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Raison et sensibilité, ou les deux manières d'aimer (Tome 4)

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– Sur mon ame! je l'ignorais. J'avais pourvu à tout en la quittant; je ne lui avais point caché que je ne comptais pas la rejoindre; je lui avais conseillé de recourir au pardon de son protecteur. Tout pouvait être caché ou réparé, si elle avait suivi mes avis. Je croyais qu'elle était rentrée dans sa pension ou dans une autre, et je ne songeais plus à elle, quand elle fut tout à coup rappelée à mon souvenir d'une manière aussi terrible! Je trouvai madame Smith au comble de l'indignation, et ma confusion fut extrême. La pureté de sa vie, son ignorance complète du monde, ses idées religieuses et morales très-exaltées, tout fut contre moi. Elle m'accabla du poids de sa colère, mais cependant m'offrit son pardon, si je voulais épouser Caroline. Cela ne se pouvait; je ne le voulus pas, et je fus formellement rejeté de toute prétention sur l'amitié et la fortune de ma parente, et banni de sa maison que je devais quitter le lendemain. Je rentrai dans ma chambre pour faire mon paquet, et je trouvai sur ma table une lettre du colonel Brandon qui me reprochait le déshonneur de sa pupille, et me donnait rendez-vous à Londres, pour lui rendre raison de ma conduite. Etais-je assez puni de ce que les jeunes gens appelent un passe-temps, une légèreté? la perte de ma fortune et de toutes mes espérances de bonheur, et peut-être celle de ma vie! Quelle nuit je passai!.. Mais à quoi servaient les combats, les réflexions? tout était fini pour moi. Je ne pouvais plus offrir à madame Dashwood un fils, et à Maria un époux; je n'avais plus de ressources ni pour le présent, ni pour l'avenir, et j'étais rejeté pour un genre de tort qui ne pouvait que les blesser vivement et me faire repousser aussi d'elles. Ah! combien je désirais alors que la vengeance du colonel fût complète! avec quel plaisir, quel empressement j'allai au-devant de la mort, que j'espérais recevoir de sa main! Je craignais bien davantage la scène qui m'attendait encore avant de quitter pour jamais le Devonshire en prenant congé de Maria. J'étais engagé à dîner chez vous; il fallait aller m'excuser; il fallait revoir celle que j'allais quitter pour toujours et laisser si malheureuse!

– Pourquoi la voir, M. Willoughby? Pourquoi ne pas écrire un mot d'excuse? Qu'était-il nécessaire de venir vous-même? s'écria Elinor.

– C'était nécessaire à mon orgueil et à mon amour. Je ne voulais pas laisser soupçonner à personne ce qui s'était passé entre madame Smith et moi, et je voulais voir encore une fois, avant de mourir, celle que j'idolâtrais de toute la force de mon ame; je ne croyais pas d'ailleurs la trouver seule. Je voulais encore une fois être au milieu de cette famille que la veille encore je regardais déjà comme la mienne. Oh! quand je me rappelais avec quelles délices j'étais revenu de la chaumière à Altenham, satisfait de moi-même, content de tout le monde, enchanté de Maria, ne songeant pas plus au passé que si jamais il n'eût existé, ne vivant que dans l'avenir, me disant: Quelques heures encore, et je vais être engagé pour la vie avec celle que j'aime si ardemment!.. Ces heures étaient écoulées, et il fallait au contraire nous séparer pour jamais! Je rassemblai toute ma fermeté pour le cacher; mais quand je la trouvai seule, quand je vis son profond chagrin pour ce qu'elle croyait une courte absence, et ce chagrin uni à tant de confiance en moi, ah! dieu! dieu! puis-je jamais l'oublier?

– Lui promîtes-vous de revenir bientôt?

– Je ne sais ce que je lui dis, je ne puis m'en rappeler un seul mot. Votre mère vint aussi ajouter à mon supplice par son amitié. Ah! combien j'étais malheureux! et j'en remerciais le ciel. Ma seule consolation était ma propre misère; mais celle de Maria, elle m'était insupportable! Je m'en arrachai, je partis, et… Il s'arrêta.

– Est-ce tout, monsieur? dit Elinor qui, tout en le plaignant, s'impatientait de ce qu'il ne partît pas.

– Oui, tout, si vous voulez. Mais ne désirez-vous pas savoir comment j'ai pu devenir plus coupable et plus malheureux encore? En peu de mots: je rencontrai le colonel; je fus blessé, mais non pas mortellement. Pendant que j'étais dans ma chambre, livré à mes tristes réflexions, ne voyant devant moi que l'indigence la plus entière, un de mes amis me parla des bonnes dispositions de miss Sophie Grey pour moi; il m'assura que sa belle fortune de 50,000 liv. sterling serait à moi dès que je voudrais dire un mot. Ma blessure m'avait un peu calmé. J'avais réfléchi sur ma situation; je ne pouvais la faire partager à Maria; je ne l'aurais pas même voulu, non plus que sa famille. Il fallait donc tâcher de l'oublier, et de m'en faire oublier. J'allais jusqu'à trouver de la générosité dans tout ce que je faisais pour y parvenir. Je laissai faire mon ami. Dès que je fus rétabli, il me mena chez miss Sophie Grey. Elle voulait se marier, et avec un homme à la mode, avec un élégant; c'était tout ce qu'elle demandait. Moi, je ne voulais que son argent; et nous fûmes bientôt d'accord. Maria, pensais-je, n'entendra plus parler de moi que pour apprendre que je suis marié; sa fierté s'indignera, elle me détestera, puis elle m'oubliera, et je serai seul malheureux; mais au moins j'aurai les distractions et les jouissances de la fortune…; lorsqu'une lettre de Maria, datée de Londres, m'apprend qu'elle y est, qu'elle m'aime encore avec la même tendresse, et n'a pas même l'ombre d'un doute. Non, tout ce que j'éprouvai ne peut être exprimé! Sans aucune métaphore, chaque ligne, chaque mot de ce billet fut pour moi un coup de poignard. Savoir Maria si près de moi; être sûr que j'en étais aimé! ah! je n'avais pas non plus l'ombre d'un doute. Son cœur, ses opinions, son ame m'étaient trop bien connus et m'étaient encore trop chers. Mon amour, qui était à peine assoupi, se ranima avec plus de force: et j'étais engagé avec une autre! et quelle autre, bon dieu! D'un côté, frivolité, insensibilité, coquetterie, jalousie; de l'autre, grandeur d'ame, tendresse inépuisable, sensibilité profonde, confiance illimitée, esprit supérieur. Dieu! qu'ai-je laissé échapper, et qu'ai-je trouvé en échange! Mais Maria méritait mieux qu'un dissipateur, qu'un libertin. Elle m'aurait corrigé de tout; je serais devenu digne d'elle. A présent, quel encouragement, quel exemple ai-je pour devenir vertueux? O rage! ô désespoir! Il se leva et se promena violemment le poing serré sur son front.

Le cœur d'Elinor avait éprouvé plusieurs fluctuations pendant cet extraordinaire entretien. Elle était actuellement touchée, attendrie sur le sort de cet homme, que la nature avait créé pour le bonheur et qui l'avait rejeté loin de lui. Mais elle crut qu'elle devait lui cacher sa compassion. – Tout ce que vous venez de dire là est de trop, M. Willoughby; je n'ai pas de temps à perdre, vous le savez, lui dit-elle. Je vous prie donc de résumer ce que vous sentez en votre conscience, qu'il est nécessaire que j'apprenne, et rien de plus. (Il se rassit.)

– J'ai fini dans deux minutes, reprit-il. Le billet de Maria me rendit donc le plus infortuné des hommes, en me prouvant son amour et en réveillant tout le mien. Je m'étais persuadé qu'elle m'avait oublié; j'espérais même apprendre bientôt qu'elle était bien mariée. Je ne voyais plus devant elle et moi que malheur et désespoir. Mais que pouvais-je faire? Tout était arrangé pour mon mariage; le contrat passé, les dispenses obtenues, le jour fixé. La retraite était impossible. Tout ce qui me restait à faire était de vous éviter toutes deux; d'essayer de réparer un peu mes torts en les augmentant, et de prendre plus de peine pour me faire haïr que je n'en avais pris pour me faire aimer. Je ne répondis point au billet de Maria; je ne parus point chez elle. Cependant un jour où je vous avais vues sortir toutes les trois de la maison, je me décidai d'y porter ma carte pour agir plus naturellement.

– Vous nous aviez vues! où? comment?

– Tous les jours, et, souvent plus d'une fois par jour, je voyais au moins l'une de vous. Vous seriez surprise si je vous disais tous les moyens que j'employais pour cela, et combien de fois j'ai failli être découvert par les beaux yeux de Maria, qui me cherchaient sans cesse: mon refuge était une boutique, une allée; mais me passer de voir Maria, non, c'était impossible! Et cependant j'aurais fui au bout du monde pour qu'elle ne me vît pas; il ne fallait pas moins que mon étude continuelle pour l'empêcher. Je n'eus garde de me trouver au bal de sir Georges, et le matin suivant je reçus un second billet de Maria. Non, vous ne pouvez vous faire une idée de sa bonté, de sa tendresse! si affectionnée, si franche, si confiante! Ah! comme je me détestais moi-même, comme vous me détesteriez plus encore si vous l'aviez lu!

– Je l'ai lu, monsieur; Maria ne m'a rien caché.

– Vous avez donc vu aussi cette infâme, cette détestable lettre qu'elle ne doit jamais me pardonner, non jamais jusqu'à ce qu'elle sache… J'en reviens à la sienne; j'essayais d'y répondre, je ne le pus, mon courage m'abandonna. Mademoiselle Dashwood, ne me refusez pas votre pitié; avec la tête et le cœur pleins de votre sœur, à qui je pensais sans cesse, je devais faire ma cour à une autre femme, paraître empressé, paraître heureux! Ce ne fut pas tout encore. Vous vous rappelez cette maudite assemblée où nous nous rencontrâmes? non, l'agonie n'est rien auprès de ce que je souffrais. D'un côté, Maria, belle comme tous les anges, appelant son Willoughby, me tendant la main, me demandant une explication avec son regard enchanteur attaché sur moi; de l'autre côté, Sophie jalouse comme le diable, regardant tout avec une audacieuse curiosité, m'appelant d'un ton impératif. J'étais en enfer et je m'échappai aussitôt qu'il me fût possible, mais non pas sans avoir vu la pâleur de la mort sur le visage céleste de Maria. Ce fut le dernier regard que je jetai sur elle; je ne l'ai plus revue que dans ma pensée, où toujours elle se présente ainsi. Non, Elinor, quand vous l'avez vue mourante, elle n'a pu vous faire plus d'impression; mais vous me jurez qu'elle est mieux, qu'elle est hors de danger.

 

– Je l'espère.

– Et votre pauvre mère qui l'idolâtre, elle ne lui aurait pas survécu non plus. Adieu, je pars: dites-moi seulement que je vous suis moins odieux, que vous le direz à Maria.

– Et cette lettre, monsieur, qui faillit aussi lui ôter la vie, cette lettre que vous eûtes la barbarie de lui envoyer en réponse à sa dernière, comment pouvez-vous la justifier?

– Par un seul mot que je répugnais à dire… Elle n'est pas de moi. Qu'est-ce que vous pensez du style de ma femme? n'est-il pas délicat, tendre? n'est-il pas…?

– De votre femme! C'était votre écriture.

– Oui, j'eus l'indigne faiblesse de la copier. Il faut en finir, me dit-elle, avec Maria ou avec moi: choisissez. Le choix ne m'était plus permis; sa fortune était nécessaire à mon honneur, à mes engagemens; et voilà où une indigne prodigalité m'avait conduit! Pour éviter une rupture il fallut en passer par où elle voulait; copier sous ses yeux cette lettre où je rougissais de mettre mon nom; me séparer des billets, de la boucle de cheveux de Maria. Le porte-feuille qui les renfermait dut être livré à Sophie, et mes trésors renvoyés comme vous l'avez vu, sans pouvoir seulement les couvrir de mes baisers et de mes larmes. Malheureusement la dernière lettre de Maria me fut remise chez miss Grey, pendant que je déjeunais avec elle; la forme, l'élégance du papier, l'écriture réveillèrent ses soupçons déjà excités par la scène de l'assemblée. C'est de votre beauté campagnarde, me dit-elle; voyons son style. Elle l'ouvrit, la lut, fit la réponse, m'obligea de la copier, de lui livrer ce que j'avais de Maria; et j'obéis dans une espèce de désespoir qui me faisait trouver une sorte de plaisir à me ruiner tout-à-fait dans l'opinion de cet ange, que rien n'avait pu détacher de moi, et qui allait enfin me repousser entièrement de son cœur et de sa pensée. Mon sort était décidé; tout le reste me parut indifférent. Je fus bien aise qu'on m'eût dicté ce que je n'aurais jamais pu dire de moi-même, et d'avoir une raison de plus de mépriser, de haïr, celle…

– Arrêtez, M. Willoughby, dit Elinor, c'en est assez; je n'entendrai pas un mot de plus contre une femme qui est la vôtre, que vous avez choisie volontairement, à qui vous devez votre bien-être, votre fortune, et qui au moins a droit, en échange, à vos égards, à votre respect. Sans doute elle vous est attachée, puisqu'elle vous a épousé; parler d'elle avec cette légèreté, vous rend très-blâmable et ne vous justifie de rien avec Maria.

– Ne me parlez pas de madame Willoughby, reprit-il avec un profond soupir; elle ne mérite pas votre compassion. Elle savait fort bien que je ne l'aimais pas; si elle a voulu m'épouser, c'est qu'elle savait aussi que mes folies de jeunesse m'avaient mis dans l'affreuse dépendance de mes créanciers, et qu'elle voulait un mari qui fût dans la sienne, et qui cependant, à quelques égards, pût flatter sa vanité: elle a cru trouver cela réuni chez moi, et me fait payer bien cher son maudit argent. A présent, me plaignez-vous, mademoiselle Dashwood? Suis-je d'un degré moins coupable à vos yeux que je ne l'étais avant cette explication? Voilà, ce que je vous conjure de me dire. – Oui, monsieur, je l'avoue; vous avez certainement un peu changé mon opinion sur vous, et je vous trouve moins coupable que je ne le croyais, quoique vous le soyez beaucoup encore, mais plus par la tête que par le cœur, le vôtre n'est pas méchant, et vous vous êtes rendu trop malheureux vous-même pour qu'on puisse vous haïr.

– Voulez-vous donc me promettre de répéter ce que vous venez de me dire à votre sœur, quand elle pourra vous entendre? Rétablissez-moi dans son opinion comme je le suis dans la vôtre. Vous dites qu'elle m'a déjà pardonné; laissez-moi me flatter qu'une meilleure connaissance de mon cœur, de mes sentimens actuels, me vaudra de sa part un pardon plus entier et mieux mérité. Dites-lui ma misère et ma pénitence; dites-lui que jamais je n'ai été inconstant pour elle; et si vous le voulez, dites-lui que, dans ce moment même, elle m'est plus chère que jamais.

– Je lui dirai, monsieur, tout ce qui sera nécessaire pour calmer son cœur et vous justifier sur quelques points. Puisse cette assurance adoucir vos peines! D'ailleurs je crois que cela dépend aussi de vous. Adieu, monsieur, la soirée s'avance, et cet entretien s'est trop prolongé. Un mot encore cependant avant de nous séparer: comment avez-vous appris a maladie de ma sœur?

– De sir Georges Middleton, que je rencontrai par hasard hier au soir dans le passage de Drury-lane. C'est la première fois que je le voyais depuis deux mois; je mettais du soin à éviter tout ce qui pouvait me rappeler le nom de Dashwood; et lui, plein de ressentiment contre moi depuis mon mariage, ne me cherchait pas non plus. Cette fois il ne put résister à la tentation de m'aborder, pour me dire ce qu'il croyait devoir me faire beaucoup de peine. Sa première parole fut de m'apprendre brusquement que Maria Dashwood était mourante à Cleveland, d'une fièvre nerveuse et putride; qu'une lettre de madame Jennings, reçue ce même matin, disait le danger imminent; que les Palmer avaient fui la contagion. Grand Dieu! quelle accablante nouvelle! J'ignorais même votre séjour à Cleveland, et je vous croyais à la Chaumière auprès de votre mère. Madame Willoughby eut le caprice, il y a dix jours, je crois, d'aller à Haute-Combe voir le printemps et les arbres en fleurs; il fallut l'emmener à l'instant. A peine y fut-elle, que sans regarder une feuille elle se rappela que le lendemain était le jour d'assemblée de lady Sauderson; et vite il fallut retourner à Londres. Qui m'aurait dit, grand Dieu! que je passais si près de Maria; de celle dont j'étais tellement occupé que mon imagination croyait la voir partout? En passant dans le chemin sous le temple, je crus voir de loin sa grâcieuse figure appuyée contre une des colonnes; mais cette illusion s'évanouit bientôt, elle disparut comme l'éclair; et ce n'était pas elle, puisque déjà elle était bien malade. Elinor, très-étonnée, se fit dire le jour, l'heure, et tout fut expliqué, et l'évanouissement trop réel de Maria, et ses larmes, et ses propos incohérens; mais elle se garda bien de donner à Willoughby cette preuve de plus de la faiblesse de sa sœur.

– Ce que je ressentis ne peut s'exprimer, continua-t-il avec feu. Maria mourante, et peut-être des peines déchirantes que je lui avais causées, me haïssant, me méprisant dans ses derniers momens; maudit par sa mère, par ses sœurs: ah! ma situation était horrible! Je ne pus la supporter; je me décidai à partir, et, à cinq heures du matin, j'étais dans mon carrosse. A présent vous savez tout. Il prit son chapeau, et s'approchant d'elle: Ne voulez vous pas, dit-il, me donner votre main, mademoiselle Dashwood, en signe de paix et de non malveillance? Elle ne put y résister, et posa sa main sur la sienne; il la pressa avec affection. – Allez-vous à Londres? lui dit-elle. – Non, répondit-il, à Haute-Combe pour quelques jours, et il retomba dans une sombre rêverie, et s'appuya contre la cheminée, semblant oublier qu'il devait partir. – Vous ne me haïssez plus, n'est-ce pas? dit-il enfin; vous ne me méprisez plus?.. – Je vous plains du fond de mon cœur, M. Willoughby et je vous pardonne; je m'intéresse à votre, bonheur, et je voudrais apprendre que…

– Mon bonheur! interrompit-il, il ne peut plus y en avoir pour moi dans ce monde! Je traînerai ma vie comme je le pourrai; la paix domestique est impossible avec ma femme. Si cependant je puis espérer que vous et les vôtres prendrez quelque intérêt à mes actions, ce sera du moins un motif d'être sur mes gardes… Maria est à jamais perdue pour moi, n'est-ce pas? même quand quelques heureuses chances de liberté…

Elinor lui lança un regard plein de reproches. – Je me tais, dit-il, et je pars moins malheureux que lorsque je suis arrivé; elle vivra du moins! Mais un affreux événement m'attend encore.

– Quel événement? que voulez-vous dire?

– Le mariage de votre sœur.

– Vous êtes dans l'erreur; elle ne peut pas être plus perdue pour vous qu'elle ne l'est actuellement.

– Mais un autre la possédera, et je ne puis supporter cette pensée. Adieu, adieu, je ne veux pas vous arrêter plus long-temps, et diminuer peut-être l'intérêt que j'ai réveillé. Au nom du ciel! conservez-le moi! Adieu, adieu, puissiez-vous être heureuses!.. Il quitta rapidement la chambre, et l'instant d'après Elinor entendit le roulement de son carrosse.

CHAPITRE XLVII

Elinor resta encore quelques momens au salon après que Willoughby l'eut quittée, oppressée par une foule d'idées différentes les unes des autres, qui se succédaient rapidement, mais dont le résultat général était une profonde tristesse. Ce Willoughby qu'elle regardait, il n'y avait pas une heure, comme le plus indigne des hommes, qu'elle abhorrait, qu'elle méprisait, excitait en elle, en dépit de tous ses torts, un degré de commisération, d'intérêt même pour ses souffrances, qui allait dans ces premiers momens jusqu'à lui faire éprouver une espèce de tendre regret de ce qu'il était actuellement séparé pour toujours de leur famille, et que sans doute elle ne le reverrait plus. Surprise elle-même de l'influence qu'il exerçait sur son esprit, elle voulut l'analyser, et trouva que c'était un sentiment tout-à-fait involontaire, qui tenait à des circonstances indépendantes de son mérite, et qui se trouvaient avoir peu de poids au tribunal de la raison: c'étaient d'abord les attraits de son charmant extérieur, de cette physionomie agréable, aimable, de sa manière franche, affectionnée, animée; et il n'y avait nul mérite à lui d'être ainsi: c'était ensuite son ardent amour pour Maria; mais cet amour n'était plus innocent et devenait un tort de plus. Elle se disait tout cela, sans que l'intérêt qu'il venait de lui inspirer fût diminué le moins du monde; elle réfléchissait douloureusement au tort irréparable que ce jeune homme s'était fait à lui-même, par l'habitude de l'indépendance, de la paresse, de la dissipation. La nature avait tout fait pour lui; elle lui avait donné tous les avantages personnels, tous les talens, une disposition à la franchise, à l'honnêteté, un cœur sensible; et le monde et les mauvais exemples avaient tout corrompu. Chaque faute, en augmentant le mal, avait reçu sa punition au moment même. La vanité qui lui avait fait rechercher un coupable triomphe aux dépens du bonheur de Maria, l'avait entraîné dans un attachement réel et profond, que ses torts précédens l'avaient obligé de sacrifier; son libertinage avec Caroline l'avait privé de sa seule ressource de fortune; son mariage, qui avait déchiré si cruellement le cœur de Maria, était pour lui une source de malheurs qui ne lui laissait plus d'espoir. Il résulta de ce tableau que son intérêt augmenta pour un coupable déjà trop puni, sans l'être encore par la haine de ceux qu'il aimait si tendrement: aussi son cœur n'en éprouva plus pour lui.

Elle alla auprès de sa sœur. Celle-ci venait de se réveiller d'un doux et long sommeil, qui confirma toutes ses espérances. Elinor s'assit à côté d'elle, en silence. Son cœur était plein. Le passé, le présent, l'avenir, la visite de Willoughby, l'attente de sa mère, tout ensemble lui donnait une telle agitation, que son pouls était sûrement plus élevé que celui de la malade, et qu'elle craignait de se trahir si elle avait dit un seul mot. Heureusement que cette crainte ne fut pas longue. A peine une demi-heure s'était écoulée depuis le départ de Willoughby, que le roulement d'un autre carrosse lui annonça l'arrivée des voyageurs. Elle vola au bas de l'escalier, heureuse de revoir sa mère et de pouvoir la rassurer. Elle arriva à la porte de la maison au moment où madame Dashwood y entrait; elle la reçut dans ses bras, et sa première parole, en serrant cette bonne mère sur son cœur, fut celle-ci: Elle est sauvée! elle est bien, aussi bien qu'elle puisse être. Madame Dashwood s'était sentie si émue en approchant de la maison, qu'elle avait cru que c'était un pressentiment qu'elle ne retrouverait plus sa fille chérie. Le passage subit de cette affreuse crainte à l'heureuse nouvelle qu'elle était hors de danger; fut trop rapide pour ses sens; elle tomba dans une demi-faiblesse sur l'épaule d'Elinor. Elle et leur ami la soutinrent et la portèrent jusqu'au salon. Là, assise à côté de sa fille aînée, elle retrouva ses sens; mais incapable de parler, elle versa des torrens de larmes, embrassa plusieurs fois son Elinor, se tournait par intervalles vers le colonel Brandon, pressait sa main avec un regard qui lui disait son bonheur, sa reconnaissance, et sa certitude qu'il partageait tout ce qu'elle éprouvait. Ah! sans doute il le partageait! Il ne parlait pas non plus, il ne l'aurait pas pu; mais tout en lui exprimait la joie la plus vive.

 

Dès que madame Dashwood put se soutenir, son premier désir fut de revoir Maria. Elinor demanda seulement la permission de l'annoncer sans autre préparation. Maria était assez bien pour n'en avoir pas besoin; et, deux minutes après, la plus tendre des mères était assise sur le lit de son enfant bien-aimée, rendue plus chère encore par son absence, son malheur et son danger. Elinor jouissait avec délices de leur bonheur mutuel; mais en bonne et sévère garde, elle conjura Maria de se calmer, et sa mère de ne pas trop exciter sa sensibilité. Madame Dashwood pouvait être calme et prudente, quand il s'agissait de la vie de l'une de ses enfans, et Maria, contente de savoir sa mère auprès d'elle, se sentant elle-même trop faible pour parler, se soumit au silence prescrit par ses bonnes gardes. Madame Dashwood voulut absolument passer cette nuit à côté d'elle; et Elinor, qui ne s'était pas couchée les deux dernières nuits, consentit à obéir à sa maman et à se mettre au lit. Elle s'y reposa physiquement, mais ne dormit point; ses esprits étaient trop agités. Willoughby, le pauvre Willoughby! comme elle se permettait de l'appeler, était constamment présent à sa pensée; elle n'aurait pas voulu, pour le monde, avoir refusé d'entendre sa demi-justification. Tantôt elle se blâmait de l'avoir jugé trop sévèrement, et quelquefois s'accusait d'être à présent trop indulgente. Mais sa promesse de le justifier auprès de Maria, était invariablement pénible. Elle redoutait le moment où Maria apprendrait qu'il était moins coupable, et craignait que peut-être cet amour si passionné ne se ranimât avec plus de force. Elle doutait du moins qu'après cette explication, sa sœur pût jamais être heureuse avec un autre homme, et se surprenait alors à désirer que Willoughby redevînt libre… Mais elle se rappelait aussi le bon, l'excellent colonel Brandon, et sentait ses souffrances plus que celles de son rival. La main de Maria devait être sa récompense. Elle savait, à n'en pas douter, qu'il serait pour elle le meilleur et le plus tendre des maris, et désirait alors tout autre chose que la mort de madame Willoughby.

Au moment où le colonel était arrivé à Barton-Chaumière, il avait trouvé madame Dashwood prête à partir. Elle ne pouvait supporter plus long-temps son inquiétude, et s'était décidée d'aller à Cleveland avec sa femme de chambre. Elle n'attendait que l'arrivée de madame Carrey, une de ses connaissances d'Exceter, qui voulait bien se charger d'Emma pendant son absence, sa mère n'osant pas la mener avec elle à cause de la contagion. Mais l'arrivée du colonel et la lettre d'Elinor, en redoublant ses alarmes, la déterminèrent à partir tout de suite. Elle laissa Emma à sa femme de chambre de confiance, qui devait la remettre le lendemain à madame Carrey, et se mit en route avec le colonel. La bonne madame Jennings fut enchantée de la trouver là à son lever, et la combla de soins et d'amitiés. Elle voulait lui conter tous les détails de la maladie de Maria, s'interrompait pour la conjurer d'aller se coucher, pour recommander à Betty d'en avoir soin, etc. etc. etc.

Maria continua de jour en jour à se trouver mieux, et avec sa santé revint aussi graduellement la brillante gaieté de madame Dashwood, et tout le feu de son imagination. Elle disait et répétait souvent qu'elle était à présent la plus heureuse femme qu'il y eût au monde. Elinor ne put s'empêcher d'être intérieurement un peu surprise que sa mère ne regrettât point Edward, et ne parût pas même se le rappeler. Elinor lui avait écrit tout ce qui s'était passé, sans même lui cacher son chagrin de la perte de cet ami, dont elle se croyait si sûre; mais elle en parlait avec la raison et la mesure qu'elle mettait à tout, et madame Dashwood la prit au pied de la lettre, et jugea qu'elle n'était pas très affligée d'un événement dont elle parlait avec autant de calme. La maladie de sa fille favorite vint ensuite l'occuper exclusivement. Tout autre malheur ne lui parut rien auprès de celui de la perdre, et d'avoir à se reprocher d'en être la cause, en ayant encouragé son malheureux attachement pour Willoughby. Aussi le bonheur de son rétablissement effaçait toute autre pensée. Elle avait de plus un grand sujet de joie, dont Elinor ne se doutait pas, et qu'elle lui apprit au premier moment où elles se trouvèrent en tête à tête.

– Enfin nous voilà seules, mon Elinor, et je puis vous parler de mon bonheur! Le colonel Brandon aime Maria, il me l'a dit lui-même.

Elinor garda le silence. Elle éprouvait à la fois plaisir et peine. Elle n'était pas surprise de la chose qu'elle savait depuis long-temps; mais elle l'était du moment que le colonel avait choisi pour cet aveu.

– Si je ne savais pas, chère Elinor, que nous voyons rarement de même, je m'étonnerais du calme avec lequel vous m'écoutez. Quant à moi, cet attachement me transporte de joie! Le plus grand bonheur que j'aurais pu désirer dans ma famille, c'eût été que le colonel Brandon épousât l'une de mes filles. Je crois par conséquent, qu'avec ce digne homme Maria sera la plus heureuse des femmes. Je désire votre bonheur autant que le sien, mon Elinor; mais le colonel lui convient beaucoup plus qu'à vous.

Elinor fut sur le point de demander raison à sa mère de cette singulière façon de penser. La différence d'âge était plus grande; leurs caractères, leurs sentimens n'avaient aucun rapport. Mais elle-même était charmée que madame Dashwood ne vît pas ces obstacles; elle savait que son imagination l'entraînait toujours à ne considérer que les beaux côtés de ce qu'elle désirait. Elle se contenta donc de sourire. Madame Dashwood n'y vit qu'une approbation et continua son intéressante confidence.

Il m'a ouvert entièrement, dit-elle, son cœur pendant notre voyage. Cet aveu n'était ni prémédité, ni prévu d'avance; il échappa à un cœur trop plein de sa passion pour pouvoir la dissimuler. De mon côté, comme vous pouvez le croire, je ne parlais toujours que de mon pauvre enfant que je voyais sans espérance. Il ne pouvait me cacher son inquiétude qui, je le vis bien, égalait la mienne. Je le lui dis; et pensant que la simple amitié ne pouvait pas faire naître une aussi vive sympathie, je prononçai le mot amour. Quand vous auriez, lui dis-je, l'amour le plus passionné pour ma pauvre fille, vous ne seriez pas plus affligé. Alors, Elinor, il ne put se contenir, et me fit connaître en entier son sentiment pour Maria, si tendre, si vif, si constant. Il l'a aimée, mon Elinor, dès le premier instant où il l'a vue. Oh! si vous l'aviez entendu me peindre la force de cette impression, vous en auriez aussi été touchée!

Elinor sourit encore en baisant la main de sa mère; elle ne reconnaissait dans cette description romanesque de l'amour du colonel, ni son langage, ni sa manière, mais bien les embellissemens de l'active imagination de madame Dashwood, qui colorait tous les objets pour elle. Son attachement pour Maria, continua-t-elle, surpasse infiniment tout ce que jamais Willoughby a senti ou feint de sentir: il est plus ardent, plus sincère, plus constant; il a subsisté dans toute sa force, malgré la malheureuse passion de Maria pour cet indigne jeune homme, sans le moindre égoïsme, sans le moindre espoir. Tous les désirs du colonel se bornaient à la voir heureuse, même avec un autre. Que de noblesse! que de délicatesse! que de sincérité! Ah! non, lui n'est pas un trompeur: ses paroles sont la vérité même.

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