La Maison Idéale

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Alors, elle prenait la matraque qu’elle gardait près de la porte et se précipitait dans la chambre. Elle soulevait le cadre amovible qui se trouvait à côté de l’interrupteur. Derrière le cadre, il y avait un panneau de sécurité caché. Elle y tapait le code de quatre chiffres, celui qui déverrouillait la seconde alarme, la silencieuse, celle qui appelait directement la police si elle ne la désactivait pas dans les quarante secondes.

Ce n’était qu’à ce moment-là qu’elle se permettait de respirer. Tout en inspirant et en expirant lentement, elle faisait le tour du petit appartement, matraque en main, prête à toute éventualité. Elle fouillait partout, sans oublier les placards, la douche et le cellier, en moins d’une minute.

Quand elle était certaine d’être seule et en sécurité, elle consultait la demi-douzaine de caméras cachées qu’elle avait placées partout dans l’appartement. Ensuite, elle testait les serrures des fenêtres. Tout était en état de marche. Cela ne lui laissait qu’un seul endroit à vérifier.

Elle entrait dans la salle de bains et ouvrait le placard étroit qui contenait des fournitures comme le papier de toilette, une ventouse, quelques savons, des éponges à douche et du liquide de nettoyage des miroirs. Sur la gauche du placard, il y avait un petit fermoir qui n’était visible que si l’on savait où chercher. Elle le retournait, tirait et sentait le loquet caché produire un clic.

Le placard s’ouvrait. Derrière, on voyait un boyau extrêmement étroit avec une échelle de corde attachée au mur de briques. Le boyau et l’échelle descendaient de son appartement du quatrième étage jusqu’à une cachette située dans la buanderie du rez-de-chaussée. Cet endroit était censé être sa sortie ultime si toutes ses autres mesures de sécurité lui faisaient défaut. Elle espérait qu’elle n’en aurait jamais besoin.

Alors qu’elle replaçait l’étagère et allait repartir dans le salon, elle se vit dans le miroir de la salle de bains. C’était la première fois qu’elle se regardait vraiment de près depuis sa formation. Elle aima ce qu’elle vit.

Au premier abord, elle avait plus ou moins le même air qu’avant. Pendant sa formation au FBI, elle avait passé un anniversaire et, maintenant, elle avait vingt-neuf ans, mais elle n’avait pas l’air plus âgée qu’avant. En fait, elle trouvait qu’elle avait l’air en meilleure forme que quand elle était partie.

Elle avait encore les cheveux marron mais, d’une façon ou d’une autre, ils avaient l’air plus fringants, moins mous que quand elle avait quitté Los Angeles plusieurs semaines auparavant. Malgré les nombreux jours qu’elle avait passés au FBI, ses yeux verts étincelaient d’énergie et n’avaient plus les cernes qui lui étaient devenues si familières. Elle mesurait encore un mètre soixante-dix sept et elle était encore aussi mince, mais elle se sentait plus forte et plus résistante qu’avant. Elle avait les bras plus tonifiés et la ceinture abdominale tendue après tous les abdos et toutes les planches qu’elle avait exécutés. Elle se sentait … prête.

Elle passa dans le salon et alluma finalement les lumières. Il lui fallut une seconde pour se souvenir que tous les meubles qui s’y trouvaient lui appartenaient. Elle en avait acheté la majorité avant de partir pour Quantico. Elle n’avait pas eu grand choix. Elle avait vendu tout ce qu’il y avait eu dans la maison qu’elle avait possédée avec son ex-mari sociopathe et actuellement incarcéré, Kyle. Pendant la période qui avait suivi, elle avait dormi à l’appartement de sa vieille amie d’université, Lacy Cartwright. Cependant, quand l’appartement avait été vandalisé par quelqu’un qui avait envoyé un message à Jessie de la part de Bolton Crutchfield, Lacy avait insisté pour que Jessie parte le plus tôt possible.

C’était exactement ce qu’elle avait fait. Elle avait habité quelque temps dans un hôtel à la semaine puis elle avait trouvé un appartement, celui-ci, qui lui permettait de vivre dans la sécurité dont elle avait besoin. Cependant, comme elle manquait de meubles, elle avait immédiatement dépensé une partie de l’argent du divorce en mobilier et en appareils. Comme elle avait dû partir pour la National Academy très vite après son achat, elle n’avait pas eu le temps d’apprécier son confort.

Maintenant, elle espérait qu’elle allait pouvoir le faire. Elle s’assit sur la causeuse et se pencha en arrière pour se mettre à l’aise. Par terre, à côté d’elle, il y avait une boîte en carton sur laquelle elle avait marqué « À classer ». Elle la ramassa et commença à en fouiller le contenu. Il s’y trouvait surtout des papiers qu’elle avait pas l’intention de ranger maintenant. Tout au fond de la boîte, il y avait une photo de mariage d’elle et de Kyle de 20 centimètres sur 25.

Elle la regarda fixement comme si elle ne la comprenait pas, étonnée que la personne qui avait connu cette vie soit la même que celle qui était assise là maintenant. Presque dix ans auparavant, pendant sa deuxième année à l’université de Californie du Sud, elle avait commencé à sortir avec Kyle Voss. Ils avaient emménagé ensemble peu après avoir obtenu leurs diplômes et ils s’étaient mariés trois ans auparavant.

Pendant longtemps, la vie avait semblé belle. Ils avaient vécu dans un appartement cool proche d’ici, dans le centre-ville de Los Angeles, que l’on appelait souvent DTLA. Kyle avait un bon emploi dans la finance et Jessie était en train de finir sa maîtrise. Ils vivaient confortablement. Ils allaient dans les nouveaux restaurants et faisaient la tournée des bars à la mode. Jessie était heureuse et le serait probablement restée longtemps.

Seulement, Kyle avait reçu une promotion au bureau de l’entreprise, dans le Comté d’Orange, et il avait insisté pour qu’ils déménagent dans une maison de luxe située là-bas. Jessie avait consenti, malgré son appréhension. Ce n’était qu’à cette occasion que la vraie nature de Kyle était apparue. Il avait absolument tenu à rejoindre un club secret qui s’était avéré être la couverture d’un réseau de prostitution. Il avait commencé à coucher avec une des femmes du club et, quand il avait eu des problèmes avec elle, il l’avait tuée et avait tenté de faire accuser Jessie du meurtre. Comme si cela n’avait pas suffi, quand Jessie avait découvert son plan, il avait essayé de la tuer, elle aussi.

Pourtant, même maintenant, alors qu’elle examinait la photo de mariage, il était impossible d’y détecter ce dont son mari était finalement capable. Il ressemblait à un futur conquérant beau, aimable quoiqu’un peu brutal. Jessie froissa la photo et la jeta vers la poubelle de la cuisine. Elle tomba en plein dedans et, à sa grande surprise, Jessie se sentit toute libérée.

Diable ! Ça doit vouloir dire quelque chose.

D’une façon ou d’une autre, cet appartement la libérait. Tout, dont le nouveau mobilier, l’absence de souvenirs personnels, même les mesures de sécurité qui frôlaient la paranoïa, tout lui appartenait. Elle recommençait à zéro.

Elle s’étira pour permettre à ses muscles de se détendre après le long vol dans cet avion bondé. Cet appartement lui appartenait. En plus de six ans, c’était le premier endroit duquel elle pouvait vraiment le dire. Elle pouvait manger une pizza sur le sofa et laisser la boîte à côté sans craindre que quelqu’un se plaigne. Ce n’était pas qu’elle faisait ce genre de chose mais, le plus important pour elle, c’était de pouvoir le faire.

Quand elle pensa à la pizza, cela lui donna faim. Elle se leva et ouvrit le réfrigérateur, qui était non seulement vide mais également éteint. Ce ne fut qu’à ce moment-là qu’elle se souvint qu’elle l’avait laissé comme ça, car elle n’avait pas vu pourquoi elle aurait dû payer l’électricité pendant ses deux mois et demi d’absence.

Elle rebrancha le réfrigérateur et, comme elle se sentait agitée, elle décida d’aller faire des courses. Alors, elle eut une autre idée. Comme elle ne reprenait le travail que le lendemain et comme il n’était pas trop tard dans l’après-midi, il y avait un autre endroit où aller. Elle pouvait aller rendre visite à une personne qu’il faudrait qu’elle revoie un jour ou un autre, comme elle le savait.

Elle avait réussi à ne plus y penser pendant la plus grande partie de sa formation à Quantico, mais il y avait encore le problème de Bolton Crutchfield. Elle savait qu’elle devrait l’oublier, qu’il l’avait appâtée lors de leur dernière rencontre.

Et pourtant, il fallait qu’elle sache : est-ce que Crutchfield avait vraiment trouvé un moyen de rencontrer son père, Xander Thurman, le bourreau des Ozarks ? Avait-il trouvé un moyen d’entrer en contact avec l’assassin de tant de personnes, dont sa mère, avec l’homme qui l’avait laissée, à l’âge de six ans, attachée près du corps de sa mère, dans cette cabane isolée où elle avait failli mourir de froid ?

Elle allait le découvrir.

CHAPITRE TROIS

Quand Gray rentra à la maison ce soir, Eliza l’attendait. Il arriva à l’heure pour le dîner et l’expression de son visage suggérait qu’il savait ce qui se profilait à l’horizon. Comme Millie et Henry étaient assis dans la cuisine et qu’ils y mangeaient leurs macaronis au fromage avec des tranches de hot-dog, aucun parent ne parla de la situation.

Ce ne fut que quand les enfants furent au lit pour la nuit que tombèrent les apparences. Quand Gray entra dans la cuisine après avoir couché les enfants, Eliza l’y attendait. Il avait enlevé sa veste sport mais portait encore sa cravate desserrée et son pantalon chic. Elle soupçonna que c’était pour avoir l’air plus crédible.

Gray n’était pas grand. Avec un mètre soixante-dix-neuf et soixante-douze kilos, il ne dépassait sa femme que de deux centimètres et demi, même s’il pesait bien treize kilos de plus qu’elle. Cependant, ils savaient tous les deux qu’il était beaucoup moins imposant en tee-shirt et en pantalon de survêtement. Les costumes d’affaires étaient son armure.

 

— Avant de dire quoi que ce soit, commença-t-il, laisse-moi essayer de t’expliquer, je t’en prie.

Eliza, qui avait passé une grande partie de la journée à se demander comment cela avait bien pu arriver, fut heureuse de se débarrasser temporairement de son angoisse et de le laisser souffrir en essayant de se justifier.

— Vas-y, dit-elle.

— D’abord, je suis désolé. Quoi que je dise d’autre, je veux que tu saches que je m’excuse. Je n’aurais jamais dû accepter que cela se produise. C’était un moment de faiblesse. Elle me connaissait depuis des années. Elle connaissait mes points faibles et savait ce qui était le plus susceptible d’éveiller mon intérêt. J’aurais dû me méfier, mais je me suis laissé abuser.

— Que dis-tu ? demanda Eliza, tout aussi abasourdie que vexée. Que Penny était une séductrice qui t’a manipulé pour que tu couches avec elle ? Nous savons tous les deux que tu es un homme faible, Gray, mais là, tu me moques de moi, non ?

— Non, dit-il en décidant de ne pas répondre à l’insulte. J’assume toute la responsabilité pour mes actions. J’ai bu trois whiskey sours. Elle portait sa robe fendue sur le côté et j’ai lorgné ses jambes. Cependant, elle sait ce qui me fait vibrer. J’imagine que ce sont toutes ces conversations à cœur ouvert que vous avez eues ensemble au cours des années. Elle a eu l’idée de frôler mon avant-bras du bout des doigts. Elle a eu l’idée de parler dans mon oreille gauche en ronronnant presque. Elle savait sans doute que tu ne l’avais plus fait depuis longtemps et elle savait que tu n’irais pas à ce cocktail parce que tu étais à la maison, assommée par les somnifères que tu prends la plupart des soirs.

Il s’interrompit pendant plusieurs secondes. Eliza essayait de se calmer. Quand elle fut sûre qu’elle n’allait pas crier, elle répondit d’une voix au calme choquant.

— Est-ce que tu m’accuses d’avoir provoqué ça ? À t’entendre, on croirait que tu n’arrives pas à contrôler tes pulsions parce que j’ai du mal à dormir la nuit.

— Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, pleurnicha-t-il, reculant devant le venin qu’il avait entendu dans sa réponse. C’est juste que tu as toujours du mal à dormir la nuit. De plus, tu n’as jamais l’air d’avoir envie de rester éveillée pour moi.

— Soyons clairs, Grayson. Tu dis que tu ne m’accuses de rien puis tu ajoutes immédiatement que je suis trop assommée par le Valium que je prends, que je ne m’occupe pas assez du grand garçon que tu es et que cela t’a forcé à coucher avec ma meilleure amie.

— De toute façon, quelle meilleure amie ferait ça ? lança désespérément Gray.

— Ne change pas de sujet, cracha-t-elle en se forçant à garder une voix ferme, en partie pour éviter de réveiller les enfants mais surtout parce que rester calme était la seule chose qui l’empêchait de devenir folle. Elle est déjà sur ma liste. Maintenant, c’est ton tour. Tu n’aurais pas pu venir et me dire : « Hé, chérie, j’aimerais vraiment passer une soirée entre amoureux ce soir » ou « Chérie, j’ai l’impression que je ne te vois plus ces temps-ci. Est-ce qu’on peut se rapprocher ce soir ? » Ce n’était pas possible ?

— Je ne voulais pas te réveiller pour t’ennuyer avec des questions de ce style, répondit-il d’une voix humble mais avec des mots acerbes.

— Donc, tu as décidé que le sarcasme était la meilleure attitude ? demanda-t-elle.

— Écoute, dit-il en essayant de se tirer de ce mauvais pas, avec Penny, c’est terminé. Elle me l’a dit cet après-midi et j’ai accepté. Je ne sais pas comment nous allons dépasser ce moment difficile, mais je le veux, ne serait-ce que pour les enfants.

— « Ne serait-ce que pour les enfants ? » répéta-t-elle, sidérée de le voir accumuler les maladresses. Va-t’en, c’est tout. Je te donne cinq minutes pour remplir un sac et monter dans ta voiture. Tu n’as qu’à aller à l’hôtel jusqu’à ce qu’on en reparle.

— Tu me chasses de ma propre maison ? demanda-t-il, incrédule. De la maison que j’ai payée ?

— Non seulement je t’en chasse, siffla-t-elle, mais, si tu n’es pas parti dans cinq minutes, j’appelle les flics.

— Pour leur dire quoi ?

— Essaye donc, dit-elle furieusement.

Gray la regarda fixement. Sans se laisser démonter, elle alla au téléphone et le décrocha. Ce ne fut que quand Gray entendit la tonalité qu’il passa brusquement à l’action. Trois minutes plus tard, il détalait par la porte comme un chien qui fuit la queue entre les jambes, son sac de toile bourré de chemises élégantes et de vestes. Une chaussure tomba du sac quand il se rua vers la porte. Il ne le remarqua pas et Eliza ne dit rien.

Ce ne fut que quand elle entendit la voiture s’en aller qu’elle reposa le téléphone sur son socle. Elle regarda sa main gauche et vit qu’elle avait la paume en sang parce qu’elle avait enfoncé ses ongles dedans. Ce ne fut qu’à ce moment-là qu’elle sentit la plaie la piquer.

CHAPITRE QUATRE

Même si elle manquait de pratique, Jessie négocia la circulation du centre-ville de Los Angeles à Norwalk sans trop de difficultés. En chemin, comme pour oublier un instant où elle se rendait, elle décida d’appeler ses parents.

Ses parents adoptifs, Bruce et Janine Hunt, habitaient à Las Cruces, dans le Nouveau Mexique. Bruce était retraité du FBI et Janine retraitée de l’éducation. Jessie avait passé quelques jours chez eux en allant à Quantico et avait espéré recommencer au retour mais, comme elle n’avait pas eu assez de temps entre la fin de la formation et la reprise de son travail, elle avait dû renoncer à la seconde visite. Elle espérait les revoir bientôt, surtout parce que sa mère se battait contre cancer.

Jessie trouvait ça injuste. Cela faisait maintenant plus de dix ans que Janine se battait contre le cancer et cette tragédie s’ajoutait à celle qu’ils avaient subie plusieurs années auparavant. Juste avant d’adopter Jessie quand elle avait eu six ans, ils avaient perdu leur jeune fils, qui était mort du cancer lui aussi. Ils avaient été impatients de combler le vide de leur cœur, même si cela signifiait adopter la fille d’un tueur en série qui avait assassiné sa mère et avait abandonné sa fille comme si elle avait été morte. Comme Bruce avait été agent du FBI, les U.S. Marshals qui avaient placé Jessie en protection des témoins avaient trouvé logique de la confier aux Hunt. En théorie, c’était idéal.

Jessie se força à ne plus penser à ça et composa leur numéro.

— Salut, papa, dit-elle. Comment ça va ?

— Bien, répondit-il. Maman fait la sieste. Veux-tu rappeler plus tard ?

— Non. On peut parler. Je lui parlerai ce soir ou plus tard. Quoi de neuf ?

Quatre mois auparavant, elle n’aurait pas voulu lui parler sans que sa mère participe à la conversation. Bruce Hunt n’était pas un homme d’abord facile et Jessie n’était pas non plus la plus tendre des filles. Les souvenirs qu’elle avait de sa jeunesse avec lui étaient un mélange de joie et de frustration. Il y avait eu des vacances au ski, ils avaient campé et randonné à la montagne et ils avaient rendu visite à la famille à Mexico, à tout juste cent kilomètres.

Cependant, il y avait aussi eu de grosses disputes, surtout quand elle avait été adolescente. Bruce était un homme qui appréciait la discipline. Jessie, qui avait connu des années de rancœur muette après avoir perdu simultanément sa mère, son nom et son foyer, avait tendance à faire l’idiote. Pendant les années qu’elle avait passées à l’université de Californie du Sud et après, ils avaient probablement parlé moins de vingt-quatre fois au total. Elle leur avait rarement rendu visite.

Cependant, récemment, le retour du cancer de Maman les avait forcés à parler sans intermédiaire et, d’une façon ou d’une autre, ils avaient brisé la glace. Bruce était même allé à Los Angeles pour aider Jessie à récupérer après la blessure à l’abdomen que Kyle lui avait infligée l’automne dernier.

— Rien de spécial, dit-il en réponse à la question de Jessie. Maman a eu une nouvelle séance de chimio hier et c’est pour cela qu’elle récupère maintenant. Si elle se sent assez bien ce soir, nous irons peut-être dîner plus tard.

— Avec toute la bande de tes collègues flics ? demanda-t-elle pour plaisanter.

Quelques mois auparavant, ses parents avaient déménagé de chez eux pour aller habiter dans un bâtiment destiné aux seniors essentiellement peuplé de retraités de la police de Las Cruces, du Sheriff’s Department et du FBI.

— Non, rien que nous deux. Je pense à un dîner aux chandelles, mais dans un restaurant où nous pourrons mettre un seau à côté de la table si elle a besoin de vomir.

— Tu es vraiment un romantique, papa.

— Je fais de mon mieux. Comment ça va pour toi ? Je suppose que tu as réussi la formation du FBI.

— Pourquoi est-ce que tu supposes ça ?

— Parce que tu savais que j’allais te le demander et parce que tu n’aurais pas appelé si les nouvelles avaient été mauvaises.

Jessie dut admettre qu’il avait raison. Malgré son âge, il avait encore l’esprit très éveillé.

— J’ai réussi, lui assura-t-elle. Je suis de retour à Los Angeles, maintenant. Je recommence le travail demain et je suis … sortie faire des courses.

Elle ne voulait pas que sa vraie destination actuelle l’inquiète.

— Cela me paraît bien sinistre. Pourquoi ai-je l’impression que tu n’es pas sortie acheter une miche de pain ?

— Je ne voulais pas te donner cette impression. Je suppose que je suis fatiguée après le voyage. En fait, je suis presque arrivée, mentit-elle. Devrais-je rappeler ce soir ou attendre demain ? Je ne veux pas gêner votre dîner chic avec son seau à vomi.

— Peut-être demain, conseilla-t-il.

— OK. Dis bonjour à Maman. Je t’aime.

— Moi aussi, dit-il avant de raccrocher.

Jessie essaya de se concentrer sur la circulation. Il y en avait de plus en plus et il restait encore une demi-heure pour compléter le trajet jusqu’à la DNR, qui prenait environ quarante-cinq minutes.

La DNR, c’est-à-dire la Division de Non-Réhabilitation, était une unité indépendante spéciale affiliée au Département des Hôpitaux d’État de Norwalk. L’hôpital principal accueillait une gamme étendue de coupables malades mentaux qui avaient été jugés incapables de purger leur peine dans une prison conventionnelle.

Cependant, l’annexe à la DNR, inconnue du public et même de la plus grande partie du personnel policier et des hôpitaux psychiatriques, jouait un rôle plus clandestin. Elle était conçue pour accueillir un maximum de dix coupables hors-norme. Pour l’instant, il n’y en avait que cinq, tous des hommes, tous des violeurs ou des tueurs en série. L’un d’eux était Bolton Crutchfield.

Jessie repensa à sa dernière visite. Elle avait sur le point de partir pour la National Academy, mais elle ne l’avait pas dit à Crutchfield. Jessie avait rendu régulièrement visite à Crutchfield depuis l’automne dernier, quand elle avait eu la permission de l’interroger dans le cadre de son internat de maîtrise. Selon le personnel de l’établissement, Crutchfield n’acceptait presque jamais de parler aux docteurs ou aux chercheurs, mais, pour des raisons que Jessie n’avait comprises que plus tard, il avait accepté de la rencontrer.

Les quelques semaines qui avaient suivi, ils étaient arrivés à une sorte d’accord. Il acceptait de parler des détails de ses crimes, dont les méthodes et les motifs, si elle lui révélait quelques détails de sa propre vie. À l’origine, ce marché avait paru honnête. Après tout, le but de Jessie était de devenir profileuse criminelle spécialisée en tueurs en série. Si l’un d’eux acceptait de décrire en détail ce qu’il avait fait, cela pouvait s’avérer précieux.

De plus, il y avait eu un bonus. Crutchfield avait une capacité à la Sherlock Holmes de déduire des informations, alors qu’il était enfermé dans une cellule de son hôpital psychiatrique. Il pouvait trouver des informations relatives à la vie de Jessie rien qu’en la regardant.

Il avait utilisé cette compétence avec les informations des affaires qu’elle lui avait communiquées pour lui donner des indices sur plusieurs crimes, dont le meurtre d’une riche philanthrope de Hancock Park. Il lui avait aussi suggéré que son propre mari n’était peut-être pas aussi digne de confiance qu’il le paraissait.

Malheureusement pour Jessie, les capacités de déduction de Crutchfield avaient aussi fonctionné contre elle. Si elle avait voulu rencontrer Crutchfield, c’était parce qu’elle avait remarqué qu’il avait calqué ses meurtres sur ceux de son père, le légendaire tueur en série Xander Thurman, qui n’avait jamais été capturé. Cependant, Thurman avait commis ses crimes dans la campagne du Missouri plus de vingt ans auparavant. Cela semblait être un choix irraisonné et obscur pour un tueur de Californie du Sud.

 

En fait, il s’était avéré que Bolton était un grand fan de Thurman et, quand Jessie avait commencé à lui demander pourquoi il s’intéressait à ces vieux meurtres, il n’avait pas mis longtemps à comprendre que la jeune femme qui se tenait devant lui était intimement liée à Thurman. Finalement, il avait admis qu’il savait qu’elle était sa fille et il avait révélé une autre chose : il avait rencontré son père deux ans auparavant.

D’une voix pleine de joie, il avait informé Jessie que son père était entré à l’hôpital déguisé en docteur et avait réussi à avoir une longue conversation avec le prisonnier. Apparemment, il cherchait sa fille, qui avait changé de nom et bénéficiait du programme de protection des témoins après que Thurman avait tué la mère de Jessie. Thurman soupçonnait que Jessie pourrait rendre visite à Crutchfield un de ces jours parce que leurs crimes étaient très similaires. Thurman voulait que Crutchfield l’avertisse si Jessie venait et qu’il lui communique son nouveau nom et son adresse.

Dès ce moment-là, leur relation était devenue si inégale que Jessie s’était sentie extrêmement mal à l’aise. Crutchfield lui fournissait encore des informations sur ses crimes et des indices sur d’autres, mais ils savaient tous les deux qu’il avait les cartes en main.

Il connaissait son nouveau nom. Il savait à quoi elle ressemblait. Il savait dans quelle ville elle habitait. À un moment, elle avait découvert qu’il savait même qu’elle avait habité chez son amie Lacy et où se trouvait l’appartement en question. Enfin, apparemment, malgré son incarcération dans un hôpital officiellement placé sous le sceau du secret, il avait la capacité de transmettre toutes ces informations au père de Jessie.

Jessie était quasiment sûre que c’était au moins en partie pour cela que Lacy, qui voulait devenir styliste, était partie travailler six mois à Milan. C’était une grande opportunité mais c’était aussi à des milliers de kilomètres de la vie dangereuse de Jessie.

Quand Jessie sortit de l’autoroute, seulement quelques minutes avant d’arriver à la DNR, elle se souvint comment Crutchfield avait finalement révélé la menace auparavant tacite qui avait toujours pesé sur leurs rencontres.

Peut-être était-ce parce qu’il avait senti qu’elle allait partir pour plusieurs mois. Peut-être était-ce seulement par méchanceté. Cependant, la dernière fois qu’elle avait regardé dans ses yeux perfides, derrière la vitre, il lui avait infligé un grand choc.

— Je vais avoir une petite conversation avec votre père, lui avait-il dit avec son accent du sud raffiné. Je ne veux pas gâcher le suspense en disant quand, mais ça va être un plaisir, j’en suis tout à fait certain.

Étranglée par la peur, Jessie avait tout juste réussi à prononcer un seul mot :

— Comment ?

— Oh, ne vous souciez pas de ça, Miss Jessie, avait-il dit sur un ton apaisant. Sachez seulement que, quand nous parlerons, je n’oublierai pas de lui transmettre vos salutations.

En entrant sur le parking de l’hôpital, elle se posa la question qui l’avait hantée depuis cette époque, celle qu’elle ne pouvait chasser de sa tête que quand elle était concentrée sur un autre travail : avait-il vraiment fait ça ? Pendant qu’elle était partie apprendre comment attraper des gens comme lui et son père, est-ce que ces deux hommes s’étaient vraiment rencontrés une deuxième fois, malgré toutes les mesures de sécurité précisément conçues pour empêcher cette sorte de chose ?

Elle avait la sensation que ce mystère allait être résolu.

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