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Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3

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CHAPITRE XVI
1670-1671

Continuation de la correspondance de madame de Sévigné avec le comte de Grignan.—Quand elle lui parle d'affaires sérieuses, elle les traite à fond et lui donne d'excellents conseils.—Digression sur les affaires de Provence lorsque M. de Grignan fut nommé lieutenant général.—Droits des états remplacés par une commission du parlement.—Le roi enlève au parlement le droit de gouverner en l'absence du gouverneur et de son lieutenant.—Le baron d'Oppède, président du parlement, est nommé d'office pour remplir les fonctions de gouverneur.—Influence de l'évêque de Marseille.—Position difficile où se trouve placé le comte de Grignan.—Conseils qui lui sont donnés par madame de Sévigné.—M. de Grignan demande à l'assemblée des communautés de Provence des fonds pour payer ses gardes.—Cette demande est rejetée.—Par le moyen de madame de Sévigné, qui agit auprès du baron d'Oppède et de l'archevêque d'Aix, M. de Grignan obtient de l'assemblée une gratification annuelle.—Madame de Grignan accouche d'une fille.—Détails sur la destinée de cet enfant.—Madame de Sévigné s'efforce de retarder le départ de madame de Grignan pour la Provence.—Elle cite à M. de Grignan madame de Rochefort, qui ne peut venir à Paris à cause du mauvais temps.—Détails sur madame de Rochefort.—Mariage de mademoiselle d'Heudicourt, cousine des Grignan.—Le coadjuteur de l'archevêque d'Arles devait assister à ses noces; il y renonce, et madame de Grignan part avec lui pour la Provence.—Date de ce départ.

Dans ses lettres à M. de Grignan et dans tout le cours de sa correspondance madame de Sévigné ne passe pas toujours, ainsi que nous venons de le voir, d'un sujet à un autre légèrement et rapidement. Quand il est question d'affaires sérieuses, et surtout d'affaires qui intéressent l'honneur, la gloire ou la fortune de son gendre et de sa fille, elle s'y arrête, et les envisage sous toutes les faces. Ce n'est plus alors la femme aimable, instruite, spirituelle et sensée, qui cause sur les événements du jour, sur la religion, la littérature, les spectacles, les modes; qui moralise sur les joies et les tristesses du monde. C'est l'homme des grandes choses, qui voit tout, qui apprécie tout à sa juste valeur, les obstacles et les moyens, les intérêts et les intrigues, les passions et les caractères.

A l'époque dont nous traitons, la position de M. le comte de Grignan inquiétait madame de Sévigné; et, pour bien comprendre ce que cette position avait de difficile, il est nécessaire de faire connaître ce qu'était alors le gouvernement de la Provence.

Cette province était ce que l'on appelait un pays d'états, réuni et soumis à la couronne, mais sous certaines conditions, ayant ses représentants, son parlement et ses franchises. Comme dans les autres pays de même origine, ces garanties de la liberté, par l'effet des empiétements du pouvoir royal, se réduisaient à de pures formes. Cependant il restait encore à la Provence un privilége reconnu et respecté par le pouvoir: c'est que, quand le gouverneur et le lieutenant général étaient tous les deux absents, le parlement prenait de droit le gouvernement de la province; et, pour l'exercice de ce droit, il nommait dans son sein une commission à laquelle ses pouvoirs étaient délégués. Ce cas se présenta lorsque le duc de Vendôme, gouverneur de Provence, fut nommé cardinal en 1667. Le gouverneur et son lieutenant se trouvèrent tous les deux absents. Louis XIV se ressouvenait de la Fronde, et refusait au parlement de Paris toute action sur la police du royaume; il était peu disposé à permettre que cette action fût exercée par un parlement de province dans l'étendue de son ressort. Cependant, pour ne pas attenter trop ouvertement à des droits consacrés par le temps et par un long usage, il nomma, pour commander en l'absence du duc de Vendôme, gouverneur, et de Mérinville, lieutenant général, le premier président du parlement, Henri Forbin de Meynier, baron d'Oppède. On n'osa point faire de réclamation; mais cette mesure indisposa le parlement et ceux de la noblesse et du clergé qui avaient droit de siéger dans l'assemblée des états et qui étaient regardés comme les gardiens naturels des libertés de la province596. Comme on soupçonnait le baron d'Oppède d'avoir sollicité son brevet de gouverneur par intérim, qu'on l'accusait de partialité dans son administration et de profiter de son autorité pour son intérêt particulier, il éprouva de fortes oppositions. Les ministres de Louis XIV comprirent qu'il était nécessaire de faire surveiller les mécontents par quelqu'un qui eût plus d'influence que le baron d'Oppède. L'évêque de Marseille, Forbin-Janson, s'offrit à eux, et il leur fournit ainsi l'occasion de connaître sa capacité597. Ils s'habituèrent peu à peu à traiter avec lui toutes les affaires de la Provence qui avaient quelque importance. Forbin, son parent, ami de Bontems, les servait à la cour auprès du roi, et ajoutait à son crédit tout le poids d'une si haute volonté.

C'est dans ces circonstances que le comte de Grignan fut nommé lieutenant général, pour remplir la place du gouverneur absent. Sa présence dans la province et son investiture dans la charge dont il était revêtu faisaient cesser de droit l'autorité que le baron d'Oppède avait exercée à un titre assez peu légal, et tendait à anéantir l'influence que l'évêque de Marseille, sans aucun titre, avait usurpée dans les affaires. Ces deux hommes, puissants par l'indépendance de leurs fonctions et par les dignités dont ils étaient revêtus, par les créatures et les partisans qu'ils s'étaient faits dans le pays, formaient obstacle à l'autorité pleine et entière du lieutenant général gouverneur. L'intervention de l'évêque pour les affaires qui n'étaient pas du ressort ecclésiastique était surtout humiliante pour le comte de Grignan, puisque, par les pouvoirs dont le lieutenant général était revêtu, elle devait être inutile. Mais son inexpérience la rendait nécessaire, et, malgré tous ses efforts pour la faire cesser, elle continuait toujours. C'est ce qui produisit l'aversion que le comte de Grignan avait pour le prélat. Le caractère aigre et altier de celui-ci598 n'était pas propre à la diminuer. Entre ces deux hommes les luttes devinrent plus fréquentes et l'inimitié s'accrut de jour en jour.

Madame de Sévigné, mieux instruite que le comte de Grignan des intrigues qui lui étaient contraires, jugea, avec son ordinaire sagacité, ce que la position de son gendre exigeait de prudence et de ménagement. Elle voulait qu'il dissimulât et qu'il n'en vînt pas à une rupture déclarée avec l'évêque et avec le baron d'Oppède. Tous deux étaient alors absents de leur province; présents et assidus à la cour, madame de Sévigné les voyait, et elle agissait auprès d'eux d'une manière conforme aux intérêts du lieutenant général gouverneur. Les conseils qu'elle donnait à M. de Grignan étaient accompagnés de réflexions qui font autant d'honneur à la noblesse de son âme, à la droiture de son cœur qu'à la sagesse et à la solidité de son esprit.

«Je veux vous parler, dit-elle, de M. de Marseille, et vous conjurer, par toute la confiance que vous pouvez avoir en moi, de suivre mes conseils sur votre conduite avec lui. Je connais les manières des provinces, et je sais le plaisir qu'on y prend à nourrir les divisions; en sorte qu'à moins que d'être en garde contre les discours de ces messieurs on prend insensiblement leurs sentiments, et très-souvent c'est une injustice. Je vous assure que le temps et d'autres raisons ont changé l'esprit de M. de Marseille: depuis quelques jours il est fort adouci, et, pourvu que vous ne vouliez pas le traiter en ennemi, vous trouverez qu'il ne l'est pas. Prenons-le sur ses paroles jusqu'à ce qu'il ait fait quelque chose de contraire. Rien n'est plus capable d'ôter tous les bons sentiments que de marquer de la défiance; il suffit souvent d'être soupçonné comme ennemi pour le devenir: la dépense en est toute faite, on n'a plus rien à ménager. Au contraire, la confiance engage à bien faire; on est touché de la bonne opinion des autres, et on ne se résout pas facilement à la perdre. Au nom de Dieu, desserrez votre cœur, et vous serez peut-être surpris par un procédé que vous n'attendez pas. Je ne puis croire qu'il y ait du venin caché dans son cœur, avec toutes les démonstrations qu'il nous fait et dont il serait honnête d'être la dupe plutôt que d'être capable de le soupçonner injustement.

«Suivez mes avis; ils ne sont pas de moi seule: plusieurs bonnes têtes vous demandent cette conduite, et vous assurent que vous n'y serez pas trompé. Votre famille en est persuadée; nous voyons les choses de plus près que vous; tant de personnes qui vous aiment et qui ont un peu de bon sens ne peuvent guère s'y méprendre.

 

«Je vous mandai l'autre jour que M. le premier président de Provence [de Forbin, baron d'Oppède] était venu de Saint-Germain exprès, aussitôt que ma fille fut accouchée, pour lui faire son compliment; on ne peut témoigner plus d'honnêteté ni prendre plus d'intérêt à ce qui vous touche. Nous l'avons revu aujourd'hui; il nous a parlé le plus franchement et le mieux du monde sur l'affaire que vous ferez proposer à l'assemblée des communautés de Provence. Il nous a dit qu'on avait envoyé des ordres pour la convoquer, et qu'il vous écrivait pour vous faire part de ses conseils, que nous avons trouvés très-bons. Comme on ne connaît d'abord les hommes que par les paroles, il faut les croire jusqu'à ce que les actions les détruisent; on trouve quelquefois que les gens qu'on croit ennemis ne le sont point; on est alors fort honteux de s'être trompé; il suffit que l'on soit toujours reçu à se haïr quand on y est autorisé599

Pour l'intelligence de ce dernier paragraphe, il est nécessaire d'expliquer quelle était l'affaire dont parle ici madame de Sévigné et que M. de Grignan devait proposer aux états. Cette explication achèvera de mettre en évidence les inconvénients et les difficultés de la charge, plus brillante que profitable, dont le comte de Grignan avait été pourvu.

Le comte de Grignan avait dans ses manières et sa façon de vivre tout le désintéressement, toute la libéralité d'un grand seigneur. Dans sa nouvelle position il se trouvait obligé à donner fréquemment des repas et des fêtes, et un plus grand train de maison lui était nécessaire. Astreint à des dépenses auxquelles sa fortune, quoique considérable, ne pouvait suffire, il aurait dû trouver dans les appointements de sa charge une compensation au moins suffisante. Ces appointements, ainsi que ceux du gouverneur, n'étaient pas payés par l'épargne ou le trésor public, mais par la province; et le montant en était réglé par des ordonnances royales. Ils étaient fixés par ces ordonnances à la somme de 18,000 livres, équivalant à 36,000 livres de notre monnaie actuelle. Cette somme eût été plus que suffisante si le gouverneur eût résidé dans la province, et eût rendu inutile l'intervention du lieutenant général; mais lorsque celui-ci se trouvait seul chargé du gouvernement et de tous les frais de représentation, elle ne pouvait lui suffire. Ce n'est pas tout: les ordonnances avaient fixé une certaine somme pour le payement et l'entretien des gardes du gouverneur; mais elles n'avaient pas prévu le cas où le lieutenant général serait tenu de faire les fonctions de gouverneur et obligé, par conséquent, d'avoir des gardes. Pour suppléer à cette omission, le comte de Grignan crut devoir profiter de l'occasion d'une assemblée de toutes les communautés de la province, dont les représentants avaient été réunis à l'effet d'accorder un don de 600,000 francs demandés par le gouvernement du roi et quelques autres sommes moins considérables, exigées par la nécessité de pourvoir à certaines dépenses locales. A toutes ces demandes, justifiées dans le discours que M. le comte de Grignan prononça lors de l'ouverture de cette assemblée, il joignit la proposition d'allouer ce dont il avait besoin pour suffire à la subsistance de ses gardes. Cette proposition était fondée non-seulement sur ce que, le lieutenant général remplissant les fonctions de gouverneur, on devait lui donner les moyens de soutenir la dignité de son rang, mais encore parce que ses gardes lui étaient d'une utilité indispensable pour le maintien de la police militaire. Appuyée sur d'aussi excellentes considérations, cette proposition aurait dû être adoptée sans difficulté; mais comme le baron d'Oppède s'était fait nommer commissaire du roi pour la tenue de cette assemblée, il s'y opposa, et la fit rejeter. On appuya ce refus sur l'arrêt du conseil du 26 août 1639, qui fixait à 18,000 francs les appointements du lieutenant général, et lui défendait de rien exiger au delà, pour quelque cause que ce fût.

Voilà quelle était l'affaire dont madame de Sévigné parle dans sa lettre. C'est ce premier échec de M. le comte de Grignan qu'il s'agissait de réparer en faisant accorder par l'assemblée, sous un autre motif que celui qu'on avait refusé d'admettre, une somme quelconque qui pût suppléer à l'insuffisance des fonds qui lui étaient alloués. Madame de Sévigné réussit, par ses démarches personnelles et celles de toute la famille de Grignan, à se concilier l'appui du baron d'Oppède et de l'évêque de Marseille, et parvint à persuader à son gendre qu'il ne fallait pas qu'il témoignât aucun ressentiment à ces deux personnages, dont le concours lui était nécessaire; et que même il aurait tort de ne pas croire à leurs promesses et à leurs protestations et de les considérer comme ennemis tant qu'ils ne feraient pas contre lui des actes d'hostilité. Les conseils de madame de Sévigné furent suivis, et ses démarches eurent un plein succès. L'assemblée, sans revenir sur sa première décision, déclara qu'en considération des bons services que le lieutenant général rendait continuellement au pays il lui serait accordé une somme de 5,000 livres (10,000 livres de notre monnaie actuelle). Cette somme fut continuée annuellement, et porta ainsi à 46,000 livres (monnaie actuelle) les appointements du comte de Grignan comme lieutenant général gouverneur600.

Plus d'un lecteur aura remarqué que la lettre de madame de Sévigné, qui nous instruit des affaires de son gendre, nous apprend aussi que sa fille était accouchée. On pense bien que cet accouchement n'avait pu avoir lieu sans que madame de Sévigné en eût écrit tous les détails au comte de Grignan, sans qu'antérieurement elle l'eût entretenu bien souvent des circonstances de la grossesse, du désir et de l'espérance de voir naître un fils destiné à continuer la noble postérité des Grignan; et de fait madame de Sévigné avait d'avance préparé tout le trousseau du futur enfant conformément à cette idée601. Mais, dès les premiers mots de la lettre où elle annonce à M. de Grignan l'heureuse issue de l'événement si attendu, on apprend ce qu'il accorde et ce qu'il refuse pour le présent, et ce qu'il promet pour l'avenir602. «Madame de Puisieux603 dit que, si vous avez envie d'avoir un fils, vous preniez la peine de le faire. Je trouve ce discours le plus juste et le meilleur du monde.» En terminant le récit de la délivrance facile et même précipitée de madame de Grignan, madame de Sévigné la compare plaisamment à la jeune fille du conte de la Fontaine intitulé l'Ermite, laquelle croyait accoucher d'un pape. «Quand nous songeons, dit-elle, que nous avons fait des béguins au saint-père, et qu'après de si belles espérances la signora met au mondé une fille, je vous assure que cela rabaisse le caquet.»

Cette fille, baptisée sous le nom de Marie-Blanche, fut tenue sur les fonts de baptême par madame de Sévigné et par le frère de M. de Grignan, au nom de son oncle l'archevêque d'Arles, dont il était le coadjuteur604.

Nourrie à Paris sous les yeux de son aïeule605, celle-ci fut la première, et longtemps la seule, à laquelle elle donna le nom de mère606. Par les grâces et les gentillesses de son enfance, elle se concilia son affection607. Quand Marie-Blanche eut été rendue à celle qui lui avait donné le jour, de la province d'où elle ne sortit plus elle écrivait à madame de Sévigné. Dans les lettres que celle-ci adresse à madame de Grignan608, elle montre souvent une tendre sollicitude pour cette filleule chérie, qu'elle avait surnommée ses petites entrailles. Marie-Blanche d'Adhémar, quoiqu'elle eût les traits de son père609, n'était pas dépourvue d'agréments. Elle avait une taille svelte et bien prise, ses yeux étaient d'un bleu foncé et ses cheveux d'un beau noir610. A l'âge de quinze ans et demi, elle fut mise par sa mère dans le couvent des dames Sainte-Marie d'Aix611; elle s'y fit religieuse, et y mourut à l'âge de soixante-cinq ans612. C'est au sujet de son entrée dans cette maison que madame de Sévigné nous apprend qu'elle aussi avait cru nécessaire autrefois de mettre pendant quelque temps sa fille au couvent. En écrivant à madame de Grignan, elle dit: «J'ai le cœur serré de ma petite-fille; elle sera au désespoir de vous avoir quittée et d'être, comme vous dites, en prison. J'admire comment j'eus le courage de vous y mettre; la pensée de vous voir souvent et de vous en retirer me fit résoudre à cette barbarie, qui était trouvée alors une bonne conduite et une chose nécessaire à votre éducation. Enfin, il faut suivre les règles de la Providence, qui nous destine comme il lui plaît.»

 

La Providence, nous devons le croire, fut douce et bonne envers Marie-Blanche d'Adhémar, puisqu'elle l'a soustraite aux peines et aux agitations du monde pour la consacrer à Dieu. Cependant tout ce que nous savons sur sa vie nous est donné par quelques lignes des lettres de madame de Sévigné et surtout par celles qui furent écrites lorsque la jeune vierge avait acquis l'âge de vingt ans, et probablement peu après qu'elle eut prononcé ses vœux, hélas! perpétuels: «Je fais réponse à ma chère petite Adhémar avec une vraie amitié. La pauvre enfant! qu'elle est heureuse, si elle est contente! Cela est sans doute; mais vous m'entendez bien613

Ces lignes mystérieuses et mélancoliques et quelques autres614 laissent subsister une douloureuse incertitude sur le sort de cette aînée des enfants du comte de Grignan.

Dix jours après son accouchement, madame de Grignan se trouvait parfaitement rétablie, et madame de Sévigné commençait ainsi la grande lettre qu'elle écrivait au comte de Grignan sur ses affaires de Provence: «Ne parlons plus de cette femme, nous l'aimons au delà de toute raison; elle se porte très-bien, et je vous écris en mon propre et privé nom615

Il était bien naturel que madame de Sévigné retardât, autant qu'elle le pouvait raisonnablement, le départ pour la Provence de cette femme, bien véritablement aimée d'elle au delà de toute raison. Aussi la voyons-nous redoubler de soins, de tendresses et de cajoleries pour le comte de Grignan; parler sans cesse du désir qu'a sa fille d'aller le rejoindre; exagérer les inconvénients, les dangers de ce voyage dans une si rigoureuse saison. Il paraît que la nouvelle de la nomination de M. de Grignan à la lieutenance générale de Provence, et l'idée de se voir séparée de sa fille, avait causé une telle affliction à madame de Sévigné que sa santé en avait été altérée; car, en parlant à M. de Grignan du prochain départ de sa fille, elle lui dit douloureusement: «Je serai bientôt dans l'état où vous me vîtes l'année passée616

Cependant le 16 janvier arrive; c'est-à-dire que deux mois se sont écoulés depuis l'accouchement de madame de Grignan, et elle n'a point encore quitté sa mère. «Hélas! dit celle-ci, je l'ai encore cette pauvre enfant! et quoi qu'elle ait pu faire, il ne lui a pas été possible de partir le 10 de ce mois617.» Et voyez quel monde d'obstacles madame de Sévigné accumule pour retarder ce départ! A l'entendre, elle le souhaite, et c'est forcément qu'elle le diffère. «Les pluies ont été et sont encore si excessives qu'il y aurait eu de la folie à se hasarder. Toutes les rivières sont débordées, tous les grands chemins sont noyés, toutes les ornières cachées; on peut fort bien verser dans tous les gués. Enfin, la chose est au point que madame de Rochefort, qui est chez elle à la campagne, qui brûle d'envie de revenir à Paris, où son mari la souhaite et où sa mère l'attend avec une impatience incroyable, ne peut pas se mettre en chemin, parce qu'il n'y a pas de sûreté, et qu'il est vrai que cet hiver est épouvantable; il n'a pas gelé un moment, et il a plu tous les jours comme des pluies d'orage; il ne passe plus aucun bateau sous les ponts; les arches du Pont-Neuf sont quasi comblées: enfin c'est une chose étrange.»

Madeleine de Laval-Bois-Dauphin, mariée depuis peu au marquis de Rochefort, était liée avec madame de Grignan, et du même âge618. Nommée deux ans après dame du palais, son mari fut ensuite fait maréchal de France619 et mourut à l'âge de quarante ans; sa femme se montra longtemps inconsolable de sa perte620. Jolie personne, elle inspira à la Fare une passion à laquelle elle se montra insensible. Celle qu'eut pour elle Louvois fut plus constante et plus sérieuse621; mais, à l'époque où madame de Sévigné écrivait la lettre que nous venons de citer, toutes les affections de madame de Rochefort étaient concentrées sur son mari, et l'exemple était donc bien choisi622. Madame de Sévigné ne veut pas que sa fille, pour aller joindre son mari, paraisse arrêtée par la crainte du danger; aussi elle prend tout sur elle, et dit:

«Je vous avoue que l'excès d'un si mauvais temps fait que je me suis opposée à son départ pendant quelques jours. Je ne prétends pas qu'elle évite le froid, ni les boues, ni les fatigues du voyage; mais je ne veux pas qu'elle soit noyée. Cette raison, quoique très-forte, ne la retiendrait pas présentement, sans le coadjuteur, qui part avec elle et qui est engagé de marier sa cousine d'Harcourt. Cette cérémonie se fait au Louvre. M. de Lionne est le procureur; le roi lui a parlé… Ce serait une chose si étrange que d'aller seule, et c'est une chose si heureuse pour elle d'aller avec son beau-frère, que je ferai tous mes efforts pour qu'ils ne se quittent pas. Cependant les eaux s'écouleront un peu. Je veux vous dire de plus que je ne sens point le plaisir de l'avoir présentement: je sais qu'il faut qu'elle parte; ce qu'elle fait ici ne consiste qu'en devoirs et en affaires; on ne s'attache à nulle société; on ne prend aucun plaisir; on a toujours le cœur serré; on ne cesse de parler de chemins, de pluies, des histoires tragiques de ceux qui se sont hasardés. En un mot, quoique je l'aime comme vous savez, l'état où nous sommes à présent nous pèse et nous ennuie; ces derniers jours-ci n'ont aucun agrément. Je vous suis très-obligée, mon cher comte, de toutes vos amitiés pour moi et de toute la pitié que je vous fais. Vous pouvez mieux qu'un autre comprendre ce que je souffre et ce que je souffrirai623

L'inquiétude de madame de Sévigné au sujet de ce départ était d'autant plus grande que si ce mariage de la cousine du coadjuteur tardait plus de huit jours, et que le coadjuteur persistât à vouloir y assister, elle voyait sa fille résolue à partir sans lui, ce qui lui paraissait à elle le comble de la folie, et la mettait au désespoir624. Le mariage n'eut lieu que trois semaines après la date de cette lettre à M. de Grignan. Mais le coadjuteur, d'après les vives instances de madame de Sévigné, aima mieux renoncer à assister à cette cérémonie que de ne pas accompagner sa belle-sœur; c'est ce qui résulte évidemment de la date de la célébration des noces de mademoiselle d'Harcourt625 avec Pereïra de Mello, duc de Cardaval, qui eut lieu le 7 février626, et de la lettre de madame de Sévigné, datée du 6 du même mois. C'est par cette lettre que commence cette longue suite de complaintes sur la douleur qu'éprouvait madame de Sévigné d'être séparée de sa fille; éloquentes et touchantes expressions de ses tourments maternels, qui tiennent une si grande place dans sa correspondance. Dès la première phrase de cette lettre, nous apprenons que madame de Grignan était partie la veille du jour où elle fut écrite.

596PAPON, Hist. de Provence, t. IV, p. 691, 816 et 819.
597SAINT-SIMON, Mémoires authentiques, t. X, p. 484.
598SÉVIGNÉ, Lettres (17 novembre 1673), t. III, p. 225, édit. de G. L'évêque de Marseille est nommé la Grêle.—(24 novembre 1675), t. IV, p. 219.—(18 août 1680), t. VII, p. 165.—(28 février 1690), t. X, p 273.
599SÉVIGNÉ, Lettres (28 novembre 1670), t. I, p. 205 à 207, édit. de M.; t. I, p. 275 à 277, édit. de G. de S.-G.
600Abrégé des délibérations faites en l'assemblée générale des communautés du pays de Provence, tenue à Lambesc en décembre 1670, Janvier et mars 1671, par autorité de monseigneur comte DE GRIGNAN, lieutenant général pour le roi dudit pays, et par mandement de MM. les procureurs généraux dudit pays. A Aix, chez Charles David, imprimeur du roi, du clergé et de la ville; 1671, in-4o, p. 43.—CORIOLIS, Traité sur l'administration du comté de Provence, 1786, in 4o, t. I, p. 11.—SÉVIGNÉ, Lettres (10 avril 1671, madame de Fiesque à madame de Grignan), t. II, p. 17.—Ibid., t. II, p. 13, édit. de M.
601SÉVIGNÉ, Lettres (25 juin, 15 août, 12 septembre 1670), t. I, p. 256, 268, 269, édit. de G. de S.-G.; ou t. I, p. 188, 199, 200, édit. de Monmerqué.
602SÉVIGNÉ, Lettres (19 novembre 1670), t. I, p. 201, édit. de M.; ou t. I, p. 271, édit. de G. de S.-G.
603Charlotte d'Étampes de Valencey, marquise de Puisieux. Voyez ci-dessus, p. 247.
604SÉVIGNÉ, Lettres (19 novembre 1671), t. I, p. 278, édit. de G. de S.-G.; t. I, p. 203, édit. de M.
605SÉVIGNÉ, Lettres (19 août 1676), t. II, p. 196, édit. de M.—Ib. (24 février 1673), madame de Coulanges à madame de Sévigné, t. III, p. 144, édit. de G. de S.-G.; t. III, p. 73, édition de Monmerqué.
606SÉVIGNÉ, Lettres (23 décembre 1671), t. II, p. 320 et 321, édit. de G. de S.-G.; t. II, p. 271, édit. de M.
607SÉVIGNÉ, Lettres (22 janvier 1672), t. II, p. 354, édit. de G. de S.-G.—Ibid., t. II, p. 299, édit. de M.—Ibid. (16 mai 1672, à madame de Grignan), t. III, p. 33, édit. de G. de S.-G.; t. II, p. 440, édit. de M.—Ibid. (23 mai 1672), t. III, p. 34, édit. de G. de S.-G.; t. II, p. 445, édit. de M.—Ibid. (3 juillet 1672), t. III, p. 92, édit. de G. de S.-G.; t. III, p. 26, édit. de M.—Ibid. (11 juillet 1672), t. III, p. 103, édit. de G. de S.-G.; t. III, p. 36, édit. de M.—Ibid. (24 février 1673), t. III, p. 73, édit. de M.—Ibid. (19 août 1675), t. III, p. 411, édit. de M.—Ibid. (29 mars 1680), t. VI, p. 419, édit. de G. de S.-G.; t. VI, p. 212, édit de M.
608SÉVIGNÉ, Lettres (19 avril 1680), t. VI, p. 452, édit. de G. de S.-G.; t. VI, p. 236, édit. de M.—Ibid. (15 juin 1680), t. VII, p. 48, édit. de G. de S.-G.; t. VI, p. 323 (24 juillet 1680).
609XAVIER GIRAULT, Notice biographique, etc., dans Sévigné, édit. de G. de S.-G., p. 114.
610SÉVIGNÉ, Lettres (17 février 1672), t. II, p. 289, édit. de G. de S.-G.; t. II, p. 331, édit. de M.
611SÉVIGNÉ, Lettres (15 avril et 6 mai 1676), t. IV, p. 396 et 422, édit. de G. de S.-G.; t. IV, p. 281, édit. de M.
612SÉVIGNÉ, Lettres (11 mars 1676), t. IV, p. 229, édit. de M.
613SÉVIGNÉ, Lettres (1er février 1690, lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan), t. X, p. 228, édit. de G. de S.-G.; t. IX, p. 331, édit. de M.
614SÉVIGNÉ, Lettres (24 juillet 1680), t. VII, p. 129, édit. de G. de S.-G.; t. VI, p. 190, édit. de M.
615SÉVIGNÉ, Lettres (28 novembre 1670), t. I, p. 275, édit. de G. de S.-G; t. I, p. 205, édit. de M.
616SÉVIGNÉ, Lettres (10 décembre 1670), t. I, p. 280, édit. de G. de S.-G.
617SÉVIGNÉ, Lettres (16 janvier 1671), t. I, p. 298, édit. de G. de S.-G.
618SÉVIGNÉ, Lettres (19 février 1672), t. II, p. 396, édit. de G. de S.-G.
619SÉVIGNÉ, Lettres (29 septembre 1673), t. III, p. 288, édit. de G. de S.-G.
620SÉVIGNÉ, Lettres (1er juin et 11 septembre 1676), t. IV, p. 467, et t. V, p. 117, édit. de G. de S.-G.
621SÉVIGNÉ, Lettres (19 mai 1673), t. III, p. 153.
622Conférez encore, sur le maréchal et la maréchale de Rochefort, LORET, Muse historique, liv. VIII, p. 135; IX, p. 130; XIII, p. 66.—MONTPENSIER, Mémoires, t. XLII, p. 136.—GOURVILLE, Mémoires, t. LII, p. 265.—SÉVIGNÉ, Lettres (25 décembre 1679), t. VI, p. 265, édit. de G. de S.-G.—SÉVIGNÉ, Lettres (24 janvier 1680), t. VI, p. 320, édit. de G. de S.-G.
623SÉVIGNÉ, Lettres (16 janvier 1671), t. I, p. 299 et 300, édit. de G. de S.-G.
624SÉVIGNÉ, ibid., p. 300.
625La mère de Marie-Angélique-Henriette de Lorraine était Ornano et sœur de la mère de MM. de Grignan.—Voyez ci-dessus, chap. VIII, p. 129, la liste des parents qui signèrent le contrat de mariage de M. de Grignan.
626SÉVIGNÉ, Lettres (23 janvier, 1er et 6 février 1671), t. I, p. 303, 304, 305.
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