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Le Naturalisme au théâtre, les théories et les exemples

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Vingt fois, d'anciens amis de collège, débarqués à Paris pour huit jours, m'ont répété: «Nous sommes allés hier soir dans tel théâtre, et nous ne comprenons pas comment on peut tolérer telle actrice ou tel acteur. Chez nous, on les sifflerait sans pitié.» Naturellement, je ne veux nommer personne. Mais on serait bien surpris, si l'on savait pour quelles étoiles les gens de province se montrent si sévères. Remarquez qu'au fond leurs critiques portent presque toujours juste. Ce qu'ils ne veulent pas comprendre, c'est le coup de folie de Paris, cette flamme du succès qui enlève tout, ces triomphes d'un jour que nous faisons surtout aux femmes, lorsqu'elles ont, en dehors de leur plus ou de leur moins de talent, le quelque chose qui nous gratte au bon endroit.

L'air de la province est autre. Les provinciaux ne vivent pas dans notre air, et c'est pourquoi ils suffoquent à Paris. En outre, il faut faire la part d'une certaine jalousie. Le point est délicat, je ne voudrais pas insister; mais il est évident que la continuelle apothéose de Paris finit par agacer les bons bourgeois des quatre coins de la France. On ne leur parle que de Paris, tout est superbe à Paris; alors, lorsqu'ils peuvent surprendre Paris en flagrant délit de mensonge et de bêtise, ils triomphent. Il faut les entendre: Vraiment, les Parisiens ne sont pas difficiles, ils font des succès à des cabotins que Marseille ou Lyon a usés, ils s'engouent des rebuts de Bordeaux ou de Toulouse. Le pis est que les provinciaux ont souvent raison. Je voudrais qu'on les écoutât juger en ce moment les troupes de l'Opéra et de l'Opéra-Comique. Et ils retournent dans leurs villes, en haussant les épaules.

Ajoutez que le tapage de nos réclames irrite et déroute les gens qui, à cent et deux cents lieues, ne peuvent faire la part de l'exagération. Ils ne sont pas dans le secret des coulisses, ils ne devinent pas ce qu'il y a sous une bordée d'articles élogieux, lancée à la tête du premier petit torchon de femme venu. Nous autres, nous sourions, nous savons ce qu'il faut croire. Eux, dans le milieu mort de leurs villes, en dehors de notre monde, doivent tout prendre argent comptant. Pendant des mois, ils lisent au cercle que mademoiselle X… est une merveille de beauté et de talent. A la longue, ils prennent du respect pour elle. Puis, quand ils la voient, leur désillusion est terrible. Rien d'étonnant à ce qu'ils nous traitent alors de farceurs.

Et ce n'est pas seulement les artistes que les provinciaux jugent avec sévérité, ce sont encore les pièces, jusqu'au personnel de nos théâtres. Je sais, par exemple, que l'importunité de nos ouvreuses les exaspère. Un de mes amis, furibond, me disait encore hier qu'il ne comprenait pas comment nous pouvions tolérer une pareille vexation. Quant aux pièces, elles ne les satisfont presque jamais, parce que le plus souvent elles leur échappent; je parle des pièces courantes, de celles dont Paris consomme deux ou trois douzaines par hiver. On a dit avec raison qu'une bonne moitié du répertoire actuel n'est plus compris au delà des fortifications. Les allusions ne portent plus, la fleur parisienne se fane, les pièces ne gardent que leur carcasse maigre. Dès lors, il est naturel qu'elles déplaisent à des gens qui les jugent pour leur mérite absolu.

Il ne faut donc pas croire à une admiration passive des provinciaux dans nos théâtres. S'il est très vrai qu'ils s'y portent en foule, soyez certains qu'ils réservent leur libre jugement. Là curiosité les pousse, ils veulent épuiser les plaisirs de Paris; mais écoutez-les quand ils sortent, et vous verrez qu'ils se prononcent très carrément, qu'ils ont trois fois sur quatre des airs dédaigneux et fâchés, comme si l'on venait de les prendre à quelque attrape-nigauds.

Un autre fait que j'ai constaté et qui est très sensible en ce moment, c'est la passion de la province pour les théâtres lyriques. Un provincial qui se hasardera à passer une soirée à la Comédie-Française ira trois et quatre fois à l'Opéra. Je veux bien admettre que ce soit réellement la musique qui soulève une si belle passion. Mais encore faut-il expliquer les circonstances qui entretiennent et qui accroissent chaque jour un pareil mouvement. Nous ne sommes pas une nation assez mélomane pour qu'il n'y ait point à cela, en dehors de la musique, des particularités déterminantes.

La province va en masse à l'Opéra pour une des raisons que j'ai dites plus haut. Souvent les comédies, les vaudevilles lui échappent. Au contraire, elle comprend toujours un opéra. Il suffit qu'on chante, les étrangers eux-mêmes n'ont pas besoin de suivre les paroles.

Je cours le risque d'ameuter les musiciens contre moi, mais je dirai toute ma pensée. La littérature demande une culture de l'esprit, une somme d'intelligence, pour être goûtée; tandis qu'il ne faut guère qu'un tempérament pour prendre à la musique de vives jouissances. Certainement, j'admets une éducation de l'oreille, un sens particulier du beau musical; je veux bien même qu'on ne puisse pénétrer les grands maîtres qu'avec un raffinement extrême de la sensation. Nous n'en restons pas moins dans le domaine pur des sens, l'intelligence peut rester absente. Ainsi, je me souviens d'avoir souvent étudié, aux concerts populaires de M. Pasdeloup, des tailleurs ou des cordonniers alsaciens, des ouvriers buvant béatement du Beethoven, tandis que des messieurs avaient une admiration de commande parfaitement visible. Le rêve d'un cordonnier qui écoule la symphonie en la, vaut le rêve d'un élève de l'École polytechnique. Un opéra ne demande pas à être compris, il demande à être senti. En tous cas, il suffit de le sentir pour s'y récréer; au lieu que, si l'on ne comprend pas une comédie ou un drame, on s'ennuie à mourir.

Eh bien, voilà pourquoi, selon moi, la province préfère un opéra à une comédie. Prenons un jeune homme sorti d'un collège, ayant fait son droit dans une Faculté voisine, devenu chez lui avocat, avoué ou notaire. Certes, ce n'est point un sot. Il a la teinture classique, il sait par coeur des fragments de Boileau et de Racine. Seulement, les années coulent, il ne suit pas le mouvement littéraire, il reste fermé aux nouvelles tentatives dramatiques. Cela se passe pour lui dans un monde inconnu et ne l'intéresse pas. Il lui faudrait faire un effort d'intelligence, qui le dérangerait dans ses habitudes de paresse d'esprit. En un mot, comme il le dit lui-même en riant, il est rouillé; à quoi bon se dérouiller, quand l'occasion de le faire se présente au plus une fois par an? Le plus simple est de lâcher la littérature et de se contenter de la musique.

Avec la musique, c'est une douce somnolence. Aucun besoin de penser. Cela est exquis. On ne sait pas jusqu'où peut aller la peur de la pensée. Avoir des idées, les comparer, en tirer un jugement, quel labeur écrasant, quelle complication de rouages, comme cela fatigue! Tandis qu'il est si commode d'avoir la tête vide, de se laisser aller à une digestion aimable, dans un bain de mélodie! Voilà le bonheur parfait. On est léger de cervelle, on jouit dans sa chair, toute la sensualité est éveillée. Je ne parle pas des décors, de la mise en scène, des danses, qui font de nos grands opéras des féeries, des spectacles flattant la vue autant que l'oreille.

Questionnez dix provinciaux, huit vous parleront de l'Opéra avec passion, tandis qu'ils montreront une admiration digne pour la Comédie-Française. Et ce que je dis des provinciaux, je devrais l'étendre aux Parisiens, aux spectateurs en général. Cela explique l'importance énorme que prend chez nous le théâtre de l'Opéra; il reçoit la subvention la plus forte, il est logé dans un palais, il fait des recettes colossales, il remue tout un peuple. Examinez, à côté, le Théâtre-Français, dont la prospérité est pourtant si grande en ce moment: on dirait une bicoque. Je dois confesser une faiblesse: le théâtre de l'Opéra, avec son gonflement démesuré, me fâche. Il tient une trop large place, qu'il vole à la littérature, aux chefs-d'oeuvre de notre langue, à l'esprit humain. Je vois en lui le triomphe de la sensualité et de la polissonnerie publiques. Certes, je n'entends pas me poser en moraliste; au fond, toute décomposition m'intéresse. Mais j'estime qu'un peuple qui élève un pareil temple à la musique et à la danse, montre une inquiétante lâcheté devant la pensée.

IV

Nos artistes de la Comédie-Française viennent de donner à Londres une série de représentations. Le succès d'argent et de curiosité paraît indiscutable. On a publié des chiffres qui sont vrais sans doute. La Comédie-Française a fait salle comble tous les soirs. C'est déjà là un fait caractéristique. J'ai vu une troupe anglaise jouer dans un théâtre de Paris; la salle était vide, et les rares spectateurs pouffaient de gaieté. Pourtant, la troupe donnait du Shakespeare. Il est vrai qu'à part deux ou trois acteurs, les autres étaient bien médiocres. Mais l'Angleterre pourrait nous envoyer ses meilleurs comédiens, je crois que Paris se dérangerait difficilement pour aller les voir. Rappelez-vous les maigres recettes réalisées par Salvini. Pour nous, les théâtres étrangers n'existent pas, et nous sommes portés à nous égayer de ce qui n'est point dans le génie de notre race. Les Anglais viennent donc de nous donner un exemple de goût littéraire, soit que notre répertoire et nos comédiens leur plaisent réellement, soit qu'ils aient voulu simplement montrer de la politesse pour la littérature d'un grand peuple voisin.

Est ce bien, à la vérité, un goût littéraire qui a empli chaque soir la salle du Gaiety's Théâtre? C'est ici que des documents exacts seraient nécessaires. Mais, avant d'étudier ce point, je dois dire que je n'ai jamais compris la querelle qu'on a cherchée à la Comédie-Française, lorsqu'il a été question de son voyage à Londres. J'ai lu là-dessus des articles d'une fureur bien étrange. Les plus doux accusaient nos artistes de cupidité et leur déniaient le droit de passer la Manche. D'autres prévoyaient un naufrage et se lamentaient. Avouez que cela paraît comique aujourd'hui. Une seule chose était à craindre: l'insuccès, des salles vides, une diminution de prestige. Mais, là-dessus, on pouvait être tranquille; les recettes étaient quand même assurées, ce qui suffisait; car, pour le véritable effet produit par les oeuvres et par les interprètes, il était à l'avance certain, je le répète, qu'on ne saurait jamais exactement à quoi s'en tenir. Les journaux anglais ont été courtois, et nos journaux français se sont montrés patriotes. Dès lors, la Comédie-Française avait mille fois raison de se risquer; elle partait pour un triomphe, pour le demi-million de recettes qu'on vient de publier. Certes, je ne suis guère chauvin de mon naturel; mais, personnellement, j'ai vu avec plaisir nos comédiens aller faire une expérience intéressante dans un pays où ils étaient certains d'être bien reçus, même s'ils ne plaisaient pas complètement.

 

Cela me ramène à analyser les raisons qui ont amené le public anglais en foule. Je ne crois pas à une passion littéraire bien forte. Il y a eu plutôt un courant de mode et de curiosité. Nous tenons, à cette heure, en Europe, une situation littéraire de combat. Non seulement on nous pille, mais on nous discute. Notre littérature soulève toutes sortes de points sociaux, philosophiques, scientifiques; de là, le bruit qu'un de nos livres ou qu'une de nos pièces fait à l'étranger. L'Allemagne et l'Angleterre, par exemple, ne peuvent nous lire sans se fâcher souvent. En un mot, notre littérature sent le fagot. Je suis persuadé qu'une bonne partie du public anglais a été attirée par le désir de se rendre enfin compte d'un théâtre qu'il ne comprend pas. C'était là les gens sérieux. Ajoutez les curieux mondains, ceux qui écoutent une tragédie française comme on écoute un opéra italien, ceux encore qui se piquent d'être au courant de notre littérature, et vous obtiendrez la foule qui a suivi les représentations du Gaiety's Théâtre.

Et ce qui s'est passé prouve bien la vérité de ce que j'avance. Tous les critiques ont constaté que nos tragédies classiques ont eu le succès le plus vif. C'est que nos tragédies sont des morceaux consacrés; les Anglais sachant le français les connaissent pour les avoir apprises par coeur. Après les tragédies, ce seraient les drames lyriques de Victor Hugo qu'on aurait applaudis, et rien de plus explicable ici encore: la musique du vers a tout emporté, ces drames ont passé comme des livrets d'opéra, grâce à la voix superbe des interprètes, sans qu'on s'avisât un instant de discuter la vraisemblance. Mais, arrivés devant les Fourchambault, de M. Emile Augier, et devant tout le théâtre de M. Dumas, les Anglais se sont cabrés. On les dérangeait brutalement dans leur façon d'entendre la littérature, et ils n'ont plus montré qu'une froide politesse.

L'expérience est faite aujourd'hui. J'en suis bien heureux. Le voyage de la Comédie-Française à Londres n'aurait-il que prouvé où en est l'Angleterre devant la formule naturaliste moderne, que je le considérerais comme d'une grande utilité. Il est entendu que le peuple qui a produit Shakespeare et Ben Jonson, pour ne citer que ces deux noms, en est tombé à ne pouvoir plus supporter aujourd'hui les hardiesses de M. Dumas.

Je ne puis résumer ici l'histoire de la littérature anglaise. Mais lisez l'ouvrage si remarquable de M. Taine, et vous verrez que pas une littérature n'a eu un débordement plus large ni plus hardi d'originalité. Le génie saxon a dépassé en vigueur et en crudité tout ce qu'on connaît. Et c'est maintenant cette littérature anglaise, après la longue action du protestantisme, qui en est arrivée à ne plus tolérer à la scène un enfant naturel ou une femme adultère. Tout le génie libre de Shakespeare, toute la crudité superbe de Ben Jonson ont abouti à des romans d'une médiocrité écoeurante, à des mélodrames ineptes dont nos théâtres de barrière ne voudraient pas.

J'ai lu près d'une cinquantaine de romans anglais écrits dans ces dernières années. Cela est au-dessous de tout. Je parle de romans signés par des écrivains qui ont la vogue. Certainement, nos feuilletonistes, dont nous faisons fi, ont plus d'imagination et de largeur. Dans les romans anglais, la même intrigue, une bigamie, ou bien un enfant perdu et retrouvé, ou encore les souffrances d'une institutrice, d'une créature sympathique quelconque, est le fond en quelque sorte hiératique dont pas un romancier ne s'écarte. Ce sont des contes du chanoine Schmidt, démesurément grossis et destinés à être lus en famille. Quand un écrivain a le malheur de sortir du moule, on le conspue. Je viens, par exemple, de lire la Chaîne du Diable, un roman que M. Edouard Jenkins a écrit contre l'ivrognerie anglaise; comme oeuvre d'observation et d'art, c'est bien médiocre; mais il a suffi qu'il dise quelques vérités sur les vices anglais, pour qu'on l'accablât de gros mots. Depuis Dickens, aucun romancier puissant et original ne s'est révélé. Et que de choses j'aurais à dire sur Dickens, si vibrant et si intense comme évocateur de la vie extérieure, mais si pauvre comme analyste de l'homme et comme compilateur de documents humains!

Quant au théâtre anglais actuel, il existe à peine, de l'avis de tous. Nous n'avons jamais eu l'idée, à part deux ou trois exceptions, de faire des emprunts à ce théâtre; tandis que Londres vit en partie d'adaptations faites d'après nos pièces. Et le pis est que le théâtre est là-bas plus châtré encore que le roman. Les Anglais, à la scène, ne tolèrent plus la moindre étude humaine un peu sérieuse. Ils tournent tout à la romance, à une certaine honnêteté conventionnelle. De là, à coup sûr, la médiocrité où s'agite leur littérature dramatique. Ils sont tombés au mélodrame, et ils tomberont plus bas, car on tue une littérature, lorsqu'on lui interdit la vérité humaine. N'est-il pas curieux et triste que le génie anglais, qui a eu dans les siècles passés la floraison des plus violents tempéraments d'écrivains, ne donne plus naissance, à la suite d'une certaine évolution sociale, qu'à des écrivains émasculés, qu'à des bas bleus qui ne valent pas Ponson du Terrail? Et cela juste à l'heure où l'esprit d'observation et d'expérience emporte notre siècle à l'étude et à la solution de tous les problèmes.

Nous nous trouvons donc devant une conséquence de l'état social, qu'il serait trop long d'étudier. Remarquez que la convention dans les personnages et dans les idées est d'autant plus singulière que le public anglais exige le naturalisme dans le monde extérieur. Il n'y a pas de naturaliste plus minutieux ni plus exact que Dickens, lorsqu'il décrit et qu'il met en scène un personnage; il refuse simplement d'aller au delà de la peau, jusqu'à la chair. De même, les décors sont merveilleux à Londres, si les pièces restent médiocres. C'est ici un peuple pratique, très positif, exigeant la vérité dans les accessoires, mais se fâchant dès qu'on veut disséquer l'homme. J'ajouterai que le mouvement philosophique, en Angleterre, est des plus audacieux, que le positivisme s'y élargit, que Darwin y a bouleversé toutes les données anciennes, pour ouvrir une nouvelle voie où la science marche à cette heure. Que conclure de ces contradictions? Évidemment, si la littérature anglaise reste stationnaire et ne peut supporter la conquête du vrai, c'est que l'évolution ne l'a pas encore atteinte, c'est qu'il y a des empêchements sociaux qui devront disparaître pour que le roman et le théâtre s'élargissent à leur tour par l'observation et l'analyse.

J'en voulais venir à ceci, que nous n'avons pas à nous émouvoir des opinions portées par le public anglais sur nos oeuvres dramatiques. Le milieu littéraire n'est pas le même à Paris qu'à Londres, heureusement. Que les Anglais n'aient pas compris Musset, qu'ils aient jugé M. Dumas trop vrai, cela n'a d'autre intérêt pour nous que de nous renseigner sur l'état littéraire de nos voisins. Nous sommes, eux et nous, à des points de vue trop différents. Jamais nous n'admettrons qu'on condamne une oeuvre, parce que l'héroïne est une femme adultère, au lieu d'être une bigame. Dans ces conditions, il n'y a qu'à remercier les Anglais d'avoir fait à nos artistes un accueil si flatteur; mais il n'y a pas à vouloir profiter une seconde des jugements qu'ils ont pu exprimer sur nos oeuvres. Les points de départ sont trop différents, nous ne pouvons nous entendre.

Voilà ce que j'avais à dire, d'autant plus qu'un de nos critiques déclarait dernièrement qu'il s'était beaucoup régalé d'un article paru dans le Times contre le naturalisme. Il faut renvoyer simplement le rédacteur du Times à la lecture de Shakespeare, et lui recommander le Volpone, de Ben Jonson. Que le public de Londres en reste à notre théâtre classique et à notre théâtre romantique, cela s'explique par l'impossibilité où il se trouve de comprendre notre répertoire moderne, étant donnés l'éducation et le milieu social anglais. Mais ce n'est pas une raison pour que nos critiques s'amusent des plaisanteries du Times sur une évolution littéraire qui fait notre gloire depuis Diderot.

Quant au rédacteur du Times, il fera bien de méditer cette pensée: Les bâtards de Shakespeare n'ont pas le droit de se moquer des enfants légitimes de Balzac.

DES SUBVENTIONS

Lors de la discussion du budget, tout le monde a été frappé des sommes que l'État donne à la musique, sommes énormes relativement aux sommes modestes qu'il accorde à la littérature. Les subventions de la Comédie-Française et de l'Odéon, mises en regard des subventions des théâtres lyriques, sont absolument ridicules. Et ce n'était pas tout, on parlait alors de la création de nouvelles salles lyriques, la presse entière s'intéressait au sort des musiciens et de leurs oeuvres, il y avait une véritable pression de l'opinion sur le gouvernement pour obtenir de lui de nouveaux sacrifices en faveur de la musique. De la littérature, pas un mot.

J'ai déjà dit que je voyais, dans cette apothéose de l'opéra chez nous, la haine des foules contre la pensée. C'est une fatigue que d'aller à la Comédie-Française, pour un homme qui a bien dîné; il faut qu'il comprenne, grosse besogne. Au contraire, à l'Opéra, il n'a qu'à se laisser bercer, aucune instruction n'est nécessaire; l'épicier du coin jouira autant que le mélomane le plus raffiné. Et il y a, en outre, la féerie dans l'opéra, les ballets avec le nu des danseuses, les décors avec l'éblouissement de l'éclairage. Tout cela s'adresse directement aux sens du spectateur et ne lui demande aucun effort d'intelligence. De là le temple superbe qu'on a bâti à la musique, lorsque presque en face, à l'autre bout d'une avenue, la littérature est en comparaison logée comme une petite bourgeoise froide, ennuyeuse, raisonneuse, et qui serait déplacée dans ce luxe d'entretenue. C'est le mot, on entretient la musique en France. Rien de moins viril pour la santé intellectuelle d'un peuple.

Devant cette disproportion des sommes consacrées à la littérature et à la musique, il s'est donc trouvé un grand nombre de personnes qui ont réclamé. Il semble juste que les subventions soient réparties plus équitablement. Si l'on aborde le côté pratique, les résultats obtenus, la surprise est aussi grande; car on en arrive à établir que les centaines de mille francs jetées dans le tonneau sans fond des théâtres lyriques, se trouvent encore insuffisantes et n'ont guère amené que des faillites. L'Opéra lui-même, qui reste une entreprise particulière très prospère, n'a plus produit de grandes oeuvres depuis longtemps et doit vivre sur son répertoire, avec une troupe que la critique compétente déclare de plus en plus médiocre. N'importe, on s'entête. Quand un théâtre lyrique croule, ce qui se présente à chaque saison, on s'ingénie aussitôt pour en ouvrir un autre. La presse entre en campagne, les ministres se font tendres. Il nous faut des orchestres et des danseuses, dussent-ils nous ruiner. Singulier art qu'on ne peut étayer qu'avec des millions, plaisir si cher qu'on ne parvient pas à le donner aux Parisiens, même en le payant avec l'argent de tous les Français!

Dès lors, le raisonnement est simple. Pourquoi s'entêter? Pourquoi donner des primes aux faillites? La musique tiendrait moins de place que cela ne serait pas un mal. Je ne puis, personnellement, passer devant l'Opéra sans éprouver une sourde colère. J'ai une si parfaite indifférence pour la littérature qu'on fait là dedans, que je trouve exaspérant d'avoir logé des roulades et des ronds de jambe dans ce palais d'or et de marbre qui écrase la ville.

Et je me joins donc très volontiers aux journalistes que cet état de choses a blessés. Qu'on partage les subventions entre la musique et la littérature; qu'on augmente surtout la subvention de l'Odéon, pour lui permettre de risquer des tentatives avec les jeunes auteurs dramatiques; qu'on essaye même de créer un théâtre de drames populaires, ouvert à tous les essais. Rien de mieux.

 

Voilà pour le principe. Maintenant, en pratique, je ne crois pas à la puissance de l'argent, lorsqu'il s'agit d'art. Voyez ce qui se passe pour la musique; les subventions sont dévorées comme des feux de paille, et les directeurs se trouvent forcés de déposer leur bilan. Si les subventions étaient plus fortes, ils mangeraient davantage, voilà tout, pour faire prospérer un théâtre, il ne faut pas des millions, il faut de grandes oeuvres; des millions ne peuvent soutenir des oeuvres médiocres, tandis que de grandes oeuvres apportent précisément des millions avec elles. Je ne veux pas parler musique, je ne cherche pas à savoir si les théâtres lyriques ne traversent point en ce moment la même crise que les théâtres de drames. C'est la question littéraire que je désire traiter, et j'y arrive.

D'abord, j'enregistre un aveu. Voici trois ans que je ne cesse de répéter que le drame se meurt, que le drame est mort. Lorsque j'ai dit que les planches étaient vides, on m'a répondu que j'insultais nos gloires dramatiques; à entendre la critique, jamais le théâtre n'aurait jeté un tel éclat en France. Et voilà brusquement que l'on confesse notre pauvreté et notre médiocrité. On me donne raison, après s'être fâché et m'avoir quelque peu injurié. On constate la crise actuelle, on se lamente sur le malheureux sort de la Porte-Saint-Martin, vouée aux ours et aux baleines; de la Gaieté, agonisant avec la féerie; du Châtelet et du Théâtre-Historique, vivant de reprises; de l'Ambigu, où les directions se succèdent sous une pluie battante de protêts. Eh bien! nous sommes donc enfin d'accord. Tout va de mal en pis, le drame est en train de disparaître, si on ne parvient pas à le ressusciter. Je n'ai jamais dit autre chose.

Seulement, je crois fort que nous différons absolument sur le remède possible. La queue romantique, inquiète et irritée de la disparition du drame selon la formule de 1830, s'est avisée de déclarer que, si le drame mourait, cela venait simplement de ce qu'on n'avait point assez d'argent pour le faire vivre. Mon Dieu! c'était bien simple; si l'on voulait une renaissance, il s'agissait simplement d'ouvrir un nouveau théâtre qui jouerait, aux frais de l'État, toutes les oeuvres dramatiques de débutants, dans lesquelles on trouverait des promesses plus ou moins nettes de talent. En un mot, les oeuvres existent; ce qui manque, ce sont les théâtres.

Vraiment, de qui se moque-t-on? Où sont-elles, les oeuvres? Je demande à les voir. C'est justement parce qu'il n'y a pas d'oeuvres que les théâtres se ruinent. Je n'ai jamais cru aux chefs d'oeuvre inconnus. Toutes sortes de légendes mauvaises circulent sur l'impossibilité où est un débutant d'arriver au public. Ce qu'il faut dire, c'est que toute bonne pièce a été jouée, c'est qu'on ne pourrait citer un drame ou une comédie de mérite qui n'ait eu son heure et son succès. Voilà la vérité, la vérité consolante, qui est bonne pour les forts, si elle gêne les incompris et les impuissants.

Certes, les directeurs se trompent souvent, et ils penchent naturellement davantage vers les succès d'argent que vers les spéculations littéraires pures. Mais quel est le directeur qui repousserait une bonne pièce, s'il la croyait bonne? Il faudra toujours passer par un jugement, même dans un théâtre ouvert exprès pour les débutants; et il y aura une coterie, et il y aura des sottises. Sottise pour sottise, celle de l'homme qui défend sa bourse est encore plus soucieuse de la réussite. Aujourd'hui, tous les directeurs en sont à chercher des pièces; ils sentent, leurs fournisseurs habituels vieillir, ils s'inquiètent, ils voudraient du nouveau. Questionnez-les, ils vous diront qu'ils feraient le voyage de toutes les mansardes de Paris, s'ils savaient qu'un garçon de talent se cachât quelque part. Ils ne trouvent rien, rien, rien, telle est la triste vérité.

Or, c'est l'instant que l'on choisit pour réclamer l'ouverture d'un nouveau théâtre. La Porte-Saint-Martin, l'Ambigu, le Théâtre-Historique ne trouvent plus de drames; vite ouvrons une salle nouvelle, pour élargir la disette des bonnes pièces. Et qu'on ne vienne pas dire que, systématiquement, les directeurs repoussent les tentatives; ils ont tout essayé, les drames à panaches, les drames historiques, les drames taillés sur le patron de 1830. S'ils ont abandonné la partie, c'est que le public s'est désintéressé de ces formules anciennes, c'est que les prétendus jeunes, les poètes figés qui leur apportent ces pastiches, n'ont absolument aucune originalité dans le ventre. On ne galvanise pas le passé. Au théâtre surtout, il n'est pas permis de retourner en arrière. C'est l'époque, c'est le milieu ambiant, c'est le courant des esprits qui font les pièces vivantes.

Et ce n'est pas tout. Il n'y a pas que les pièces qui manquent, les acteurs eux aussi font défaut. Je ne veux nommer aucun théâtre, mais presque toutes les troupes sont pitoyables, si l'on excepte quelques artistes de talent. Les traditions du drame romantique se perdent; il faut attendre qu'une génération de comédiens apporte l'esprit nouveau. En attendant, si un grand théâtre s'ouvrait, il aurait toutes les peines du monde à réunir une troupe convenable.

Oui, le drame d'hier est mort; oui, il n'y a plus de directeur pour le recevoir, plus d'artistes pour le jouer, plus de public pour l'entendre. Mais c'est une idée baroque que de vouloir le ressusciter à coups de billets de banque. L'État donnerait des millions qu'il ne mettrait pas debout ce cadavre. Il n'y a qu'une façon de rendre au drame tout son éclat: c'est de le renouveler. Le drame romantique est aussi mort que la tragédie. Attendez que l'évolution s'achève, qu'on trouve le théâtre de l'époque, celui qui sera fait avec notre sang et notre chair, à nous autres contemporains, et vous verrez les théâtres revivre. Il faut de la passion dans une littérature. Quand une formule tombe aux mains des imitateurs, elle disparaît vite. Nous avons besoin de créateurs originaux.

Ce sont là des idées bien simples, d'une vérité presque puérile tant elle est évidente, et je m'étonne que j'aie besoin de les répéter si souvent pour convaincre le monde. Il est certain que chaque période historique a sa littérature, son roman et son théâtre. Pourquoi veut-on alors que nous ayons la littérature de Louis-Philippe et de l'empire? Depuis 1870, après une catastrophe épouvantable qui a retourné profondément la nation, nous vivons dans une époque nouvelle. Des hommes politiques nouveaux se sont produits, ont mis la main sur le pouvoir et ont aidé à l'évolution qui nous emporte vers la formule sociale de demain. Dès lors, il doit se produire en littérature une évolution semblable; nous allons, nous aussi, à une formule qui triomphera demain; des hommes nouveaux travaillent à son succès, fatalement, jouant le rôle qu'ils sont venus jouer. Tout cela est mathématique, tout cela est régi par des lois que nous ne connaissons pas encore bien, mais que nous commençons à entrevoir.

Il serait aussi ridicule de vouloir revenir au mouvement romantique que de songer à recommencer les journées de 1830. Aujourd'hui, la liberté est conquise, et nous tâchons d'asseoir le gouvernement et la littérature sur des données scientifiques. Je jette ici au courant de la plume de grosses idées, sur lesquelles j'aimerais à m'étendre un jour.

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