Бесплатно

La Terre

Текст
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

Du reste, Lise, presque tout de suite, ramena M. Finet, qui examina longuement le malade, pendant qu'elle et son homme attendaient, d'un air d'inquiétude. La mort du vieux les eût débarrassés, si le mal l'avait tué d'un coup; mais, à cette heure, ça pouvait durer longtemps, ça coûterait gros peut-être; et, s'il claquait avant qu'ils eussent son magot, Fanny et Jésus-Christ viendraient les embêter bien sûr. Le silence du médecin acheva de les troubler. Quand il se fut assis dans la cuisine, pour rédiger une ordonnance, ils se décidèrent à lui poser des questions.

– Alors, c'est donc du sérieux?.. Possible que ça dure huit jours, hein?.. Mon Dieu! qu'il y en a long! qu'est-ce que vous lui écrivez là-dessus?

M. Finet ne répondait pas, habitué à ces interrogations des paysans que la maladie bouleverse, ayant pris le parti sage de les traiter comme les chevaux, sans entrer en conversation avec eux. Il avait une grande pratique des cas fréquents, il les tirait généralement d'affaire, mieux que ne l'aurait fait un homme de plus de science. Mais la médiocrité où il les accusait de l'avoir réduit, le rendait dur pour eux, ce qui augmentait leur déférence, malgré le continuel doute qu'ils gardaient sur l'efficacité de ses potions. Ça ferait-il autant de bien que ça coûterait d'argent?

– Alors, reprit Buteau, effrayé devant la page d'écriture, vous croyez qu'avec tout ça il ira mieux?

Le médecin se contenta de hausser les épaules. Il était retourné devant le malade, intéressé, surpris de constater un peu de fièvre, après ce cas léger de congestion cérébrale. Les yeux sur sa montre, il recompta les battements du pouls, sans même essayer d'obtenir une indication du vieux, qui le regardait de son air hébété. Et, lorsqu'il s'en alla, il dit simplement:

– C'est une affaire de trois semaines… Je reviendrai demain. Ne vous étonnez pas s'il bat la campagne cette nuit.

Trois semaines! Les Buteau n'avaient entendu que cela, et ils demeurèrent consternés. Que d'argent, s'il y avait tous les soirs une queue pareille de remèdes! Le pis était que Buteau dut, à son tour, monter dans la carriole, pour courir chez le pharmacien de Cloyes. C'était un samedi; la Frimat, qui revenait de vendre ses légumes, trouva Lise seule, si désolée, qu'elle piétinait, sans rien faire; et la vieille aussi se désespéra, en apprenant l'histoire: elle n'avait jamais eu de chance, elle aurait au moins profité du médecin pour son vieux, par-dessus le marché, si cela était arrivé un autre jour. Déjà, la nouvelle s'était répandue dans Rognes, car l'on vit accourir la Trouille, effrontée; et elle refusa de partir, avant d'avoir touché la main de son grand-père, elle retourna dire à Jésus-Christ qu'il n'était pas mort, sûrement. Tout de suite, derrière cette gourgandine, la Grande parut, envoyée évidemment par Fanny; celle-là se planta devant le lit de son frère, le jugea à la fraîcheur de l'oeil, comme les anguilles de l'Aigre; puis, elle s'en alla, avec un froncement du nez, en ayant l'air de regretter que ce ne fût pas pour ce coup-ci. Dès lors, la famille ne se dérangea plus. Pourquoi faire, puisqu'il y avait gros à parier qu'il en réchapperait?

Jusqu'à minuit, la maison fut en l'air. Buteau était rentré d'une humeur exécrable. Il y avait des sinapismes pour les jambes, une potion à prendre d'heure en heure, une purge, en cas de mieux, le lendemain matin. La Frimat aida volontiers; mais, à dix heures, tombant de sommeil, médiocrement intéressée, elle se coucha. Buteau, qui désirait en faire autant, bousculait Lise. Qu'est-ce qu'ils fichaient là? Bien sûr que de regarder le vieux, ça ne le soulageait point. Il divaguait maintenant, causait tout haut de choses qui n'avaient guère de suite, devait se croire dans les champs, où il travaillait dur, ainsi qu'aux jours lointains de son bel âge. Et Lise, mal à l'aise de ces vieilles histoires bégayées à voix basse, comme si le père fût enterré déjà et qu'il revînt, allait suivre son mari, qui se déshabillait, lorsqu'elle songea à ranger les vêtements du malade, restés sur une chaise. Elle les secoua avec soin, après avoir longuement fouillé les poches, dans lesquelles elle ne découvrit qu'un mauvais couteau et de la ficelle. Ensuite, comme elle les accrochait au fond du placard, elle aperçut en plein milieu d'une planche, lui crevant les yeux, un petit paquet de papiers. Elle en eut une crampe au coeur: le magot! le magot tant guetté depuis un mois, cherché dans des endroits extraordinaires, et qui se présentait là, ouvertement, sous sa main! C'était donc que le vieux voulait le changer de cachette, quand le mal l'avait culbuté?

– Buteau! Buteau! appela-t-elle, si serrée à la gorge, qu'il accourut en chemise, croyant que son père passait.

Lui aussi resta suffoqué d'abord. Puis, une joie folle les emporta tous les deux, ils se prirent par les mains, ils sautèrent l'un devant l'autre comme des chèvres, oubliant le malade qui, les yeux fermés maintenant, la tête clouée dans l'oreiller, dévidait sans fin les bouts de fil rompus de son délire. Il labourait.

– Eh! là, rosse, veux-tu!.. Ça n'a pas trempé, c'est du caillou, nom de Dieu!.. Les bras s'y cassent, faudra en acheter d'autres… Dia hue! bougre!

– Chut! murmura Lise, qui se tourna en tressaillant.

– Ah! ouiche! répondit Buteau, est-ce qu'il sait? Tu ne l'entends donc pas dire des bêtises?

Ils s'assirent près du lit, les jambes brisées, tant la secousse de leur joie venait d'être forte.

– D'ailleurs, reprit-elle, on ne pourra pas nous accuser d'avoir fouillé, car Dieu m'est témoin que je n'y songeais guère, à son argent! Il m'a sauté dans la main… Voyons voir.

Lui, déjà, dépliait les papiers, additionnait à voix, haute.

– Deux cent trente, et soixante-dix, trois cents tout ronds… C'est bien ça, j'avais calculé juste, à cause du trimestre, des quinze pièces de cent sous, l'autre fois, chez le percepteur… C'est du cinq pour cent. Hein? est-ce drôle que des petits papiers si vilains, ça soit de l'argent tout de même, aussi solide que le vrai!

Mais Lise, de nouveau, le fit taire, effrayée d'un brusque ricanement du vieux, qui peut-être bien en était à la grande moisson, celle, sous Charles X, qu'on n'avait pu serrer, faute de place.

– Y en a! y en a!.. C'en est farce, tant y en a!.. Ah! bon sang! quand y en a, y en a!

Et son rire étranglé avait l'air d'un râle, sa joie devait être tout au fond, car rien n'en paraissait sur sa face immobile.

– C'est des idées d'innocent qui lui passent, dit Buteau en haussant les épaules.

Il y eut un silence, tous les deux regardaient les papiers, réfléchissant.

– Alors, quoi? finit par murmurer Lise, faut les remettre, hein? Mais, d'un geste énergique, il refusa.

– Oh! si, si, faut les remettre… Il les cherchera, il criera, ça nous ferait une belle histoire, avec les autres cochons de la famille.

Elle s'interrompit une troisième fois, saisie d'entendre le père pleurer. C'était une misère, un désespoir immense, des sanglots qui semblaient venir de toute sa vie et sans qu'on sût pourquoi, car il répétait seulement d'une voix de plus en plus creuse:

– C'est foutu… c'est foutu… c'est foutu…

– Et tu crois, reprit violemment Buteau, que je vas laisser ses papiers à ce vieux-là qui perd la boule!.. Pour qu'il les déchire ou qu'il les brûle, ah! non, par exemple!

– Ça, c'est bien vrai, murmura-t-elle.

– Alors, en v'là assez, couchons-nous… S'il les demande, je lui répondrai, j'en fais mon affaire. Et que les autres ne m'embêtent pas!

Ils se couchèrent, après avoir, à leur tour, caché les papiers sous le marbre d'une vieille commode, ce qui leur semblait plus sûr qu'au fond d'un tiroir fermé à clef. Le père, laissé seul, sans chandelle, de crainte du feu, continua a causer et à sangloter toute la nuit, dans son délire.

Le lendemain, M. Finet le trouva plus calme, mieux qu'il ne l'espérait. Ah! ces vieux chevaux de labour, ils ont l'âme chevillée au corps! La fièvre qu'il avait crainte semblait écartée. Il ordonna du fer, du quinquina, des drogues de riche, dont la cherté consterna de nouveau le ménage; et, comme il partait, il eut à se débattre contre la Frimat, qui l'avait guetté.

– Mais, ma brave femme, je vous ai déjà dit que votre homme et cette borne, c'est la même chose… Je ne peux pas faire grouiller les pierres, que diable!.. Vous savez comment ça finira, n'est-ce pas? et le plus vite sera le meilleur, pour lui et pour vous.

Il fouetta son cheval, elle tomba assise sur la borne, en larmes. Sans doute, c'était long déjà, d'avoir soigné son homme depuis douze ans; et ses forces s'en allaient avec l'âge, elle tremblait de ne pouvoir bientôt plus cultiver son coin de terre; mais, n'importe! ça lui retournait le coeur, l'idée de perdre le vieil infirme qui était devenu comme son enfant, qu'elle portait, changeait, gâtait de friandises. Le bon bras dont il se servait encore, s'engourdissait lui aussi, si bien que, maintenant, c'était elle qui devait lui planter la pipe dans la bouche.

Au bout de huit jours, M. Finet fut étonné de voir Fouan debout, mal solide, mais s'obstinant à marcher, parce que, disait-il, ce qui empêche de mourir, c'est de ne pas vouloir. Et Buteau, derrière le médecin, ricanait, car il avait supprimé les ordonnances, dès la seconde, déclarant que le plus sûr était délaisser le mal se manger lui-même. Pourtant, le jour du marché, Lise eut la faiblesse de rapporter une potion ordonnée la veille; et, comme le docteur venait le lundi, pour la dernière fois, Buteau lui conta que le vieux avait failli rechuter.

– Je ne sais pas ce qu'ils ont fichu dans votre bouteille, ça l'a rendu bougrement malade.

Ce fut ce soir-là que Fouan se décida à parler. Depuis qu'il se levait, il piétinait d'un air anxieux dans la maison, la tête vide, ne se rappelant plus où il avait bien pu cacher ses papiers. Il furetait, fouillait partout, faisait des efforts désespérés de mémoire. Puis, un vague souvenir lui revint: peut-être qu'il ne les avait pas cachés, qu'ils étaient restés là, sur la planche. Mais, quoi? s'il se trompait, si personne ne les avait pris, allait-il donc lui-même donner l'éveil, avouer l'existence de cet argent péniblement amassé autrefois, dissimulé ensuite avec tant de soin? Pendant deux jours encore, il lutta, combattu entre la rage de cette brusque disparition et la nécessité où il s'était mis de ne pas en ouvrir la bouche. Les faits pourtant se précisaient, il se souvenait que, le matin de son attaque, il avait posé le paquet à cette place, en attendant de le glisser, au plafond, dans la fente d'une poutre, qu'il venait de découvrir de son lit, les yeux en l'air. Et, dépouillé, torturé, il lâcha tout.

 

On avait mangé la soupe du soir. Lise rangeait les assiettes, et Buteau, goguenard, qui suivait son père des yeux depuis le jour où il s'était relevé, s'attendait à l'affaire, se balançait sur sa chaise, en se disant que ça y était cette fois, tant il le voyait excité et malheureux. En effet, le vieux, dont les jambes molles chancelaient à battre obstinément la pièce, se planta tout d'un coup devant lui.

– Les papiers? demanda-t-il d'une voix rauque qui s'étranglait.

Buteau cligna les paupières, l'air profondément surpris, comme s'il ne comprenait pas.

– Hein? qu'est-ce que vous dites?.. Les papiers, quels papiers?

– Mon argent! gronda le vieux, terrible, la taille redressée, très haute.

– Votre argent, vous avez donc de l'argent, à cette heure?.. Vous juriez si fort que nous avions trop coûté, qu'il ne vous restait pas un sou… Ah! sacré malin, vous avez de l'argent!

Il se balançait toujours, il ricanait, très amusé, triomphant de son flair jadis, car il était le premier qui eût senti le magot.

Fouan tremblait de tous ses membres.

– Rends-le-moi.

– Que je vous le rende? est-ce que je l'ai, est-ce que je sais seulement où il est, votre argent?

– Tu me l'as volé, rends-le-moi, nom de Dieu! ou je vas te le faire cracher de force!

Et, malgré son âge, il le prit aux épaules, le secoua. Mais le fils, alors, se leva, l'empoigna à son tour, sans le bousculer, uniquement pour lui gueuler violemment dans la figure:

– Oui, je l'ai et je le garde… Je vous le garde, entendez-vous, vieille bête, dont la boule déménage!.. Et, vrai! il était temps de vous les prendre, ces papiers que vous alliez déchirer… N'est-ce pas, Lise, qu'il les déchirait?

– Oh! aussi sûr que j'existe. Quand on ne sait pas ce qu'on fait!

Saisi, Fouan s'effrayait de cette histoire. Est-ce qu'il était fou, pour ne se souvenir de rien? S'il avait voulu détruire les papiers, comme un gamin qui joue avec des images, c'était donc qu'il faisait sous lui et qu'il devenait bon à tuer? La poitrine cassée, il n'avait plus ni courage ni force. Il bégaya, en pleurant:

– Rends-les-moi, dis?

– Non!

– Rends-les-moi, puisque je vas mieux.

– Non! non! Pour que vous vous torchiez avec ou que vous en allumiez votre pipe, merci!

Et, dès lors, les Buteau refusèrent obstinément de se dessaisir des titres. Ils en parlaient ouvertement, d'ailleurs, ils racontaient tout un drame, comment ils étaient arrivés juste pour les retirer des mains du malade, au moment où il les entamait. Un soir, même, ils montrèrent à la Frimat la coche de la déchirure. Qui aurait pu leur en vouloir, d'empêcher un tel malheur, de l'argent mis en miettes, perdu pour tout le monde? On les approuvait à voix haute, bien qu'au fond on les soupçonnât de mentir. Jésus-Christ, surtout, ne dérageait pas: dire que ce magot, introuvable chez lui, avait, du premier coup, été déniché par les autres! et il l'avait tenu un jour dans sa main, il avait eu la bêtise de le respecter! Vrai! ce n'était pas la peine de passer pour une fripouille. Aussi jurait-il d'exiger des comptes de son frère, lorsque le père claquerait. Fanny, également, disait qu'il faudrait compter. Mais les Buteau n'allaient pas à rencontre, à moins, bien entendu, que le vieux ne reprît son argent et n'en disposât.

Fouan, de son côté, en se traînant de porte en porte, conta partout l'affaire. Dès qu'il pouvait arrêter un passant, il se lamentait sur son misérable sort. Et ce fut ainsi qu'un matin il entra dans la cour voisine, chez sa nièce.

Françoise y aidait Jean à charger une voiture de fumier. Tandis que lui, au fond de la fosse, la vidait à la fourche, elle, en haut, recevait les paquets, les tassait des talons, pour qu'il en tînt davantage.

Debout devant eux, le vieux, appuyé sur sa canne, avait commencé sa plainte.

– Hein? est-ce vexant tout de même, de l'argent à moi, qu'ils m'ont pris et qu'ils ne veulent pas me rendre!.. Qu'est-ce que vous feriez, vous autres?

Trois fois, Françoise lui laissa répéter la question. Elle était très ennuyée qu'il vînt causer ainsi, elle le recevait froidement, désireuse d'éviter tout sujet de querelle avec les Buteau.

– Vous savez, mon oncle, finit-elle par répondre, ça ne nous regarde pas, nous sommes trop heureux d'en être sortis, de cet enfer!

Et, lui tournant le dos, elle continua de fouler dans la voiture, ayant du fumier jusqu'aux cuisses, submergée presque, quand son homme lui en envoyait des fourchées coup sur coup. Elle disparaissait alors au milieu de la vapeur chaude, à l'aise et le coeur d'aplomb, dans l'asphyxie de cette fosse remuée.

– Car je ne suis pas fou, ça se voit, n'est-ce pas? poursuivit Fouan, sans paraître l'avoir entendue. Ils devraient me le rendre, mon argent… Vous autres, est-ce que vous me croyez capable de le détruire?

Ni Françoise ni Jean ne soufflèrent mot.

– Faudrait être fou, hein? et je ne suis pas fou… Vous pourriez en témoigner, vous autres.

Brusquement, elle se redressa, en haut de la voiture chargée; et elle avait l'air très grand, saine et forte, comme si elle eût poussé là, et que cette odeur de fécondité fût sortie d'elle. Les mains sur les hanches, la gorge ronde, elle était maintenant une vraie femme.

– Ah! non, ah! non, mon oncle, en v'là assez! Je vous ai dit de ne pas nous mêler à toutes ces gueuseries… Et, tenez! puisque nous en sommes là-dessus, vous feriez peut-être bien de ne plus venir nous voir.

– C'est donc que tu me renvoies? demanda le vieux tremblant.

Jean crut devoir intervenir.

– Non, c'est que nous ne voulons pas de dispute. On en aurait pour trois jours à s'empoigner, si l'on vous apercevait ici… Chacun sa tranquillité, n'est-ce pas?

Fouan restait immobile, à les regarder l'un après l'autre de ses pauvres yeux pâles. Puis, il s'en alla.

– Bon! si j'ai besoin d'un secours, faudra que j'aille autre part que chez vous.

Et ils le laissèrent partir, le coeur mal à l'aise, car ils n'étaient point méchants encore; mais quoi faire? ça ne l'aurait aidé en rien, et eux sûrement y auraient perdu l'appétit et le sommeil. Pendant que son homme allait chercher son fouet, elle, soigneusement, avec une pelle, ramassa les fientes tombées et les rejeta sur la voiture.

Le lendemain, une scène violente éclata entre Fouan et Buteau. Chaque jour, du reste, l'explication recommençait sur les titres, l'un répétant son éternel: Rends-les-moi! avec l'obstination de l'idée fixe, l'autre refusant d'un: Foutez-moi la paix! toujours le même. Mais peu à peu les choses se gâtaient, depuis surtout que le vieux cherchait où son fils avait bien pu cacher le magot. C'était son tour de visiter la maison entière, de sonder les boiseries des armoires, de taper contre les murs, pour entendre s'ils sonnaient le creux. Continuellement, ses regards erraient d'un coin à un autre, dans sa préoccupation unique; et, dès qu'il se trouvait seul, il écartait les enfants, il se remettait à ses fouilles, avec le coup de passion d'un galopin qui saute sur la servante, aussitôt que les parents n'y sont plus. Or, ce jour-là comme Buteau rentrait à l'improviste, il aperçut Fouan par terre, étendu tout de son long sur le ventre, et le nez sous la commode, en train d'étudier s'il n'y avait pas là une cachette. Cela le jeta hors de lui, car le père brûlait: ce qu'il cherchait dessous était dessus, caché et comme scellé par le gros poids du marbre.

– Nom de Dieu de vieux toqué! V'là que vous faites le serpent!..

Voulez-vous bien vous relever!

Il le tira par les jambes, le remit debout d'une bourrade.

– Ah ça! est-ce fini de coller votre oeil à tous les trous? J'en ai assez, de sentir la maison épluchée jusque dans les fentes!

Fouan, vexé d'avoir été surpris, le regarda, répéta en s'enrageant tout d'un coup de colère:

– Rends-les moi!

– Foutez-moi la paix! lui gueula Buteau dans le nez.

– Alors, je souffre trop ici, je m'en vais.

– C'est ça, fichez le camp, bon voyage! et si vous revenez, nom de Dieu! c'est que vous n'avez pas de coeur!

Il l'avait empoigné par le bras, il le flanqua dehors.

II

Fouan descendit la côte. Sa colère s'était brusquement calmée, il s'arrêta, en bas, sur la route, hébété de se trouver dehors, sans savoir où aller. Trois heures sonnèrent à l'église, un vent humide glaçait cette grise après-midi d'automne; et il grelottait, car il n'avait pas même ramassé son chapeau, tant la chose s'était vite faite. Heureusement, il avait sa canne. Un instant, il remonta vers Cloyes; puis, il se demanda où il allait de ce côté, il rentra dans Rognes, du pas dont il s'y traînait d'habitude. Devant chez Macqueron, l'idée lui vint de boire un verre; mais il se fouillait, il n'avait pas un sou, la honte le prit de se montrer, dans la peur qu'on ne connût déjà l'histoire. Justement, il lui sembla que Lengaigne, debout sur sa porte, le regardait de biais, comme on regarde les va-nu-pieds des grands chemins. Lequeu, derrière les vitres d'une des fenêtres de l'école, ne le salua pas. Ça se comprenait, il retombait dans le mépris de tous, maintenant qu'il n'avait plus rien, dépouillé de nouveau, et cette fois jusqu'à la peau de son corps.

Quand il fut arrivé à l'Aigre, Fouan s'adossa un moment contre le parapet du pont. La pensée de la nuit qui se ferait bientôt, le tracassait. Où coucher? Pas même un toit. Le chien des Bécu qu'il vit passer, lui fit envie, car cette bête-là, au moins, savait le trou de paille où elle dormirait. Lui, cherchait confusément, ensommeillé dans la détente de sa colère. Ses paupières s'étaient closes, il tâchait de se rappeler les coins abrités, protégés du froid. Cela tournait au cauchemar, tout le pays défilait, nu, balayé de coups de vent. Mais il se secoua, se réveilla, en un sursaut d'énergie. Fallait point se désespérer de la sorte. On ne laisserait pas crever dehors un homme de son âge.

Machinalement, il traversa le pont et se trouva devant la petite ferme des Delhomme. Tout de suite, quand il s'en aperçut, il obliqua, tourna derrière la maison, pour qu'on ne le vît point. Là, il fit une nouvelle pause, collé contre le mur de l'étable, dans laquelle il entendait causer Fanny, sa fille. Était-ce dont qu'il avait songé à se remettre chez elle? lui-même n'aurait pu le dire, ses pieds seuls l'avaient conduit. Il revoyait l'intérieur du logis, comme s'il y était rentré, la cuisine à gauche, sa chambre au premier, au bout du fenil. Un attendrissement lui coupait les jambes, il aurait défailli, si le mur ne l'avait soutenu. Longtemps, il resta immobile, sa vieille échine calée contre cette maison. Fanny parlait toujours dans l'étable, sans qu'il pût distinguer les mots: c'était peut-être ce gros bruit étouffé qui lui remuait le coeur. Mais elle devait quereller une servante, sa voix se haussa, il l'entendit, sèche et dure, sans paroles grossières, dire des choses si blessantes à cette malheureuse, qu'elle en sanglotait. Et il en souffrait lui aussi, son émotion s'en était allée, il se raidissait, à la certitude que, s'il avait poussé la porte, sa fille l'aurait accueilli de cette voix mauvaise. Il s'imagina qu'elle répétait: «Papa, il viendra nous demander à genoux de le reprendre!» la phrase qui avait coupé tous liens entre eux, à jamais, comme d'un coup de hache. Non, non! plutôt mourir de faim, plutôt coucher derrière une haie, que de la voir triompher, de son air fier de femme sans reproche! Il décolla son dos de la muraille, il s'éloigna péniblement.

Pour ne pas reprendre la route, Fouan qui se croyait guetté par tout le monde, remonta la rive droite de l'Aigre, après le pont, et se trouva bientôt au milieu des vignes. Son idée devait être de gagner ainsi la plaine, en évitant le village. Seulement, il arriva qu'il dut passer à côté du Château, où ses jambes semblaient aussi l'avoir ramené, dans cet instinct des vieilles bêtes de somme qui retournent aux écuries où elles ont eu leur avoine. La montée l'étouffait, il s'assit à l'écart, soufflant, réfléchissant. Sûrement que, s'il avait dit à Jésus-Christ: «Je vas me plaindre en justice, aide-moi contre Buteau», le bougre l'aurait reçu à à cul ouvert; et l'on aurait fait une sacrée noce, le soir. Du coin où il était, il flairait justement une ripaille, quelque soûlerie qui durait depuis le matin. Attiré, le ventre creux, il s'approcha, il reconnut la voix de Canon, sentit l'odeur des haricots rouges à l'étuvée, que la Trouille cuisinait si bien, quand son père voulait fêter une apparition du camarade. Pourquoi ne serait-il pas entré godailler entre les deux chenapans, qu'il écoutait brailler dans la fumée des pipes, bien au chaud, tellement soûls, qu'il les jalousait? Une brusque détonation de Jésus-Christ lui alla au coeur, il avançait la main vers la porte, lorsque le rire aigu de la Trouille le paralysa. C'était la Trouille maintenant qui l'épouvantait, il la revoyait toujours, maigre, en chemise, se jetant sur lui avec sa nudité de couleuvre, le fouillant, le mangeant. Et, alors, à quoi bon, si le père l'aidait à ravoir ses papiers? la fille serait là pour les lui reprendre sous la peau. Tout d'un coup, la porte s'ouvrit, la gueuse venait jeter un regard dehors, ayant flairé quelqu'un. Il n'avait eu que le temps de se jeter derrière les buissons, il se sauva, en distinguant, dans la nuit tombante, ses yeux verts qui luisaient.

 

Lorsque Fouan fut en plaine, sur le plateau, il éprouva une sorte de soulagement, sauvé des autres, heureux d'être seul et d'en crever. Longtemps, il rôda au hasard. La nuit s'était faite, le vent glacé le flagellait. Parfois, à certains grands souffles, il devait tourner le dos, l'haleine coupée, sa tête nue hérissée de ses rares cheveux blancs. Six heures sonnèrent, tout le monde mangeait dans Rognes; et il avait une faiblesse des membres, qui ralentissait sa marche. Entre deux bourrasques, une averse tomba, drue, cinglante. Il fut trempé, marcha encore, en reçut deux autres. Et, sans savoir comment, il se trouva sur la place de l'Église, devant l'antique maison patrimoniale des Fouan, celle que Françoise et Jean occupaient à cette heure. Non! il ne pouvait s'y réfugier, on l'avait aussi chassé de là. La pluie redoublait, si rude, qu'une lâcheté l'envahit. Il s'était approché de la porte des Buteau, à côté, guettant la cuisine, d'où sortait une odeur de soupe aux choux. Tout son pauvre corps y revenait se soumettre, un besoin physique de manger, d'avoir chaud, l'y poussait. Mais, dans le bruit des mâchoires, des mots échangés l'arrêtèrent.

– Et le père, s'il ne rentrait point?

– Laisse donc! il est trop sur sa gueule, pour ne pas rentrer quand il aura faim!

Fouan s'écarta, avec la crainte qu'on ne l'aperçût à cette porte, comme un chien battu qui retourne à sa pâtée. Il était suffoqué de honte, une résolution farouche le prenait de se laisser mourir dans un coin. On verrait bien s'il était sur sa gueule! Il redescendit la côte, il s'affaissa au bout d'une poutre, devant la maréchalerie de Clou. Ses jambes ne pouvaient plus le porter, il s'abandonnait, dans le noir, et le désert de la route, car les veillées étaient commencées, le mauvais temps avait fait clore les maisons, pas une âme n'y semblait vivre. Maintenant, les averses calmaient le vent, la pluie ruisselait droite, continue, d'une violence de déluge. Il ne se sentait pas la force de se relever et de chercher un abri. Sa canne entre les genoux, son crâne lavé par l'eau, il demeurait immobile, stupide de tant de misère. Même il ne réfléchissait point, c'était comme ça: quand on n'avait ni enfants, ni maison, ni rien, on se serrait le ventre, on couchait dehors. Neuf heures sonnèrent, puis dix. La pluie continuait, fondait ses vieux os. Mais des lanternes parurent, filèrent rapidement: c'était la sortie des veillées, et il eut un réveil encore, en reconnaissant la Grande qui revenait de chez les Delhomme, où elle économisait sa chandelle. Il se leva d'un effort dont ses membres craquèrent, il la suivit de loin, n'arriva pas assez vite pour entrer en même temps qu'elle. Devant la porte refermée, il hésitait, le coeur défaillant. Enfin, il frappa, il était trop malheureux.

Il faut dire qu'il tombait mal, car la Grande était d'une humeur féroce, à la suite de toute une histoire malheureuse qui l'avait dérangée, l'autre semaine. Un soir qu'elle se trouvait seule avec son petit fils Hilarion, elle avait eu l'idée de lui faire fendre du bois, pour tirer encore de lui ce travail, avant de l'envoyer à la paille; et, comme il besognait mollement, elle restait là, au fond du bûcher, à le couvrir d'injures. Jusqu'à cette heure, dans son aplatissement d'épouvanté, cette brute stupide et contrefaite, aux muscles de taureau, avait laissé sa grand'mère abuser de ses forces, sans même oser lever les yeux sur elle. Depuis quelques jours pourtant, elle aurait dû se méfier, car il frémissait sous les corvées trop rudes, des chaleurs de sang raidissaient ses membres. Elle eut le tort, pour l'exciter, de le frapper à la nuque, du bout de sa canne. Il lâcha la cognée, il la regarda, irritée de cette révolte, elle le cinglait aux flancs, aux cuisses, partout, lorsque, brusquement, il se rua sur elle. Alors elle se crut renversée, piétinée, étranglée; mais, non, il avait trop jeûné depuis la mort de sa soeur Palmyre, sa colère se tournait en une rage de mâle, n'ayant conscience ni de la parenté ni de l'âge, à peine du sexe. La brute la violait, cette aïeule de quatre-vingt-neuf ans, au corps de bâton séché, où seule demeurait la carcasse fendue de la femelle. Et, solide encore, inexpugnable, la vieille ne le laissa pas faire, put saisir la cognée, lui ouvrit le crâne, d'un coup. A ses cris, des voisins accouraient, elle raconta l'histoire, donna des détails: un rien de plus, et elle y passait, le bougre était au bord. Hilarion ne mourut que le lendemain. Le juge était venu; puis, il y avait eu l'enterrement; enfin toutes sortes d'ennuis, dont elle se trouvait heureusement remise, très calme, mais ulcérée de l'ingratitude du monde et bien résolue à ne plus jamais rendre un service à ceux de sa famille.

Fouan dut frapper trois fois, si peureusement, que la Grande n'entendait point. Enfin, elle revint, elle se décida à demander:

– Qui est là?

– Moi.

– Qui, toi?

– Moi, ton frère.

Sans doute, elle avait reconnu la voix tout de suite, et elle ne se pressait pas, pour le plaisir de le forcer à causer. Un silence s'était fait, elle demanda de nouveau:

– Qu'est-ce que tu veux?

Il tremblait, il n'osait répondre. Alors, brutalement, elle rouvrit; mais, comme il entrait, elle barra la porte de ses bras maigres, elle le laissa dans la rue sous la pluie battante, dont le ruissellement triste n'avait pas cessé.

– Je le sais, ce que tu veux. On est venu me dire ça, à la veillée… Oui, tu as eu la bêtise de te faire manger encore, tu n'as pas même su garder l'argent de ta cachette, et tu veux que je te ramasse, hein?

Puis, voyant qu'il s'excusait, bégayait des explications, elle s'emporta.

– Si je ne t'avais pas averti! Mais te l'ai-je assez répété qu'il fallait être bête et lâche pour renoncer à sa terre!.. Tant mieux, si te voilà tel que je le disais, chassé par tes gueux d'enfants, courant la nuit comme un mendiant qui n'a pas même une pierre à lui pour dormir!

Les mains tendues, il pleura, il essaya de l'écarter. Elle tenait bon, elle achevait de se vider le coeur.

– Non, non! va demander un lit à ceux qui t'ont volé. Moi, je ne te dois rien. La famille m'accuserait encore de me mêler de ses affaires… D'ailleurs, ce n'est point tout ça, tu as donné ton bien, jamais je ne pardonnerai…

Et, redressée, avec son cou flétri et ses yeux ronds d'oiseau de proie, elle lui jeta la porte sur la face, violemment.

Другие книги автора

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»