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Boule de Suif

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La Bûche

Le salon était petit, tout enveloppé de teintures épaisses, et discrètement odorant. Dans une cheminée large, un grand feu flambait; tandis qu'une seule lampe posée sur le coin de la cheminée versait une lumière molle, ombrée par un abat-jour d'ancienne dentelle, sur les deux personnes qui causaient.

Elle, la maîtresse de la maison, une vieille à cheveux blancs, mais une de ces vieilles adorables dont la peau sans rides est lisse comme un fin papier et parfumée, tout imprégnée de parfums, pénétrée jusqu'à la chair vive par les essences fines dont elle se baigne, depuis si longtemps, l'épiderme: une vieille qui sent, quand on lui baise la main, l'odeur légère qui vous saute à l'odorat lorsqu'on ouvre une boîte de poudre d'iris florentine.

Lui était un ami d'autrefois, resté garçon, un ami de toutes les semaines, un compagnon de voyage dans l'existence. Rien de plus d'ailleurs.

Ils avaient cessé de causer depuis une minute environ, et tous deux regardaient le feu, rêvant à n'importe quoi, en l'un de ces silences amis des gens qui n'ont point besoin de parler toujours pour se plaire l'un près de l'autre.

Et soudain une grosse bûche, une souche hérissée de racines enflammées, croula. Elle bondit par-dessus les chenets, et, lancée dans le salon, roula sur le tapis en jetant des éclats de feu tout autour d'elle.

La vieille femme, avec un petit cri, se dressa comme pour fuir, tandis que lui, à coup de botte, rejetait dans la cheminée l'énorme charbon et ratissait de sa semelle toutes les éclaboussures ardentes répandues autour.

Quand le désastre fut réparé, une forte odeur de roussi se répandit; et l'homme se rasseyant en face de son amie, la regarda en souriant: «Et voilà, dit-il en montrant la bûche replacée dans l'âtre, voilà pourquoi je ne me suis jamais marié.»

Elle le considéra, tout étonnée, avec cet oeil curieux des femmes qui veulent savoir, cet oeil des femmes qui ne sont plus toutes jeunes, où la curiosité est réfléchie, compliquée, souvent malicieuse; et elle demanda: «Comment ça?»

Il reprit: «Oh! c'est toute une histoire, une assez triste et vilaine histoire.

Mes anciens camarades se sont souvent étonnés du froid survenu tout à coup entre un de mes meilleurs amis qui s'appelait, de son petit nom, Julien, et moi. Ils ne comprenaient point comment deux intimes, deux inséparables comme nous étions, avaient pu tout à coup devenir presque étrangers l'un à l'autre. Or, voici le secret de notre éloignement.

Lui et moi, nous habitions ensemble, autrefois. Nous ne nous quittions jamais; et l'amitié qui nous liait semblait si forte que rien n'aurait pu la briser.

Un soir, en rentrant, il m'annonça son mariage.

Je reçus un coup dans la poitrine, comme s'il m'avait volé ou trahi. Quand un ami se marie, c'est fini, bien fini. L'affection jalouse d'une femme, cette affection ombrageuse, inquiète et charnelle, ne tolère point l'attachement vigoureux et franc, cet attachement d'esprit, de coeur et de confiance qui existe entre deux hommes.

Voyez-vous, madame, quel que soit l'amour qui les soude l'un à l'autre, l'homme et la femme sont toujours étrangers d'âme, d'intelligence; ils restent deux belligérants; ils sont d'une race différente; il faut qu'il y ait toujours un dompteur et un dompté, un maître et un esclave; tantôt l'un, tantôt l'autre; ils ne sont jamais deux égaux. Ils s'étreignent les mains, leurs mains frissonnantes d'ardeur; ils ne se les serrent jamais d'une large et forte pression loyale, de cette pression qui semble ouvrir les coeurs, les mettre à nu, dans un élan de sincère et forte et virile affection. Les sages, au lieu de se marier et de procréer, comme consolation pour les vieux jours, des enfants qui les abandonneront, devraient chercher un bon et solide ami, et vieillir avec lui dans cette communion de pensées qui ne peut exister qu'entre deux hommes.

Enfin mon ami Julien se maria. Elle était jolie, sa femme, charmante, une petite blonde frisottée, vive, potelée, qui semblait l'adorer.

D'abord, j'allais peu dans la maison, craignant de gêner leur tendresse, me sentant de trop entre eux. Ils semblaient pourtant m'attirer, m'appeler sans cesse, et m'aimer.

Peu à peu je me laissai séduire par le charme doux de cette vie commune; et je dînais souvent chez eux; et souvent, rentré chez moi la nuit, je songeais à faire comme lui, à prendre une femme, trouvant bien triste à présent ma maison vide.

Eux, paraissaient se chérir, ne se quittaient point. Or, un soir, Julien m'écrivit de venir dîner. J'y allai. «Mon bon, dit-il, il va falloir que je m'absente, en sortant de table, pour une affaire. Je ne serai pas de retour avant onze heures; mais à onze heures précises, je rentrerai. J'ai compté sur toi pour tenir compagnie à Berthe.»

La jeune femme sourit: «C'est moi, d'ailleurs, qui ai eu l'idée de vous envoyer chercher», reprit-elle.

Je lui serrai la main: «Vous êtes gentille comme tout.» Et je sentis sur mes doigts une amicale et longue pression. Je n'y pris pas garde. On se mit à table; et, dès huit heures, Julien nous quittait.

Aussitôt qu'il fut parti, une sorte de gêne singulière naquit brusquement entre sa femme et moi. Nous ne nous étions encore jamais trouvés seuls, et, malgré notre intimité grandissant chaque jour, le tête-à-tête nous plaçait dans une situation nouvelle. Je parlai d'abord de choses vagues, de ces choses insignifiantes dont on emplit les silences embarrassants. Elle ne répondit rien et restait en face de moi, de l'autre côté de la cheminée, la tête baissée, le regard indécis, un pied tendu vers la flamme, comme perdue en une difficile méditation. Quand je fus à sec d'idées banales, je me tus. C'est étonnant comme il est difficile quelquefois de trouver des choses à dire. Et puis, je sentais du nouveau dans l'air, je sentais de l'invisible, un je ne sais quoi impossible à exprimer, cet avertissement mystérieux qui vous prévient des intentions secrètes, bonnes ou mauvaises, d'une autre personne à votre égard.

Ce pénible silence dura quelque temps. Puis Berthe me dit: «Mettez donc une bûche au feu, mon ami, vous voyez bien qu'il va s'éteindre.» J'ouvris le coffre à bois, placé juste comme le vôtre, et je pris une bûche, la plus grosse bûche, que je plaçai en pyramide sur les autres morceaux aux trois quarts consumés.

Et le silence recommença.

Au bout de quelques minutes, la bûche flambait de telle façon qu'elle nous grillait la figure. La jeune femme releva sur moi ses yeux, des yeux qui me parurent étranges. «Il fait trop chaud, maintenant, dit-elle; allons donc là-bas, sur le canapé.» Et nous voilà partis sur le canapé. Puis tout à coup, me regardant bien en face: «Qu'est-ce que vous feriez si une femme vous disait qu'elle vous aime?»

Je répondis, fort interloqué: «Ma foi, le cas n'est pas prévu, et puis, ça dépendrait de la femme.»

Alors, elle se mit à rire, d'un rire sec, nerveux, frémissant, un de ces rires faux qui semblent devoir casser les verres fins, et elle ajouta:

«Les hommes ne sont jamais audacieux ni malins.»

Elle se tut, puis reprit:

«Avez-vous quelquefois été amoureux, monsieur Paul?»

Je l'avouai, oui, j'avais été amoureux.

«Racontez-moi ça,» dit-elle.

Je lui racontai une histoire quelconque. Elle m'écoutait attentivement, avec des marques fréquentes d'improbation et de mépris; et soudain: «Non, vous n'y entendez rien. Pour que l'amour fût bon, il faudrait, il me semble, qu'il bouleversât le coeur, tordît les nerfs et ravageât la tête; il faudrait qu'il fût – comment dirai-je? – dangereux, terrible même, presque criminel, presque sacrilège, qu'il fût une sorte de trahison; je veux dire qu'il a besoin de rompre des obstacles sacrés, des lois, des liens fraternels; quand l'amour est tranquille, facile, sans périls, légal, est-ce bien de l'amour?»

Je ne savais plus quoi répondre, et je jetais en moi-même cette exclamation philosophique: O cervelle féminine, te voilà bien!

Elle avait pris, en parlant, un petit air indifférent, sainte-nitouche; et, appuyée sur les coussins, elle s'était allongée, couchée, la tête contre mon épaule, la robe un peu relevée, laissant voir un bas de soie rouge que les éclats du foyer enflammaient par instants.

Au bout d'une minute: «Je vous fais peur», dit-elle. Je protestai. Elle s'appuya tout à fait contre ma poitrine et, sans me regarder: «Si je vous disais, moi, que je vous aime, que feriez-vous?» Et avant que j'eusse pu trouver ma réponse, ses bras avaient pris mon cou, avaient attiré brusquement ma tête, et ses lèvres joignaient les miennes. Ah! ma chère amie, je vous réponds que je ne m'amusais pas! Quoi! tromper Julien? devenir l'amant de cette petite folle perverse et rusée, effroyablement sensuelle sans doute, à qui son mari déjà ne suffisait plus! Trahir sans cesse, tromper toujours, jouer l'amour pour le seul attrait du fruit défendu, du danger bravé, de l'amitié trahie! Non, cela ne m'allait guère. Mais que faire? Imiter Joseph! rôle fort sot et, de plus, fort difficile, car elle était affolante en sa perfidie, cette fille, et enflammée d'audace, et palpitante et acharnée. Oh! que celui qui n'a jamais senti sur sa bouche le baiser profond d'une femme prête à se donner, me jette la première pierre …

… Enfin, une minute de plus … vous comprenez, n'est-ce pas? Une minute de plus et … j'étais … non, elle était … pardon, c'est lui qui l'était!.. ou plutôt qui l'aurait été, quand voilà qu'un bruit terrible nous fit bondir.

La bûche, oui, la bûche, madame, s'élançait dans le salon, renversant la pelle, le garde-feu, roulant comme un ouragan de flamme, incendiant le tapis et se gîtant sous un fauteuil qu'elle allait infailliblement flamber.

Je me précipitai comme un fou, et pendant que je repoussais dans la cheminée le tison sauveur, la porte brusquement s'ouvrit! Julien, tout joyeux, rentrait. Il s'écria: «Je suis libre, l'affaire est finie deux heures plus tôt!»

 

Oui, mon amie, sans la bûche, j'étais pincé en flagrant délit. Et vous apercevez d'ici les conséquences!

Or, je fis en sorte de n'être plus repris dans une situation pareille, jamais, jamais. Puis je m'aperçus que Julien me battait froid, comme on dit. Sa femme évidemment sapait notre amitié; et peu à peu il m'éloigna de chez lui; et nous avons cessé de nous voir. Je ne me suis point marié. Cela ne doit plus vous étonner.

Magnétisme

C'était à la fin d'un dîner d'hommes, à l'heure des interminables cigares et des incessants petits verres, dans la fumée et l'engourdissement chaud des digestions, dans le léger trouble des têtes après tant de viandes et de liqueurs absorbées et mêlées.

On vint à parler du magnétisme, des tours de Donato et des expériences du docteur Charcot. Soudain ces hommes sceptiques, aimables, indifférents à toute religion, se mirent à raconter des faits étranges, des histoires incroyables mais arrivées, affirmaient-ils, retombant brusquement en des croyances superstitieuses, se cramponnant à ce dernier reste de merveilleux, devenus dévots, à ce mystère du magnétisme, le défendant au nom de la science.

Un seul souriait, un vigoureux garçon, grand coureur de filles et chasseur de femmes, chez qui une incroyance à tout s'était ancrée si fortement qu'il n'admettait même point la discussion.

Il répétait en ricanant: «Des blagues! des blagues! des blagues! Nous ne discuterons pas Donato qui est tout simplement un très malin faiseur de tours. Quant à M. Charcot qu'on dit être un remarquable savant, il me fait l'effet de ces conteurs dans le genre d'Edgar Poe, qui finissent par devenir fous à force de réfléchir à d'étranges cas de folie. Il a constaté des phénomènes nerveux inexpliqués et encore inexplicables, il marche dans cet inconnu qu'on explore chaque jour, et ne pouvant toujours comprendre ce qu'il voit, il se souvient trop peut-être des explications ecclésiastiques des mystères. Et puis je voudrais l'entendre parler, ce serait tout autre chose que ce que vous répétez.»

Il y eut autour de l'incrédule une sorte de mouvement de pitié, comme s'il avait blasphémé dans une assemblée de moines.

Un de ces messieurs s'écria:

– Il y a eu pourtant des miracles autrefois.

Mais l'autre répondit:

– Je le nie. Pourquoi n'y en aurait-il plus?

Alors chacun apporta un fait, des pressentiments fantastiques, des communications d'âmes à travers de longs espaces, des influences secrètes d'un être sur un autre. Et on affirmait, on déclarait les faits indiscutables, tandis que le nieur acharné répétait: «Des blagues! des blagues! des blagues!»

A la fin il se leva, jeta son cigare, et les mains dans les poches: «Eh bien, moi aussi, je vais vous raconter deux histoires, et puis je vous les expliquerai. Les voici:

«Dans le petit village d'Étretat les hommes, tous matelots, vont chaque année au banc de Terre-Neuve pêcher la morue. Or, une nuit, l'enfant d'un de ces marins se réveilla en sursaut en criant que son «pé était mort à la mé». On calma le mioche qui se réveilla de nouveau en hurlant que son «pé était neyé». Un mois après on apprenait en effet la mort du père enlevé du pont par un coup de mer. La veuve se rappela les réveils de l'enfant. On cria au miracle, tout le monde s'émut; on rapprocha les dates; et il se trouva que l'accident et le rêve avaient coïncidé à peu près; d'où l'on conclut qu'ils étaient arrivés la même nuit, à la même heure. Et voilà un mystère du magnétisme.»

Le conteur s'interrompit. Alors un des auditeurs fort ému demanda: – Et vous expliquez ça, vous?

– Parfaitement, Monsieur, j'ai trouvé le secret. Le fait m'avait surpris et même vivement embarrassé; mais moi, voyez-vous, je ne crois pas par principe. De même que d'autres commencent par croire, je commence par douter; et quand je ne comprends nullement, je continue à nier toute communication télépathique des âmes, sûr que ma pénétration seule est suffisante. Eh bien, j'ai cherché, cherché, et j'ai fini, à force d'interroger toutes les femmes des matelots absents, par me convaincre qu'il ne se passait pas huit jours sans que l'une d'elles ou l'un des enfants rêvât et annonçât à son réveil que le «pé était mort à la mé». La crainte horrible et constante de cet accident fait qu'ils en parlent toujours, y pensent sans cesse. Or, si une de ces fréquentes prédictions coïncide, par un hasard très simple, avec une mort, on crie aussitôt au miracle, car on oublie soudain tous les autres songes, tous les autres présages, toutes les autres prophéties de malheur, demeurés sans confirmation. J'en ai pour ma part considéré plus de cinquante dont les auteurs, huit jours plus tard, ne se souvenaient même plus. Mais si l'homme, en effet, était mort, la mémoire se serait immédiatement réveillée, et l'on aurait célébré l'intervention de Dieu selon les uns, du magnétisme selon les autres.

Un des fumeurs déclara:

– C'est assez juste, ce que vous dites là, mais voyons votre seconde histoire?

– Oh! ma seconde histoire est fort délicate à raconter. C'est à moi qu'elle est arrivée, aussi je me défie un rien de ma propre appréciation. On n'est jamais équitablement juge et partie. Enfin la voici:

«J'avais dans mes relations mondaines une jeune femme à laquelle je ne songeais nullement, que je n'avais même jamais regardée attentivement, jamais remarquée, comme on dit.

«Je la classais parmi les insignifiantes, bien qu'elle ne fût pas laide; enfin elle me semblait avoir des yeux, un nez, une bouche, des cheveux quelconques, toute une physionomie terne; c'était un de ces êtres sur qui la pensée ne semble se poser que par hasard, ne se pouvoir arrêter, sur qui le désir ne s'abat point.

«Or, un soir, que j'écrivais des lettres au coin de mon feu avant de me mettre au lit, j'ai senti au milieu de ce dévergondage d'idées, de cette procession d'images qui vous effleurent le cerveau quand on reste quelques minutes rêvassant, la plume en l'air, une sorte de petit souffle qui me passait dans l'esprit, un tout léger frisson du coeur, et immédiatement, sans raison, sans aucun enchaînement de pensées logique, j'ai vu distinctement, vu comme si je la touchais, vu des pieds à la tête, et sans voile, cette jeune femme à qui je n'avais jamais songé plus de trois secondes de suite, le temps que son nom me traversât la tête. Et soudain je lui découvris un tas de qualités que je n'avais point observées, un charme doux, un attrait langoureux; elle éveilla chez moi cette sorte d'inquiétude d'amour qui vous met à la poursuite d'une femme. Mais je n'y pensai pas longtemps. Je me couchai, je m'endormis. Et je rêvai.

«Vous avez tous fait de ces rêves singuliers, n'est-ce pas, qui vous rendent maîtres de l'impossible, qui vous ouvrent des portes infranchissables, des joies inespérées, des bras impénétrables?

«Qui de nous dans ces sommeils troublés, nerveux, haletants, n'a tenu, étreint, pétri, possédé avec une acuité de sensation extraordinaire, celle dont son esprit était occupé? Et avez-vous remarqué quelles surhumaines délices apportent ces bonnes fortunes du rêve! En quelles ivresses folles elles vous jettent, de quels spasmes fougueux elles vous secouent, et quelle tendresse infinie, caressante, pénétrante, elles vous enfoncent au coeur pour celle qu'on tient défaillante et chaude, en cette illusion adorable et brutale, qui semble une réalité.

«Tout cela, je l'ai ressenti avec une inoubliable violence. Cette femme fut à moi, tellement à moi que la tiède douceur de sa peau me restait aux doigts, l'odeur de sa peau me restait au cerveau, le goût de ses baisers me restait aux lèvres, le son de sa voix me restait aux oreilles, le cercle de son étreinte autour des reins, et le charme ardent de sa tendresse en toute ma personne, longtemps après mon réveil exquis et décevant.

«Et trois fois en cette même nuit, le songe se renouvela.

«Le jour venu, elle m'obsédait, me possédait, me hantait la tête et les sens, à un tel point que je ne restais plus une seconde sans penser à elle.

«A la fin, ne sachant que faire, je m'habillai et je l'allai voir. Dans son escalier j'étais ému à trembler, mon coeur battait, un désir véhément m'envahissait des pieds aux cheveux.

«J'entrai. Elle se leva toute droite en entendant prononcer mon nom; et soudain nos yeux se croisèrent avec une surprenante fixité. Je m'assis.

«Je balbutiai quelques banalités qu'elle ne semblait point écouter. Je ne savais que dire ni que faire; alors brusquement je me jetai sur elle, la saisissant à pleins bras; et tout mon rêve s'accomplit si vite, si facilement, si follement, que je doutai soudain d'être éveillé … Elle fut pendant deux ans ma maîtresse …»

– Qu'en concluez-vous? dit une voix.

Le conteur semblait hésiter.

– J'en conclus … je conclus à une coïncidence, parbleu! Et puis, qui sait? C'est peut-être un regard d'elle que je n'avais point remarqué et qui m'est revenu ce soir-là par un de ces mystérieux et inconscients rappels de mémoire qui nous représente souvent des choses négligées par notre conscience, passées inaperçues devant notre intelligence!

– Tout ce que vous voudrez, conclut un convive, mais si vous ne croyez pas au magnétisme après cela, vous êtes un ingrat mon cher monsieur!

Divorce

Maître Bontran, le célèbre avocat parisien, celui qui depuis dix ans plaide et obtient toutes les séparations entre époux mal assortis, ouvrit la porte de son cabinet et s'effaça pour laisser passer le nouveau client.

C'était un gros homme ventru, sanguin et vigoureux. Il salua:

– Prenez un siège, dit l'avocat

Le client s'assit et après avoir toussé:

– Je viens vous demander, monsieur, de plaider pour moi dans une affaire de divorce.

– Parlez, monsieur, je vous écoute.

– Monsieur, je suis un ancien notaire.

– Déjà!

– Oui, déjà. J'ai trente-sept ans.

– Continuez.

– Monsieur, j'ai fait un mariage malheureux, très malheureux.

– Vous n'êtes pas le seul.

– Je le sais et je plains les autres; mais mon cas est tout à fait spécial et mes griefs contre ma femme d'une nature très particulière. Mais je commence par le commencement. Je me suis marié d'une façon très bizarre. Croyez-vous aux idées dangereuses?

– Qu'entendez-vous par là?

– Croyez-vous que certaines idées soient aussi dangereuses pour certains esprits que le poison pour le corps?

– Mais, oui, peut-être.

– Certainement. Il y a des idées qui entrent en nous, nous rongent, nous tuent, nous rendent fou, quand nous ne savons pas leur résister. C'est une sorte de phylloxera des âmes. Si nous avons le malheur de laisser une de ces pensées-là se glisser en nous, si nous ne nous apercevons pas dès le début qu'elle est une envahisseuse, une maîtresse, un tyran, qu'elle s'étend heure par heure, jour par jour, qu'elle revient sans cesse, s'installe, chasse toutes nos préoccupations ordinaires, absorbe toute notre attention, change l'optique de notre jugement, nous sommes perdus.

Voici donc ce qui m'est arrivé, monsieur. Comme je vous l'ai dit, j'étais notaire à Rouen, et un peu gêné, non pas pauvre, mais pauvret, mais soucieux, forcé à une économie de tous les instants, obligé de limiter tous mes goûts, oui, tous! et c'est dur à mon âge.

Comme notaire, je lisais avec grand soin les annonces des quatrièmes pages des journaux, les offres et demandes, les petites correspondances, etc., etc.; et il m'était arrivé plusieurs fois, par ce moyen, de faire faire à quelques clients des mariages avantageux.

Un jour je tombe sur ceci:

«Demoiselle jolie, bien élevée, comme il faut, épouserait homme honorable et lui apporterait deux millions cinq cent mille francs bien nets. Rien des agences.»

Or, justement, ce jour-là, je dînais avec deux amis, un avoué et un filateur. Je ne sais comment la conversation vint à tomber sur les mariages, et je leur parlai, en riant, de la demoiselle aux deux millions cinq cent mille francs.

Le filateur dit: «Qu'est-ce que c'est que ces femmes-là?»

L'avoué plusieurs fois avait vu des mariages excellents conclus dans ces conditions, et il donna des détails; puis il ajouta, en se tournant vers moi:

« – Pourquoi diable ne vois-tu pas ça pour toi-même? Cristi, ça t'en enlèverait, des soucis, deux millions cinq cent mille francs.»

Nous nous mîmes à rire tous les trois, et on parla d'autre chose.

Une heure plus tard je rentre chez moi.

Il faisait froid cette nuit-là. J'habitais d'ailleurs une vieille maison, une de ces vieilles maisons de province, qui ressemblent à des champignonnières. En posant la main sur la rampe de fer de l'escalier, un frisson glacé m'entra dans le bras, et comme j'étendais l'autre pour trouver le mur, je sentis, en le rencontrant, un second frisson m'envahir, plus humide, celui-là, et ils se joignirent dans ma poitrine, m'emplirent d'angoisse, de tristesse et d'énervement. Et je murmurai, saisi par un brusque souvenir: «Sacristi, si je les avais, les deux millions cinq cent mille!»

 

Ma chambre était lugubre, une chambre de garçon rouennais faite par une bonne chargée aussi de la cuisine. Vous la voyez d'ici, cette chambre! un grand lit sans rideaux, une armoire, une commode, une toilette, pas de feu. Des habits sur les chaises, des papiers par terre. Je me mis à chantonner, sur un air de café-concert, car je fréquente quelquefois ces endroits-là:

Deux millions,

Deux millions

Sont bons

Avec cinq cent mille

Et femme gentille.

Au fait, je n'avais pas encore pensé à la femme et j'y songeai tout à coup en me glissant dans mon lit. J'y songeai même si bien que je fus longtemps à m'endormir.

Le lendemain, en ouvrant les yeux, avant le jour, je me rappelai que je devais me trouver à huit heures à Darnétal pour une affaire importante. Il fallait me lever à six heures – et il gelait. – Cristi de cristi, les deux millions cinq cent mille!

Je revins à mon étude vers dix heures. Il y avait là dedans une odeur de poêle rougi, de vieux papiers, l'odeur des papiers de procédure avancés – rien ne pue comme ça – et une odeur de clercs – bottes, redingotes, cheveux et peau, peau d'hiver peu lavée, le tout chauffée à dix-huit degrés.

Je déjeunai, comme tous les jours, d'une côtelette brûlée et d'un morceau de fromage. Puis je me remis au travail.

C'est alors que je pensai très sérieusement à la demoiselle aux deux millions cinq cent mille. Qui était-ce? Pourquoi ne pas écrire? Pourquoi ne pas savoir?

Enfin, monsieur, j'abrège. Pendant quinze jours cette idée me hanta, m'obséda, me tortura. Tous mes ennuis, toutes les petites misères dont je souffrais sans cesse, sans les noter jusque-là, presque sans m'en apercevoir, me piquaient à présent comme des coups d'aiguille, et chacune de ces petites souffrances me faisait songer aussitôt à la demoiselle aux deux millions cinq cent mille.

Je finis par imaginer toute son histoire. Quand on désire une chose, monsieur, on se la figure telle qu'on l'espère.

Certes, il n'était pas naturel qu'une jeune fille de bonne famille, dotée d'une façon aussi convenable, cherchât un mari par la voie des journaux. Cependant, il se pouvait faire que cette fille fût honorable et malheureuse.

D'abord, cette fortune de deux millions cinq cent mille francs ne m'avait pas ébloui comme une chose féerique. Nous sommes habitués, nous autres qui lisons toutes les offres de cette nature, à des propositions de mariage accompagnées de six, huit, dix ou même douze millions. Le chiffre de douze millions est même assez commun. Il plaît. Je sais bien que nous ne croyons guère à la réalité de ces promesses. Elles nous font cependant entrer dans l'esprit ces nombres fantastiques, rendent vraisemblables, jusqu'à un certain point, pour notre crédulité inattentive, les sommes prodigieuses qu'ils représentent et nous disposent à considérer une dot de deux millions cinq cent mille francs comme très possible, très morale.

Donc, une jeune fille, enfant naturelle d'un parvenu et d'une femme de chambre, ayant hérité brusquement de son père, avait appris du même coup la tache de sa naissance, et pour ne pas avoir à la dévoiler à quelque homme qui l'aurait aimée, faisait appel aux inconnus par un moyen fort usité qui comportait en lui-même une sorte d'aveu de tare originelle.

Ma supposition était stupide. Je m'y attachai cependant. Nous autres, notaires, nous ne devrions jamais lire des romans; et j'en ai lu, monsieur.

Donc j'écrivis, comme notaire, au nom d'un client, et j'attendis.

Cinq jours plus tard, vers trois heures de l'après-midi, j'étais en train de travailler dans mon cabinet, quand le maître clerc m'annonça:

– Mlle Chantefrise.

– Faites entrer.

Alors apparut une femme d'environ trente ans, un peu forte, brune, l'air embarrassée.

– Asseyez-vous, mademoiselle.

Elle s'assit et murmura:

– C'est moi, monsieur.

– Mais, mademoiselle, je n'ai pas l'honneur de vous connaître.

– La personne à qui vous avez écrit.

– Pour un mariage?

– Oui, monsieur.

– Ah! très bien!

– Je suis venue moi-même, parce qu'on fait mieux les choses en personne.

– Je suis de votre avis, mademoiselle. Donc vous désirez vous marier?

– Oui, monsieur.

– Vous avez de la famille?

Elle hésita, baissa les yeux et balbutia:

– Non, monsieur … Ma mère … et mon père … sont morts.

Je tressaillis. – Donc j'avais deviné juste, – et une vive sympathie s'éveilla brusquement dans mon coeur pour cette pauvre créature. Je n'insistai pas pour ménager sa sensibilité, et je repris:

– Votre fortune est bien nette?

Elle répondit, cette fois, sans hésiter:

– Oh! oui, monsieur.

Je la regardais avec grande attention, et, vraiment, elle ne me déplaisait pas, bien qu'un peu mûre, plus mûre que je n'avais pensé. C'était une belle personne, une forte personne, une maîtresse femme. Et l'idée me vint de lui jouer une jolie petite comédie de sentiment, de devenir amoureux d'elle, de supplanter mon client imaginaire, quand je me serais assuré que la dot n'était pas illusoire. Je lui parlai de ce client que je dépeignis comme un homme triste, très honorable, un peu malade.

Elle dit vivement: – Oh! monsieur, j'aime les gens bien portants.

– Vous le verrez, d'ailleurs, mademoiselle, mais pas avant trois ou quatre jours, car il est parti hier pour l'Angleterre.

– Oh! que c'est ennuyeux, dit-elle.

– Mon Dieu! oui ou non. Êtes-vous pressée de retourner chez vous?

– Pas du tout.

– Eh bien, restez ici. Je m'efforcerai de vous faire passer le temps.

– Vous êtes trop aimable, monsieur.

– Vous êtes descendue à l'hôtel?

Elle nomma le premier hôtel de Rouen.

– Eh bien, mademoiselle, voulez-vous permettre à votre futur … notaire de vous offrir à dîner, ce soir.

Elle parut hésiter, inquiète, indécise; puis elle se décida:

– Oui, monsieur.

– Je vous prendrai chez vous à sept heures.

– Oui, monsieur.

– Alors, à ce soir, mademoiselle?

– Oui, monsieur.

Et je la reconduisis jusqu'à ma porte.

A sept heures, j'étais chez elle. Elle avait fait des frais de toilette pour moi et me reçut d'une façon très coquette.

Je l'emmenai dîner dans un restaurant où j'étais connu, et je commandai un menu troublant.

Une heure plus tard, nous étions très amis, et elle me contait son histoire. Fille d'une grande dame séduite par un gentilhomme, elle avait été élevée chez des paysans. Elle était riche à présent, ayant hérité de grosses sommes de son père et de sa mère, dont elle ne dirait jamais les noms, jamais. Il était inutile de les lui demander, inutile de la supplier, elle ne le dirait pas. Comme je tenais peu à les savoir, je l'interrogeai sur sa fortune. Elle en parla aussitôt en femme pratique, sûre d'elle, sûre des chiffres, des titres, des revenus, des intérêts et des placements. Sa compétence en cette matière me donna aussitôt une grande confiance en elle, et je devins galant, avec réserve cependant; mais je lui montrai clairement que j'avais du goût pour elle.

Elle marivauda, non sans grâce. Je lui offris du champagne, et j'en bus, ce qui me troubla les idées. Je sentis alors clairement que j'allais devenir entreprenant, et j'eus peur, peur de moi, peur d'elle, peur qu'elle ne fût aussi un peu émue et qu'elle ne succombât. Pour me calmer, je recommençai à lui parler de sa dot, qu'il faudrait établir d'une façon précise, car mon client était homme d'affaires.

Elle répondit avec gaieté: – Oh! je sais. J'ai apporté toutes les preuves.

– Ici, à Rouen?

– Oui, à Rouen.

– Vous les avez à l'hôtel?

– Mais oui.

– Pouvez-vous me les montrer?

– Mais oui.

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