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Le Naturalisme au théâtre, les théories et les exemples

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J'écoutais donc attentivement. L'impression des premières scènes était assez agréable. Le carnaval romain, ce décor large et à style sévère, ces personnages aux draperies de couleur tendre, me reposaient du carnaval romantique, des guenilles et des armures du moyen âge. Vraiment, les femmes sont adorables, les cheveux cerclés d'or, les bras nus, dans ces étoffes souples, où leur corps libre roule si voluptueusement. Puis, j'attrapais par-ci par-là un bout de vers assez mal rimé, mais d'une musique sonore et éclatante. Enfin, je ne m'ennuyais pas, j'attendais de comprendre sans trop d'impatience.

Au milieu du premier acte, cependant, comme j'étais de plus en plus attentif, j'ai commencé à éprouver une légère douleur aux tempes. Une consternation peu à peu m'envahissait, car je ne comprenais toujours pas, malgré mes efforts. J'avais beau ouvrir les oreilles, tendre l'esprit, répéter tout bas les mots que je saisissais, le sens m'échappait, les paroles tombaient comme des bruits qui s'envolaient, avant d'avoir formé des phrases. Maintenant, la pesanteur des tempes me gagnait le crâne et me roidissait le cou.

Alors, l'ennui est arrivé, d'abord discret, un léger bâillement dissimulé entre les doigts, une envie sourde de penser à autre chose; puis, il s'est élargi, il est devenu immense, insondable, sans borne. Oh! l'ennui sans espoir, l'ennui écrasant qui descend dans chaque membre, dont on sent le poids dans les mains et dans les pieds! Et impossible d'échapper à ce lent écrasement, les personnages s'imposent; on les hait, on voudrait les supprimer, mais leur voix est comme un flot entêté qui bat, qui entame et qui noie les têtes les plus dures; même quand on baisse les yeux pour ne plus les voir, on les sent, ou croit les avoir sur les épaules. Un malheur public, un deuil, sont moins lourds.

Ce qui me consternait surtout, c'était Séphare, le prêtre d'Isis. Pourquoi un prêtre d'Isis? Sans doute l'auteur avait mis là-dessous le sens philosophique de son oeuvre. La pièce restait tellement incompréhensible, qu'elle devait cacher quelque vérité supérieure. Les scènes se déroulaient: je songeais aux hypogées, aux pyramides, aux secrets que le Nil roule dans ses eaux boueuses. Je me sentais très bête, je tournais à l'ahurissement. Lorsqu'on s'est mis à chanter, j'ai eu l'envie ardente de me sauver, parce que tout espoir de comprendre s'en allait décidément. Mais j'étais trop engourdi; j'appartenais à l'ennui vainqueur.

J'ai promis de tirer des enseignements de cette histoire. Le premier est que la tentative de M. Talray reste en elle-même excellente, et qu'on ne saurait trop engager les auteurs riches à l'imiter. Mais le point sur lequel je veux surtout insister est que, désormais, les gens du monde devront avoir pour les simples écrivains quelque respect; car, si j'ai vu parfois des écrivains ressembler à des princes dans un salon, je n'ai jamais vu un homme du monde qui ne se rendît parfaitement ridicule, en écrivant un roman ou une pièce de théâtre.

Certes, je le répète, je ne veux en aucune façon décourager M. Talray. La distraction qu'il a choisie est louable. Ses vers sont médiocres, mais pleins de bonne volonté. Puis, j'aurais peur d'enlever leur dernière planche de salut aux théâtres menacés de faillite. Les auteurs sont rares qui consentent à payer chèrement leurs chutes. En somme, des pièces comme Spartacus ne font de mal à personne. On sait de quelle façon on doit les prendre. M. Talray lui-même, si son échec le contrarie, peut dire à ses amis qu'il a simplement voulu tenir une gageure. Mon Dieu! oui, il aurait parié, après un déjeuner de garçons, d'ennuyer le public et d'ahurir la critique; et son pari serait gagné, oh! bien gagné!

LE DRAME

I

On nous a donné des détails touchants sur M. Paul Delair. Il aurait trente-sept ans, il serait sans fortune et aurait dû prendre sur ses nuits pour écrire Garin, le drame en vers joué à la Comédie-Française; cette oeuvre, écrite il y a huit ou neuf ans déjà, reçue à correction, puis récrite en partie et montée enfin, représenterait de longs efforts, une grande somme de courage, et serait une de ces parties décisives où un écrivain joue sa vie. Eh bien! tous ces détails me troublent, et je n'ai jamais senti davantage combien la vérité est parfois douloureuse à dire. Heureusement, je suis peut-être le seul à pouvoir la dire, sans trop de remords, car mon autorité est fort discutée, et jusqu'à présent on a paru croire que ma franchise ne faisait de tort qu'à moi-même.

Nous sommes au commencement du treizième siècle, dans une de ces lointaines époques historiques qui justifient au théâtre toutes les erreurs et toutes les fantaisies. Herbert, baron de Sept-Saulx, un burgrave selon le poncif romantique, a auprès de lui son neveu Garin, homme farouche, et un fils bâtard, Aimery, homme tendre, qu'il a eu d'une serve. Or, un jour d'ennui, Herbert, ayant fait entrer dans son château une bande d'Égyptiens, s'éprend de la belle Aïscha, qu'il épouse séance tenante. Et voilà le crime dans la maison, Aïscha pousse Garin, qui l'adore, à tuer Herbert, dont la vieillesse l'importune sans doute. Mais, au lendemain du meurtre, le soir des noces, lorsque les deux coupables vont se prendre aux bras l'un de l'autre, le spectre du vieillard se dresse entre eux, Garin a des hallucinations vengeresses qui lui montrent chaque nuit Aïscha au cou d'Herbert assassiné. Aimery, chassé par son père, revient alors comme un justicier. Il provoque Garin, il va le tuer, lorsque celui-ci revoit la terrible vision et tremble ainsi qu'un enfant. Aïscha, qui s'est empoisonnée, avoue le crime; Garin se tue sur son cadavre; et Aimery peut ainsi épouser une soeur de l'assassin, Alix, dont je n'ai pas parlé. Voilà.

Mon Dieu! le sujet m'importe peu. On a fait remarquer avec raison que c'était là un mélange de Macbeth, des Burgraves et d'une autre pièce encore. La seule réponse est qu'on prend son bien où on le trouve; Corneille et Molière ont écrit leurs plus belles oeuvres avec des morceaux pillés un peu partout. Mais il faut alors apporter une individualité puissante, refondre le métal qu'on emprunte et dresser sa statue dans une attitude originale. Or, M. Paul Delair s'est contenté de ressasser toutes les situations connues, sans en tirer un seul effet qui lui soit personnel. Cela est long, terriblement long, sans accent nouveau, d'une extravagance entêtée dans le sublime, d'une conviction qui m'a attristé, tellement elle est naïve parfois.

Faut-il discuter? Rien ne tient debout dans cette fable extraordinaire. C'est un cauchemar en pleine obscurité. Les personnages sont découpés dans ce romantisme de 1830, si démodé à cette heure. Ils n'ont d'autre raison d'être que des formules toutes faites, ils portent des étiquettes dans le dos: le seigneur, le bâtard, la serve, le manant; et cela doit nous suffire, l'auteur se dispense dès lors de leur donner un état civil, de leur souffler une personnalité distincte. Ce sont des marionnettes convenues qu'il manoeuvre imperturbablement, en dehors de toute vérité historique et de toute analyse humaine. Voila le côté commode du drame romantique, tel que le comprend encore la queue de Victor Hugo. Il ne demande ni observation ni originalité; on en trouve les morceaux dans un tiroir, et il ne s'agit que de les ajuster, avec plus ou moins d'adresse. Je me rappellerai toujours la belle réponse de ce poète auquel je demandais: «Mais pourquoi ne faites-vous pas un drame moderne?» et qui me répondit, effaré: «Mais je ne peux pas, je ne saurais pas, il me faudrait dix ans d'études pour connaître les hommes et le monde!» Sans doute, si je l'interrogeais, M. Paul Delair me ferait aussi cette réponse.

Et même, en acceptant le cadre qu'il a choisi, que de défauts, que d'erreurs dramatiques! Lorsque ses personnages sortent du poncif, on ne les comprend plus. Ainsi la serve est très nette, parce qu'elle est simplement la marionnette classique des mélodrames de Bouchardy et d'Hugo, la paysanne violée par le seigneur et devenue folle, qui se promène dans l'action en prophétisant le dénoûment et en aidant la Providence. Herbert, le seigneur, est également une bonne ganache de loup féodal qui se laisse injurier par le premier bourgeois venu, entré chez lui pour lui dire ses quatre vérités et lui annoncer la Révolution française. On les comprend, ceux-là, parce qu'ils sont tout bêtement les vieux amis du public, sur le ventre desquels le public a tapé bien souvent. Mais passez aux personnages que le poète a rêvé de faire originaux, et vous cessez de comprendre, vous entrez dans un fatras de vers stupéfiants où leur humanité se noie, vous ne les voyez plus nettement, parce que ce ne sont pas des figures observées, mais des pantins inventés qui se démentent d'une tirade à l'autre. Ou des figures poncives, ou des figures fantasmagoriques, voilà le choix.

Ainsi, prenons Garin et Aïscha, les deux figures centrales, celles où M. Paul Delair a certainement porté son effort. Je défie bien qu'au sortir de la représentation, on puisse évoquer distinctement ces figures; et cela vient de ce qu'elles n'ont pas de base humaine, de ce que le poète ne nous les a pas expliquées par une analyse logique et claire. Il ne suffit pas de dire qu'Aïscha aime les hommes rouges de sang, pour nous la faire accepter, dans les invraisemblances où elle se meut. C'est elle qui pousse Garin; puis, elle s'efface, elle ne paraît plus être du drame; a-t-elle des remords, n'en a-t-elle pas? Nous l'ignorons, faute immense de l'auteur, car, si elle ne frissonne pas comme Garin, ou bien si elle ne reste pas violente et superbe, le dominant, devenant le mâle, elle ne nous intéresse plus, elle s'effondre. Et c'est ce qui arrive, le rôle est très mauvais, une actrice de génie n'en tirerait pas un cri humain. Garin de même reste un fantoche; sa lutte avec le remords ne se marque pas assez, on ne voit pas ses élats d'âme, sa passion, sa fureur, puis son affolement; tout cela se fond et se brouille dans une phraséologie étonnante, où une fausse poésie délaye à chaque minute la situation dramatique. Au dénoûment surtout, les deux héros m'ont paru pitoyables. Cette femme qui s'empoisonne de son côté, cet homme qui se poignarde du sien, pour finir la pièce, ne meurent pas logiquement, par la force même de la situation; je veux dire que leur mort n'est pas une conséquence inévitable de l'action, une mort analysée et déduite, ce qui la rend vulgaire.

 

Un autre point m'a beaucoup frappé. Après le troisième acte, je me demandais avec curiosité comment M. Paul Delair allait encore trouver la matière de deux actes. Un acte d'exposition, un acte pour le meurtre, un acte pour les remords, enfin un acte pour la punition: cela me semblait la seule coupe possible. Mais cela ne faisait que quatre actes, et j'étais d'autant plus surpris que le gros du drame, le spectre et tout le tremblement se trouvaient au troisième acte, ce qui demandait, pour la bonne distribution d'une pièce, un dénoûment rapide, dans un quatrième acte très court. M. Paul Delair voulait cinq actes, et il a tout bonnement rempli son quatrième acte par un interminable couplet patriotique. J'avoue que je ne m'attendais pas à cela. Tout devait y être, jusqu'au drapeau français.

Parler de la France, sous Philippe-Auguste! prononcer le grand mot de patrie qui n'avait alors aucun sens! nous montrer un bon jeune homme qui s'indigne au nom de l'Allemagne, comme après Sedan! Quand donc les auteurs dramatiques comprendront-ils le profond ridicule de ce patriotisme à faux, de cette sottise historique dans laquelle ils s'entêtent? Et cela n'est guère honnête, je l'ai déjà dit, car je ne puis voir là qu'une façon commode de voler les applaudissements du public.

Mais ces choses ne sont rien encore, le pis est que M. Paul Delair fait des vers déplorables. Il est certainement un poète plus médiocre que M. Lomon et M. Deroulède, ce qui m'a stupéfié. On, ne saurait s'imaginer les incorrections grammaticales, les tournures baroques, les cacophonies abominables qui emplissent le drame. Les termes impropres y tombent comme une grêle, au milieu de rencontres de mots, d'expressions qui tournent au burlesque. A notre époque où la science du vers est poussée si loin, où le premier parnassien venu fabrique des vers superbes de facture et retentissants de belles rimes, on reste consterné d'entendre rouler pendant quatre heures un pareil flot de vers rocailleux et mal rimés. Si M. Paul Delair croit être un poète parce qu'il a abusé là dedans des lions et des étoiles, du soleil et des fleurs, il se trompe étrangement. Au théâtre, on ne remplace pas l'humanité absente par des images. Les tirades glacent l'action, et je signale comme exemple la scène de Garin et d'Aïscha devant la chambre nuptiale, la grande scène, celle qui devait tout emporter, et qui a paru mortellement froide et ennuyeuse. Comment voulez-vous qu'on s'intéresse à ces poupées qui ne disent pas ce qu'elles devraient dire et qui enguirlandent ce qu'elles disent de divagations poétiques absolument folles? J'avoue que ce lyrisme à froid me rend malade.

En somme, il faut avoir le vers puissant de Victor Hugo pour se permettre un drame de cette extravagance. Je ne prétends pas que Ruy Blas et Hernani soient d'une fable beaucoup plus raisonnable. Mais ces oeuvres demeureront quand même des poèmes immortels. Quant à M Paul Delair, du moment où il n'a pas le génie lyrique de Victor Hugo, il devrait rester à terre; la folie lui est interdite. Dans son cas, un peu de raison est simplement de l'honnêteté envers le public.

Ce n'est pas gaiement que je triomphe ici. Je n'osais espérer une pièce comme Garin pour montrer le vide et la démence froide des derniers romantiques. Toute la misère de l'école est dans cette oeuvre. Mais je suis attristé de voir une scène comme la Comédie-Française risquer une partie pareille, perdue à l'avance. Sans doute M. Perrin et le comité n'ont pu se méprendre. Garin, avec le truc de son spectre, avec ses continuelles sonneries de trompettes, avec sa mise en scène de loques et de ferblanterie romantiques, aurait tout au plus été à sa place à la Porte-Saint-Martin; et, certes, ce ne sont pas les vers qui rendent la pièce littéraire. Seulement, on reproche si souvent à la Comédie-Française de ne pas s'intéresser à la jeune génération, qu'il faut bien lui pardonner, lorsqu'elle fait une tentative, même si elle se trompe. Peut-être n'y a-t-il pas mieux, et alors en vérité le romantisme est bien mort. Je préfère les élèves de M. Sardou, s'il en a.

Voilà mon jugement dans toute sa sévérité. J'ai mieux aimé dire nettement à M. Paul Delairce que je pense. Il est dans une voie déplorable, il s'apprête de grandes désillusions. Le premier acte de Garin a de la couleur, et ça et là on peut citer quelques beaux vers; mais c'est tout. Une pièce pareille enterre un homme. Si M. Paul Delair en produit une seconde taillée sur le même patron, il ne retrouvera même pas la première indulgence du public. Ne vaut-il pas mieux l'avertir, quitte à le blesser cruellement? C'est lui éviter de nouveaux efforts inutiles. Huit ans de travail croulent avec Garin. Le pire malheur qui lui puisse arriver est de perdre encore huit années dans une tentative sans espoir.

II

M. Catulle Mendès est une figure littéraire fort intéressante. Pendant les dernières années de l'Empire, il a été le centre du seul groupe poétique qui ait poussé après la grande floraison de 1830. Je ne lui donne pas le nom de maître ni celui de chef d'école. Il s'honore lui-même d'être le simple lieutenant des poètes ses aînés, il s'incline en disciple fervent devant MM. Victor Hugo, Leconte de Lisle, Théodore de Banville, et s'est efforcé avant tout de maintenir la discipline parmi les jeunes poètes, qu'il a su, depuis près de quinze ans, réunir autour de sa personne.

Rien de plus digne, d'ailleurs. Le groupe auquel on a donné un moment le nom de parnassien représentait en somme toute la poésie jeune, sous le second empire. Tandis que les chroniqueurs pullulaient, que tous les nouveaux débarqués couraient à la publicité bruyante, il y avait, dans un coin de Paris, un salon littéraire, celui de M. Catulle Mendès, où l'on vivait de l'amour des lettres. Je ne veux pas examiner si cet amour revêtait d'étranges formes d'idolâtrie. La petite chapelle était peut-être une cellule étroite où le génie français agonisait. Mais cet amour restait quand même de l'amour, et rien n'est beau comme d'aimer les lettres, de se réfugier même sous terre pour les adorer, lorsque la grande foule les ignore et les dédaigne.

Depuis quinze ans, il n'est donc pas un poète qui soit arrivé à Paris sans entrer dans le cercle de M. Catulle Mendès. Je ne dis point que le groupe professât des idées communes. On s'entendait sur la supériorité de la forme poétique, on en arrivait à préférer M. Leconte de Lisle à Victor Hugo, parce que le vers du premier était plus impeccable que le vers du second. Mais chacun gardait à part soi son tempérament, et il y avait bien des schismes dans cette église. Je n'ai d'ailleurs pas à raconter ce mouvement poétique, qui a copié en petit et dans l'obscurité le large mouvement de 1830. Je veux simplement établir dans quel milieu M. Catulle Mendès a vécu.

Ses théories sont que l'idéal est le réel, que la légende l'emporte sur l'histoire, que le passé est le vrai domaine du poète et du romancier. Ce sont là des opinions aussi respectables que les opinions contraires. Seulement, lorsque M. Catulle Mendès aborde un sujet moderne et accepte ainsi notre milieu contemporain, il a certainement tort de le taire sans modifier ses croyances. Dans un sujet moderne, l'idéal n'est plus le réel, et cet idéal devient un singulier embarras. Pour obtenir du réel, il faut avoir surtout du réel plein les mains. Selon moi, Justice est l'oeuvre d'un poète qui n'a pas songé à couper ses ailes, et que ses ailes font trébucher. Nous retrouvons là le chef de groupe, grandi dans un cénacle, avec le clou d'une idée fixe enfoncé dans le crâne.

Je commencerai par les éloges. Dans Justice, l'effort littéraire me trouve plein de sympathie. On joue tant de pièces odieusement pensées et écrites, qu'il y a un véritable charme à tomber sur l'oeuvre voulue d'un poète. Cette oeuvre peut soulever en moi les plus vives objections, elle n'en est pas moins du monde de ma pensée, elle m'occupe et me passionne. Fût-elle tout à fait mauvaise, elle resterait pleine de saveur. J'aime cette histoire, ce médecin qui a volé et qui est venu se laver de sa faute par de bonnes oeuvres, dans une province perdue; j'aime cette fille de notaire, qui parle et agit comme une création du rêve; j'aime ces deux amoureux, que le monde gêne, et qui se débarrassent du monde, en mourant aux bras l'un de l'autre. Oui, j'aime ces choses, malgré leur folie, parce qu'elles sont la volonté d'un artiste, et que dans leur incohérence même on sent l'enfantement d'un esprit qui n'a rien de vulgaire.

Malheureusement, il faudrait m'en tenir là. Si j'arrive à l'analyse de la pièce, en dépit de toute ma sympathie, je me sens devenir grave et sévère. M. Catulle Mendès a eu le tort de plaisanter avec la réalité. Il aurait dû habiller ses personnages de justaucorps et de pourpoints, et nous lui aurions tout pardonné. Mais entrer dans la vie moderne en poète lyrique, voilà qui est grave! Il se tromperait, s'il croyait que rien n'est plus commode à trousser que la vérité; la vie de tous les jours est là, comme comparaison, et l'on ne peut pas mettre debout une fille de notaire de fantaisie, comme on planterait une damoiselle, avec une jupe de satin et une coiffure copiée dans les livres du temps. En un mot, il faut avoir le sens de la modernité, quand on aborde un sujet contemporain. Les romantiques, qui s'imaginent pouvoir peindre la vie actuelle en se jouant, et par farce pure, s'exposent aux échecs les plus piteux. Rien n'est sévère et rien n'est haut comme la peinture, de ce qui est.

Le grand défaut de Justice est d'être une création en l'air, tout comme s'il s'agissait d'un poème. Voici, par exemple, le plus grand effet de la pièce. Le docteur Valentin a volé pour sauver sa soeur de la prostitution, – une invention fâcheuse, par parenthèse, – et il est aimé de Geneviève, la fille du notaire Suchot. Lui-même l'adore; mais il va fuir, pour ne pas révéler son passé, lorsque Georges, le frère de Geneviève, le surprend avec celle-ci et le force à une explication. Dès que Georges connaît le secret de Valentin, il raconte a la jeune fille que ce dernier est marié, pour qu'elle rompe plus aisément avec lui. De là, grande douleur de Geneviève. Puis, à l'acte suivant, lorsqu'un gredin lui dénonce le vol de Valentin, elle dit avec force: «Je le savais depuis quatre ans, et je vous aime, Valentin, je vous aime!»

Certes, le mot est très beau et devrait produire un grand effet d'admiration et d'émotion. Eh bien! je crois que l'effet est surtout un effet de surprise. Cela vient de ce que chaque spectateur fait cette réflexion rapide: «Comment Geneviève n'a-t-elle pas compris ce dont il s'agissait, lorsque Georges lui a dit que Valentin était marié? Puisqu'elle connaissait le vol, elle devait se douter tout de suite de l'obstacle qui se présentait.» Elle n'a pas parlé alors et l'on s'étonne qu'elle parle plus tard. Au théâtre, toute scène qui n'est point préparée, détonne et peut même avoir de fâcheuses conséquences.

Il n'y a là qu'un défaut de construction. Je pourrais indiquer des invraisemblances. Ainsi, on voit rôder dans l'étude le clerc du notaire, Pigalou, un gredin qui a volé autrefois un curé et qui est menacé par un complice, dupé dans le partage; s'il ne donne pas immédiatement trois mille francs à ce complice, il sera dénoncé par lui. Or, Pigalou a appris la faute de Valentin, et dans une scène fort originale, violente et invraisemblable, il le traite en camarade et veut le forcer à voler les trois mille francs au notaire Suchot. C'est surtout dans cette scène qu'on peut surprendre le procédé de M. Catulle Mendès. Il se moque des vérités ambiantes, il va droit dans ce qu'il croit être la vérité absolue. De là un manque d'équilibre qui a failli faire siffler la scène.

J'insiste, parce que cette question de détail me paraît caractéristique. A la répétition générale, la scène m'avait beaucoup frappé. Je prévoyais bien qu'elle ne marcherait pas facilement, mais je la trouvais hardie et d'une belle allure. Elle est pleine de mots excellents, et n'a qu'un défaut, celui de tourner un peu trop sur elle-même. D'ailleurs, ce que j'avais prévu est arrivé: le public n'a pas compris l'intention de M. Catulle Mendès, qui est de montrer les conséquences fatales et ignominieuses d'une première faute. Je suis persuadé que la scène aurait produit un effet énorme, si l'auteur l'avait présentée autrement, dans la réalité logique de la situation. Telle qu'elle est, elle reste inadmissible. Vingt fois Valenlin serait sorti ou aurait chassé Pigalou. Les motifs pour lesquels l'auteur le retient là, sont des ficelles dramatiques par trop visibles.

 

A vrai dire, je n'aime guère cette étude de notaire, où se développe une action si bizarre. Je sais bien que M. Catulle Mendès a choisi cette étude pour que l'antithèse fût plus forte. Il a voulu peut-être aussi montrer que le cadre le plus banal ne l'effrayait pas. Seulement, dans ce cas-là, il aurait fallu empoigner la réalité d'une main puissante et ne pas la lâcher. Tous les personnages marchent à plusieurs mètres du sol. Geneviève et Valentin sont dans les étoiles; ils ne s'en cachent pas, même ils s'en vantent. Quant à maître Suchot, il n'est guère qu'un fantoche, sur la tête duquel M. Catulle Mendès a accumulé tout son dédain de la prose.

Le troisième acte, que l'on redoutait, est précisément celui qui a sauvé la pièce. Cela montre une fois de plus quel est le flair des directeurs. Il n'y a qu'un monologue et une scène dans cet acte. Valenlin, seul dans son laboratoire, prépare sa mort, en chimiste habile. Il a établi, sur un fourneau, un appareil qui dégage dans la pièce un gaz d'asphyxie. Geneviève arrive pour se sauver avec son amant; mais il lui explique que leur bonheur est désormais impossible, et elle va se retirer, lorsqu'elle comprend qu'il est en train de se donner la mort. Alors, elle referme la porte et la fenêtre, elle l'endort un instant par ses paroles douces; puis, quand il s'aperçoit qu'elle veut mourir avec lui, elle s'oppose violemment à ce qu'il la sauve. Et ils meurent.

L'effet a été grand, le soir de la première représentation. La lutte de Geneviève pour mourir, le consentement arraché par elle à Valentin, la mort qui vient comme une délivrance et qui ravit les deux amants dans les espaces, tout cela est large et remarquable. Certes, je ne crois pas qu'on se suicide avec de pareils élans; mais la situation est extrême, et le poète peut intervenir sans trop blesser la vérité. Quant à la thèse, à la souillure ineffaçable d'une première faute, au suicide employé comme une rédemption, peut-être cette thèse a-t-elle été dans les intentions de l'auteur, mais je veux l'ignorer, pour ne pas retomber dans mes sévérités. A quoi bon une thèse, lorsque la vie suffit? Comment M. Catulle Mendès, qui est avant tout un homme d'art, a-t-il pu vouloir descendre jusqu'à jouer le rôle d'un avocat?

Je finirai par un étrange reproche. Pour moi, la pièce est trop bien écrite. Je veux dire qu'on y sent les phrases presque continuellement. Le style ne consiste pas en belles images, pas plus que la peinture ne consiste en belles couleurs. En enfilant des comparaisons ingénieuses jusqu'à demain, on n'obtiendrait qu'une oeuvre monstrueuse et illisible. Le style est l'expression logique et originale du vrai. Dire ce qu'il faut dire, et le dire d'une façon personnelle, tout est là. Les écrivains qui s'imaginent bien écrire parce qu'ils enlèvent une fin de tirade à l'aide de mots poétiques, sont dans la plus déplorable erreur. Au théâtre surtout, bien écrire, c'est écrire logiquement et fortement.

III

Ah! quelle longue, écrasante, monotone soirée, à la Porte-Saint-Martin! Je suis sorti de la première représentation de Coq-Hardy, le drame en sept actes de M. Poupart-Davyl, brisé de fatigue, hébété d'ennui. Certes, notre métier de critique dramatique comporte beaucoup d'indulgence; on recule souvent devant le résumé exact de son impression. Mais qu'il me soit permis au moins une fois de ne rien cacher, de dire ma révolte intérieure contre un de ces drames de la queue romantique, qui se moquent du style, de la vérité et du simple bon sens.

Je ne chercherai pas à analyser la pièce dans son intrigue puérile et compliquée. Il y a là dedans un duc de Brennes, un prince de Bretagne, que sa femme trahit au prologue, et que nous retrouvons dix ans plus tard, simple capitaine d'aventure, sous le nom de Coq-Hardy. Naturellement, ce capitaine se trouve mêlé à l'inévitable imbroglio historique, où sonnent les grands noms de Louis XIV, d'Anne d'Autriche, de Mazarin, de Condé. Il va presque jusqu'à prendre le menton d'Anne d'Autriche et à tutoyer Condé. Au dénoûment, il redevient nécessairement le duc de Brennes, il sauve Louis XIV, la monarchie, la France, avec l'unique regret de n'avoir pas à sauver Dieu lui-même. J'oubliais de dire qu'en chemin, il retrouve sa femme et sa fille. Inutile d'ajouter que le traître meurt, quand l'auteur n'a plus besoin de lui.

N'est-ce pas que le besoin d'un drame où l'on parlât de Mazarin se faisait absolument sentir? Comment la statistique ne s'est-elle pas occupée encore de relever le nombre de pièces où l'on prononce le nom de Mazarin? Un seul personnage historique a été plus exploité, le cardinal de Richelieu. Et que c'est gai, cet éternel cours d'histoire sur Anne d'Autriche, Louis XIII, Louis XIV et les cardinaux! Quel intérêt prodigieux et passionnant pour des spectateurs de notre époque, dans le perpétuel défilé de ces marionnettes d'un autre âge, qui laissent, à chaque coup d'épée, couler le son de leur ventre! Comme nous pouvons partager les joies et les douleurs de ces poupées, dont nous nous moquons si parfaitement!

Je ne parle pas de la façon odieuse dont ces drames accommodent l'histoire. Ils sont pour le peuple une véritable école de mensonges historiques. Dans nos faubourgs, ils ont répandu les idées les plus stupéfiantes sur les grandes figures et les grands événements qu'ils ont mis si ridiculement à la scène. Grâce à eux, des légendes grotesques se sont formées, l'histoire apparaît aux ignorants comme une parade, avec des paillasses richement vêtus qui tapent des pieds et qui déclament. Je ne comprends pas comment la salle entière n'éclate pas d'un fou rire, en face des monstrueux pantins qu'on lui présente sous des noms retentissants.

Par exemple, dans Coq-Hardy, peut-on trouver quelque chose de plus profondément comique que les scènes entre le capitaine d'aventure et Anne d'Autriche? Le capitaine entre chez la reine comme chez lui, et il lui parle avec des effets de hanche, des ronflements de voix, une familiarité de bon garçon, qui sont à mon sens le comble de la drôlerie. Et quelle merveille encore, cet acte où l'on voit la reine et Louis XIV errer la nuit dans les rues de Paris, en se tordant les bras, comme deux locataires louches que le patron de quelque garni a flanqués à la porte! ajoutez que Coq-Hardy survient, qu'il démolit une maison afin de construire une barricade, et qu'il se retranche avec Louis XIV derrière cette barricade, d'où ils opèrent tous les deux des sorties pour tuer deux ou trois douzaines d'hommes. Quel cerveau a jamais inventé des folies plus extravagantes? Cela me donne froid au dos, me glace de ce petit frisson de peur et de honte que j'ai parfois éprouvé en face des infirmités humaines.

Il y a encore une scène incroyable que je veux signaler. Anne d'Autriche a chargé le capitaine Coq-Hardy de négocier avec le grand Condé, qui revient de Lens chargé de gloire. Jolie situation, invention ingénieuse et d'une vraisemblance étonnante. Alors, le capitaine parle en maître à Condé. Il le subjugue, le rend petit garçon, l'écrase devant toute la salle qui applaudit. Et, lorsque Condé ose demander une parole, le capitaine lui répond à peu près ceci:

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