La Femme Parfaite

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CHAPITRE SIX

Jessie se redressa droit dans le lit et se réveilla juste à temps pour entendre son propre cri. Il lui fallut un moment pour s'orienter et se rendre compte qu'elle était dans son propre lit à Westport Beach, portant les vêtements dans lesquels elle s'était endormie ivre la veille au soir.

Son corps entier était couvert de sueur et elle respirait de façon superficielle. Elle crut qu'elle pouvait vraiment entendre le sang circuler dans ses veines. Elle leva la main à sa joue gauche. La cicatrice de la branche y était encore. Elle s'était effacée et elle pouvait la dissimuler presque entièrement avec du maquillage, à la différence de celle qu'elle avait le long de la clavicule droite. Cependant, elle sentait encore l'endroit où elle dépassait du reste de sa peau. Elle en sentait presque la douleur cinglante, même maintenant.

Elle jeta un coup d’œil à sa gauche et vit que le lit était vide. Elle comprit que Kyle y avait dormi à cause du creux qu'il avait laissé sur son oreiller et du dérangement des draps mais il n'était visible nulle part. Elle écouta pour vérifier s'il prenait une douche mais la maison était silencieuse. Quand elle regarda son réveil, elle vit qu'il était 7 h 45. Il devait déjà être parti au travail.

Elle sortit du lit en essayant d'ignorer sa tête lancinante puis traîna les pieds jusqu'à la salle de bains. Après quinze minutes de douche, dont elle avait passé la moitié assise et immobile sur le carrelage froid, elle se sentit prête à s'habiller et à descendre. Dans la cuisine, elle vit un message appuyé sur la table de petit-déjeuner. Il disait : “Encore une fois, désolé pour hier soir. J'aimerais réessayer quand tu le voudras. Je t'aime.”

Jessie posa le message de côté et se prépara du café et des flocons d'avoine, les seules choses qu'elle se sentait capable d'avaler à ce moment-là. Elle réussit à finir un demi-bol, jeta le reste à la poubelle et se dirigea vers le salon de devant, où une douzaine de caisses encore fermées l'attendaient.

Elle s'installa dans la causeuse avec une paire de ciseaux, posa son café sur la table basse et tira une caisse vers elle. Alors qu'elle inspectait distraitement les caisses, rayant des objets de sa liste quand elle les trouvait, elle repensa à sa thèse sur la DNR.

S'ils ne s'étaient pas disputés, Jessie aurait presque certainement tout raconté à Kyle, non seulement le stage qu'elle allait effectuer dans l'établissement prévu mais aussi ce qui s'était passé après sa thèse originale, dont son interrogation. Cela aurait été une violation de son accord de confidentialité.

Évidemment, il en connaissait les grandes lignes car elle avait discuté du projet avec lui pendant ses recherches. Cependant, par la suite, le Comité lui avait fait jurer de n'en rien révéler, pas même à son mari.

Cela lui avait semblé bizarre de cacher une si grande partie de sa vie à son conjoint mais on lui avait assuré que c'était nécessaire. De plus, même s'il lui avait posé des questions générales sur le déroulement de sa thèse, il n'avait vraiment pas insisté sur ce sujet. Quelques vagues réponses l'avaient satisfait et, à l'époque, cela avait beaucoup réconforté Jessie.

Pourtant, la veille, comme elle avait ressenti énormément d'enthousiasme pour ce qu'elle allait faire (visiter un asile psychiatrique pour tueurs), elle avait été prête à tout lui dire malgré l'interdiction et ses conséquences. Si leur dispute avait eu une conséquence positive, c'était qu'elle l'avait empêchée de tout lui dire et de mettre en danger leur avenir commun.

Cela dit, quelle sorte d'avenir est-ce si je ne peux pas partager mes secrets avec mon propre mari ? Et s'il semble oublier que je les garde ?

A cette idée, une petite vague de mélancolie la submergea. Elle essaya de l'écarter mais n'y parvint qu'à moitié.

Elle sursauta quand elle entendit sonner à la porte. Quand elle regarda sa montre, elle se rendit compte que qu'elle était assise au même endroit, perdue dans ses pensées moroses et les mains sur une caisse de déménagement encore fermée, depuis dix minutes.

Elle se leva et se rendit à la porte en essayant de se débarrasser de sa tristesse à chaque pas. Quand elle ouvrit la porte, elle vit Kimberly, sa voisine d'en face, qui se tenait devant elle avec un sourire réjouissant au visage. Jessie essaya de l'imiter.

“Bonjour, voisine”, dit Kimberly sur un ton enthousiaste. “Comment se passe le déballage ?”

“Lentement”, admit Jessie, “mais merci d'avoir demandé. Comment ça va ?”

“Je vais bien. En fait, j'ai invité quelques dames du quartier chez moi. On prend un café de mi-matinée et je me demandais si vous voudriez vous joindre à nous.”

“Bien sûr”, répondit Jessie, heureuse d'avoir trouvé une excuse pour sortir quelques minutes de la maison.

Elle prit ses clés, ferma la maison et partit avec Kimberly. Quand elles arrivèrent, quatre têtes se tournèrent dans leur direction. Aucun des visages ne parut familier à Jessie. Kimberly présenta tout le monde et emmena Jessie à la cafetière.

“Elles ne s'attendent pas à ce que vous vous souveniez de leur nom”, murmura-t-elle en leur versant deux tasses. “Détendez-vous. Elles ont toutes connu ça.”

“Ça me soulage”, avoua Jessie. “J'ai tant de choses qui se bousculent dans ma tête ces jours-ci que j'ai du mal à me souvenir de mon propre nom.”

“C'est tout à fait compréhensible”, dit Kimberly, “mais je devrais vous avertir que je leur ai dit que vous alliez devenir profileuse au FBI, donc, elles poseront peut-être quelques questions à ce sujet.”

“Oh, je ne travaille pas pour le FBI. Je n'ai même pas encore obtenu mon diplôme.”

“Croyez-moi, ça n'a aucune importance. Elles pensent toutes que vous êtes une vraie Clarice Starling. Il y en aura au moins trois qui vous parleront de tueurs en série.”

Kimberly était en-dessous de la réalité.

“Êtes-vous assise dans la même pièce que ces hommes ?” demanda une femme du nom de Caroline avec des cheveux si longs que certaines mèches lui atteignaient les fesses.

“Ça dépend des règles de l’établissement”, répondit Jessie, “mais je n'en ai interviewé aucun sans qu'une profileuse ou enquêtrice confirmée soit avec moi et dirige l'interrogatoire.”

“Est-ce que les tueurs en série sont aussi intelligents qu'ils le paraissent dans les films ?” demanda avec hésitation une femme timide du nom de Josette.

“Je n'en pas interrogé assez pour vous le dire avec certitude”, lui dit Jessie, “mais, si je me fie à la documentation et mon expérience personnelle, je dirais que non. La plupart de ces hommes, car ce sont presque toujours des hommes, ne sont pas plus intelligents que vous ou moi. Certains échappent longtemps à la justice parce que certaines enquêtes sont mal menées. Certains réussissent à ne pas se faire capturer parce qu'ils choisissent des victimes qui n'intéressent personne : des prostituées, des personnes sans domicile fixe. Il faut un certain temps pour remarquer la disparition de ces gens-là et, parfois, les meurtriers ont tout simplement de la chance. Quand j'obtiendrai mon diplôme, mon travail sera de m'assurer qu'ils aient moins de chance.”

Les femmes l'assaillirent poliment d'une volée de questions, apparemment peu intéressées par le fait qu'elle n'avait même pas encore son diplôme et qu'elle avait encore moins étudié un cas officiel de profilage.

“Donc, en fait, vous n'avez jamais résolu d'enquête ?” demanda une femme particulièrement curieuse du nom de Joanne.

“Pas encore. Dans les faits, je suis juste une étudiante. Ce sont les pros qui s'occupent des cas réels. En parlant de professionnels, qu'est-ce que vous faites ?” demanda-t-elle en espérant diriger l'attention vers quelqu'un d'autre.

“Autrefois, j'étais dans le marketing”, dit Joanne, “mais c'était avant la naissance de Troy. Il m'occupe beaucoup, ces jours-ci. C'est un travail à temps plein.”

“C'est sûr. Est-ce qu'il est en train de faire la sieste quelque part, maintenant ?” demanda Jessie en cherchant autour d'elle.

“Probablement”, dit Joanne, jetant un coup d’œil à sa montre, “mais il va bientôt se réveiller et avoir faim. Il est à la crèche.”

“Oh”, dit Jessie avant de formuler sa question suivante aussi délicatement que possible. “Je croyais que la plupart des enfants que l'on mettait en crèche avaient des mamans qui travaillaient.”

“Oui”, dit Joanne, que la question ne semblait pas avoir offensée, “mais ils sont si bons là-bas que je ne pouvais pas ne pas l'y inscrire. Il n'y va pas tous les jours mais, comme les mercredis sont difficiles, en général, je l'y emmène. Les mi-semaines sont difficiles, n'est-ce pas ?”

Avant que Jessie ait pu répondre, la porte du garage s'ouvrit et un homme costaud d'environ trente ans avec une tignasse rousse mal coiffée entra brusquement dans la pièce.

“Morgan !” s'exclama joyeusement Kimberly. “Que fais-tu à la maison ?”

“J'ai laissé mon rapport dans le bureau”, répondit-il. “Ma présentation est dans vingt minutes. Donc, je ne pourrai pas rester longtemps.”

Morgan, qui semblait être le mari de Kimberly, n'avait pas du tout l'air étonné de voir une demi-douzaine de femmes dans son salon. Il traversa rapidement le groupe qu'elles formaient en leur offrant des salutations collectives. Joanne se pencha vers Jessie.

“Il est plus ou moins ingénieur”, dit-elle à voix basse comme si c'était une sorte de secret.

“Chez qui ? Un des entrepreneurs de la défense ?” demanda Jessie.

“Non, pour un groupe d'agences immobilières.”

Jessie ne comprenait pas pourquoi cela méritait une telle discrétion mais décida ne pas le demander. Quelques moments plus tard, Morgan réapparut dans le salon, aussi pressé qu'avant, avec une rame de papier en main.

 

“Content de vous voir, mesdames”, dit-il. “Désolé mais je ne peux pas rester. Kim, n'oublie pas que j'ai une réunion au club ce soir et que je rentrerai tard.”

“OK, mon amour”, dit sa femme en le poursuivant pour l'embrasser, après quoi il ressortit hâtivement par la porte.

Quand il fut parti, Kimberly retourna au salon, encore émue par cette visite inattendue.

“Il se déplace avec tant de détermination qu'on croirait que c'est lui qui est profileur criminel ou quelque chose de ce genre.”

Le commentaire fit éclater de rire le groupe entier. Jessie sourit mais elle ne comprenait pas exactement ce qui était si drôle.

*

Une heure plus tard, elle était de retour dans son propre salon et essayait de trouver assez d'énergie pour ouvrir la caisse qui se trouvait devant elle. Tout en coupant prudemment le ruban adhésif, elle repensa à la pause café. Il y avait quelque chose qui lui semblait bizarre mais elle ne voyait pas vraiment quoi.

Kimberly était adorable. Jessie l'aimait vraiment et appréciait surtout les efforts qu'elle déployait pour l'accueillir dans le quartier. Quant aux autres femmes, elles étaient toutes gentilles et avenantes, bien qu'un peu fades. Cependant, leurs interactions avaient quelque chose de … mystérieux, comme si elles partageaient toutes une sorte de secret dont Jessie était exclue.

Une partie d'elle-même pensait qu'elle était paranoïaque de soupçonner une telle chose. Ce n'était pas la première fois qu'elle tirait de fausses conclusions. Cela dit, tous ses instructeurs du programme de Psychologie Légiste de l'Université de Californie du Sud l'avaient complimentée pour son intuition. Ils ne semblaient pas penser qu'elle était paranoïaque, mais plutôt “d'une curiosité soupçonneuse”, comme un professeur avait dit d'elle. A l'époque, Jessie avait pris cette remarque comme un compliment.

Elle ouvrit la caisse et sortit le premier objet, une photo encadrée de son mariage. Pendant un moment, elle regarda fixement les expressions de bonheur qu'ils avaient au visage. Des deux côtés d'eux se tenaient des membres de leurs familles, qui souriaient tous eux aussi.

Elle laissa son regard dériver sur le groupe puis sentit soudain la mélancolie qu'elle avait ressentie plus tôt remonter en elle. L'anxiété lui crispa la poitrine. Elle se souvint qu'il fallait qu'elle inspire profondément mais ni l'inspiration ni l'expiration ne la calmèrent malgré le nombre de tentatives qu'elle fit.

Elle n'était pas vraiment sûre de ce qui l'avait mise dans cet état : les souvenirs, son nouvel environnement, la dispute avec Kyle, un mélange de tout ça ? Quoi que ce soit, elle reconnaissait une vérité fondamentale. Elle n'était plus capable de contrôler sa mélancolie toute seule. Elle avait besoin de parler à quelqu'un et, malgré la sensation aiguë d'échec qui se mit à la submerger pendant qu'elle tendait la main vers le téléphone, elle composa le numéro qu'elle avait espéré ne plus jamais avoir à utiliser.

CHAPITRE SEPT

Elle prit un rendez-vous avec son ancien thérapeute, le Dr Janice Lemmon, et rien que savoir qu'elle allait devoir se retrouver en terrain connu la réconforta. Quand elle avait réservé la séance, la panique avait disparu presque immédiatement.

Quand Kyle rentra tôt ce soir, ils commandèrent des plats à emporter et regardèrent un film kitsch mais amusant sur les mondes parallèles intitulé Passé Virtuel. Même si ni l'un ni l'autre ne s'excusa formellement, ils avaient l'air d'avoir redécouvert leur zone de confort. Après le film, ils ne montèrent même pas à l'étage pour faire l'amour. Au lieu de cela, Kyle se contenta de lui monter dessus là où ils étaient, sur le sofa. Cela rappela à Jessie les premiers jours de leur vie de couple.

Au matin, il lui avait même préparé le petit déjeuner avant d'aller travailler. Le résultat était affreux (les toasts étaient brûlés, les œufs coulaient et le bacon de dinde n'était pas assez cuit) mais Jessie avait apprécié qu'il essaye. Elle se reprochait un peu de ne pas lui avoir dit ce qu'elle allait faire de sa journée mais, une fois de plus, comme il n'avait rien demandé, ce n'était pas vraiment du mensonge.

Ce ne fut que lorsqu'elle se retrouva sur l'autoroute le lendemain et qu'elle aperçut les gratte-ciel du centre de Los Angeles que Jessie sentit vraiment se calmer l'anxiété qui lui dévorait l'estomac. Elle avait fait le trajet depuis le comté d'Orange en moins d'une heure et elle était arrivée en ville en avance pour avoir le temps de se promener un peu. Elle se gara dans le parking qui se trouvait près du bureau du Dr Lemmon, en face d'Original Pantry au coin de Figueroa et de West 9th.

Alors, elle eut l'idée d'appeler Lacey Cartwright, son ex-colocataire de l'Université de Californie du Sud, qui était aussi sa plus ancienne amie d'université et qui habitait et travaillait dans ce quartier, pour voir si elle pouvait venir se promener avec elle. Elle eut sa messagerie et laissa un message. Alors que Jessie commençait à descendre Figueroa dans la direction de l'Hôtel Bonaventure, Lacey lui envoya un SMS pour lui dire qu'elle était trop occupée pour sortir se promener mais qu'elles se retrouveraient la prochaine fois que Jessie serait dans le coin.

Qui sait quand ce sera ?

Jessie évita de penser à sa déception et se concentra sur la ville qui l'entourait, absorbant les vues et les sons pleins d'animation qui étaient si différents de son nouveau cadre de vie. Quand elle arriva dans la 5ème Rue, elle tourna à droite et continua à se promener.

Cela lui rappelait les jours, pas si anciens que cela, où elle avait fait ce genre de chose plusieurs fois par semaine. Si elle avait du mal avec une étude de cas qu'il fallait qu'elle rende, il lui suffisait de sortir dans les rues et d'utiliser le trafic comme bruit de fond pendant qu'elle tournait et retournait le cas dans sa tête jusqu'à ce qu'elle trouve une approche. Le meilleur travail qu'elle produisait était presque toujours le fruit d'une promenade dans le centre-ville de ce type assortie d'une réflexion simultanée.

Évitant de penser à la discussion qu'elle allait avoir avec le Dr Lemmon, elle repensa à la pause-café à laquelle elle avait participé la veille chez Kimberly. Elle n'arrivait toujours pas à comprendre la nature de cette mystérieuse culture du secret qui sévissait chez les femmes qu'elle avait rencontrées là-bas. Cependant, rétrospectivement, une chose lui parut soudain évidente : elles avaient toutes beaucoup voulu que Jessie leur décrive en détail ses études de profileuse.

Elle ne savait pas si c'était parce que la profession qu'elle allait exercer avait l'air si inhabituelle ou simplement parce que c'était une profession. Quand elle y repensa, elle se rendit compte qu'aucune de ces femmes ne travaillait.

Certaines avaient déjà travaillé. Joanne avait été dans le marketing. Kimberly avait dit qu'elle avait été agente immobilière quand elle avait vécu à Sherman Oaks. Josette avait été à la tête d'une petite galerie à Silverlake. Toutefois, maintenant, elles étaient toutes mères au foyer et, bien qu'elles semblent heureuses de leur nouvelle vie, elles avaient aussi l'air de regretter le monde du travail car elles dévoraient avidement et d'un air presque coupable la moindre intrigue dont elles pouvaient entendre parler.

Jessie s'arrêta et se rendit compte que, d'une façon ou d'une autre, elle était arrivée au Biltmore Hotel. Elle y était déjà venue très souvent. Il était célèbre, entre autres choses, pour avoir accueilli une première version des Oscars dans les années 1930. Un jour, on lui avait également dit que c'était l'endroit où Robert Kennedy avait été assassiné par Sirhan Sirhan en 1968.

Avant qu'elle avait décidé de faire sa thèse sur la DNR, Jessie avait envisagé de profiler Sirhan. Donc, un jour, elle était arrivée à l'improviste et avait demandé au concierge s'il organisait des visites de l'hôtel qui montraient le site de l’assassinat. Le concierge avait été perplexe. Il lui avait fallu quelques moments embarrassants pour comprendre ce que Jessie recherchait et plusieurs autres pour lui expliquer poliment que l'assassinat ne s'était pas produit là mais à l'Hôtel Ambassador, qui avait été démoli depuis. Il avait essayé de la réconforter en lui révélant que JFK avait reçu sa nomination à la présidence par le Parti Démocrate au Biltmore en 1960 mais Jessie s'était sentie trop humiliée pour rester écouter cette histoire.

Malgré sa honte, l'expérience lui avait appris une leçon précieuse qu'elle n'avait plus jamais oubliée : il ne faut être sûr de rien, surtout dans une profession où une supposition erronée pouvait s'avérer fatale. Le lendemain, elle avait changé de sujet de thèse et décidé que, dorénavant, elle effectuerait des recherches préparatoires avant d'aller à un endroit historique.

Malgré ce fiasco, Jessie était souvent revenue au Biltmore car elle aimait le glamour suranné de cet endroit. Cette fois-ci, elle s'installa immédiatement dans sa zone de confort en errant dans les halls et les salles de bal pendant au moins vingt minutes.

Alors qu'elle traversait le vestibule pour ressortir, elle remarqua un homme assez jeune en costume qui se tenait nonchalamment près du poste du chasseur, occupé à lire un journal. Ce qui attira son attention, c'est qu'il était vraiment en sueur. Comme l'air conditionné fonctionnait à fond dans l'hôtel, elle ne comprenait pas comment cela pouvait être physiquement possible. Et pourtant, toutes les quelques secondes, il essuyait les gouttes de transpiration qui se formaient constamment sur son front.

Pourquoi un homme qui lit nonchalamment le journal transpire-t-il autant ?

Jessie se rapprocha un peu et sortit son téléphone. Elle fit semblant de lire quelque chose mais mit l'appareil en mode appareil photo et l'orienta pour pouvoir observer l'homme sans vraiment le regarder. De temps à autre, elle prenait rapidement une photo.

En fait, il semblait ne pas être en train de lire le journal mais de s'en servir pour se donner une contenance pendant qu'il jetait des coups d’œil intermittents dans la direction des sacs qui étaient placés sur le chariot à bagages. Quand un des chasseurs se mit à pousser le chariot dans la direction de l'ascenseur, l'homme en costume plia le journal sous son bras et suivit le chasseur.

Le chasseur poussa le chariot dans l'ascenseur et l'homme en costume le suivit et se tint de l'autre côté du chariot. Au moment où les portes de refermèrent, Jessie vit l'homme en costume saisir une serviette qui se trouvait sur le côté du chariot qui n'était pas visible au chasseur.

Jessie regarda l'ascenseur monter lentement et s'arrêter au huitième étage. Au bout d'à peu près dix secondes, il commença à redescendre. Quand il le fit, Jessie alla trouver le vigile qui se tenait près de la porte de devant. Le vigile, un homme aimable qui allait sur la fin de sa quarantaine, lui sourit.

“Je crois que vous avez un voleur dans l'hôtel”, dit Jessie sans préambule car elle voulait qu'il comprenne vite la situation.

“Comment ça ?” demanda-t-il en se mettant à froncer un peu les sourcils.

“J'ai vu ce gars”, dit-elle en montrant la photo qu'elle avait sur son téléphone, “chiper une serviette sur un chariot à bagages. C'était peut-être la sienne mais il l'a fait de façon très furtive et il transpirait comme un homme qui est inquiet de quelque chose.”

“OK, Sherlock”, dit le garde d'un air sceptique. “En supposant que vous ayez raison, comment suis-je supposé le retrouver ? Avez-vous vu à quels étages l'ascenseur s'est arrêté ?”

“Au huitième mais, si je ne me trompe pas, ça n'a aucune importance. S'il est client de l'hôtel, je pense que c'est son étage et qu'il va y rester.”

“Et s'il n'est pas client ?” demanda le vigile.

“S'il n'est pas client, j'imagine qu'il va redescendre dans le vestibule maintenant.”

Juste à ce moment-là, la porte de l'ascenseur s'ouvrit et l'homme en costume et en sueur en sortit, le journal dans une main, la serviette dans l'autre. Il commença à se diriger vers la sortie.

“Je suppose qu'il va déposer cette serviette quelque part puis recommencer toute la procédure”, dit Jessie.

“Restez ici”, lui dit le vigile, qui parla alors dans sa radio. “Je vais avoir besoin de renforts dans le vestibule dès que possible.”

Il approcha de l'homme en costume, qui le vit du coin de l’œil et accéléra. Le vigile en fit autant. L'homme en costume se mit à courir et il sortait juste par la porte de devant quand il se heurta à un autre vigile qui courait dans la direction opposée. Ils tombèrent tous les deux sur le sol.

 

Le vigile auquel Jessie avait parlé se saisit de l'homme en costume, le souleva, lui tira le bras derrière le dos et le claqua contre le mur de l'hôtel.

“Puis-je regarder dans votre sac, monsieur ?” demanda-t-il.

Jessie voulait voir la suite mais, quand elle jeta un coup d’œil rapide à sa montre, elle vit que son rendez-vous avec le Dr Lemmon, qui était prévu pour 11 heures, était pour dans cinq minutes. Elle allait devoir renoncer à se promener et prendre un taxi pour arriver à l'heure. Elle n'aurait même pas le temps de dire au revoir au vigile. Elle craignait que, si elle le faisait, il n'insiste pour qu'elle reste faire sa déclaration à la police.

Elle arriva juste à temps et, à bout de souffle, venait juste de s'asseoir dans la salle d'attente quand le Dr Lemmon ouvrit la porte de son bureau pour l'inviter à entrer.

“Êtes-vous venue de Westport Beach en courant ?” demanda le docteur en gloussant.

“En fait, oui, en quelque sorte.”

“Eh bien, entrez et mettez-vous à l'aise”, dit le Dr Lemmon en refermant la porte derrière elle et en leur versant à toutes les deux un verre d'un pichet rempli d'eau, de tranches de citron et de concombre. Elle avait encore l'affreuse permanente dont Jessie se souvenait, avec de petites boucles blondes serrées qui rebondissaient quand elles lui touchaient les épaules. Elle portait des lunettes épaisses qui donnaient l'impression que ses yeux perçants de chouette étaient plus petits qu'ils ne l'étaient vraiment. C'était une petite femme qui ne mesurait guère plus d'un mètre cinquante mais qui était visiblement maigre et nerveuse, probablement à cause du yoga qu'elle faisait trois fois par semaine comme elle l'avait dit à Jessie. Pour une femme qui avait aux alentours de soixante-cinq ans, elle avait l'air en grande forme.

Jessie s'assit dans le fauteuil confortable qu'elle utilisait toujours pour ses séances et reprit immédiatement ses habitudes. Cela faisait longtemps qu'elle n'était pas venue ici, facilement plus d'une an, et elle avait espéré ne jamais revenir. Cela dit, cette pièce était un lieu de confort, où elle s'était efforcée de faire la paix avec son passé et avait parfois réussi.

Le Dr Lemmon lui tendit son verre d'eau, s'assit en face d'elle, prit un bloc-notes et un stylo et les posa sur ses jambes. C'était sa façon de montrer que la séance avait officiellement commencé.

“De quoi allons-nous parler aujourd'hui, Jessie ?” demanda-t-elle chaleureusement.

“Autant commencer par les bonnes nouvelles. Je fais mon stage à DSH-Metro, à l'unité de la DNR.”

“Eh bien, c'est impressionnant. Qui est votre conseiller académique ?”

“Warren Hosta de UC-Irvine”, dit Jessie. “Le connaissez-vous ?”

“On s'est croisés”, dit le docteur de façon énigmatique. “Je crois que vous êtes entre de bonnes mains. Il est irritable mais il s'y connaît et c'est ce qui compte.”

“Je suis contente de vous l'entendre dire parce que je n'ai guère eu le choix”, précisa Jessie. “C'est le seul que le Comité accepte dans cette zone.”

“J'imagine que, pour obtenir ce que vous voulez, il faut que vous suiviez un peu leurs ordres. C'est ce que vous vouliez, n'est-ce pas ?”

“Effectivement”, dit Jessie.

Le Dr Lemmon la regarda de près. Un moment de compréhension muette passa entre elles. A l'époque où Jessie avait été interrogée sur sa thèse par les autorités, le Dr Lemmon était arrivé au poste de police, complètement à l'improviste. Jessie se souvenait qu'elle avait vu sa psychiatre parler à voix basse à plusieurs personnes qui avaient silencieusement observé son interrogatoire. Après cela, les questions avaient eu l'air moins accusatoires et plus respectueuses.

Ce n'était que plus tard que Jessie avait appris que le Dr Lemmon était membre du Comité et qu'elle était tout à fait au courant de ce qui se passait à la DNR. Elle en avait même soigné quelques patients. Quand on y repensait, ce n'aurait pas dû être une surprise. Après tout, si Jessie avait cherché à avoir cette femme comme thérapeute, c'était précisément parce qu'elle avait la réputation d'être experte dans ce domaine.

“Puis-je vous demander quelque chose, Jessie ?” dit le Dr Lemmon. “Vous dites que travailler à la DNR est ce que vous voulez faire mais avez-vous pensé que cet endroit pourrait ne pas vous fournir les réponses que vous cherchez ?”

“Je veux juste mieux comprendre comment ces gens pensent”, insista Jessie, “de façon à être meilleure profileuse.”

“Je crois que nous savons toutes les deux que vous cherchez beaucoup plus que ça.”

Jessie ne répondit pas mais plia les mains sur les genoux et inspira profondément. Elle savait comment le docteur allait interpréter ce geste mais ne s'en souciait guère.

“Nous pourrons y revenir plus tard”, dit doucement le Dr Lemmon. “Passons à autre chose. Comment trouvez-vous la vie d'épouse ?”

“C'est surtout pour cela que je voulais vous voir aujourd'hui”, dit Jessie, heureuse de changer de sujet. “Comme vous le savez, Kyle et moi, nous venons de déménager d'ici à Westport Beach parce que son entreprise l'a réassigné à son bureau du comté d'Orange. Nous avons une grande maison dans un très beau quartier assez proche du port pour qu’on puisse y aller à pied …”

“Mais …?” suggéra le Dr Lemmon.

“Je trouve que l'endroit a l'air un peu bizarre. J'ai du mal à comprendre ce que c'est. Tout le monde a été incroyablement sympathique jusqu'à présent. J'ai été invitée à prendre le café, à déjeuner, à des barbecues, on m'a indiqué quelles étaient les meilleures épiceries et la meilleure crèche pour le jour où nous finirons par avoir besoin d'une crèche. Pourtant, quelque chose me paraît … aller de travers et ça commence à me peser.”

“De quelle façon ?” demanda le Dr Lemmon.

“Je me rends compte que je me sens triste sans raison”, dit Jessie. “Kyle est rentré trop tard pour un dîner que j'avais préparé et j'ai accepté que ça me démoralise beaucoup plus que je ne l'aurais dû. Ce n'était pas un drame mais il le prenait avec trop de nonchalance. Ça m'a agacée. De plus, rien que le fait de déballer des caisses me paraît intimidant alors que ce n'est pas une tâche si difficile. J'ai cette sensation constante et écrasante que je n'ai pas ma place là-bas, qu'il y a une clé qui ouvre la porte d'une pièce secrète où tous les autres sont allés mais que personne ne veut me la donner.”

“Jessie, comme notre dernière séance remonte à longtemps, je vais vous rappeler une chose dont nous avons déjà discuté. Ces sensations n'ont pas besoin d'avoir de ‘bonne raison’ pour vous envahir. Ce que vous affrontez là peut sortir de nulle part. De plus, il n'est pas choquant qu'une nouvelle situation stressante, indépendamment de sa perfection apparente, puisse les réveiller. Prenez-vous régulièrement vos médicaments ?”

“Tous les jours.”

“OK”, dit le docteur en écrivant quelque chose sur son bloc-notes. “Il est possible que vous soyez obligée d'en prendre plus. J'ai aussi remarqué que vous aviez précisé que la crèche pourrait être nécessaire dans un avenir proche. Les enfants sont-ils une chose à laquelle vous pensez activement tous les deux ? Si tel est le cas, c'est une autre raison de vous donner plus de médicaments.”

“On essaie … de temps à autre mais, parfois, Kyle a l'air passionné par ce projet puis, à d'autres moments, il a l'air … distant, presque froid. Parfois, il dit quelque chose et je me demande : ‘Qui est cet homme ?’”

“Si ça peut vous rassurer, tout cela est très normal, Jessie. Vous êtes dans un nouvel environnement, entourée d'inconnus, et vous n'avez qu'une seule personne que vous connaissez à laquelle vous raccrocher. C'est angoissant et, comme votre mari ressent beaucoup de ces choses lui aussi, cela génère forcément des conflits et des moments où vous ne vous comprenez plus.”

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