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L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès

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IX

Avènement de l'abbé de l'Épée. – Rivalité de l'abbé Deschamps. – Son cours élémentaire. – Il est combattu par le sourd-muet Desloges, ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne. – L'abbé de l'Épée devient le confesseur de ses enfants d'adoption. – L'empereur Joseph II lui sert la messe. – Il amène dans son établissement sa sœur la reine Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le priant de le mettre à même de populariser sa méthode dans ses États. – Lettre de ce prince à l'abbé de l'Épée.

Après eux, enfin, parut, en France, l'abbé de l'Épée, qui eut la gloire d'effacer l'espèce d'anathème jeté, dans cette sainte mission, par l'antériorité des autres peuples, sur notre terre classique des lumières, et ouvrit une carrière jusque-là inconnue à la grande famille des sourds-muets. Sa découverte fut dignement appréciée par un autre instituteur français, l'abbé Deschamps, chapelain de l'église d'Orléans. Son Cours élémentaire de l'éducation des sourds-muets vit le jour cinq ans après la publication de l'Institution des sourds-muets par la voie des signes méthodiques. Il est à déplorer seulement que cet ecclésiastique, aussi recommandable par les qualités de l'esprit que par celles du cœur, ait persisté à repousser aveuglément l'évidence qui militait en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, en s'opiniâtrant à faire de la prononciation le grand pivot de son système et reléguant la mimique à la dernière période de l'enseignement, au lieu de l'appeler à jouer son rôle dans la première, pour des raisons qu'il est aisé de déduire à la première inspection de l'enfant sourd-muet. Cette persistance provoqua les Observations d'un sourd-muet, petit ouvrage aussi remarquable par la concision du style que par la rectitude des aperçus dont il est semé. Il est dû à la plume de Desloges, pauvre ouvrier relieur et colleur de papier, élève en pantomime d'un sourd-muet de naissance, Italien de nation, illettré, domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne, ensuite dans plusieurs grandes maisons, et notamment chez M. le prince de Nassau.

Au milieu de ces rivalités qui présageaient de nouveaux triomphes à notre célèbre instituteur, son troupeau croissait en âge, en raison, et touchait au moment où le besoin des secours spirituels se fait généralement sentir aux jeunes âmes que Dieu ne repousse pas. Qui recevra leurs confidences? Qui recueillera le récit naïf de leurs fautes? Un seul parlant comprend leur langage muet. C'est leur maître, c'est l'abbé de l'Épée. Après avoir inutilement multiplié ses démarches auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, pour en obtenir l'autorisation de confesser ses élèves, il s'adresse, de guerre lasse, à l'archevêque de Paris. Ce prélat ne répond pas à ses deux lettres. Alors l'instituteur lui déclare qu'il regarde son silence comme une adhésion tacite et qu'il va, dès ce jour, remplir avec confiance les nouvelles fonctions auxquelles Dieu l'appelle.

L'abbé de l'Épée disait habituellement sa messe, de fort bonne heure, à l'église Saint-Roch. Un matin qu'il allait monter à l'autel, il cherche en vain des yeux l'enfant qui l'assiste: un inconnu, vêtu simplement, mais avec goût, s'offre pour le remplacer, et il le remplace, en effet, à la grande satisfaction du prêtre, qui l'invite à visiter son établissement. L'étranger est dans l'admiration de tout ce qu'il voit, et, en quittant l'abbé, il lui glisse dans la main un objet enveloppé de papier: «Voici, lui dit-il, un léger souvenir de ma visite.» C'était une magnifique tabatière avec le portrait de l'empereur d'Allemagne Joseph II, enrichi de diamants. Nous tenons le fait d'un contemporain notre ami, M. le comte Armand d'Allonville, si connu par l'immensité et la précision de ses souvenirs.

Pendant son séjour à Paris, en 1777, sous le nom de comte de Falkenstein, Joseph II fréquenta l'école du célèbre instituteur. Personne n'était plus digne que lui d'apprécier tout ce qu'au fond de son âme le génie de la charité couvait de feu créateur, tout ce que l'activité de son dévouement avait de désintéressé. Aussi y amena-t-il sa sœur, la reine Marie-Antoinette, qui en revint, comme lui, saisie de respect et d'admiration. L'enthousiasme de ce prince philosophe ne fut pas stérile. Ayant à cœur de fonder dans ses États une école de sourds-muets sur le modèle de celle de Paris, il envoya dans cette capitale un ecclésiastique de Vienne, l'abbé Storck, et supplia l'abbé de l'Épée de lui indiquer la route à suivre pour réussir à former l'esprit et le cœur de ses sourds-muets allemands. Le jeune prêtre remit au vénérable fondateur la lettre suivante40:

«Monsieur l'abbé… l'établissement que vous avez consacré au service du public, et dont j'ai eu l'occasion d'admirer les étonnants progrès, m'engage à vous adresser l'abbé Storck, porteur de cette lettre. Je me flatte qu'il aura les qualités requises pour apprendre de vous à conduire un pareil établissement à Vienne. Je ne le connais pas autrement que par son ordinaire, qui me l'a choisi… et qui croit pouvoir en répondre. Je me flatte que vous voudrez bien le prendre sous votre direction, en lui communiquant la méthode que vous avez établie avec tant de soin. Votre amour pour le bien de l'humanité et la gloire de rendre à la société de nouveaux sujets me font espérer que vous contribuerez de bon cœur à étendre votre charité sur une partie des sourds-muets allemands, en leur formant un maître qui, par les yeux, leur fournira des moyens suffisants pour les faire penser et combiner leurs idées. Adieu…

»Signé: JOSEPH.»

L'abbé de l'Épée avait déjà répondu en ces termes au désir que l'empereur lui avait manifesté de savoir quels étaient les moyens d'élever un jeune sourd-muet de Vienne, appartenant à une puissante famille: «Votre Majesté n'aurait qu'à me l'envoyer à Paris, ou, à défaut, un sujet intelligent, de trente ans au moins, que je mettrais en état de réussir parfaitement dans cette entreprise.»

X

Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets. – L'abbé de l'Épée intervient. – Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal, de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick. – Abstention générale, à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa faveur. – Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin. – Nouvelle victoire de l'abbé de l'Épée. – Condillac se prononce pour lui. – Extension trop grande donnée à la parole artificielle du sourd-muet – Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet.

C'est à l'occasion de la mise en pratique des théories de l'instituteur français dans la capitale de l'Autriche qu'un débat, devenu célèbre, s'engagea entre l'abbé Storck et Heinicke, qui, secondé par les libéralités de l'électeur de Saxe, avait fondé, en 1778, un nouvel institut de sourds-muets à Leipsick, presque en même temps que s'élevait celui de Paris, débat dans lequel la vanité jalouse de l'un des deux rivaux ne fit que donner un nouveau relief à l'humilité évangélique de l'autre.

L'instituteur de Leipsick prétendait si bien à la prééminence de sa création, qu'il ne cherchait qu'à renouveler contre l'abbé de l'Épée des attaques indignes de son talent, d'ailleurs universellement apprécié. Ce dernier dut intervenir dans la querelle, et il le fit de la meilleure grâce du monde. Après s'être attaché une troisième et dernière fois à pulvériser ces deux objections de Heinicke: 1º l'absence de l'ouïe ne peut pas trouver de compensation dans la possession de la vue; – 2º l'écriture, secondée par les signes méthodiques, ne saurait jamais faire entrer les idées abstraites dans le cerveau du sourd-muet; – il finit par en déférer généreusement à l'appréciation des académies ou sociétés littéraires de Vienne, d'Upsal, de Saint-Pétersbourg, de Zurich, en Suisse, et même de Leipsick. Toutes s'abstinrent de souscrire au vœu du fondateur français, excepté celle de Zurich, qui, après avoir consacré plusieurs séances à la discussion de ce procès littéraire41, déclara, au milieu des applaudissements universels, qu'elle plaçait l'abbé de l'Épée au-dessus de Heinicke, comme ayant le mieux atteint le but.

Un autre adversaire, non moins redoutable, entra presque aussitôt en lice, comme s'il n'eût pas voulu laisser l'instituteur français maître paisible du champ de bataille. M. Nicolaï, membre de l'Académie de Berlin, l'attaqua vivement par la publication d'une lettre en allemand, reproduite par le Journal de Paris, dans laquelle il prétendait fulminer, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, un interdit sur le système entier, d'après la manière trop peu satisfaisante, selon lui, dont un des élèves de l'abbé Storck était sorti d'une épreuve à laquelle il avait voulu le soumettre. Il en concluait (belle conclusion!) que l'intelligence de cet élève ne s'étendait pas beaucoup au-delà de la sphère de la nomenclature des objets visibles, et que cette expérience suffisait abondamment pour faire condamner sans appel les principes sur lesquels reposait la méthode de notre premier instituteur. Cet échafaudage d'arguments spécieux ne tarda pas à être renversé de fond en comble par l'apparition de deux lettres de l'abbé de l'Épée, également insérées dans le Journal de Paris (27 mai 1785).

 

Notre infatigable athlète a beau provoquer à cet égard l'examen sérieux de l'Académie de Berlin, le rapporteur Formey trouve plus commode d'abandonner la décision à intervenir au temps, à l'expérience, et de se tenir coi, les yeux fermés, que d'aller se jeter, à corps perdu, à travers les coups redoublés qu'on se porte de part et d'autre.

Sur ces entrefaites, Condillac se présente en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, avec son Cours d'études pour l'instruction du prince de Parme (t. 1er, 1re part., chap. 1er, p. 11) et avec sa Grammaire, publiée quatre ans après l'Institution des sourds-muets par la voie des signes méthodiques: il tient à honneur de faire justice de ce silence outrageant et de mettre, avant une plus longue épreuve, le sceau de la vérité et de l'immortalité à l'œuvre de son illustre contemporain.

Jusqu'à l'abbé de l'Épée, l'art créé en Espagne, et créé de nouveau en Angleterre, avait semblé destiné à tomber dans un éternel oubli, ou peu s'en faut: c'est qu'en réalité il s'appuyait sur une fausse base. A quelques exceptions près, tous ceux qui l'avaient pratiqué avec plus ou moins de succès, avant ce respectable instituteur, s'imaginaient avoir résolu le problème en mettant les sourds-muets en possession de la parole artificielle.

Ce n'est cependant pas qu'on doive, tant s'en faut, proscrire impitoyablement cet instrument, qui ressemble néanmoins, nous sommes obligé de le dire, au langage harmonieux de l'homme, à peu près comme la voix criarde et inintelligente du perroquet; mais il importe surtout de prendre garde à ne pas trop l'élever au-dessus de sa véritable valeur.

Les jeunes sourds-muets sont-ils, en effet, tous aptes à réussir dans les expériences de ce genre que l'on voudrait tenter sur eux? Ne remarque-t-on pas, au contraire, un défaut plus ou moins absolu de souplesse dans les organes vocaux de l'immense majorité? Et ne s'aperçoit-on pas même le plus souvent de la répugnance ou tout au plus du mauvais vouloir avec lequel nos enfants reçoivent les leçons régulières de leur maître parleur? Puis, avec quelle folâtre satisfaction, dès qu'ils s'en voient débarrassés, ne se cramponnent-ils pas, pour ainsi dire, à la mimique, cette langue chérie où leurs jeunes imaginations, jusque-là emprisonnées dans un cercle de fer, reprennent tout leur essor!

On aura beau le contester, l'enseignement de l'articulation n'est ni ne peut être autre chose qu'un complément d'instruction: encore le succès dépend-il des dispositions particulières de l'élève. C'est ce qu'a démontré, avec toute l'autorité de l'expérience, l'abbé de l'Épée, à qui se sont joints les instituteurs les plus habiles dont s'enorgueillit la nation sourde-muette.

Nous voici arrivé bien au-delà de notre but. Notre tâche n'est cependant pas, bien s'en faut, encore achevée. Nous avons à parler des vertus de notre héros pacifique. Lecteur! un peu de patience, et de l'indulgence surtout!

XI

Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée. – Sa soutane usée. – Presque octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver rigoureux. – Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le sourd-muet Léopold Loustau. – Il refuse un évêché en France et une abbaye en Allemagne. – Belles réponses à Joseph II et à Catherine de Russie. – Paroles mémorables. – Il ne demande qu'à instruire des sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous les pays. – Son désintéressement, ses sacrifices. – Louis XVI redoute d'abord son jansénisme. – Plus tard, il accepte le patronage de son école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et lui assigne une rente annuelle sur sa cassette. – La mort ne permet pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau local. – Statistique des pensions de sourds-muets et de sourdes-muettes, existantes à cette époque à Paris. – Son école à un second étage de la rue des Moulins. – Sa maison de campagne à loyer, rue des Martyrs. – Scènes attendrissantes.

Si le génie de l'abbé de l'Épée était immense, ses bienfaits ne le furent pas moins. Pas un jour de sa vie ne s'écoula sans qu'un nouveau sacrifice de sa part vint adoucir la triste destinée de ceux qu'il regardait comme ses fils adoptifs. Le bon pasteur s'obstinait à traîner une soutane usée, à garder la plus stricte économie dans ses repas, dans son entretien, et, quoique presque octogénaire et assiégé par les infirmités irréparables de ce grand âge, à se priver de feu pendant un hiver des plus rigoureux (1788), pour ne pas faire tort, disait-il, au patrimoine sacré de ses enfants. Un matin, la nouvelle de cette privation secrète est révélée par sa gouvernante; elle jette leur âme dans le désespoir, et, joignant leurs instances à celles de cette excellente femme, ils le supplient, les larmes aux yeux, dans leur langage empreint de la plus naïve éloquence, de se conserver pour ses fils adoptifs.

Peu lui importait, d'ailleurs, que son indigence scandalisât un monde raffiné, quand il se contentait de sa seule parure, la vertu; ce n'était point toutefois chez lui une vertu rude, sauvage, repoussante, mais une vertu bienfaisante qui s'insinuait doucement dans les esprits. Au milieu de ses mortifications, il avait soin de se dérober à l'admiration de ceux qui l'approchaient. Il cherchait à se cacher à lui-même. Son âme, d'une rare trempe, s'était si bien endurcie à ses combats intérieurs de chaque jour, qu'on le voyait partager tout son temps entre le travail et la charité ou la prière. A le voir réciter les offices de l'Église à certaines heures fixes, on l'eût pris pour un fervent cénobite qui prie sur les tombeaux.

Jusqu'à présent, ô surprise! pas un grand maître n'a confié à la toile une scène aussi touchante! Eh bien! c'est pour nous un grand bonheur d'avoir à annoncer ici qu'un jeune artiste de talent, un sourd-muet, M. Léopold Loustau42, ancien élève de l'Institution de Nancy, songe à réparer cette injure, trop prolongée, à la mémoire de notre saint Vincent de Paule.

Sans doute, il est présent encore au souvenir de nos lecteurs ce désintéressement trop rare, hélas! dans notre siècle d'égoïsme, dont l'humble apôtre fit preuve dans une circonstance antérieure, lorsqu'atteignant à peine sa vingt-sixième année, il refusa un évêché que le cardinal de Fleury lui offrait en reconnaissance d'un service personnel que son père lui avait rendu. A l'empereur Joseph II, qui lui proposait une abbaye dans ses États, il répondait ainsi: «Je suis confus, sire, de vos bontés; si, à l'époque où mon entreprise n'offrait encore aucune chance de succès, quelque médiateur puissant eût sollicité et obtenu pour moi un riche bénéfice, je l'aurais accepté pour en faire servir les ressources au profit de l'institution. Mais je suis déjà vieux; si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur ma tête déjà courbée vers la tombe qu'il faut le placer, c'est sur l'œuvre elle-même. Il est digne d'un grand prince de la perpétuer pour le bien de l'humanité.»

Pas moins grande ne fut la surprise de Catherine II, la célèbre impératrice, toujours si empressée à accorder sa protection à tout ce qui était grand et populaire, en recueillant la réponse de l'abbé de l'Épée à son ambassadeur, chargé de lui offrir en 1780 de riches présents en son nom: «Monseigneur, lui avait-il dit, je ne reçois jamais d'or, mais dites à Sa Majesté que, si mes travaux lui ont paru dignes de quelque estime, je ne lui demande pour toute faveur que de m'envoyer un sourd-muet de naissance que j'instruirai.»

– «Les riches, dit-il quelque part, ne viennent chez moi que par tolérance; ce n'est point à eux que je me suis consacré, c'est aux pauvres: sans ces derniers, je n'aurais pas entrepris l'éducation des sourds-muets. Les riches ont le moyen de chercher et de payer quelqu'un pour les instruire.»

Ce fut toujours dans l'intérêt des sourds-muets de toutes les nations que l'abbé de l'Épée apprit seul, dans la maturité de l'âge, l'italien, l'espagnol, l'anglais et l'allemand. «Je suis, disait-il, à l'âge de plus de soixante ans, je suis prêt à étudier toute autre langue dans laquelle il faudrait instruire un sourd-muet qui me sera envoyé par la Providence, car je ne regarde pas avec indifférence les sourds-muets des nations qui nous environnent.»

Aux amis qui lui demandaient: «A quoi tant d'idiomes peuvent-ils vous servir quand il ne s'agit que de sourds-muets français? – A rien, répondait le bon abbé. – Alors pourquoi les leur faire apprendre? – Pourquoi? C'est que je suis mortel. Une partie très-considérable de ma carrière est déjà fournie. – Et qui instruira les sourds-muets après moi? Ce travail est pénible; il engage à des dépenses et il ne rapporte rien; trois pierres d'achoppement pour bien des gens. Je me suis donc imaginé qu'en faisant faire à mes élèves un exercice où chacun serait libre de les interroger en différentes langues, il en résulterait une évidente preuve que les sourds-muets sont aussi susceptibles d'instruction que les autres enfants. Qui sait si quelque puissance ne voudra pas former dans ses États une maison de sourds-muets? Et, dès lors, il y aura quelqu'un après moi, n'importe en quel pays, qui continuera mon œuvre.»

Seul, sans autre ressource qu'une modeste fortune de 12,000 livres de rente environ43, il soutint une école nombreuse dont il payait les maîtres, les maîtresses, ainsi que la nourriture et l'entretien des élèves. Sa dépense personnelle ne s'éleva jamais à plus de 2,000 fr. Son frère, architecte du roi, dont les qualités personnelles le rendaient digne d'une telle parenté, s'empressait d'ouvrir sa bourse à sa première réquisition, lorsqu'il s'agissait de seconder les élans spontanés de son âme, de quelque indifférence que, dans le principe, son école fût l'objet de la part du pouvoir. Souvent même notre charitable instituteur entamait ses capitaux malgré les conseils de la prudence.

Si l'on s'en rapporte à un journal mensuel de l'époque44, Louis XVI aurait dit à l'abbé de Radonvilliers, ex-jésuite, son sous-précepteur: «L'abbé de l'Épée rend un grand service à ses élèves, mais mieux vaudrait pour eux qu'ils restassent sourds-muets que d'ouvrir l'oreille au jansénisme.»

Il n'est plus question depuis longtemps, grâce à Dieu, des querelles du jésuitisme et du jansénisme, et, grâce à Dieu aussi, il n'est sorti de l'école de l'abbé de l'Épée ni jansénistes ni jésuites, mais de bons catholiques, des hommes vertueux et instruits, et des citoyens estimables.

 

Au surplus, on doit rendre à la bonté naturelle de Louis XVI cette justice, que, plus tard, il ne se contenta pas d'accepter le patronage de l'enseignement de ces pauvres orphelins déshérités, en autorisant le transfert de leur école dans le couvent des Célestins supprimé, sur un vœu formulé par son conseil en date du 25 mars 1785, lequel conseil avait fait espérer cette translation à l'abbé de l'Épée par arrêt du 21 novembre 177845; il fit don encore à cette école d'une rente annuelle de 6,000 livres sur sa cassette. Mais la mort si prompte, si imprévue de l'abbé de l'Épée, ne lui permit pas de goûter la satisfaction de se voir installé avec ses élèves dans ce nouveau local.

Du vivant de ce bienfaiteur de l'humanité, on comptait à Paris trois pensions de sourdes-muettes confiées aux soins de quatre ou cinq dames respectables46, et une de sourds-muets, rue d'Argenteuil, dont M. Chevreau avait la direction. Tout près de là, dans une maison sise rue des Moulins, nº 14, à la butte Saint-Roch, dans un humble appartement au second étage, dont le premier était occupé par son frère, l'abbé de l'Épée réunissait tous ces pauvres enfants les mardis et vendredis de chaque semaine, de sept heures du matin à midi. Ils étaient au nombre de soixante-dix ou quatre-vingts, des deux sexes. Telle fut l'obscure origine de la célèbre institution de Paris et de toutes celles de France et de l'étranger.

L'abbé de l'Épée admettait, en outre, le public aux exercices de ses élèves, qui avaient souvent lieu de trois heures à cinq. Son dévouement allait jusqu'à renouveler parfois ses démonstrations de cinq heures à sept.

Les jours de congé, il les conduisait à une petite habitation de Montmartre (rue des Martyrs), qu'il tenait à loyer et qui était voisine de la maison de M. de Malesherbes. Là on le voyait se mêler parfois à leurs jeux et plus souvent encore captiver l'attention de ceux qui faisaient cercle autour de lui, en assaisonnant ses préceptes d'histoires instructives et édifiantes. Puis il partageait et faisait partager leur frugal repas à quelques-uns de ses amis, heureux de leur bonheur et semblable au plus chéri des pères qu'environnerait sa nombreuse famille.

Au milieu de l'allégresse de cet essaim d'âmes innocentes et candides, le vénérable patriarche laisse échapper, un jour, involontairement un geste, leur annonçant sa mort peut-être prochaine. Le désespoir se peint aussitôt sur leur physionomie jusque-là radieuse. Les voilà qui lui font tous, pour ainsi dire, un rempart de leur corps, comme s'ils cherchaient à le dérober au coup qui le menace, ayant peine à croire qu'un si bon père doive être enlevé si tôt à leur amour. Lui, de son côté, s'efforce d'essuyer leurs larmes, sans pouvoir retenir les siennes. Il leur montre le ciel comme le séjour de l'immortalité et de la félicité éternelle, leur donnant à entendre que là il ira les attendre. Alors une douce tristesse prend la place du désespoir dans cette intéressante famille; et tous lui promettent de ne rien épargner pour l'aller rejoindre un jour là haut, au sortir de cette vallée de larmes.

Cependant un coup affreux devait venir bientôt briser l'âme du saint prêtre.

40L'abbé de l'Épée a supprimé, par modestie sans doute, quelques expressions de cette lettre qui s'adressaient à lui.
41Toutes les pièces furent fournies en latin de part et d'autre.
42Léopold Loustau a exposé au salon de 1839 un grand tableau qui représente saint Pierre guérissant un boiteux; – en 1840, le Sermon de Jésus-Christ sur la Montagne, dont le ministre de l'intérieur a fait l'acquisition; – en 1844, Jésus enfant parmi les docteurs de la loi, tableau donné par le ministre à la chapelle du lycée de Strasbourg et pour lequel le jeune artiste a obtenu une médaille d'or; – en 1842, Jésus-Christ bénissant les petits enfants, tableau commandé par le ministre pour servir de pendant à ce dernier; – en 1845, l'Apparition de Saint-Nicolas devant Constantin le Grand, tableau placé par ordre du ministre dans la cathédrale de Haguenau (département du Bas-Rhin), dont le saint est le patron; – en 1846, Bonaparte quittant l'Égypte pour venir sauver la France. Il est accompagné des généraux Murat, Lannes, Marmont, Berthier, Andréossy et de deux savants, Monge et Berthollet. Loustau excelle également dans les portraits, dont il reçoit chaque jour de nouvelles commandes.
43La comtesse de Courcel, sa nièce, ne l'évalue qu'à 7 ou 8,000 fr.
44Revue ecclésiastique, 33e livraison, février.
45Voyez la note 1.(44)
46Mlles Cornu, Trumeau, Vissera, Duhamel et Lefebure.
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