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Nos femmes de lettres

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Car votre chair n'était qu'une fugace rose,
Et si, quand vous pliiez sous l'amour exigeant,
Vous sentiez tristement s'émietter vos argiles,
Vous saviez bien que l'Homme est solide et changeant,
Vous saviez bien qu'avec les fleurs longtemps écloses,
Et les jours longtemps clairs qui sombrent dans le soir,
Qu'avec l'automne vient la douleur de déchoir,
Et que la Femme est brève entre toutes les choses!
Belles, belles, plutôt pleurer sur votre mort
Que de voir s'effeuiller vos quarantaines pâles,
Lorsqu'arrachant le sceptre à vos mains triomphales,
La vieillesse vous prend à la gorge et vous tord.
Ah! comment assister alors cette détresse,
Qui fait trembler vos cœurs et vos pauvres genoux?
Quel geste hospitalier, quels mots sages et doux
Répareraient la vie et sa scélératesse?
 

Merveilleuse puissance de l'émotion vécue, ou sinon vécue, recréée par une imagination sympathique correspondante! Autre part3 nous l'avons exprimée cette vérité d'âme, comme le plus cher article de notre credo littéraire, et avec une rigueur qui nous fut reprochée: «Savoir n'est rien… Sentir est tout!» puisque l'émotion, c'est justement l'étincelle qui fait jaillir la lumière dans l'âme du poète. Il est pourtant une restriction qu'il lui faut apporter, sans quoi elle ne rendrait qu'un compte insuffisant de la réalité. Elle demeure toujours exacte en effet, elle enferme une part de vérité profonde, la réplique de M. Maurice Barrès à l'objection de M. Paul Bourget: «L'écrivain Dorsenne n'avait pas beaucoup de cœur…» – «Qu'importe, s'il avait de l'imagination!» – Entendez par là que le pouvoir de se représenter des états d'âme, de les raviver dans l'ordre où la Nature les suscita chez nos semblables, peut suppléer à telle lacune de sensibilité individuelle que le poète manifeste dans la vie journalière. Qu'il y ait correspondance entre la vie vécue et l'art créé, c'est alors un rythme magnifique, donnant satisfaction à l'Idéal que nous portons en nous. Mais ce n'est pas là une nécessité rigoureuse pour la production. Tout à l'heure nous observions la grâce de tel tableau. Ici, c'est l'émotion intime qui suscite la qualité de l'accent.

Jusqu'alors nous ne connaissions qu'une incarnation de notre auteur. Voici maintenant qu'une seconde fait suite à la première… et le nom qui se dédouble en s'allongeant nous en devient le transparent symbole: Lucie Delarue-Mardrus s'est substituée à Lucie Delarue. – «Un jour, en effet, observe notre confrère Charles Maurras, le poète de l'Occident épousa ce fils du soleil, le docteur Mardrus, né au Caire d'une famille orientale.» Belle union, vraiment faite pour rajeunir le sang des races… que ne l'imite-t-on plus souvent dans l'ordinaire de la vie, où nous voyons des enfants de frères unis par le mariage et voués à faire souche de dégénérés!.. Et, du point de vue poétique, le seul où nous devions l'envisager, expressive alliance qui poursuit ses immédiates conséquences dans la production de l'auteur! C'est la lumière de l'Orient qui pénètre et réchauffe les brumes septentrionales. Tout aussitôt, sous l'action de ces bienfaisants effluves, le poète s'efface et laisse la femme passer au premier plan: «Cette âme qui, dans la virginité d'hier, ainsi parla et chanta loin des paroles et des chants humains, je la dédie toute, avec ses poèmes, diversifiés selon une lente inspiration d'éclectique forme spontanée, à celui qui pour le futur l'a située dans la vie.»

Négligeons un instant ce qu'il y a d'un peu irritant, de légèrement artificiel et qui sent son auteur, dans la forme que revêt un tel don: le don en bloc d'une sensibilité féminine. Un écrivain de l'autre sexe, désireux de rendre témoignage à un amour dont il tiendrait le meilleur de son inspiration, sans doute y mettrait quelque réserve, quelque atténuation. Mais le propre de la Femme est de toujours pousser jusqu'à l'extrême: nous le constatons une fois de plus dans cette dédicace d'Occident. Ce sont les seules proses que nous possédions de Mme Lucie Delarue-Mardrus, du moins en volume: elles ne sauraient compter parmi le meilleur de son œuvre. Il n'en eut pas moins, ce don, des conséquences fort naturelles, conformes à l'ordre habituel des choses en général, aux exigences du tempérament féminin en particulier. Chaque jour ne nous montre-t-il pas ce spectacle assez banal: une jeune fille dont le vague cherche un sens à la vie, et qui soudain le découvre dans l'ardeur du premier baiser? Seulement voilà, sans doute rougirait-elle d'en faire l'aveu, et le récent éclat de son regard est pour nous son seul truchement.

C'est une sérieuse garantie de mystère pour la vie émotionnelle que de ne tenir sous sa main nul moyen d'expression… Quelle tentation en revanche, si l'on sait imprimer un rythme à sa pensée, de prétendre y plier chaque mouvement de la sensibilité! Mme Lucie Delarue-Mardrus ne néglige aucun thème favorable. Pourquoi prendrions-nous soin de disposer un voile, quand l'intéressée elle-même découvre avec une pareille franchise son âme réellement mise à nu? Car la jeune fille devenue femme ne nous l'envoie pas dire. Elle n'a pas craint de nous révéler les troubles de l'adolescence. Dans une très belle invocation qui porte ce titre: les Voix de la Mer, elle supplie la grande Divinité païenne de calmer ses ardeurs:

 
Ah! Chante, chante-moi tes rythmes violents!
Chasse tout ce qu'en moi je hais et j'abomine,
Ces rêves de baisers où l'âme s'effémine,
Ces tendresses qui font les esprits indolents!
Ah! cingle, frappe, mords de ta saine rudesse,
L'adulte chair qui songe à de la volupté,
Car je me veux pudique en ma virginité,
Moi, ta folle, orgueilleuse et sombre poétesse!..
 

Lorsqu'un auteur transpose sa propre sensibilité en un personnage de roman, on peut toujours hésiter à reconnaître, dans le héros imaginaire, un sosie de son âme, car sur l'ensemble des traits qu'il lui prêta, quelques-uns peuvent n'être pas à lui. Mais ici qu'avons-nous, sinon un aveu personnel, une confession directe, par où le poète prend à témoin son lecteur? A moins d'admettre qu'il y ait en cet aveu quelque artifice d'attitude, il nous faut bien reconnaître en cette jeune poétesse des exigences précises. Plus sûrement qu'Amphitrite, dans cette âme obstinément païenne, l'amour humain devait produire le résultat attendu. Elle a rencontré enfin celui qui sut parler à tout son être, et traduit son émotion avec ce beau sens de réalisme à peine transposé, qui est bien d'une Française, précisons mieux: d'une Normande. Oui, l'ardeur du soleil oriental a décidément pénétré les brumes du Nord. Avais-je pas raison de dire que nous trouverions dans les origines de la Femme tous les éléments de sincérité qui s'affirment chez le Poète.

Une minute seulement je la suppose Bretonne – hypothèse après tout qui n'a rien d'offensant. – De même qu'il n'est presque pas d'homme, un peu mécontent de son sort, qui ne se soit mille fois plu à s'imaginer une autre vie que celle dont il est redevable au destin, nous pouvons bien lui supposer d'autres origines, en reculant son lieu de naissance de quelques degrés vers l'ouest. Eût-elle, avec cette franchise dépouillée d'artifice, parlé d'amour, de son amour, et du même coup dévoilé le secret de ses premières initiations? Peut-être eût-elle ressenti des ardeurs aussi fortes, plus fortes, qui sait? car la femme bretonne brûle en dedans, si l'on en croit ceux qui nous parlèrent d'elle. Seulement une excessive pudeur l'empêche de trahir son secret. Elle le concentre en elle, elle en est ravagée, mais plutôt en mourir que dévoiler le mystère de ses troublantes émotions! On connaît l'affabulation de ce récit: Emma Kosilis, unique dans l'œuvre de Renan, qui par les nuances du détail créant la progression de l'intérêt, nous montre le merveilleux conteur qu'eût pu devenir, s'il s'en était mêlé, le savant exégète des origines; il nous marque aussi bien la psychologie amoureuse d'une Bretonne passionnée. Une jeune fille, Emma Kosilis, aime en secret un homme plus âgé qu'elle, qui n'a pas soupçonné ce tendre attachement. Celui-ci se marie, épouse une de ses amies précisément, et devient père d'une nombreuse famille. Sur ces entrefaites, Emma entre au couvent, se consacre à la vie religieuse, mais sans pouvoir arracher de son cœur l'image de celui qu'elle aime et continue de chérir par-dessus toutes choses. Elle se dessèche, elle se consume en silence, elle n'est plus bientôt que l'ombre d'elle-même. La destinée pourtant semble prendre pitié d'un si constant amour. Son inconsciente rivale meurt prématurément, et comme elle n'a pas prononcé de vœux éternels, comme d'ailleurs les relations d'autrefois autorisent ses visites, il lui est enfin permis, par sa seule attitude, de faire l'aveu d'un secret enfoui au fond du cœur depuis tant d'années. Emma épouse celui à qui l'unissait un si fidèle attachement: femme heureuse et mère comblée, elle voit, à l'automne de sa vie et dans une seconde jeunesse, s'épanouir à nouveau des charmes que la solitude avait flétris.

Banale histoire en apparence, pour qui ne tiendrait compte que de l'affabulation littérale, mais, par la flamme du sentiment qui l'anime, par le prestige du pinceau qui l'a fixé, vivant tableau de grâce, de pudeur contenue, d'ardeur couvant sous la cendre!.. Si j'ai voulu la rapporter ici, c'est qu'elle exprime toute l'âme bretonne, partant une conception de l'amour justement opposée à celle de notre auteur. Ici, rien qui ne soit voilé, secret, mystérieux. Là au contraire, tout est en plein jour, et, faut-il le dire? quelque peu indiscret. Combien de femmes, et même d'hommes, seront choqués de cette intimité soudain dévoilée! J'en sais à qui elle paraîtra intolérable et le contraire du véritable amour. Je n'y veux voir, pour ma part, que la sincérité d'une plume obéissant aux vives impulsions d'une amoureuse, laquelle, de tempérament réaliste, ne craint pas l'image physique et parfois même semble la chercher. Écoutez-la qui fait sa déclaration.

 
 
J'ouvrirai grands mes yeux d'abîme dans tes yeux,
Pour que leur regard noir reste dans ta pensée,
Ainsi qu'une clarté vive longtemps fixée
Inscrit dans notre vue un halo lumineux.
 
 
Je laisserai dormir ma tempe chevelue
Au creux de ton épaule offerte, lourdement,
Afin que son ampleur garde, éternellement,
La place qu'y creusa la tête de l'Élue!
 
 
Je chanterai pour toi la chanson de ma voix,
Dont ton âme chérit les rites et les prônes,
Afin que dans ton âme attentive elle trône,
De tous ses grelots d'or et de tous ses hautbois.
 
 
Je mettrai mon empreinte en toi, pour que tes paumes
Ne souhaitent plus rien que ma captation,
Pour que ton cœur, m'ayant en son ambition,
Se sente déborder de dieux et de royaumes.
 

Suprême élément de sincérité, voici donc la marque de l'amour. Et l'auteur ne marchande pas les termes où vient s'affirmer le sentiment de la femme. Elle déclare l'Empreinte. Si, comme poète, elle est sans doute plus chatouilleuse que de raison sur son originalité, comme femme, je la vois qui s'abandonne. Elle vérifie, en l'intervertissant dans la forme, mais se livrant avec délice dans le fait, la parole saisissante: «Ce que la femme entend par amour est assez clair: complet abandon de corps et d'âme. La Femme veut être prise, acceptée comme propriété. Elle veut se fondre dans l'idée de propriété. La Femme se donne, l'homme prend.»

Qu'entendait donc nous persuader le poète en Mme Lucie Delarue-Mardrus? Que l'empreinte venait d'elle… Mais la femme n'a-t-elle pas fait son aveu? Car, si le poète a composé les vers, n'est-ce pas l'amante qui rédigea la dédicace? C'est elle qui revendique l'empreinte, mais pour être mieux absorbée. Femme, doublement femme, elle aboutit aux conclusions de Nietzsche, bien qu'elle semble y contredire.

Il serait vraiment trop beau, il serait incompréhensible que chez une femme, si douée fût-elle, dès l'instant qu'elle tient une plume, nul accent d'artifice ne vînt se mêler aux voix de la sincérité. Chez Mme Lucie Delarue-Mardrus l'artifice apparaît chaque fois qu'elle échappe à la sensation directe et à sa notation réaliste. Alors elle ne sent plus par elle-même. Elle subordonne son émotion à la vision d'un maître et les influences se révèlent, disons mieux: elle se révèle à travers ces influences.

Qu'y a-t-il, que discernons-nous à l'origine de cette déformation? Tout uniment parti pris d'étonner, et, si l'on y veut réfléchir, rien de moins surprenant qu'une telle attitude. Elle songe qu'elle fut une petite fille, puis une fillette aux tresses pendantes, jeune bourgeoise qu'à travers la ville sa bonne accompagnait pour garder son innocence, et que ni des fillettes devenues grandes, ni des jeunes bourgeoises émancipées par le mariage, on n'attend pareille clairvoyance dans l'observation des réalités. Processus facile à reconstituer, celui qui chez la femme conduit au désir d'étonner; c'est simplement celui de la contradiction: – Ton sexe t'interdit de t'arrêter à tel détail… Attends un peu… on va bien voir! – De là au fait d'exagérer sa sensation, même de la créer artificiellement, pour en modeler l'expression sur l'exemple d'un maître, il n'y a qu'un pas, et c'est l'instinct d'imitation qui le lui fait franchir. Je note, comme tout à fait expressive à cet égard, dans la série des Femmes, cette pièce intitulée: Esclaves, qui serait un chef-d'œuvre si toutes les touches n'en rappelaient un trop illustre modèle:

 
Avec nos regards nus sur la réalité,
Que ne transfigura l'arc-en-ciel d'aucun prisme,
Nous regardons marcher votre morne héroïsme,
Grelottant en hiver et suant en été,
Vous, compagnes de ceux que mange la fabrique,
Vous, épouses qu'on bat, et vous, maigres catins,
Sans fards dont rehausser vos pauvres sens éteints,
Qu'assaille le désir brutal comme une trique…
Enceintes de misère, enceintes de laideur,
Vos flancs couvent l'horreur des races accroupies,
Qui vivront comme vous, loin de nos utopies,
L'esclavage éternel et muet du malheur.
 

Ici l'influence est transparente, et dans le ramassé de la forme elle accuse le pastiche. Nul qui n'y puisse reconnaître l'accent et jusqu'aux formules des plus célèbres morceaux des Fleurs du Mal, comme dans l'esprit qui dicta cette pièce, ce parti pris d'étonner, que Baudelaire lui-même théorisa, en le vantant comme un condiment de beauté. Désir d'étonner, où il trouvait une sorte de rajeunissement de la forme littéraire épuisée par l'âge, une ligne de démarcation entre les Anciens et les Modernes… nous l'avons vu chez lui proche de la mystification, et trop souvent ses ennemis le confondirent avec elle.

Nul pire artifice que celui qui fausse, en la contraignant, la spontanéité originelle d'une nature; car alors la volonté humaine joue le rôle du dresseur qui, par un entraînement méthodique, tend à susciter, chez un bel animal, une suite de réactions contraires à son instinct. Sans doute avec une longue persévérance, en s'y prenant dès le premier âge, on habitue les chats à passer dans des cerceaux. Mais alors c'est une question de savoir s'ils sont encore des chats et s'ils nous intéressent pour une raison proprement féline. N'est-ce pas plutôt curiosité qui nous retient un instant, parce qu'elle contredit la Nature, mais, pour des yeux d'artiste, ne vaudra jamais le bel élan spontané du fauve sur sa proie? Pareillement cette gentille Normande, en qui se réfléchissent si nettement les images de son pays, et qui trouve des accents émus pour exalter les souffrances de son sexe, n'est pas faite pour la courbure du cerceau métaphysique. Qu'elle chante son Carpe diem en le modernisant, tous les poètes l'ont fait qui s'absorbèrent dans la sensation. Mais y joindre sa profession de foi métaphysique, c'est fausser sa nature:

 
Les oiseaux alternés comme un chœur de pipeaux,
L'eau dans l'herbe, le ciel mat et bleu, le repos
Des bons après-midi qu'un peu d'ombre tamise,
T'apprendront qu'il n'est point d'autre terre promise
Que celle où ta jeunesse aimable sent sa chair
Encensée au contact des feuilles et de l'air.
 

La voilà bien, la pire attitude littéraire, celle de la leçon apprise qu'on applique au thème choisi. Peut-être viendra-t-on dire: Origines normandes… donc nature qui se rattache toute à la terre et radicalement dénuée d'Idéalisme. Il y aurait alors sincérité, au sens où l'entendait Carlyle. Mais pourquoi ne pas voir plutôt, dans cette profession de foi païenne, une acquisition de seconde main? hypothèse qui va se confirmer aisément.

De quelle étrange ardeur nous sont apparues et la vierge et l'amante chez notre auteur… nous l'avons vérifié dans les pièces d'autobiographie qu'enferment ces deux recueils: Ferveur, Occident. Voici pourtant que l'amante passionnée se replie sur elle-même et communie en Schopenhauer: elle éprouve le besoin de faire sa soumission au maître de Franckfort. Mme Lucie Delarue-Mardrus accepte l'amour, elle l'appelle… elle en vérifie les bienfaisants effets sur sa production littéraire. Mais elle en repousse les conséquences physiologiques, la Maternité. Danaé d'un nouveau genre, elle veut bien recevoir la pluie d'or, mais n'admet pas d'autre fécondation que celle du cerveau!

 
O toi, naissance, sœur jumelle de la Mort,
Race obscure, dans notre geste confinée,
Deviendrons-nous, en assistant ton sourd effort,
Complices du vouloir d'où sort la Destinée?
 
 
Je n'accepterai pas, en mon humanité
Animale, où l'esprit n'est point, ta magie noire;
Ton égoïste événement dans notre histoire,
Je le repousse avec toute ma charité.
 
 
Loin de moi donc le faix de ton œuvre incertaine,
Et que puisse la vie oublier l'œuf caché
Où couverait, ainsi qu'un monstrueux péché,
Dans mes flancs, malgré moi, l'horreur d'une âme humaine.
 

Ici la Femme de lettres l'emporte sur la Femme, pour l'absorber toute. N'est-ce pas qu'elle trouve prétexte à un beau cri, à un anathème littéraire? Prétendre enlever à la femme toute raison de vivre, quand l'heure fatale a marqué la dernière étape de la vie, c'est trop délibérément s'insurger contre des lois inéluctables et pourtant providentielles! Mais faut-il pas qu'en dernier ressort la Femme fasse retour à sa nature? Imprimer un accent poétique à la doctrine de Schopenhauer, et du même coup faire sa soumission à l'esthétique baudelairienne, c'est l'argument suprême en faveur de la plasticité féminine!

MADAME HENRI DE RÉGNIER

Combien diverses les destinées d'écrivains… aussi diverses que les physionomies humaines dont aucune ne reproduit exactement la voisine! J'ai connu pourtant deux frères jumeaux qui se ressemblaient à tel point que leurs parents eux-mêmes n'arrivaient pas à les distinguer. Quand ils furent mariés l'un et l'autre, pour que leur femme ne s'y pût tromper – ce qui aurait eu plus de conséquence – chacun portait une cravate de couleur déterminée. Vainement, chercherait-on, dans l'ordre intellectuel, des similitudes aussi marquées: les catégories y sont mieux délimitées. Chez certains, le don d'écrire est un fait naturel, spontané, s'épanouissant ainsi qu'une fleur sur sa tige. Chez d'autres, il apparaît comme un phénomène plus complexe, qui se rattache à l'instinct d'imitation sommeillant chez tout être, en vertu duquel chacun de nous tend à répéter les gestes qu'il voit accomplir autour de lui.

Mme Henri de Régnier (Gérard d'Ouville) fait partie d'une puissante association, merveilleusement agencée pour le succès de ses adhérents… la plus active, la plus énergique qui fut jamais, et – détail unique, je crois, dans la vie littéraire – se restreignant toute aux membres d'une même famille. Qui donc prétend que se relâchent les liens d'autrefois? L'esprit de famille sur lequel s'attendrissaient nos mères, qu'elles proposaient à notre culte, avec raison d'ailleurs, comme la première garantie d'ordre social, est demeuré intact, mieux qu'intact… actif, vigilant, entre les membres de cette collectivité sans précédent. Qu'êtes-vous devenue, antique conception de l'homme de lettres, sur laquelle précisément vivaient nos mères, et qui leur faisait si peur, synonyme de relâchement, de dissipation, de bohémianisme, pour laquelle on eût pu créer ce mot de Murgérisme! Quelques années après les dates héroïques du Romantisme, ayant une fois pour toutes dépouillé le gilet rouge d'Hernani, et quand il n'était plus qu'un fournisseur désenchanté de feuilletons dramatiques, Théophile Gautier observe, en sa préface aux Fleurs du Mal, qu'une seule fois dans l'Histoire on vit un père et une mère d'accord pour préparer leur fils à la vie littéraire, et ce fils était… Chapelain, le futur auteur de la Pucelle: cinglante ironie du sort, qui n'en fait jamais d'autres.

Mais la date des Fleurs du Mal est déjà loin de nous. Nous nous formons aujourd'hui et transmettons à nos enfants une tout autre idée de la vie littéraire. Car en vérité je ne distingue ici qu'ordre et méthode, entente tacite pour organiser des carrières, et ce je ne sais quoi d'un peu administratif par où l'on prépare les beaux avancements dans la magistrature. N'est-ce pas un signe des temps que les artistes aient pris à leur compte quelques-uns des préjugés qu'ils ridiculisaient chez nos pères? A une heure où tous les Bourgeois se piquent d'être artistes, il est naturel que les artistes fassent échange de politesse avec eux. On ne saurait pousser plus avant que dans cette famille littéraire l'esprit de solidarité. Comment en tout cas demeurer indifférents à la précision des causes qui préparent la formation d'un talent?

Examinons de près la vigueur du groupe familial dont il est issu. Dans un temps où chacun vit pour soi et n'attend des voisins que horions et crocs-en-jambe, à une époque où la moralité dominante est celle du coup de poing, Mme Henri de Régnier connut le bienfait des plus solides appuis. Il n'est que d'avoir éprouvé les difficultés des débuts dans la vie littéraire, l'énergie farouche dont les aînés s'entendent à bloquer toutes les avenues, pour comprendre le bénéfice irremplaçable de voir, sur un simple signe, les barrières s'ouvrir devant vous. Élevée sur les genoux d'un père qui poursuivait ses rimes à travers les mille occupations de la vie mondaine, n'hésitant pas à parfaire, six mois durant, la magnificence d'un sonnet, elle eut ses jeunes ans bercés au son de la musique des phrases, et cette musique-là, tout comme l'autre, dépose en notre oreille des rythmes qui ne s'effacent jamais. On se rappelle les confidences de Mme de Commanville, la nièce de Gustave Flaubert, lequel contribua à sa première éducation: on ne peut soutenir que cette fille adoptive d'un illustre écrivain possédât le moindre don d'expression verbale. Mais d'avoir pris ses ébats d'enfant sur la peau d'ours blanc que foulait son oncle en scandant, d'une vigoureuse intonation, les accents de Madame Bovary, il subsista dans sa mémoire des rythmes qu'elle n'oublia pas, si toutefois elle fut inhabile à les faire passer dans ses phrases. Que sera-ce chez une jeune femme qui possède un véritable don?

 

A moins d'être un obstiné solitaire, chacun de nous tend à se rapprocher du groupe qui favorisera ses efforts. Chez certains, quelle énergie pour se soustraire au milieu qui les opprime! Quelles luttes pour sortir d'une atmosphère irrespirable à leurs poumons! Ce sont là circonstances dont on ne tient pas assez compte, quand on juge dans son ensemble la carrière d'un écrivain. Pour Mme Henri de Régnier, rien de semblable. Nul besoin d'adaptation, puisque celle-ci existait au préalable, et qu'elle n'aurait même pas eu licence de s'y soustraire. Voilà une miraculeuse rencontre, telle qu'on n'en observerait pas une seconde dans la vie littéraire: Fille de poète, femme de poète, sœur par alliance de romanciers4, comment eût-elle pu faire, proche de tant d'écritoires, pour n'avoir pas quelques taches d'encre aux doigts? Le risque, le seul risque à courir, c'était qu'elle connût la satiété, que pour avoir vu telle consommation de littérature autour d'elle, elle la prit en dégoût. On pourrait citer quelques exemples de ce désaveu, où ce n'est pas le père qui renie son enfant, mais ce dernier qui entend rompre tous liens avec celui dont il reçut la vie! Risque infime, faut-il le dire? Chez Mme Henri de Régnier, ce fut l'instinct d'imitation qui l'emporta.

L'instinct d'imitation… c'est bientôt dit! Car enfin il faudrait s'entendre, sous peine d'être inique. Entre toutes nos femmes littéraires, c'est une des plus personnelles, celle qui peut-être tire le plus d'elle-même, de la subtilité de ses sensations, et le moins fait songer à ses auteurs: détail notable chez une personne qui à la lettre coule ses jours parmi les auteurs, n'ayant pas à subir le seul rythme officiel et consacré des morts, mais les cadences autrement dangereuses des vivants. Parmi ses titres, c'est, à mon sens, celui qui compte le plus; j'y vois la décisive épreuve, la ceinture de flammes qu'elle sut traverser et dont elle sortit vivante… Trop de littérature, trop de musique autour d'une enfance, autour d'une âme qui s'éveille à la vie, cela peut être plus redoutable qu'aucune littérature, aucune musique du tout. Il subsiste encore la chance que cette âme porte en soi sa littérature et sa musique, auquel cas rien au monde ne saurait les empêcher d'en sortir, tandis que les réminiscences d'une mémoire trop fidèle risquent d'anéantir toute spontanéité.

Je ne voudrais pas abuser des comparaisons, qui toujours font suspecter notre partialité. Mais celle-ci vraiment s'impose trop pour que j'y résiste: dès qu'on lit une phrase de Mme de Noailles – je parle de son œuvre romanesque, non de ses vers – on discerne les maîtres qu'elle évoque, auxquels elle tend la main pour réconforter sa faiblesse. Il semble qu'elle soit obligée de prendre à témoin quelqu'un de ceux qui contribuèrent à la formation de son esprit. Et, je ne prétends pas que toujours elle souligne ses références. Mais c'est à nous qu'il appartient de les retrouver. On connaît cette image de François de Sales, charmante, tout embaumée de senteurs empruntées à la nature, par laquelle le gracieux saint conseille à ses ouailles de «faire comme les petits enfants qui, de l'une des mains se tiennent à leur père, et de l'autre cueillent des fraises ou des mûres le long des haies». – Excellente méthode de discipline chrétienne, qui donc y contredirait? Mais moins bonne attitude pour la production littéraire, c'est quelque peu l'image de Mme de Noailles. Vraiment elle pense à travers ses auteurs, car la sensation initiale elle-même, matière originale de toute pensée, elle la transforme et la transpose, en l'avivant d'un accent grâce auquel s'évoque le souvenir de celui qui tout d'abord le donna.

Chose curieuse, on en conviendra, que précisément la plante de serre chaude ait produit à la lumière du jour les fruits les plus savoureux! Il n'est pas habituel que les plantes de serre chaude produisent le moindre fruit. Mais lorsqu'elles en donnent, ils ne ressemblent à nul autre. Qu'on y prenne garde cependant et qu'on ne soit pas dupe des apparences! Des traits essentiels, que nous ne saurions retrouver dans l'empreinte des influences extérieures, s'expliqueront suffisamment par la plus immédiate hérédité! Le père de Mme Henri de Régnier, le parfait artisan de rimes José Maria de Hérédia, était Cubain. Bien que frappé avant la vieillesse, il vécut assez pour voir s'épanouir chez une enfant de son sang des dons littéraires qui venaient confirmer le sens du dicton: Bon sang ne peut mentir. Croit-on qu'en dehors de cette circonstance, que l'on peut qualifier à son gré heureuse ou malheureuse, mais qui n'est qu'un des éléments d'une destinée, l'auteur d'Esclave eût pu composer ce poème de la servitude amoureuse?

… Je voudrais évoquer ici un souvenir de ma première jeunesse, dont la principale image se rattache d'invincible façon à l'héroïne de Mme Henri de Régnier. C'était à Venise, un après-midi de printemps. Je revenais de Padoue. J'avais pris le bateau à vapeur qui fait le service du Grand-Canal, et comme la pluie faisait rage sur le pont, j'étais descendu à l'étage inférieur. Tout d'un coup mes yeux tombèrent sur une figure de femme qui força mon attention pour l'absorber dans une de ces contemplations qui vous arrachent à la vie extérieure. La grande beauté seule exerce ce magique pouvoir de couper tout lien de communication avec la terre, parce que soudain et pour une minute trop brève, elle isole l'être des vulgarités qui l'oppriment et brusquement déchire le voile qui lui cachait un pan du ciel. Nul visage créole plus ardent et plus doux à la fois… des yeux qui composaient toute l'âme de ce visage, qui l'emplissaient et le dévoraient tout, et pourtant s'arrêtaient sur vous comme une caresse! Un corps de rythme et d'harmonie, où chaque organe contribuait à la perfection de l'ensemble, et donnait ainsi l'impression, pris à part, d'une chose parfaite! Comment l'imagination n'eût-elle pas recomposé un poème d'amour sur ce thème initial! C'est la secousse indispensable qui ébranle en nous les cordes sensibles, et suscite la vibration par où tout l'organisme est exalté!.. Quelle n'est pas sa puissance sur l'artiste, pour qui elle devient le secret, le mystérieux secret de son inspiration! Je ne doute pas, pourrions-nous douter que Mme Henri de Régnier l'ait vue aussi, dans sa réalité tangible, celle qui allait devenir l'Esclave de son inspiration?

Fugace beauté qui disparut de mes yeux pour toujours au ponton de la Ca d'Oro, elle devait y laisser une ineffaçable image, puisqu'après tant d'années écoulées celle-ci reconquit sa vitalité, quand je pris contact avec la Grâce Mirbel de Mme Henri de Régnier. Il me devenait impossible de me représenter l'héroïne d'Esclave sous d'autres traits que ceux de mon apparition vénitienne. Par bonheur, aucun des traits physiques que lui prête le romancier ne venait contrarier ceux que ressuscitait ma mémoire. Mais je crois bien que si, par aventure, une telle contradiction se fût produite, j'aurais été contraint de substituer mes souvenirs personnels à l'image que l'auteur me venait proposer. Et c'est un étrange appui pour un personnage imaginaire d'éveiller en nous des analogies avec quelque épisode de notre vie émotive, comme pour l'auteur qui le créa de le pouvoir rattacher à son expérience personnelle.

Si la qualité d'un ouvrage de l'esprit se mesure à la persistance des images qu'il imprime dans notre cerveau, Esclave de Mme Henri de Régnier est assurée d'un rang qui ne saurait être médiocre: Grâce Mirbel n'est pas seulement une statue vivante, de qui les souples contours viennent se réfléchir en nos yeux pour y laisser une trace durable… Elle est encore une chair vivante, pulpe saturée d'aromes, pareille à un beau fruit de ces régions fortunées, dont la senteur monte au cerveau. On se rappelle l'affabulation du livre, qui vaut avant tout par sa condensation et sa brièveté, dont l'ordonnance est bien dans la pure tradition française, parce qu'il déblaie soigneusement les circonstances accessoires inhabiles à renforcer l'intérêt, et que, suivant l'esthétique d'une mise en scène bien composée, nulle figure ne s'avance au-delà du plan qui tout d'abord lui fut indiqué.

3Voir dans nos Figures de Rêve, les pages sur Venise et Vérone, sous ce titre: Du jardin de Vérone, l'Art d'émotion à Venise. Dans nos Premiers Vénitiens également nous avons touché à cette question.
4Il est à peine besoin de rappeler les noms qui composent ce puissant état-major: José Maria de Hérédia, Henri de Régnier, Maurice Maindron et Pierre Louÿs.
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