux besoin de revoir le fauteuil me fit pivoter encore une fois. Et je demeurai debout, haletant d'épouvante, tellement éperdu que je n'avais plus une pensée, prêt à tomber.

Mais je suis un homme de sang-froid, et tout de suite la raison me revint. Je songeai: «Je viens d'avoir une hallucination, voilà tout.» Et je réfléchis immédiatement sur ce phénomène. La pensée va vite dans ces moments-là.

J'avais eu une hallucination – c'était là un fait incontestable. Or, mon esprit était demeuré tout le temps lucide, fonctionnant régulièrement et logiquement. Il n'y avait donc aucun trouble du côté du cerveau. Les yeux seuls s'étaient trompés, avaient trompé ma pensée. Les yeux avaient eu une vision, une de ces visions qui font croire aux miracles les gens naïfs. C'était là un accident nerveux de l'appareil optique, rien de plus, un peu de congestion peut-être.

Et j'allumai ma bougie. Je m'aperçus, en me baissant vers le feu, que je tremblais, et je me relevai d'une secousse, comme si on m'eût touché par derrière.

Je n'étais point tranquille assurément.

Je fis quelques pas; je parlai haut. Je chantai à mi-voix quelques refrains.

Puis je fermai la porte de ma chambre à double tour, et je me sentis un peu rassuré. Personne ne pouvait entrer, au moins.

Je m'assis encore et je réfléchis longtemps à mon aventure; puis je me couchai, et je soufflai ma lumière.

Pendant quelques minutes, tout alla bien. Je restais sur le dos, assez paisiblement. Puis le besoin me vint de regarder dans ma chambre; et je me mis sur le côté.

Mon feu n'avait plus que deux ou trois tisons rouges qui éclairaient juste les pieds du fauteuil; et je crus revoir l'homme assis dessus.

J'enflammai une allumette d'un mouvement rapide. Je m'étais trompé, je ne voyais plus rien.

Je me levai, cependant, et j'allai cacher le fauteuil derrière mon lit.

Puis je refis l'obscurité et tâchai de m'endormir. Je n'avais pas perdu connaissance depuis plus de cinq minutes, quand j'aperçus en songe, et nettement comme dans la réalité, toute la scène de la soirée. Je me réveillai éperdûment, et, ayant éclairé mon logis, je demeurai assis dans mon lit, sans oser même essayer de redormir.

Deux fois cependant le sommeil m'envahit, malgré moi, pendant quelques secondes. Deux fois je revis la chose. Je me croyais devenu fou.

 

Quand le jour parut, je me sentis guéri et je sommeillai paisiblement jusqu'à midi.

C'était fini, bien fini. J'avais eu la fièvre, le cauchemar, que sais-je? J'avais été malade, enfin. Je me trouvai néanmoins fort bête.

Je fus très gai ce jour-là. Je dînai au cabaret; j'allai voir le spectacle, puis je me mis en chemin pour rentrer. Mais voilà qu'en approchant de ma maison une inquiétude étrange me saisit. J'avais peur de le revoir, lui. Non pas peur de lui, non pas peur de sa présence, à laquelle je ne croyais point, mais j'avais peur d'un trouble nouveau de mes yeux, peur de l'hallucination, peur de l'épouvante qui me saisirait.

Pendant plus d'une heure, j'errai de long en large sur le trottoir; puis je me trouvai trop imbécile à la fin et j'entrai. Je haletais tellement que je ne pouvais plus monter mon escalier. Je resta encore plus de dix minutes devant mon logement sur le palier, puis, brusquement, j'eus un élan de courage, un roidissement de volonté. J'enfonçai ma clef; je me précipitai en avant une bougie à la main, je poussai d'un coup de pied la porte entrebâillée de ma chambre et je jetai un regard effaré vers la cheminée. Je ne vis rien. – Ah!..

Quel soulagement! Quelle joie! Quelle délivrance! J'allais et je venais d'un air gaillard. Mais je ne me sentais pas rassuré; je me retournais par sursauts; l'ombre des coins m'inquiétait.

Je dormis mal, réveillé sans cesse par des bruits imaginaires. Mais je ne le vis pas. Non. C'était fini!

Depuis ce jour-là j'ai peur tout seul, la nuit. Je la sens là, près de moi, autour de moi, la vision. Elle ne m'est point apparue de nouveau. Oh non! Et qu'importe, d'ailleurs, puisque je n'y crois pas, puisque je sais que ce n'est rien!

Elle me gêne cependant parce que j'y pense sans cesse. – Une main pendait du côté droit, sa tête était penchée du côté gauche comme celle d'un homme qui dort… Allons, assez, nom de Dieu! je n'y veux plus songer!

Qu'est-ce que cette obsession, pourtant? Pourquoi cette persistance? Ses pieds étaient tout près du feu!

Il me hante, c'est fou, mais c'est ainsi. Qui, Il? Je sais bien qu'il n'existe pas, que ce n'est rien! Il n'existe que dans mon appréhension, que dans ma crainte, que dans mon angoisse! Allons, assez!..

Oui, mais j'ai beau me raisonner, me roidir, je ne peux plus rester seul chez moi, parce qu'il y est. Je ne le verrai plus, je le sais, il ne se montrera plus, c'est fini cela. Mais il y est tout de même, dans ma pensée. Il demeure invisible, cela n'empêche qu'il y soit. Il est derrière les portes, dans l'armoire fermée, sous le lit, dans tous les coins obscurs, dans toutes les ombres. Si je tourne la porte, si j'ouvre l'armoire, si je baisse ma lumière sous le lit, si j'éclaire les coins, les ombres, il n'y est plus; mais alors je le sens derrière moi. Je me retourne, certain cependant que je ne le verrai pas, que je ne le verrai plus. Il n'en est pas moins derrière moi, encore.

C'est stupide, mais c'est atroce. Que veux-tu? Je n'y peux rien.

Mais si nous étions deux chez moi, je sens, oui, je sens assurément qu'il n'y serait plus! Car il est là parce que je suis seul, uniquement parce que je suis seul!

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