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Contes de bord

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LE ROI-MATELOT.[1]

A bord d'une frégate mouillée paisiblement en rade des Basques, près de Rochefort, la plus grande partie de l'équipage se trouvait couchée dans les files de hamacs qui s'étendaient dans la batterie, depuis la chambre du commandant jusque sur l'avant. Quelques hommes de quart veillaient seuls sur le pont, et faisaient retentir, sous leurs pas cadencés, en se promenant les uns derrière les autres, les larges passavans du navire. Le temps était beau; la mer coulait pour ainsi dire avec harmonie le long du bord, et ce retentissement des pas des hommes de quart, ce murmure léger des flots et du vent, et ce bruit des conversations qui s'établissaient entre les hommes couchés dans la batterie, donnaient à l'ensemble de cette scène, un calme pour ainsi dire mélodieux.

Un des canonnière d'artillerie, couché non loin du fanal qui éclairait, dans la batterie, la porte de la chambre du commandant, fit entendre de sa grosse voix un cric dont le son se prolongea jusque sur le pont de la frégate, et de l'avant à l'arrière de la batterie. Les hommes étendus dans leurs hamacs s'empressèrent de s'écrier crac pour répondre au cric du canonnier. C'était le signal, le mot d'avertissement qui indiquait que l'artilleur, un des plus fameux narrateurs de l'équipage, allait conter un conte. Les matelots de quart, qui, sans être aperçus de l'officier qui se promenait derrière, pouvaient prêter l'oreille au récit du conteur, s'empressèrent de se glisser au bas des escaliers de l'arrière et de l'avant. La sentinelle qui, le sabre à la main, se promenait devant le fanal de l'arrière de la batterie, s'arrêta comme séduite par le charme. Chacun écouta en silence, et le conteur commença en ces termes:

LE ROI-MATELOT.

Cric! crac! boutons de guêtres, cire à giberne, la terre de pipe et la sueur des pieds pour le pousse-caillou (le soldat); suif au chapeau, l'épissoir à la main, le goudron au derrière et la chique à la bouche: c'est la rocambole du matelot. Attention: bosse-de-bout, pommes de racage, bout-de-drisse en queue de rat, soupe sans pain, bouillon sans viande, v'là la ration de l'équipage. Bon navire qui sonne la cloche pour dîner; il aura mon sac. Ceci, mes amis, n'est pas un conte: c'est une histoire qui n'en vaut pas mieux; tant pis pour ceux qui dorment, et que ceux qui veillent se mouchent sans mouchoir pour ne pas couper le fil du discours et ne pas me faire faire une épissure au milieu de la conversation. Cric! encore une fois, cric!

Tous les auditeurs s'écrièrent encore une fois crac!

Un tonnerre dans ton lit, une jeune fille dans mon hamac!

Je dois, d'abord un, vous prévenir que tous les contes commencent la même chose et finissent de même, et que je vais commencer le mien.

Il était autrefois un navire: à bord de ce navire il y avait un équipage. Le capitaine voyait à sept lieues dans la brume sans longue-vue; mais comme il se rendait on ne sait pas où, dans des parages de perdition, il jeta sa barque sur des cailloux qu'il n'avait pas aperçus sur sa carte, à douze pieds sous l'eau. «Sauve qui peut, malheureux qui se noie! s'écria-t-il dans son porte-voix d'embêtement, aussitôt qu'il sentit que son pont allait lui manquer sous les pieds.– Attrape à nous sauver corps et biens ou corps sans biens,» dit l'équipage en se jetant à la mer. Des canards se seraient sauvés, la queue en trompette, s'ils n'avaient pas été accommodés aux petits pois; mais les matelots, qui ne savaient pas nager aussi bien que des canards, burent, en faisant des façons et des grimaces, un coup de longueur à la grande tasse. Un seul homme finalement se sauva de tout l'équipage. Ce particulier, qui avait nom Pique-à-Terre, se déhala sur une île déserte où il y avait des habitans; mais quels habitans, mes amis! c'étaient des gaillards ni grands, ni gros, ni gras, ni maigres, mais entrelardés, comme on dit: la peau basanée, tirant sur le cuivre de casserole, le nez en forme de poire tapée, et la bouche retroussée en manière de garniture d'écubier: de vrais nègres rouges enfin.

Aussitôt qu'ils virent Pique-à-Terre à la côte, ils allèrent le chercher en dansant chica et en battant des entrechats à la sauvage. Comme ce jour-là précisément ils avaient un roi à choisir, et qu'il leur fallait une forte pièce pour la fête, ils dirent dans leur baragouin: «Voilà un chrétien qui fera joliment notre affaire.» Pique-à-Terre avait la côte grasse et la mine joufflue, pour son malheur.

On mit donc notre pauvre matelot dans la soute aux provisions à bouche, en attendant l'heure de le passer à la broche. Comme le bois ne manquait pas dans l'île, il était bien sûr de sa cuisson.

Mais bientôt un des chefs de cette escouade d'avaleurs de chair chrétienne s'avisa de le regarder de près et de lui passer le doigt sur le nez, en jetant un cri à casser les vitres des maisons, s'il y avait eu des vitres dans cette île déserte; aussitôt plus de trois mille cinq cents nègres, négrillons et négrailles lui passent le doigt sur le nez en défilant la parade devant lui, et en criant comme le premier de ces individus.

Le chef dit alors à tous ses camarades: «Il est blanc et nous sommes rouge foncé; il a un nez long et creux (car Pique-à-Terre, par bonheur, avait un piffe),[2] et nous autres nous en avons un si petit que ce n'est pas la peine d'en parler. Si nous le nommions roi, mes amis, puisqu'il nous en manque un, ça éviterait les disputes.»

Tous les individus présens à l'appel se mirent à crier: «Roi pour roi, autant vaut-il celui-là, qui nous est tombé du ciel, qu'un autre.» Car il est bon de vous dire que le navire de Pique-à-Terre s'était perdu net, et qu'il n'avait pas laissé plus de débris sur l'eau que de beurre sur la main.

«Oui, faisons-le roi! faisons-le roi! que se dit tout le monde; il sera plus facile à reconnaître dans la foule, à sa couleur et à son nez.»

Au lieu donc d'être mangé, voilà Pique-à-Terre qui est fait roi parce qu'il avait un nez de longueur.

Cric!

Crac! répondent tous les auditeurs de la batterie au conteur, qui continue:

Ceci est seulement pour voir si vous ne dormez pas, et pour vous faire savoir que les nez de longueur ne sont pas de trop, quand on se perd sur l'Ile-sans-Nom dont je vous parle dans le moment actuel.

Je disais donc que Pique-à-Terre fut nommé monarque de cette île, sans savoir la langue du pays.

Le Roi-Matelot avait bien gouverné, à son tour, et quand il était de barre, les navires où il avait été embarqué; mais une île, entendez-vous bien, ne se gouverne pas à la roue ou à la barre-franche, comme un brick ou un trois-mâts.

«Comment, se disait-il à lui-même, vais-je faire pour commander à toute cette sale espèce qui n'entend pas plus le français que les chiens la musique? S'ils veulent bien se laisser battre, je pourrai peut-être me faire entendre; mais s'ils se mettent dans leurs vilaines têtes de me manger, cuit ou cru, au gros sel ou à la sauce noire, ma royauté sera bientôt finie. Essayons un peu cependant le gouvernement de la trique.»

Ce qui fut dit fut fait. Le Roi-Matelot attrape une bille d'acajou, car partout il y avait de l'acajou dans l'île, et le voilà, pour essayer son sceptre, qui se met à bûcher les plus bêtes de sa cour. Les autres se mettent à rire et à danser autour du roi. «Bon, fit Pique-à-Terre, j'ai trouvé du premier coup la finesse de ma royauté: c'est de frapper dur et de faire jouer la bille.»

Il prit bientôt au roi l'envie de se marier avec toutes les femmes de son île, et la bûche d'acajou fit encore son jeu, parce que les hommes de ces femmes faisaient la grimace, et une vilaine grimace même, à ce qu'on dit.

«Ce n'est pas encore tout, pensa le roi, que d'avoir à moi les femmes de tout le monde, je veux avoir une garde impériale.» Il prit tous les plus grands, et il se fit un état-major de mangeurs de bananes.

Comme il ne manquait pas de charpentiers dans l'île, pour faire des flèches à ces sauvages, il voulut aussi mettre l'État sur un bon pied; car en tout, mes amis, il faut de la discipline, et le navire gouverne mal quand le second veut commander au capitaine.

A force de le haler, dit l'autre, le filain s'allonge. Pique-à-Terre, au bout de six mois, plus ou moins, commença à parler la langue du pays. Une fois qu'il put commander en bon français de l'endroit, à ses sujets, qui n'étaient pas plus malins que l'ordonnance de la marine ne le porte, il leur dit ces paroles en forme de décret:

ARTICLE PREMIER.

Il faudra qu'avant la fin de la semaine prochaine on me fasse une grand'hune sur l'arbre le plus haut de mon royaume.

ARTICLE DEUX.

Cette grand'hune sera mon trône, et gare à ceux qui passeront dessous!

ARTICLE TROIS.

Tous mes sujets mangeront dans des gamelles, et boiront ce qu'ils pourront, dans des bidons de sept.

ARTICLE QUATRE.

Cinq cents hommes feront le quart chaque nuit au pied du grand mât où sera Ma Majesté, pour empêcher de faire du bruit quand je dormirai, et quand je m'éveillerai je ne serai pas de bonne humeur.

ARTICLE CINQ.

Tout ce qui est à vous sera à moi, et tout ce qui m'appartiendra ne sera à personne.

ARTICLE SIX.

Quand je rirai, tout le monde sera content; si je deviens borgne, il me restera encore un oeil: ainsi, veille au grain!

ARTICLE SEPT.

Comme commandant de mon royaume, je choisirai pour seconds, officiers, maîtres et contre-maîtres, ceux qui plairont à Ma Majesté, et quand il me plaira de les renvoyer sans congé, ce sera signe qu'ils ne plairont plus à Ma susdite Majesté.

ARTICLE HUIT.

 

Je serai le maître tant que je vivrai, et quand j'irai faire la révérence au Père éternel, en vous faisant ma dernière grimace, vous pourrez vous battre, pour me remplacer, tant qu'il vous plaira; car telle est ma volonté.

Signé LE ROI-MATELOT.

Pour copie conforme:

Mot tout seul.

Après tout cela, le roi nomma ses ministres: c'étaient tous de grands gaillards qui, avec une garcette de bon filain en écorce d'arbre, vous faisaient marcher droit les sujets de Sa Majesté.

Mais comme les sujets de l'Ile-va-t'en-Chercher-son-Nom n'étaient que de fichus paresseux qui se reposaient la nuit après avoir dormi tout le jour, le roi inventa une mécanique pour les faire travailler dur: «L'oisiveté, qu'il leur dit, est la mère de tous les vices, et je vais vous relever du péché de paresse, à ma manière.»

Sa manière était solide, au Roi-Matelot, et je vais vous conter comment le malin s'y prit pour donner de l'ouvrage à tout son équipage.

Il commença d'abord par faire mettre en travers, sur chaque arbre haut de cinquante pieds, un autre arbre, hissé en croix, si vous aimez mieux, et puis après il envoya en haut, des hommes pour gréer des suspentes et des balancines sur ces grands coquins d'arbres, comme sur la grande vergue d'un navire, sans comparaison. Quand cet ouvrage-là fut fini, il dit à tout son monde: «Hale dessus maintenant; brasse babord derrière et tribord devant.» C'était une vraie farce de voir dix mille hommes haler toute la journée sur les vergues de la forêt. Le roi, monté sur son trône, c'est-à-dire dans sa hune, commandait la manoeuvre avec un porte-voix de bois, et tous ceux qui ne halaient pas bien sur le bout de corde qu'on leur mettait dans la main, recevaient une doudouille (une volée) un peu ronflante, des ministres, qui n'étaient, une supposition, que les quartiers-maîtres du Prince-au-Long-Nez, car c'était le nom qu'on lui avait donné dans son royaume, à cette espèce de matelot parvenu.

Une fois, je me suis laissé dire qu'il y avait eu son premier ministre qui s'était avisé de l'appeler l'empereur Nasica, par rapport à son nez.

Un espion du prince, car il avait aussi des espions de tous les bords, vint lui récapituler cette parole dans le sifflet de l'oreille.

«Oui, répondit le roi, qui ce jour-là s'était levé de mauvais poil; oui, je suis Nasica premier, empereur des Va-nu-Pieds; mais toi, mon premier ministre, tu seras pendu,»

Effectivement le premier ministre, dix minutes après le rapport de l'espion, fut hissé par le cou au bout de la grande vergue du mât royal.

Toutefois et quantes il n'était pas content de ses autorités, il leur faisait brasser une vergue pendant vingt-quatre heures de quart. Tout cambusier qui, en distribuant la ration à son escouade, s'avisait de rogner la portion du pauvre b...., était bien sûr d'être amarré sur le tenon (sur le sommet) d'un arbre gréé en bas-mât, et de recevoir en descendant une ration de coups de bout de corde qui n'était pas piquée des hannetons.

C'était tout de même un bon roi que l'empereur Nasica Ier; il bûchait tout son monde; mais il était juste, et la justice fait toujours aimer ses chefs.

Je ne vous ai pas dit qu'une fois, en montant sur son trône, qui était plus haut que la girouette du grand-mât de la frégate, il aperçut au large une façon de terre toute ronde. Le temps était beau et voyant ce jour-là. «Bon, dit-il, c'est une île que je viens de voir; elle me reste dans le nord-ouest-quart-de-ouest, distance de dix lieues, et en gouvernant dessus, je finirai par l'avoir.»

Mais jusqu'à ce moment-là on n'avait pas pensé, dans l'île, à faire des pirogues.

«Attrape tout de suite, dit le prince, à faire comme moi; qui m'aime me suive!» Tout le monde le suivit, parce que les coups de garcette étaient là pour un coup ou deux.

La première chose que fit le prince, ce fut d'abattre des arbres sur le bord de la mer, et de travailler à poser la quille d'un bateau. Le gouin (le marin) n'était pas charpentier de son état, mais il avait de l'idée, le coquin! et il avait vu des pratiques travailler des embarcations. En moins de quatre jours, tout en chantant la Mère-Gaudichon, il monta une pirogue clouée et chevillée en bois, mais pas trop mal solide pourtant.

«A présent, dit-il à tous ceux qui le regardaient, vous voyez comment je m'y suis pris. Le premier des chefs d'escouade qui n'en aura pas fait autant que moi dans une semaine, aura sur le dos pendant quinze jours.»

La semaine n'était pas finie, qu'il y avait plus de deux cents pirogues de faites tant bien que mal.

Voilà comme quoi, mes amis, un prince qui veut avoir une marine doit s'y prendre pour ne pas laisser l'Anglais régner seul sur la mer. Le malheur de la France, c'est de n'avoir jamais eu un roi-matelot.... Hum! je n'en dirai pas plus long là-dessus, parce que tous ceux qui m'entendent ici ont deux oreilles et une demi-paire de langue. Assez causé.[3]

L'empereur Nasica Ier n'eut pas plutôt ses deux cents pirogues à la mer, qu'il fit mettre un pavillon sur sa flotte. Vous dire quel était son pavillon, c'est ce que je ne vous dirai pas, parce qu'on ne me l'a pas appris; mais tout ce que je puis vous assurer, c'est que son pavillon n'était pas un pavillon blanc, comme celui qu'on hisse tous les matins à bord de nos navires dans le moment actuel.... Hum! hum! Je m'entends, si vous ne m'entendez pas. Sufficit. Je suis un peu enrhumé.

Où donc est-ce que j'en étais de mon histoire?

– Au lançage des pirogues, canonnier.

– Ah! c'est vrai: m'y revoilà!

Donc les deux cents pirogues étaient bien lancées, comme je vous l'ai conté; mais les équipages ne savaient pas ramer ensemble et de long. L'empereur prit lui-même un aviron, et il montra à ses gens comment il fallait manier une plume de dix pieds pour faire sailler une embarcation de l'avant.

Une fois l'exercice des rames fait deux ou trois fois, on embarqua des vivres sur chaque pirogue: à savoir, un corosol, deux bananes et un bidon d'eau par tête. On annonça que le coup de canon de partance serait tiré le lendemain. Quand je dis le coup de canon de partance, vous comprenez bien que je ne sais pas ce que je dis, puisqu'il n'y avait pas plus de canon dans l'île, que je n'ai de pièces en or dans mon sac. Mais c'est égal. Il y avait dans le pays une ancienne, une vieille sorcière rouge-brun qui passait pour avoir autant d'années sur la tête, que de cheveux. Elle devinait ce qui devait arriver aux hommes et aux femmes. Avant de se mettre pour la première fois en mer, les équipages de la flotte des pirogues voulurent sonder un peu l'idée de la vieille diseuse de bonne-aventure, sur l'expédition. L'empereur, lui, ne croyait pas à toutes ces bêtises-là; mais, pour ne pas trop juguler son monde, il dit à la sorcière avec douceur: «Viens-t'en ici, toi, espèce de manivelle sans dents. Qu'est-ce que tu penses de mon expédition?

– Je pense, répondit-elle, que le navire périra par son gréement.

– Qu'est-ce que cela signifie? lui demanda l'empereur.

– Tu l'apprendras en temps et lieu.

– Et moi, qu'est-ce que je deviendrai?

– Tu veux le savoir, grand empereur?

– Tiens, puisque je te le demande, est-ce pour ne le savoir pas!

– Le navire périra par son gréement.

– Ah ça, tu n'as donc que la même chose à me dire? Attends un peu; puisque tu devines tout ce qui doit arriver au tiers comme au quart, je vais bien voir si tu as l'esprit de Nostradamus dans le ventre. Sais-tu, par exemple, ce que tu vas devenir toi-même dans dix minutes d'horloge?

– Je deviendrai ce qu'il plaira à Votre Majesté, grand empereur.

– Mais qu'est-ce qui me plaira dans dix minutes d'ici?

– Il vous plaira ce que vous voudrez.

– Puisque c'est comme ça, il me plaît de te faire pendre.

– Je l'avais deviné, reprend la vieille sorcière, pour ne pas perdre sa réputation de devinage.

– En ce cas, pour qu'il ne soit pas dit que tu n'as pas dit la vérité, j'ordonne et je commande que tu sois accrochée à une potence pour y voir de plus haut.»

L'empereur fut obéi, comme on le pense bien. La flotte, après ce beau coup de manoeuvre, partit pour l'île inconnue; la v'là en mer.

Nasica Ier, qui n'était pas une bête, comme il y a certains rois, à ce que je me suis laissé dire, avait remarqué que la pleine lune se levait toujours sur l'île ancienne. Il partit donc au lever du soleil le jour de pleine lune, parce qu'il se dit à lui-même: «Je n'ai pas de boussole pour pouvoir gouverner au compas; mais en ayant soin de gouverner à avoir le soleil levant sur l'arrière de ma pirogue, j'arriverai dans quelques heures à vue de l'île, et ensuite j'attendrai la nuit pour l'accoster, en gouvernant sur la pleine lune qui se lèvera du bord de cette terre que je veux voir pour m'amuser, par manière d'acquit.»

Un autre prince qui aurait mal pointé sa carte, se serait mis dedans, royalement, comme on dit; mais le Roi-Matelot ne se blousa pas, je vous en fiche ma parole. Le particulier vit la terre le premier à l'heure dite, et vers les six ou sept heures du soir, quand la lune se leva large comme un pain de munition et rouge comme la figure d'un capitaine hollandais, il fit signal, avec un fanal de poupe, à toutes les pirogues de nager droit sur la lune levante. Le coup ne manqua pas, et la flotte mal montée de sauvages accosta l'île inconnue, en donnant un bon coup d'aviron. Les habitans de ces parages, qui étaient à danser dans le moment de la descente, commencèrent tous par jouer des jambes d'abord. Mais l'empereur Nasica, qui le premier avait sauté à terre, se mit à dire aux mal-blanchis qui battaient en retraite: «Il n'y a pas d'affront, vous autres; je ne veux pas vous faire du mal. C'est une visite de ma part tout bonnement. Avez-vous un roi?

– Oui, répondirent les habitans. Car il est bon de vous apprendre que, par le plus grand des hasards, dans les deux îles on parlait le même langage, ou pour mieux dire le même baragouin.

«A la bonne heure, reprit Nasica; car si vous n'aviez pas eu de roi, j'aurais fait votre affaire. Allez me chercher cet individu.»

On alla en rognonnant chercher le roi de l'île inconnue.

Le monarque arriva tout essouflé, car il était gros et il avait joliment peur.

«Qu'y a-t-il pour votre service? demanda-t-il à l'empereur.

– Mais rien, mon ami; je suis venu, en qualité de voisin et de confrère, saluer Ta Majesté.

– Oserai-je demander à la vôtre d'où elle vient?

– Ose, oui, ose, mon camarade; je ne vois pas pourquoi tu n'oserais pas. Je viens de mon île, qui est à peu près à quinze lieues de la tienne. Comment se porte Ta Majesté?

– Bien, et vous? je vois avec plaisir que vous paraissez jouir d'une bonne santé.

– Ça ne va pas trop mal comme ça. Mais voilà assez de cérémonies. J'invite Ta Majesté à conduire la mienne dans ta maison, pour nous rafraîchir, car j'ai soif.»

Les deux monarques allèrent amicalement se rafraîchir dans la case royale:

Or, il est temps de vous dire que le roi de l'île inconnue avait la plus belle femme de tous ses états. C'était un vrai colosse: cinq pieds huit à neuf pouces; une peau comme une peau d'orange, mais douce comme un gant, et des appas relevés en bosses d'or, et à coups de palan, jusqu'au menton. Aussitôt que Nasica Ier eut vu la reine, il dit au mari de cette aimable princesse: «Voilà qui n'est pas mal, et je ferais bien mon affaire de votre femme.

– Vous êtes trop bon, lui répondit le roi; mais j'en fais moi-même mon affaire aussi, et tout seul.

– C'est dommage. Je voudrais dire un mot en particulier à la reine sur la politique des deux états.

– Mon épouse, répondit le roi, n'entend pas la politique, et je l'entends bien mieux qu'elle.

– C'est égal, je la lui apprendrai. Sors pour un instant, mon ami, tu me feras plaisir.»

Le roi, qui ne voulait pas trop se fâcher avec l'empereur, sortit pour un instant, en faisant une mine à faire trembler tout son royaume.

Une fois que l'empereur fut seul avec la princesse, il voulut prendre des libertés, à la bonne matelotte. Mais la princesse, qui était bien élevée, lui dit avec modestie, et en lui donnant une tape à poing fermé: «Est-ce que tu voudrais nous embêter, beau prince?»

Le prince rengaîna pour l'instant son compliment d'ouverture et ses libertés.

Après avoir donc été repoussé avec perte, l'empereur changea la conversation. La princesse fit tomber l'entretien sur les nez.

«Beau prince, dit-elle, voilà le premier nez de cette façon que je vois dans ma vie. Voulez-vous me permettre de le toucher?

 

– Avec plaisir, princesse. Il est de taille; mais, comme on dit, jamais grand nez n'a défiguré un beau visage.

– Ce que vous me dites là, bel empereur, est méchant, et c'est peut-être parce que je n'ai pas de nez moi-même, que vous me récitez ce compliment. Mais il m'est avis que vous avez la peau blanche.

– Oui, c'est un agrément que je me suis donné en naissant.

– Cela vous plaît sans doute à dire, car on n'est pas maître de se faire la peau soi-même.

– Pardonnez-moi, et si vous le désiriez, je vous blanchirais la vôtre.

– C'est une plaisanterie, sans doute; mais pour la farce, je serais bien aise d'en essayer.»

Voilà-t-il pas, mes amis, que cette princesse, qui avait commencé par bégueularder, par donner une taloche à Nasica, se mit, pour avoir la peau blanche, à se laisser aller avec le courant.

Dans cette entrefaite arrive le roi son époux, qui s'ennuyait de tenir la chandelle à la porte de sa maison.

«Je voudrais bien savoir ce que vous faites là avec mon épouse? demanda-t-il à l'empereur.

– Mais j'étais occupé à faire quelque chose à la princesse.

– C'est bon, répond le roi; mais, selon les lois du pays, il faut que je rende la pareille à Votre Majesté. Avez-vous une femme dans votre île?

– J'en ai cinquante, mon camarade, et tout ce demi-cent de femelles est à ta disposition.

– En ce cas-là, partons pour votre empire, car mon honneur ne sera vengé que lorsque j'aurai fait aux femmes de Votre Majesté ce qu'elle vient de faire à la mienne.

– Partons, dit l'empereur, je ne demande pas mieux.»

Le roi de l'île inconnue était malin, mais il n'avait pas plus de méfiance qu'un nouveau-né. Il s'embarque avec l'empereur sur la pirogue royale, et voilà la flotte qui revient dans l'empire de Nasica.

A son arrivée, il y eut des fêtes et de la boisson à discrétion pour tout le monde: «Voyons, où sont vos femmes? demanda le roi inconnu à son camarade l'empereur, car il faut que mon honneur soit vengé!

– Mes femmes, mais je les ai toutes; prends-en tant que tu voudras, et venge-toi tant que tu le pourras. Je n'ai pas d'autre système.

– Ah! je vois bien que Votre Majesté m'a roulé, répondit tout haut le roi de l'île inconnue; mais je m'en souviendrai, se dit-il à lui même, en dedans et tout bas.

– Ah ça, voulez-vous, lui souffla dans le tympan de l'oreille l'empereur, voulez-vous savoir ma manière de régner?

– Ce n'est pas de refus, répond l'autre; donnez-moi une leçon de royauté.»

Vous vous souvenez bien, sans doute, que je vous ai déjà appris comment l'empereur avait hissé son trône au haut d'un grand arbre. Cet arbre était soutenu par des haubans qui venaient tribord et babord s'amarrer à terre sur de forts pitons de bois plantés en plein champ. «Bon, pensa le roi de l'île inconnue, en voyant cette installation: dans un pays où il y a beaucoup de rats de forêts, il ne sera pas malaisé de jouer un mauvais tour à mon empereur.»

Nasica monta donc sur son trône, et quand il fut assis, il commanda à son peuple un tas de manoeuvres qui étonnèrent le roi: «C'est beau! s'écriait-il, c'est superbe! mais la manoeuvre que je lui prépare sera encore plus belle que tout cela.»

Savez-vous ce que c'était que la manoeuvre qu'il préparait, le malin? vous allez le savoir.

Le roi, en visitant l'île, avait vu du coin de l'oeil qu'il y avait de gros rats partout, comme à bord d'une vieille carcasse de navire. Il demanda à son souper, pendant plusieurs jours, à manger du lard grillé. Et puis la nuit, sous prétexte d'un besoin, il allait graisser, avec le reste de ce lard, le pied des haubans qui soutenaient le mât du trône de l'empereur. Vous sentez bien que lorsque les rats, qui sont friands, se mirent à flairer l'odeur de cette graisse, ils ne manquèrent pas de rogner le bas des haubans. Les dents de ces animaux jouèrent tant, qu'en moins de quarante-huit heures les bas-haubans ne tinrent plus qu'à un fil carré. C'est alors que le roi, un jour qu'il ventait bonne brise, se mit à dire par manière d'acquit à l'empereur: «Je voudrais bien savoir si Votre Majesté aurait assez de toupet, au moment où l'on y pense le moins, pour faire venir tout son peuple autour de son trône.

– Crois-tu donc, camarade, que ce soit si difficile?

– Non, rien ne vous est difficile à vous; mais je voudrais bien le voir tout de même.»

Voilà que, sans ajouter un mot, l'empereur monte en vrai gabier sur son trône, son porte-voix de combat à la main. Mais, en mettant le pied sur ses enfléchures, il vint à penser à la parole que la vieille sorcière, que vous savez bien, lui avait dite avant son embarquement: «Le navire ne périra que par son gréement, rognona-t-il en montant. Il vente bonne brise aujourd'hui, et mes gueux de ministres ne visitent pas souvent mon haubantage: c'est égal, il ne s'agit pas de caponner devant le roi. En descendant, je ferai pendre les principaux de l'Etat.»

Au commandement de l'empereur, grimpé sur son trône, tout le peuple vint en courant, comme vous autres, sans comparaison, quand on commande le branle-bas général de combat à bord. Mais au moment où les habitans se poussaient comme des moutons au pied du mât du trône, ne voilà-t-il pas que les haubans larguent du bord du vent, et que le mât, qui n'est plus soutenu contre la raffale qui soufflait dur, craque en deux endroits, et qu'il tombe avec l'empereur au bout! Je vous demande un peu quel boucan de cinq cent mille diables cette avarie fit dans l'île! Le corps de l'empereur fut trouvé en quatre morceaux au milieu des parias du peuple, que la cassure du mât du trône avait écrasés comme des mouches. Mais la tête de Nasica tenait encore à ses épaules par ce tas de petits fils à voile en chair que nous avons dans le cou; et avant de fermer les sabords (les yeux) de sa batterie, il dit à ses ministres, qui étaient venus pour le relever: «Mes amis, la vieille sorcière avait raison: c'est par le gréement que mon navire a péri. Mais vous êtes tous des tas de gredins de n'avoir pas fait la visite de mes bas-haubans; et si j'avais seulement dix minutes de plus à vivre, je vous trouverais joliment votre marche.... Bonsoir....»

C'est de cette façon que finit le Roi-Matelot. On l'enterra comme un chien, mais ce n'est pas l'enterrement qui fait quelque chose à l'affaire: une fois mort, tous les logemens sont bons. Ce conte est seulement pour vous apprendre que, si jamais vous devenez roi, ce qui n'est pas aussi sûr que du vinaigre, et que vous vous mettiez dans la tête de gouverner votre royaume comme un navire, il ne faudra jamais oublier de visiter vous-même votre gréement tous les matins. Les ministres, c'est bon, si l'on veut; mais le coup-d'oeil du capitaine vaut encore mieux. C'est celui qui est chargé de la route qui doit regarder le plus souvent au compas et se méfier des embardées.

Cric! crac! le conte est fini.... Tant pis pour ceux qui ont dormi; attrape à taper de l'oeil, et dorment en double ceux qui sont de quart à minuit!

Un murmure d'approbation s'éleva, après la narration du conteur, des hamacs de tous les auditeurs qui avaient prêté jusqu'au bout la plus scrupuleuse attention aux paroles du canonnier. Les réflexions morales sur l'imprévoyance du Roi-Matelot ne manquèrent pas. La critique d'artiste vint après. Les uns trouvaient que le conte était trop long: c'étaient ceux qu'on devait appeler au quart à minuit. Les autres Aristarques trouvaient que les événemens péchaient surtout par l'invraisemblance. Comment une île déserte pouvait-elle avoir dix mille habitans? Le moyen de croire que dans une île tant de sauvages n'eussent pas essayé, avant l'arrivée du chrétien, à faire des pirogues pour visiter les autres insulaires du voisinage! Le conte du canonnier était évidemment une folie; et puis ce mât du trône, et puis ce long nez, cause première de la fortune du Roi-Matelot, et cette sorcière qui, sans savoir ce que c'était qu'un navire, avait prédit au monarque que le navire périrait par son gréemént! Tout cela était de l'embrouillamini; mais, quelque sévères que fussent ces critiques, chacun convenait que le conteur avait une bonne platine, et que la citoyenne qui lui avait coupé le filet avait bien, gagné son argent!

Quatre doubles coups tintèrent bientôt sur la cloche de la frégate. C'était minuit. La voix tonnante du maître d'équipage fit entendre alors ces mots: Réveille au quart, et que personne ne descende avant que son matelot soit monté sur le pont!

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