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Raison et sensibilité, ou les deux manières d'aimer (Tome 2)

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CHAPITRE XXVII

– Si le temps continue d'être aussi beau pour la saison, dit madame Jennings en déjeûnant, sir Georges ne quittera pas encore Barton; il lui en coûterait trop de perdre un jour de chasse.

– Ah! c'est vrai, s'écria Maria avec gaîté, et en courant à la fenêtre pour examiner le temps, je n'y avais pas pensé. Ces beaux jours d'hiver doivent inviter tous les chasseurs à rester à la campagne. Cette idée releva ses esprits et lui rendit tout son espoir. Willoughby chasseur déterminé, n'était sûrement pas à Londres; il n'avait pas reçu sa lettre. Son absence, son silence étaient expliqués; et tous les nuages élevés dans l'âme de Maria furent dissipés. Madame Jennings avait eu là une heureuse idée.

– Il est sûr, dit Maria en s'asseyant à la table du déjeûner, et en prenant une tartine qu'elle mangea avec appétit, il est sûr qu'il fait un délicieux temps de chasse; comme ils doivent être heureux! mais j'espère cependant… je crois, veux-je dire, qu'il ne durera pas long-temps; dans cette saison, c'est impossible. Nous aurons bientôt de la neige, de la gelée, qui rappellera tous les chasseurs et tout le monde en ville. Cette extrême douceur de temps ne peut pas durer; dans un jour ou deux peut-être il y aura du changement: voyez comme le jour est clair! il peut geler cette nuit, et demain…

– Et dans peu de jours nous aurons sir Georges et lady Middleton, dit Elinor pour détourner l'attention de madame Jennings. Actuellement, pensait-elle, je suis sûre que Maria écrira à Haute-Combe par le courrier de ce soir.

Ecrivit-elle en effet? c'est ce qu'il fut impossible de découvrir. Mais elle continua d'être de très-bonne humeur; heureuse de penser que Willoughby était à la chasse, plus heureuse encore d'espérer qu'il arriverait bientôt.

La matinée se passa en course chez des marchands, ou à laisser des cartes chez les connaissances de madame Jennings pour les informer de son retour en ville. Maria qui n'avait plus la crainte de manquer Willoughby en sortant, ou l'espoir de le rencontrer dehors, alla où l'on voulut et fut assez bonne enfant. Mais sa principale occupation était d'observer la direction du vent et les variations de l'atmosphère. Ne trouvez-vous pas qu'il fait beaucoup plus froid qu'hier, Elinor, lui disait-elle? cela augmente sensiblement; je suis sûre qu'il gèlera cette nuit, et… Elle se taisait; mais Elinor achevait intérieurement sa phrase, et les chasseurs rentreront en ville. Elle était en même temps amusée et peinée de cette vivacité de sentiment qui faisait passer tour-à-tour sa sœur du désespoir à la joie, et rapporter tout à l'unique objet dont elle était occupée.

Quelques jours se passèrent sans gelée et sans Willoughby; et Maria les trouva longs et ennuyeux. Ni elle ni Elinor ne pouvaient cependant se plaindre en aucune manière de leur genre de vie chez madame Jennings; il était tout autre qu'Elinor ne l'avait imaginé. La maison située dans le beau quartier de Berkeley-Street était montée sur un grand ton d'élégance et d'aisance. A l'exception de quelques vieilles connaissances de la cité, dont lady Middleton n'avait pu obtenir l'expulsion, toute la société de madame Jennings était très-distinguée. Elle présenta ses jeunes amies de manière à leur attirer mille politesses. La figure très-remarquable de Maria, les grâces d'Elinor, leur gagnèrent bientôt l'admiration et l'amitié de tous ceux à qui madame Jennings les présentait. Mais dans les premiers temps de leur séjour à Londres leurs plaisirs se bornèrent à quelques rassemblemens peu nombreux, soit chez madame Jennings, soit ailleurs, où Elinor faisait tous les soirs un grave wisk, tandis que Maria s'ennuyait à la mort, en comptant les jours et les heures, en soupirant après les frimats qui devaient lui ramener son ami.

Le colonel Brandon ayant reçu une invitation de madame Jennings pour tous les jours, n'en laissait point passer sans venir prendre le thé avec ces dames, lorsqu'elles restaient à la maison. Il regardait Maria; il parlait à Elinor, qui le trouvait chaque jour plus aimable et plus intéressant, et qui voyait avec un vrai chagrin que son amour pour Maria, loin de diminuer le moins du monde, augmentait visiblement. Il lui parlait peu; mais ses regards ne l'abandonnaient pas; il suivait tous les mouvemens de cette figure si belle, si expressive, paraissait au ciel lorsqu'elle lui adressait la parole, et tombait dans une sombre mélancolie, quand elle ne lui parlait pas.

Environ une semaine après leur arrivée en ville, en rentrant un matin après une promenade en voiture, elles trouvèrent une carte sur la table avec le nom de Willoughby. Maria la saisit avec une émotion qui fit craindre à sa sœur qu'elle ne se trouvât mal; Bon Dieu, s'écria-t-elle, quel bonheur, il est enfin à Londres! Mais quel chagrin qu'il soit venu pendant notre absence! et que je suis fâchée que nous soyons sorties ce matin! Des larmes remplirent ses beaux yeux. Elinor très-touchée, lui dit, qu'il reviendrait sûrement le lendemain. J'en suis sûre à présent, dit Maria en pressant contre son cœur la précieuse carte. Madame Jennings entra; elle s'échappa en emportant avec elle la carte et le nom qui lui annonçait un bonheur si passionnément désiré. Elinor fut contente et de la joie de Maria et de pouvoir enfin étudier Willoughby. Mais Maria reprit toutes ses agitations à un plus haut degré; elle n'eut plus un instant de tranquillité. L'attente de voir d'un instant à l'autre entrer cet être adoré, la rendait incapable de tout. Elle ne parlait ni n'écoutait plus, et dès le lendemain, elle refusa positivement, sur un léger prétexte, d'accompagner madame Jennings et sa sœur à la promenade accoutumée du matin. Elinor n'insista pas et n'osa refuser à madame Jennings d'aller avec elle; mais malgré tous ses efforts elle fut presque d'aussi mauvaise compagnie que l'aurait été sa sœur. Elle ne pouvait détourner ses pensées de la visite de Willoughby, dont elle n'avait aucun doute; elle voyait, elle sentait l'émotion de Maria, et regrettait de n'être pas avec elle pour la soutenir, et pour juger avec plus de calme les dispositions de Willoughby.

A son retour qu'elle pressa autant qu'il lui fut possible, elle vit au premier regard qu'elle jeta sur sa sœur, que Willoughby n'était pas venu. Maria était l'image parlante d'un abattement tout près du désespoir. Elinor la regardait avec la plus tendre compassion, lorsque le laquais entra en tenant un billet. Maria courut au devant de lui, l'arracha de ses mains, en disant vivement: Pour moi! est-ce qu'on attend?

– Non, madame, c'est pour ma maîtresse. Elle avait déja lu l'adresse et jeté le billet avec dépit sur la table. – Pour Madame Jennings, et rien pour moi! c'est désespérant en vérité, c'est pour en mourir.

– Vous attendiez donc une lettre? dit Elinor, incapable de garder plus long-temps le silence. Maria ne répondit rien; ses yeux étaient pleins de larmes.

– Vous n'avez aucune confiance en moi, chère Maria, continua Elinor après une courte pause.

– Ce reproche est singulier de votre part, Elinor, vous qui n'avez de confiance en personne.

– Moi! répondit Elinor avec quelque embarras, je n'ai rien à confier.

– Ni moi, sans doute, répondit Maria avec énergie; nos situations sont donc tout-à-fait semblables. Nous n'avons rien à nous dire l'une à l'autre, vous parce que vous cachez tout, moi parce que je ne cache rien. Mais quand vous me donnerez l'exemple d'une confiance plus particulière, alors je le suivrai. Elinor se tut en étouffant un soupir; qu'aurait-elle pu dire? Le secret qui oppressait son cœur n'était pas le sien; elle ne pouvait le trahir; et pourquoi parler d'un homme qu'elle voulait oublier, d'un sentiment dont elle voulait triompher. Mais elle sentit qu'elle ne pouvait pas dans de telles circonstances exiger la confiance de Maria.

Madame Jennings entra, ouvrit son billet et le lut tout haut. Il était de sa fille lady Marie Middleton qui lui annonçait leur arrivée à Londres le soir précédent, et la priait ainsi que ses belles cousines de venir passer la soirée chez elle. Les occupations de sir Georges, et de son côté un peu de rhume, les empêchaient de venir à Berkeley-Street. L'invitation fut acceptée; mais quand l'heure d'y aller arriva, Elinor eut beaucoup de peine à persuader à Maria qu'elle ne pouvait honnêtement s'en dispenser. Willoughby n'avait point paru, n'avait point écrit; et le tourment d'une attente continuelle et toujours trompée, avait tellement irrité les nerfs de cette pauvre jeune fille, qu'elle assurait, sans en dire la cause, n'être pas en état de sortir. Mais un motif plus fort de rester au logis, était la crainte de manquer encore la visite tant désirée. Madame Jennings vint de nouveau au secours d'Elinor par ses sages réflexions. – Il faut bien que vous veniez, Maria, lui dit-elle, car je parie que sir Georges, aura rassemblé tous les amis de Barton-Park. Maria rougit et courut chercher son schall.

Elles furent reçues à Conduit-Street, comme elles l'étaient au Parc, avec l'élégante cérémonie et la froide politesse de lady Middleton, et avec la bruyante cordialité et la bonne humeur de sir Georges. Soyez les bien-venues, mes belles voisines, dit-il en leur serrant la main, j'ai invité pour ce soir une douzaine de couples de jeunes gens. J'aurai deux violons, et nous nous amuserons. Ce n'était pas trop l'avis de ma femme; mais le mien a prévalu, et je pense que vous serez de mon parti. J'ai bien couru ce matin pour arranger cela. A Londres, c'est plus difficile qu'à Barton; il y a plus de monde, mais aussi plus de plaisirs.

En effet lady Middleton, quoiqu'elle aimât la danse, aimait mieux encore une belle représentation; elle trouvait qu'à la campagne un bal impromptu pouvait passer; mais à Londres elle craignait de compromettre sa réputation d'élégance, lorsque l'on saurait que l'on avait dansé chez lady Middleton avec deux violons seulement et une simple collation.

 

M. et madame Palmer étaient de la partie. Mesdemoiselles Dashwood n'avaient point vu le premier depuis leur arrivée, non plus que sa belle-mère, qu'il traitait avec une indifférence mal déguisée sous un air de dignité et d'importance. Il les salua légèrement lorsqu'elles entrèrent, sans avancer d'un pas et sans les regarder, pendant que sa femme les étouffait de caresses, et riait aux éclats de ce que son cher amour n'avait pas l'air de les reconnaître. – Ce sont Mesdemoiselles Dashwood, M. Palmer. Il fit comme s'il ne l'entendait pas… – M. Palmer, c'est ma mère. Eh bien! voyez comme il est drôle, il est dans ses humeurs de ne pas m'écouter.

Maria en faisait bien autant. En entrant elle parcourut le salon d'un regard; il n'y était pas, et pour elle il n'y avait personne. Elle s'assit tristement dans un coin, également mal disposée pour avoir du plaisir ou pour en donner. Il y avait environ une heure qu'ils étaient rassemblés, lorsque M. Palmer sortant de sa rêverie, s'avança en bâillant auprès d'Elinor, exprima sa surprise de les voir en ville, quoique ce fût chez lui que le colonel Brandon eût appris leur arrivée. D'honneur, je croyais que vous passiez tout l'hiver en Devonshire.

– Vraiment, dit Elinor en riant.

– Quand y retournez-vous?

– Je l'ignore. Les violons arrivèrent; la conversation finit; on se prépara à danser. Jamais Maria n'avait été si peu en train. Enfin cette mortelle soirée finit, sans avoir encore vu Willoughby. Je n'ai de ma vie été plus fatiguée, dit Maria en entrant dans la voiture; le parquet n'a point d'élasticité.

– Ne cherchez pas chicane à ce pauvre parquet, dit en riant madame Jennings; vous l'auriez trouvé assez bon si vous l'aviez parcouru avec quelqu'un que je ne veux pas nommer; vous ne seriez alors pas du tout fatiguée. A dire vrai, ce n'est pas trop honnête à lui de ne pas venir danser avec vous, quand il était invité.

– Invité! s'écria Maria, il était invité!

– Oui, ma fille me l'a dit, et sir Georges aussi, qui l'a rencontré ce matin, et l'a fort pressé de venir.

Maria ne dit plus rien, mais sa contenance annonçait combien elle était blessée. Elinor l'était aussi, et résolut d'écrire à sa mère le matin suivant, d'éveiller ses craintes sur la santé de Maria, et de l'engager à exiger sa confiance. Elle fut confirmée dans cette résolution en s'apercevant le lendemain après déjeûner que Maria écrivait à Willoughby. Car à qui d'autre qu'à lui pouvait-elle écrire?

Avant dîner madame Jennings sortit pour quelques affaires. Elinor commença sa lettre. Maria trop inquiète pour lire, trop agitée pour travailler, allait d'une fenêtre à l'autre, ou se promenait dans la chambre les bras croisés, ou assise devant le feu dans une attitude mélancolique.

Elinor fut très-pressante dans ses supplications à leur mère; elle lui racontait tout ce qui s'était passé depuis leur arrivée, ses soupçons sur l'inconstance de Willoughby, et la conjurait au nom de ses devoirs de mère et de sa tendresse pour Maria, d'exiger d'elle un aveu positif de sa situation.

Sa lettre était à peine finie, qu'un coup de marteau annonça une visite. Maria fatiguée d'espérer, se hâta de sortir pour ne pas entendre annoncer une autre personne que Willoughby. Un regard amical sur Elinor fut interprété par cette dernière comme une prière muette de la faire demander si c'était lui. Ce n'était pas lui; c'était encore le bon colonel Brandon. Il paraissait plus triste qu'à l'ordinaire. Après avoir exprimé à Elinor sa satisfaction de la trouver seule, comme s'il avait quelque chose de particulier à lui dire, il s'assit à côté d'elle en silence, et comme oppressé de ses pensées. Elinor persuadée qu'il avait quelque chose à lui communiquer qui concernait sa sœur, attendait impatiemment qu'il commençât. Ce n'était pas la première fois qu'elle avait cette conviction. Souvent déja, quand Maria sortait ou restait rêveuse dans un coin du salon, le colonel s'approchait d'Elinor, lui disait avec l'air du plus grand intérêt: mademoiselle Maria n'est pas bien aujourd'hui, ou bien: Votre sœur est bien absorbée… Il s'arrêtait, il hésitait. Elle voyait dans son regard qu'il avait quelque chose à dire de plus, qu'il n'osait pas prononcer. Cette fois après quelques instans d'hésitation, après s'être levé et rassis, il lui demanda d'une voix tremblante quand il pourrait la féliciter de l'acquisition d'un frère. Elinor n'était pas préparée à cette question, et n'ayant pas de réponse prête, elle fut obligée de dire, comme on dit toujours: je n'entends pas… je ne comprends pas… parlez-vous de mon frère John! Sont-ils arrivés!..

Il essaya de sourire et répliqua avec une espèce d'effort: Vous ne voulez pas me comprendre. J'entends… les engagemens de votre sœur avec M. Willoughby de Haute-Combe… Ils sont connus généralement; et j'ai cru…

– Ils ne peuvent être connus, dit Elinor, puisque la famille les ignore.

Il parut très-surpris. – Je vous demande mille pardons, dit-il; je crains à présent que mes questions n'aient été très-indiscrètes; mais je ne pouvais imaginer qu'il y eût du mystère, puisqu'ils correspondent ouvertement, et que tout le monde parle de leur mariage.

– Tout le monde en parle dites-vous! vous me surprenez toujours davantage. Dites-moi, je vous en prie, par qui vous en avez été informé.

– Par plusieurs personnes. Il y en a que vous ne connaissez pas, d'autres avec qui vous êtes très-liée, comme par exemple madame Jennings, les Palmer, les Middleton. Malgré cela, je ne l'aurais pas cru, parce qu'on cherche toujours à douter de ce que l'on craint, mais l'autre matin en entrant ici, je vis accidentellement une lettre entre les mains du domestique, qui ne cherchait pas à la cacher. Elle était adressée à M. Willoughby et de l'écriture de votre sœur. Je vous ai demandé si elle se mariait, mais j'en étais déja convaincu. Est-ce que tout est conclu définitivement? ne me reste-t-il aucun espoir? Mais non, lors même qu'il y aurait des obstacles insurmontables, je n'ai aucun droit, aucune chance de jamais succéder… De grace excusez-moi, bonne Elinor; j'en dis trop sans doute et j'ai grand tort, mais je sais à peine ce que je dis et je me confie entièrement en votre prudence. Dites-moi que tout est arrangé quoiqu'il faille encore garder le secret quelque temps. Ah! combien j'ai besoin d'être sûr que mon malheur soit décidé, de ne plus rester en suspens, et d'employer toutes les forces de mon ame à me guérir d'un sentiment inutile et coupable!

Ces paroles incohérentes, cet aveu positif de son amour pour Maria, affectèrent beaucoup Elinor, au point même de l'empêcher de parler; et, quand elle se sentit un peu remise, il succéda à ce trouble un extrême embarras de répondre convenablement. L'état réel des choses entre sa sœur et M. Willoughby lui était trop peu connu pour qu'elle ne craignît pas de la compromettre en disant trop ou trop peu. Cependant, comme elle était convaincue de l'affection de sa sœur pour Willoughby, qui ne laissait aucun espoir au colonel quelque fût l'événement, étant bien aise d'ailleurs d'épargner à Maria le blâme auquel elle donnait lieu si souvent, elle jugea plus prudent d'en avouer davantage qu'elle n'en croyait elle-même: elle lui dit donc que quoi qu'elle n'eût jamais été informée par eux-mêmes des termes où ils en étaient, elle n'avait aucun doute de leur affection mutuelle, et qu'elle n'était pas surprise d'apprendre leur correspondance.

Le colonel l'écouta avec une silencieuse attention, et, quand elle eut cessé de parler, il se leva et dit avec une voix émue: Je souhaite à votre sœur tous les bonheurs imaginables. Puisse-t-elle, puisse Willoughby mériter la félicité qui leur est destinée! Il la salua de la main, leva les yeux au ciel avec l'expression la plus douloureuse, et partit.

Elinor resta triste et pensive. Cet entretien loin de lui avoir apporté quelque consolation, laissait un poids sur son cœur. Ses espérances du mariage de sa sœur s'étaient, il est vrai, renouvelées; mais serait-elle heureuse? Les vœux du colonel avaient quelque chose de sombre; il semblait en douter. Le malheur de cet homme intéressant l'affligeait aussi. Elle déplorait la fatalité qui l'avait entraîné dans un amour sans espoir; et cette conformité dans leur situation redoublait encore l'intérêt qu'il lui inspirait. Pauvre Brandon! s'écriait-elle; et son cœur oppressé disait ainsi: Pauvre Elinor! Elle ne savait plus ce qu'elle devait désirer, et, sur quelque objet qu'elle arrêtât sa pensée, c'était avec un sentiment douloureux.

CHAPITRE XXVIII

Trois ou quatre jours s'écoulèrent sans qu'Elinor eût à regretter d'avoir averti sa mère. Willoughby ne vint, ni n'écrivit. L'inquiétude de Maria se calma peu-à-peu, et fut remplacée par un abattement, un découragement complets. Elle restait, des heures entières assise à la même place, presque sans mouvement, ne faisant plus nulle attention aux coups de marteau ni à ceux qui entraient, ni à ce qu'on disait autour d'elle; elle aurait oublié de manger, de s'habiller, de se coucher, de se lever, si Elinor n'y avait pas pensé pour elle, et ne l'eût pas avertie absolument de tout ce qu'il fallait faire; alors sans dire oui ou non, elle faisait machinalement ce que lui disait sa sœur; elle sortait ou restait avec une égale indifférence, et sans avoir jamais une expression de plaisir ou d'espoir. Sur la fin de la semaine, elles étaient engagées dans une grande assemblée où lady Middleton devait les conduire. Madame Palmer très-avancée dans sa grossesse était indisposée; et sa mère restait auprès d'elle; elle avait prié ses jeunes amies de ne pas manquer à cet engagement. Elinor désirait aussi faire sortir Maria de son apathie; et cette réunion chez une femme très-riche et très à la mode, devait être fort belle. Comme à l'ordinaire la triste Maria ne se mit en peine de rien, se laissa parer par sa sœur, sans même se regarder au miroir, s'assit dans le salon jusqu'au moment de l'arrivée de lady Middleton, penchée sur sa main sans ouvrir la bouche, perdue dans ses pensées, et sans paraître s'apercevoir de la présence d'Elinor; quand on l'avertit que lady Middleton les attendait dans sa voiture, elle tressaillit, comme si elle n'eût attendu personne.

Après avoir eu assez de peine à s'approcher de la maison où se tenait l'assemblée, à cause de la foule des équipages qui obstruaient la rue, elles firent leur introduction dans un salon splendide, très-illuminé, et si rempli de monde, qu'on pouvait à peine respirer, et que la chaleur était insupportable. Lady Middleton les amena auprès de la dame qui les avait invitées. Elles la saluèrent, et il leur fut permis de se mêler dans la foule et de prendre leur part de la presse et de la chaleur, que leur arrivée augmentait encore. Après quelques momens employés à se promener avec grand peine d'un coin du salon à l'autre, lady Middleton arrangea une partie de cassino qui était son jeu favori. Mesdemoiselles Dashwood préférèrent ne pas jouer, et s'assirent à peu de distance de la table de jeu. Maria retomba dans ses sombres rêveries; Elinor s'amusait à regarder cette quantité d'individus qui se rassemblaient avec l'espoir du plaisir, et qui plus ou moins avaient tous l'air ennuyé et fatigué. En promenant ses regards de côté et d'autre, ils tombèrent sur un objet qui lui donna une forte émotion… C'était Willoughby debout devant une jeune personne mise dans toute la recherche de la mode, et avec qui il tenait une conversation très-animée. Dans un mouvement ses yeux rencontrèrent ceux d'Elinor; il la salua, mais sans faire un pas pour se rapprocher d'elle et de Maria, qu'il voyait aussi très-bien; il continua à parler à la jeune dame. Involontairement Elinor se tourna vers sa sœur pour la prévenir, si elle ne l'avait pas encore vu, de peur qu'elle ne se donnât en spectacle; mais c'était trop tard, elle venait de l'apercevoir. Toute sa physionomie exprimait un bonheur qui tenait presque du délire. – C'est lui! s'écria-t-elle en se levant pour courir à lui, si sa sœur ne l'avait pas retenue. Bon Dieu! il est là, dit-elle à Elinor, il est là; oh! s'il pouvait me voir! Pourquoi ne me regarde-t-il pas? Pourquoi m'empêchez-vous d'aller lui parler? Oh! laissez moi aller.

– Je vous en prie, dit Elinor à voix basse, soyez plus calme; ne trahissez pas ainsi vos sentimens devant tout le monde; est-ce à vous, Maria, à faire un seul pas? Laissez-le venir. Peut-être il ne vous a pas vue encore.

Etre calme et dans un tel moment, ah! c'était bien plus qu'elle ne pouvait l'espérer de Maria. Aussi voyant qu'elle l'écoutait à peine, elle lui serra tendrement la main: Pour l'amour de moi, Maria, lui dit-elle, rasseyez-vous; si vous m'aimez je vous en demande cette preuve. Maria se rassit à l'instant même, en lui rendant son serrement de main, mais avec un mouvement convulsif; elle avait un tremblement général; ses joues et ses lèvres étaient pâles comme la mort et tous ses traits étaient altérés.

 

Enfin Willoughby après les avoir regardées encore toutes deux, s'approcha lentement. Alors Maria prononça son nom; ses yeux se ranimèrent; et un faible sourire parut sur ses lèvres. Il s'avança, et s'adressa plutôt à Elinor qu'à Maria sans regarder cette dernière; il cherchait visiblement à éviter son regard; il s'informa de madame Dashwood, de mademoiselle Emma, demanda s'il y avait long-temps qu'elles étaient à la ville. Toute la présence d'esprit d'Elinor l'avait abandonnée. Elle était incapable de prononcer une parole, et s'attendait que Maria allait tomber sans connaissance. Celle-ci reprit au contraire toute sa vivacité; un rouge vif colora ses joues; et d'une voix très-altérée, elle dit: Bon Dieu! Willoughby, est-ce bien vous? Que vous ai-je fait? N'avez-vous pas reçu ma lettre? Ne voulez-vous pas me regarder, me parler? n'avez-vous rien à me dire? Elinor examinait avec soin la physionomie et la contenance de Willoughby pendant que Maria lui parlait. Il changea plusieurs fois de couleur et paraissait évidemment très-mal à son aise; il faisait des efforts inouïs pour paraître tranquille; il y parvint et répondit avec politesse: J'ai eu l'honneur, mesdames, de me présenter chez vous jeudi passé; j'ai beaucoup regretté de n'avoir pas eu le bonheur de vous rencontrer à la maison, non plus que madame Jennings. Vous avez trouvé ma carte, j'espère.

– Mais avez-vous reçu mes billets? s'écria Maria dans la plus grande anxiété. Il y a entre nous quelque erreur, j'en suis sûre, quelque terrible erreur! Quelle peut être la cause de cette inconcevable froideur? Willoughby, pour l'amour du ciel, dites-le moi, expliquez vous.

– Pour l'amour du ciel, parlez plus bas, dit Elinor qui était sur les épines qu'on ne l'entendît, ou plutôt taisez-vous, ce n'est pas le moment.

Ce conseil ne pouvait regarder Willoughby, qui ne répondait pas un mot. Il pâlit et reprit sa contenance embarrassée. Elinor jeta les yeux sur la jeune dame à qui il avait parlé précédemment; elle rencontra un regard inquiet, curieux, impératif. Willoughby le vit aussi; alors se retournant vers Maria, il lui dit à demi-voix: Oui, mademoiselle, j'ai eu le plaisir de recevoir la nouvelle de votre arrivée à Londres, avec bien de la reconnaissance; et les saluant toutes deux assez légèrement, il alla rejoindre sa société.

Maria qui s'était levée pour lui parler, fut obligée de se rasseoir, si pâle, si tremblante, qu'Elinor s'attendait à chaque instant à la voir s'évanouir. Elle avait dans son sac un flacon de sel qu'elle lui donna, en se penchant vers elle pour empêcher qu'elle ne fût remarquée. Allez auprès de lui, chère Elinor, dit Maria dès qu'elle put articuler un mot; je ne puis me soutenir; mais vous, vous qui êtes si bonne, allez, exigez de lui de venir me parler, me dire un seul mot, un seul. Je ne puis rester ainsi, je ne puis avoir un instant de paix jusqu'à ce qu'il m'ait expliqué… Quelque affreux malentendu, quelque calomnie… Oh! qu'il vienne, qu'il parle, ou je meurs.

– C'est impossible, chère Maria, dit Elinor, tout-à-fait impossible! Il n'est pas seul; nous ne pouvons nous expliquer ici. Quelques heures de patience; attendez seulement à demain.

Si l'émotion de Maria ne l'avait pas retenue forcément sur son siége, jamais sa sœur n'aurait pu l'obtenir; mais heureusement après quelques minutes elle vit Willoughby sortir par la porte d'entrée; elle le dit à Maria. Jusqu'alors l'excès de son agitation, et le désir et l'espoir de lui parler avaient retenu ses larmes; mais lorsqu'elle sut qu'il avait quitté la salle, elle sentit qu'elle allait ou se trouver mal ou fondre en larmes; elle supplia sa sœur d'aller prier lady Middleton de la ramener en Berkeley-street; elle ne pouvait pas, lui dit-elle, rester une seule heure de plus.

Quoique lady Middleton fût au milieu d'un robers, elle était trop polie pour ne pas quitter sa partie au moment où elle apprit que Maria n'était pas bien; elle remit son jeu à une amie, et partit dès qu'on put avoir le carosse. Elinor prit pour prétexte que la chaleur avait incommodé Maria. Celle-ci ne dit pas un mot; ce ne fut qu'à des soupirs qu'on s'apercevait qu'elle était là. A leur arrivée à la maison, Elinor apprit avec plaisir que madame Jennings n'était pas encore rentrée; elle se hâta de conduire Maria dans leur chambre; elle la déshabilla, la mit au lit, lui donna quelques calmans pour ses nerfs qui étaient très-attaqués, ne lui fit ni question, ni reproche, et à sa prière la laissa seule. Elle alla au salon attendre le retour de madame Jennings, et eut tout le loisir de méditer sur ce qui venait de se passer.

Elle ne pouvait plus douter qu'il n'y eût quelque espèce d'engagement entre sa sœur et Willoughby, et il lui paraissait tout aussi positif que ce dernier avait changé, et voulait rompre. Sa conduite ne pouvait avoir pour excuse aucune erreur, aucun malentendu, puisqu'il avouait avoir reçu ses lettres. Rien autre chose qu'un changement total dans ses sentimens ou dans ses intentions ne pouvait l'expliquer. L'indignation d'Elinor contre lui aurait été à son comble, si elle n'avait pas été témoin de son extrême embarras, de sa rougeur, de sa pâleur: ce qui prouvait au moins qu'il reconnaissait ses torts, et empêchait qu'on le crût un homme sans principes de morale et d'humanité, qui aurait cherché à gagner l'affection d'une pauvre jeune fille, sans amour et sans une intention honorable. Bonne Elinor! elle ignorait encore combien un tel caractère est commun dans le grand monde! combien d'hommes vraiment cruels se font un jeu d'inspirer un sentiment qu'ils ne partagent pas, de blesser à mort un cœur innocent et sensible, et d'assimiler ainsi, dans leurs plaisirs criminels, l'imprudente jeune fille qui les écoute, au gibier qu'ils poursuivent, et qu'ils blessent ou tuent sans remords. Elinor n'avait pas cette idée de Willoughby; elle se rappelait cet air de franchise et de bonté qui dès le premier moment les avait toutes captivées; elle voyait encore ses regards pleins d'amour sur Maria, et ses paroles si tendres, si pleines d'un sentiment honnête, vrai, délicat, lorsqu'il conjurait madame Dashwood de ne rien changer à la Chaumière. Non, non, Willoughby, ne peut les avoir trompées; il aimait passionnément Maria; elle n'a là-dessus aucun doute. Mais l'absence peut avoir affaibli cet amour; un autre objet peut l'avoir entraîné. Peut-être aussi est-il forcé d'agir comme il le fait par quelque circonstance impérieuse. Il lui en coûte au moins beaucoup; elle l'a vu dans chacun de ses traits; et l'excellente Elinor dans son désir de le trouver moins coupable, lui savait presque gré d'avoir le courage d'éviter sa sœur s'il ne l'aimait plus, et de ne pas chercher à entretenir un sentiment inutile. Mais pour le moment Maria n'en était pas moins très-malheureuse! Elinor ne pouvait penser sans le plus profond chagrin à l'effet que cette rencontre si désirée et si cruelle devait avoir sur un caractère aussi peu modéré et qui s'abandonnait avec tant de violence à toutes les impressions. Sa propre situation gagnait à présent dans la comparaison; elle était aussi séparée pour toujours d'Edward, mais elle pouvait encore l'estimer entièrement, elle pouvait au moins se croire encore aimée tendrement comme une amie. Puisqu'un autre titre lui était interdit, celui-là et l'idée de pouvoir encore être quelque chose pour lui, consolaient un peu son cœur; mais toutes les circonstances agravaient le sort de Maria, et plus que tout encore son caractère. Une immédiate et complète rupture avec Willoughby devait avoir lieu, et comment la soutiendrait-elle?

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