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Les Trois Mousquetaires

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CHAPITRE LIII. DEUXIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Milady rêvait qu’elle tenait enfin d’Artagnan, qu’elle assistait à son supplice, et c’était la vue de son sang odieux, coulant sous la hache du bourreau, qui dessinait ce charmant sourire sur les lèvres.

Elle dormait comme dort un prisonnier bercé par sa première espérance.

Le lendemain, lorsqu’on entra dans sa chambre, elle était encore au lit. Felton était dans le corridor : il amenait la femme dont il avait parlé la veille, et qui venait d’arriver ; cette femme entra et s’approcha du lit de Milady en lui offrant ses services.

Milady était habituellement pâle ; son teint pouvait donc tromper une personne qui la voyait pour la première fois.

«J’ai la fièvre, dit-elle ; je n’ai pas dormi un seul instant pendant toute cette longue nuit, je souffre horriblement : serez-vous plus humaine qu’on ne l’a été hier avec moi ? Tout ce que je demande, au reste, c’est la permission de rester couchée.

– Voulez-vous qu’on appelle un médecin ?» dit la femme.

Felton écoutait ce dialogue sans dire une parole.

Milady réfléchissait que plus on l’entourerait de monde, plus elle aurait de monde à apitoyer, et plus la surveillance de Lord de Winter redoublerait ; d’ailleurs le médecin pourrait déclarer que la maladie était feinte, et Milady après avoir perdu la première partie ne voulait pas perdre la seconde.

«Aller chercher un médecin, dit-elle, à quoi bon ? ces messieurs ont déclaré hier que mon mal était une comédie, il en serait sans doute de même aujourd’hui ; car depuis hier soir, on a eu le temps de prévenir le docteur.

– Alors, dit Felton impatienté, dites vous-même, madame, quel traitement vous voulez suivre.

– Eh ! le sais-je, moi ? mon Dieu ! je sens que je souffre, voilà tout, que l’on me donne ce que l’on voudra, peu m’importe.

– Allez chercher Lord de Winter, dit Felton fatigué de ces plaintes éternelles.

– Oh ! non, non ! s’écria Milady, non, monsieur, ne l’appelez pas, je vous en conjure, je suis bien, je n’ai besoin de rien, ne l’appelez pas.»

Elle mit une véhémence si prodigieuse, une éloquence si entraînante dans cette exclamation, que Felton, entraîné, fit quelques pas dans la chambre.

«Il est ému», pensa Milady.

«Cependant, madame, dit Felton, si vous souffrez réellement, on enverra chercher un médecin, et si vous nous trompez, eh bien, ce sera tant pis pour vous, mais du moins, de notre côté, nous n’aurons rien à nous reprocher.»

Milady ne répondit point ; mais renversant sa belle tête sur son oreiller, elle fondit en larmes et éclata en sanglots.

Felton la regarda un instant avec son impassibilité ordinaire ; puis voyant que la crise menaçait de se prolonger, il sortit ; la femme le suivit. Lord de Winter ne parut pas.

«Je crois que je commence à voir clair», murmura Milady avec une joie sauvage, en s’ensevelissant sous les draps pour cacher à tous ceux qui pourraient l’épier cet élan de satisfaction intérieure.

Deux heures s’écoulèrent.

«Maintenant il est temps que la maladie cesse, dit-elle : levons-nous et obtenons quelque succès dès aujourd’hui ; je n’ai que dix jours, et ce soir il y en aura deux d’écoulés.

En entrant, le matin, dans la chambre de Milady, on lui avait apporté son déjeuner ; or elle avait pensé qu’on ne tarderait pas à venir enlever la table, et qu’en ce moment elle reverrait Felton.

Milady ne se trompait pas. Felton reparut, et, sans faire attention si Milady avait ou non touché au repas, fit un signe pour qu’on emportât hors de la chambre la table, que l’on apportait ordinairement toute servie.

Felton resta le dernier, il tenait un livre à la main.

Milady, couchée dans un fauteuil près de la cheminée, belle, pâle et résignée, ressemblait à une vierge sainte attendant le martyre.

Felton s’approcha d’elle et dit :

«Lord de Winter, qui est catholique comme vous, madame, a pensé que la privation des rites et des cérémonies de votre religion peut vous être pénible : il consent donc à ce que vous lisiez chaque jour l’ordinaire de votre messe, et voici un livre qui en contient le rituel.»

À l’air dont Felton déposa ce livre sur la petite table près de laquelle était Milady, au ton dont il prononça ces deux mots, votre messe, au sourire dédaigneux dont il les accompagna, Milady leva la tête et regarda plus attentivement l’officier.

Alors, à cette coiffure sévère, à ce costume d’une simplicité exagérée, à ce front poli comme le marbre, mais dur et impénétrable comme lui, elle reconnut un de ces sombres puritains qu’elle avait rencontrés si souvent tant à la cour du roi Jacques qu’à celle du roi de France, où, malgré le souvenir de la Saint-Barthélémy, ils venaient parfois chercher un refuge.

Elle eut donc une de ces inspirations subites comme les gens de génie seuls en reçoivent dans les grandes crises, dans les moments suprêmes qui doivent décider de leur fortune ou de leur vie.

Ces deux mots, votre messe, et un simple coup d’oeil jeté sur Felton, lui avaient en effet révélé toute l’importance de la réponse qu’elle allait faire.

Mais avec cette rapidité d’intelligence qui lui était particulière, cette réponse toute formulée se présenta sur ses lèvres :

«Moi ! dit-elle avec un accent de dédain monté à l’unisson de celui qu’elle avait remarqué dans la voix du jeune officier, moi, monsieur, ma messe ! Lord de Winter, le catholique corrompu, sait bien que je ne suis pas de sa religion, et c’est un piège qu’il veut me tendre !

– Et de quelle religion êtes-vous donc, madame ? demanda Felton avec un étonnement que, malgré son empire sur lui-même, il ne put cacher entièrement.

– Je le dirai, s’écria Milady avec une exaltation feinte, le jour où j’aurai assez souffert pour ma foi.»

Le regard de Felton découvrit à Milady toute l’étendue de l’espace qu’elle venait de s’ouvrir par cette seule parole.

Cependant le jeune officier demeura muet et immobile, son regard seul avait parlé.

«Je suis aux mains de mes ennemis, continua-t-elle avec ce ton d’enthousiasme qu’elle savait familier aux puritains ; eh bien, que mon Dieu me sauve ou que je périsse pour mon Dieu ! voilà la réponse que je vous prie de faire à Lord de Winter. Et quant à ce livre, ajouta-t-elle en montrant le rituel du bout du doigt, mais sans le toucher, comme si elle eût dû être souillée par cet attouchement, vous pouvez le remporter et vous en servir pour vous-même, car sans doute vous êtes doublement complice de Lord de Winter, complice dans sa persécution, complice dans son hérésie.»

Felton ne répondit rien, prit le livre avec le même sentiment de répugnance qu’il avait déjà manifesté et se retira pensif. Lord de Winter vint vers les cinq heures du soir ; Milady avait eu le temps pendant toute la journée de se tracer son plan de conduite ; elle le reçut en femme qui a déjà repris tous ses avantages.

«Il paraît, dit le baron en s’asseyant dans un fauteuil en face de celui qu’occupait Milady et en étendant nonchalamment ses pieds sur le foyer, il paraît que nous avons fait une petite apostasie !

– Que voulez-vous dire, monsieur ?

– Je veux dire que depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, nous avons changé de religion ; auriez-vous épousé un troisième mari protestant, par hasard ?

– Expliquez-vous, Milord, reprit la prisonnière avec majesté, car je vous déclare que j’entends vos paroles, mais que je ne les comprends pas.

– Alors, c’est que vous n’avez pas de religion du tout ; j’aime mieux cela, reprit en ricanant Lord de Winter.

– Il est certain que cela est plus selon vos principes, reprit froidement Milady.

– Oh ! je vous avoue que cela m’est parfaitement égal.

– Oh ! vous n’avoueriez pas cette indifférence religieuse, Milord, que vos débauches et vos crimes en feraient foi.

– Hein ! vous parlez de débauches, madame Messaline, vous parlez de crimes, Lady Macbeth ! Ou j’ai mal entendu, ou vous êtes, pardieu, bien impudente.

– Vous parlez ainsi parce que vous savez qu’on nous écoute, monsieur, répondit froidement Milady, et que vous voulez intéresser vos geôliers et vos bourreaux contre moi.

– Mes geôliers ! mes bourreaux ! Ouais, madame, vous le prenez sur un ton poétique, et la comédie d’hier tourne ce soir à la tragédie. Au reste, dans huit jours vous serez où vous devez être et ma tâche sera achevée.

– Tâche infâme ! tâche impie ! reprit Milady avec l’exaltation de la victime qui provoque son juge.

– Je crois, ma parole d’honneur, dit de Winter en se levant, que la drôlesse devient folle. Allons, allons, calmez-vous, madame la puritaine, ou je vous fais mettre au cachot. Pardieu ! c’est mon vin d’Espagne qui vous monte à la tête, n’est-ce pas ? mais, soyez tranquille, cette ivresse-là n’est pas dangereuse et n’aura pas de suites.»

Et Lord de Winter se retira en jurant, ce qui à cette époque était une habitude toute cavalière.

Felton était en effet derrière la porte et n’avait pas perdu un mot de toute cette scène.

Milady avait deviné juste.

«Oui, va ! va ! dit-elle à son frère, les suites approchent, au contraire, mais tu ne les verras, imbécile, que lorsqu’il ne sera plus temps de les éviter.»

Le silence se rétablit, deux heures s’écoulèrent ; on apporta le souper, et l’on trouva Milady occupée à faire tout haut ses prières, prières qu’elle avait apprises d’un vieux serviteur de son second mari, puritain des plus austères. Elle semblait en extase et ne parut pas même faire attention à ce qui se passait autour d’elle. Felton fit signe qu’on ne la dérangeât point, et lorsque tout fut en état il sortit sans bruit avec les soldats.

Milady savait qu’elle pouvait être épiée, elle continua donc ses prières jusqu’à la fin, et il lui sembla que le soldat qui était de sentinelle à sa porte ne marchait plus du même pas et paraissait écouter.

 

Pour le moment, elle n’en voulait pas davantage, elle se releva, se mit à table, mangea peu et ne but que de l’eau.

Une heure après on vint enlever la table, mais Milady remarqua que cette fois Felton n’accompagnait point les soldats.

Il craignait donc de la voir trop souvent.

Elle se retourna vers le mur pour sourire, car il y avait dans ce sourire une telle expression de triomphe que ce seul sourire l’eût dénoncée.

Elle laissa encore s’écouler une demi-heure, et comme en ce moment tout faisait silence dans le vieux château, comme on n’entendait que l’éternel murmure de la houle, cette respiration immense de l’océan, de sa voix pure, harmonieuse et vibrante, elle commença le premier couplet de ce psaume alors en entière faveur près des puritains :

Seigneur, si tu nous abandonnes,

C’est pour voir si nous sommes forts ;

Mais ensuite c’est toi qui donnes

De ta céleste main la palme à nos efforts.

Ces vers n’étaient pas excellents, il s’en fallait même de beaucoup ; mais, comme on le sait, les protestants ne se piquaient pas de poésie.

Tout en chantant, Milady écoutait : le soldat de garde à sa porte s’était arrêté comme s’il eût été changé en pierre. Milady put donc juger de l’effet qu’elle avait produit.

Alors elle continua son chant avec une ferveur et un sentiment inexprimables ; il lui sembla que les sons se répandaient au loin sous les voûtes et allaient comme un charme magique adoucir le coeur de ses geôliers. Cependant il paraît que le soldat en sentinelle, zélé catholique sans doute, secoua le charme, car à travers la porte :

«Taisez-vous donc madame, dit-il, votre chanson est triste comme un De profondis, et si, outre l’agrément d’être en garnison ici, il faut encore y entendre de pareilles choses, ce sera à n’y point tenir.

– Silence ! dit alors une voix grave, que Milady reconnut pour celle de Felton ; de quoi vous mêlez-vous, drôle ? Vous a-t-on ordonné d’empêcher cette femme de chanter ? Non. On vous a dit de la garder, de tirer sur elle si elle essayait de fuir. Gardez-la ; si elle fuit, tuez-la, mais ne changez rien à la consigne.»

Une expression de joie indicible illumina le visage de Milady, mais cette expression fut fugitive comme le reflet d’un éclair, et, sans paraître avoir entendu le dialogue dont elle n’avait pas perdu un mot, elle reprit en donnant à sa voix tout le charme, toute l’étendue et toute la séduction que le démon y avait mis :

 
Pour tant de pleurs et de misère,
Pour mon exil et pour mes fers,
J’ai ma jeunesse, ma prière,
Et Dieu, qui comptera les maux que j’ai soufferts.
 

Cette voix, d’une étendue inouïe et d’une passion sublime, donnait à la poésie rude et inculte de ces psaumes une magie et une expression que les puritains les plus exaltés trouvaient rarement dans les chants de leurs frères et qu’ils étaient forcés d’orner de toutes les ressources de leur imagination : Felton crut entendre chanter l’ange qui consolait les trois Hébreux dans la fournaise.

Milady continua :

 
Mais le jour de la délivrance
Viendra pour nous, Dieu juste et fort ;
Et s’il trompe notre espérance,
Il nous reste toujours le martyre et la mort.
 

Ce couplet, dans lequel la terrible enchanteresse s’efforça de mettre toute son âme, acheva de porter le désordre dans le coeur du jeune officier : il ouvrit brusquement la porte, et Milady le vit apparaître pâle comme toujours, mais les yeux ardents et presque égarés.

«Pourquoi chantez-vous ainsi, dit-il, et avec une pareille voix ?

– Pardon, monsieur, dit Milady avec douceur, j’oubliais que mes chants ne sont pas de mise dans cette maison. Je vous ai sans doute offensé dans vos croyances ; mais c’était sans le vouloir, je vous jure ; pardonnez-moi donc une faute qui est peut-être grande, mais qui certainement est involontaire.»

Milady était si belle dans ce moment, l’extase religieuse dans laquelle elle semblait plongée donnait une telle expression à sa physionomie, que Felton, ébloui, crut voir l’ange que tout à l’heure il croyait seulement entendre.

«Oui, oui, répondit-il, oui : vous troublez, vous agitez les gens qui habitent ce château.»

Et le pauvre insensé ne s’apercevait pas lui-même de l’incohérence de ses discours, tandis que Milady plongeait son oeil de lynx au plus profond de son coeur.

«Je me tairai, dit Milady en baissant les yeux avec toute la douceur qu’elle put donner à sa voix, avec toute la résignation qu’elle put imprimer à son maintien.

– Non, non, madame, dit Felton ; seulement, chantez moins haut, la nuit surtout.»

Et à ces mots, Felton, sentant qu’il ne pourrait pas conserver longtemps sa sévérité à l’égard de la prisonnière, s’élança hors de son appartement.

«Vous avez bien fait, lieutenant, dit le soldat ; ces chants bouleversent l’âme ; cependant on finit par s’y accoutumer : sa voix est si belle !»

 CHAPITRE LIV. TROISIÈME JOURNÉE DE CAPTIVITÉ

Felton était venu ; mais il y avait encore un pas à faire : il fallait le retenir, ou plutôt il fallait qu’il restât tout seul ; et Milady ne voyait encore qu’obscurément le moyen qui devait la conduire à ce résultat.

Il fallait plus encore : il fallait le faire parler, afin de lui parler aussi : car, Milady le savait bien, sa plus grande séduction était dans sa voix, qui parcourait si habilement toute la gamme des tons, depuis la parole humaine jusqu’au langage céleste.

Et cependant, malgré toute cette séduction, Milady pouvait échouer, car Felton était prévenu, et cela contre le moindre hasard. Dès lors, elle surveilla toutes ses actions, toutes ses paroles, jusqu’au plus simple regard de ses yeux, jusqu’à son geste, jusqu’à sa respiration, qu’on pouvait interpréter comme un soupir. Enfin, elle étudia tout comme fait un habile comédien à qui l’on vient de donner un rôle nouveau dans un emploi qu’il n’a pas l’habitude de tenir.

Vis-à-vis de Lord de Winter sa conduite était plus facile ; aussi avait-elle été arrêtée dès la veille. Rester muette et digne en sa présence, de temps en temps l’irriter par un dédain affecté, par un mot méprisant, le pousser à des menaces et à des violences qui faisaient un contraste avec sa résignation à elle, tel était son projet. Felton verrait : peut-être ne dirait-il rien ; mais il verrait.

Le matin, Felton vint comme d’habitude ; mais Milady le laissa présider à tous les apprêts du déjeuner sans lui adresser la parole. Aussi, au moment où il allait se retirer, eut-elle une lueur d’espoir ; car elle crut que c’était lui qui allait parler ; mais ses lèvres remuèrent sans qu’aucun son sortît de sa bouche, et, faisant un effort sur lui-même, il renferma dans son coeur les paroles qui allaient s’échapper de ses lèvres, et sortit.

Vers midi, Lord de Winter entra.

Il faisait une assez belle journée d’hiver, et un rayon de ce pâle soleil d’Angleterre qui éclaire, mais qui n’échauffe pas, passait à travers les barreaux de la prison.

Milady regardait par la fenêtre, et fit semblant de ne pas entendre la porte qui s’ouvrait.

«Ah ! ah ! dit Lord de Winter, après avoir fait de la comédie, après avoir fait de la tragédie, voilà que nous faisons de la mélancolie.»

La prisonnière ne répondit pas.

«Oui, oui, continua Lord de Winter, je comprends ; vous voudriez bien être en liberté sur ce rivage ; vous voudriez bien, sur un bon navire, fendre les flots de cette mer verte comme de l’émeraude ; vous voudriez bien, soit sur terre, soit sur l’océan, me dresser une de ces bonnes petites embuscades comme vous savez si bien les combiner. Patience ! patience ! Dans quatre jours, le rivage vous sera permis, la mer vous sera ouverte, plus ouverte que vous ne le voudrez, car dans quatre jours l’Angleterre sera débarrassée de vous.»

Milady joignit les mains, et levant ses beaux yeux vers le ciel :

«Seigneur ! Seigneur ! dit-elle avec une angélique suavité de geste et d’intonation, pardonnez à cet homme, comme je lui pardonne moi-même.

– Oui, prie, maudite, s’écria le baron, ta prière est d’autant plus généreuse que tu es, je te le jure, au pouvoir d’un homme qui ne pardonnera pas.»

Et il sortit.

Au moment où il sortait, un regard perçant glissa par la porte entrebâillée, et elle aperçut Felton qui se rangeait rapidement pour n’être pas vu d’elle.

Alors elle se jeta à genoux et se mit à prier.

«Mon Dieu ! mon Dieu ! dit-elle, vous savez pour quelle sainte cause je souffre, donnez-moi donc la force de souffrir.»

La porte s’ouvrit doucement ; la belle suppliante fit semblant de n’avoir pas entendu, et d’une voix pleine de larmes, elle continua :

«Dieu vengeur ! Dieu de bonté ! laisserez-vous s’accomplir les affreux projets de cet homme !»

Alors, seulement, elle feignit d’entendre le bruit des pas de Felton et, se relevant rapide comme la pensée, elle rougit comme si elle eût été honteuse d’avoir été surprise à genoux.

«Je n’aime point à déranger ceux qui prient, madame, dit gravement Felton ; ne vous dérangez donc pas pour moi, je vous en conjure.

– Comment savez-vous que je priais, monsieur ? dit Milady d’une voix suffoquée par les sanglots ; vous vous trompiez, monsieur, je ne priais pas.

– Pensez-vous donc, madame, répondit Felton de sa même voix grave, quoique avec un accent plus doux, que je me croie le droit d’empêcher une créature de se prosterner devant son Créateur ? À Dieu ne plaise ! D’ailleurs le repentir sied bien aux coupables ; quelque crime qu’il ait commis, un coupable m’est sacré aux pieds de Dieu.

– Coupable, moi ! dit Milady avec un sourire qui eût désarmé l’ange du jugement dernier. Coupable ! mon Dieu, tu sais si je le suis ! Dites que je suis condamnée, monsieur, à la bonne heure ; mais vous le savez, Dieu qui aime les martyrs, permet que l’on condamne quelquefois les innocents.

– Fussiez-vous condamnée, fussiez-vous martyre, répondit Felton, raison de plus pour prier, et moi-même je vous aiderai de mes prières.

– Oh ! vous êtes un juste, vous, s’écria Milady en se précipitant à ses pieds ; tenez, je n’y puis tenir plus longtemps, car je crains de manquer de force au moment où il me faudra soutenir la lutte et confesser ma foi, écoutez donc la supplication d’une femme au désespoir. On vous abuse, monsieur, mais il n’est pas question de cela, je ne vous demande qu’une grâce, et, si vous me l’accordez, je vous bénirai dans ce monde et dans l’autre.

– Parlez au maître, madame, dit Felton ; je ne suis heureusement chargé, moi, ni de pardonner ni de punir, et c’est à plus haut que moi que Dieu a remis cette responsabilité.

– À vous, non, à vous seul. Écoutez-moi, plutôt que de contribuer à ma perte, plutôt que de contribuer à mon ignominie.

– Si vous avez mérité cette honte, madame, si vous avez encouru cette ignominie, il faut la subir en l’offrant à Dieu.

– Que dites-vous ? Oh ! vous ne me comprenez pas ! Quand je parle d’ignominie, vous croyez que je parle d’un châtiment quelconque, de la prison ou de la mort ! Plût au Ciel ! que m’importent, à moi, la mort ou la prison !

– C’est moi qui ne vous comprends plus, madame.

– Ou qui faites semblant de ne plus me comprendre, monsieur, répondit la prisonnière avec un sourire de doute.

– Non, madame, sur l’honneur d’un soldat, sur la foi d’un chrétien !

– Comment ! vous ignorez les desseins de Lord de Winter sur moi.

– Je les ignore.

– Impossible, vous son confident !

– Je ne mens jamais, madame.

– Oh ! il se cache trop peu cependant pour qu’on ne les devine pas.

– Je ne cherche à rien deviner, madame ; j’attends qu’on me confie, et à part ce qu’il m’a dit devant vous, Lord de Winter ne m’a rien confié.

– Mais, s’écria Milady avec un incroyable accent de vérité, vous n’êtes donc pas son complice, vous ne savez donc pas qu’il me destine à une honte que tous les châtiments de la terre ne sauraient égaler en horreur ?

– Vous vous trompez, madame, dit Felton en rougissant, Lord de Winter n’est pas capable d’un tel crime.»

«Bon, dit Milady en elle-même, sans savoir ce que c’est, il appelle cela un crime !»

Puis tout haut :

«L’ami de l’infâme est capable de tout.

– Qui appelez-vous l’infâme ? demanda Felton.

– Y a-t-il donc en Angleterre deux hommes à qui un semblable nom puisse convenir ?

– Vous voulez parler de Georges Villiers ? dit Felton, dont les regards s’enflammèrent.

– Que les païens, les gentils et les infidèles appellent duc de Buckingham, reprit Milady ; je n’aurais pas cru qu’il y aurait eu un Anglais dans toute l’Angleterre qui eût eu besoin d’une si longue explication pour reconnaître celui dont je voulais parler !

 

– La main du Seigneur est étendue sur lui, dit Felton, il n’échappera pas au châtiment qu’il mérite.»

Felton ne faisait qu’exprimer à l’égard du duc le sentiment d’exécration que tous les Anglais avaient voué à celui que les catholiques eux-mêmes appelaient l’exacteur, le concussionnaire, le débauché, et que les puritains appelaient tout simplement Satan.

«Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria Milady, quand je vous supplie d’envoyer à cet homme le châtiment qui lui est dû, vous savez que ce n’est pas ma propre vengeance que je poursuis, mais la délivrance de tout un peuple que j’implore.

– Le connaissez-vous donc ?» demanda Felton.

«Enfin, il m’interroge», se dit en elle-même Milady au comble de la joie d’en être arrivée si vite à un si grand résultat.

«Oh ! si je le connais ! oh, oui ! pour mon malheur, pour mon malheur éternel.»

Et Milady se tordit les bras comme arrivée au paroxysme de la douleur. Felton sentit sans doute en lui-même que sa force l’abandonnait, et il fit quelques pas vers la porte ; la prisonnière, qui ne le perdait pas de vue, bondit à sa poursuite et l’arrêta.

«Monsieur ! s’écria-t-elle, soyez bon, soyez clément, écoutez ma prière : ce couteau que la fatale prudence du baron m’a enlevé, parce qu’il sait l’usage que j’en veux faire ; oh ! écoutez-moi jusqu’au bout ! ce couteau, rendez-le moi une minute seulement, par grâce, par pitié ! J’embrasse vos genoux ; voyez, vous fermerez la porte, ce n’est pas à vous que j’en veux : Dieu ! vous en vouloir, à vous, le seul être juste, bon et compatissant que j’aie rencontré ! à vous, mon sauveur peut-être ! une minute, ce couteau, une minute, une seule, et je vous le rends par le guichet de la porte ; rien qu’une minute, monsieur Felton, et vous m’aurez sauvé l’honneur !

– Vous tuer ! s’écria Felton avec terreur, oubliant de retirer ses mains des mains de la prisonnière ; vous tuer !

– J’ai dit, monsieur, murmura Milady en baissant la voix et en se laissant tomber affaissée sur le parquet, j’ai dit mon secret ! il sait tout ! mon Dieu, je suis perdue !»

Felton demeurait debout, immobile et indécis.

«Il doute encore, pensa Milady, je n’ai pas été assez vraie.»

On entendit marcher dans le corridor ; Milady reconnut le pas de Lord de Winter. Felton le reconnut aussi et s’avança vers la porte.

Milady s’élança.

«Oh ! pas un mot, dit-elle d’une voix concentrée, pas un mot de tout ce que je vous ai dit à cet homme, ou je suis perdue, et c’est vous, vous…»

Puis, comme les pas se rapprochaient, elle se tut de peur qu’on n’entendit sa voix, appuyant avec un geste de terreur infinie sa belle main sur la bouche de Felton. Felton repoussa doucement Milady, qui alla tomber sur une chaise longue.

Lord de Winter passa devant la porte sans s’arrêter, et l’on entendit le bruit des pas qui s’éloignaient.

Felton, pâle comme la mort, resta quelques instants l’oreille tendue et écoutant, puis quand le bruit se fut éteint tout à fait, il respira comme un homme qui sort d’un songe, et s’élança hors de l’appartement.

«Ah ! dit Milady en écoutant à son tour le bruit des pas de Felton, qui s’éloignaient dans la direction opposée à ceux de Lord de Winter, enfin tu es donc à moi !»

Puis son front se rembrunit.

«S’il parle au baron, dit-elle, je suis perdue, car le baron, qui sait bien que je ne me tuerai pas, me mettra devant lui un couteau entre les mains, et il verra bien que tout ce grand désespoir n’était qu’un jeu.»

Elle alla se placer devant sa glace et se regarda ; jamais elle n’avait été si belle.

«Oh ! oui ! dit-elle en souriant, mais il ne lui parlera pas.»

Le soir, Lord de Winter accompagna le souper.

– Monsieur, lui dit Milady, votre présence est-elle un accessoire obligé de ma captivité, et ne pourriez-vous pas m’épargner ce surcroît de tortures que me causent vos visites ?

– Comment donc, chère soeur ! dit de Winter, ne m’avez-vous pas sentimentalement annoncé, de cette jolie bouche si cruelle pour moi aujourd’hui, que vous veniez en Angleterre à cette seule fin de me voir tout à votre aise, jouissance dont, me disiez-vous, vous ressentiez si vivement la privation, que vous avez tout risqué pour cela, mal de mer, tempête, captivité ! eh bien, me voilà, soyez satisfaite ; d’ailleurs, cette fois ma visite a un motif.»

Milady frissonna, elle crut que Felton avait parlé ; jamais de sa vie, peut-être, cette femme, qui avait éprouvé tant d’émotions puissantes et opposées, n’avait senti battre son coeur si violemment.

Elle était assise ; Lord de Winter prit un fauteuil, le tira à son côté et s’assit auprès d’elle, puis prenant dans sa poche un papier qu’il déploya lentement :

«Tenez, lui dit-il, je voulais vous montrer cette espèce de passeport que j’ai rédigé moi-même et qui vous servira désormais de numéro d’ordre dans la vie que je consens à vous laisser.»

Puis ramenant ses yeux de Milady sur le papier, il lut :

«Ordre de conduire à…» Le nom est en blanc, interrompit de Winter : si vous avez quelque préférence, vous me l’indiquerez ; et pour peu que ce soit à un millier de lieues de Londres, il sera fait droit à votre requête. Je reprends donc : «Ordre de conduire à… la nommée Charlotte Backson, flétrie par la justice du royaume de France, mais libérée après châtiment ; elle demeurera dans cette résidence, sans jamais s’en écarter de plus de trois lieues. En cas de tentative d’évasion, la peine de mort lui sera appliquée. Elle touchera cinq shillings par jour pour son logement et sa nourriture.»

«Cet ordre ne me concerne pas, répondit froidement Milady, puisqu’un autre nom que le mien y est porté.

– Un nom ! Est-ce que vous en avez un ?

– J’ai celui de votre frère.

– Vous vous trompez, mon frère n’est que votre second mari, et le premier vit encore. Dites-moi son nom et je le mettrai en place du nom de Charlotte Backson. Non ?… vous ne voulez pas ?… vous gardez le silence ? C’est bien ! vous serez écrouée sous le nom de Charlotte Backson.»

Milady demeura silencieuse ; seulement, cette fois ce n’était plus par affectation, mais par terreur : elle crut l’ordre prêt à être exécuté : elle pensa que Lord de Winter avait avancé son départ ; elle crut qu’elle était condamnée à partir le soir même. Tout dans son esprit fut donc perdu pendant un instant, quand tout à coup elle s’aperçut que l’ordre n’était revêtu d’aucune signature.

La joie qu’elle ressentit de cette découverte fut si grande, qu’elle ne put la cacher.

«Oui, oui, dit Lord de Winter, qui s’aperçut de ce qui se passait en elle, oui, vous cherchez la signature, et vous vous dites : tout n’est pas perdu, puisque cet acte n’est pas signé ; on me le montre pour m’effrayer, voilà tout. Vous vous trompez : demain cet ordre sera envoyé à Lord Buckingham ; après-demain il reviendra signé de sa main et revêtu de son sceau, et vingt-quatre heures après, c’est moi qui vous en réponds, il recevra son commencement d’exécution. Adieu, madame, voilà tout ce que j’avais à vous dire.

– Et moi je vous répondrai, monsieur, que cet abus de pouvoir, que cet exil sous un nom supposé sont une infamie.

– Aimez-vous mieux être pendue sous votre vrai nom, Milady ? Vous le savez, les lois anglaises sont inexorables sur l’abus que l’on fait du mariage ; expliquez-vous franchement : quoique mon nom ou plutôt le nom de mon frère se trouve mêlé dans tout cela, je risquerai le scandale d’un procès public pour être sûr que du coup je serai débarrassé de vous.»

Milady ne répondit pas, mais devint pâle comme un cadavre.

«Oh ! je vois que vous aimez mieux la pérégrination. À merveille, madame, et il y a un vieux proverbe qui dit que les voyages forment la jeunesse. Ma foi ! vous n’avez pas tort, après tout, et la vie est bonne. C’est pour cela que je ne me soucie pas que vous me l’ôtiez. Reste donc à régler l’affaire des cinq shillings ; je me montre un peu parcimonieux, n’est-ce pas ? cela tient à ce que je ne me soucie pas que vous corrompiez vos gardiens. D’ailleurs il vous restera toujours vos charmes pour les séduire. Usez-en si votre échec avec Felton ne vous a pas dégoûtée des tentatives de ce genre.»

«Felton n’a point parlé, se dit Milady à elle-même, rien n’est perdu alors.»

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