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Les Quarante-Cinq — Tome 3

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LXXVII
LE VOYAGE

On se mit en route.

Aurilly affectait avec Remy le ton de la plus parfaite égalité, et, avec Diane, les airs du plus profond respect.

Mais il était facile pour Remy de voir que ces airs de respect étaient intéressés.

En effet, tenir l'étrier d'une femme quand elle monte à cheval ou qu'elle en descend, veiller sur chacun de ses mouvements avec sollicitude, et ne laisser échapper jamais une occasion de ramasser son gant ou d'agrafer son manteau, c'est le rôle d'un amant, d'un serviteur ou d'un curieux.

En touchant le gant, Aurilly voyait la main; en agrafant le manteau, il regardait sous le masque; en tenant l'étrier, il provoquait un hasard qui lui fît entrevoir ce visage, que le prince, dans ses souvenirs confus, n'avait point reconnu, mais que lui, Aurilly, avec sa mémoire exacte, comptait bien reconnaître.

Mais le musicien avait affaire à forte partie; Remy réclama son service auprès de sa compagne, et se montra jaloux des prévenances d'Aurilly.

Diane elle-même, sans paraître soupçonner les causes de cette bienveillance, prit parti pour celui qu'Aurilly regardait comme un vieux serviteur et voulait soulager d'une partie de sa peine, et elle pria Aurilly de laisser faire à Remy tout seul ce qui regardait Remy.

Aurilly en fut réduit, pendant les longues marches, à espérer l'ombre et la pluie, pendant les haltes, à désirer les repas.

Pourtant il fut trompé dans son attente, pluie ou soleil n'y faisait rien, et le masque restait sur le visage; quant aux repas, ils étaient pris par la jeune femme dans une chambre séparée.

Aurilly comprit que, s'il ne reconnaissait pas, il était reconnu; il essaya de voir par les serrures, mais la dame tournait constamment le dos aux portes; il essaya de voir par les fenêtres, mais il trouva devant les fenêtres d'épais rideaux, ou, à défaut de rideaux, les manteaux des voyageurs.

Ni questions ni tentatives de corruption ne réussirent sur Remy; le serviteur annonçait que telle était la volonté de sa maîtresse et par conséquent la sienne.

— Mais ces précautions sont-elles donc prises pour moi seul? demandait Aurilly.

— Non, pour tout le monde.

— Mais enfin, M. le duc d'Anjou l'a vue; alors elle ne se cachait pas.

— Hasard, pur hasard, répondait Remy, et c'est justement parce que, malgré elle, ma maîtresse a été vue par M. le duc d'Anjou, qu'elle prend ses précautions pour n'être plus vue par personne.

Cependant les jours s'écoulaient, on approchait du terme, et, grâce aux précautions de Remy et de sa maîtresse, la curiosité d'Aurilly avait été mise en défaut.

Déjà la Picardie apparaissait aux regards des voyageurs.

Aurilly qui, depuis trois ou quatre jours, essayait de tout, de la bonne mine, de la bouderie, des petits soins, et presque des violences, commençait à perdre patience, et les mauvais instincts de sa nature prenaient peu à peu le dessus.

On eût dit qu'il comprenait que, sous le voile de cette femme, était caché un secret mortel.

Un jour il demeura un peu en arrière avec Remy, et renouvela sur lui ses tentatives de séduction, que Remy repoussa, comme d'habitude.

— Enfin, dit Aurilly, il faudra cependant bien qu'un jour ou l'autre je voie ta maîtresse.

— Sans doute, dit Remy, mais ce sera au jour qu'elle voudra, et non au jour que vous voudrez.

— Cependant si j'employais la force? dit Aurilly.

Un éclair qu'il ne put retenir jaillit des yeux de Remy.

— Essayez! dit-il.

Aurilly vit l'éclair, il comprit ce qui vivait d'énergie dans celui qu'il prenait pour un vieillard.

Il se mit à rire.

— Que je suis fou! dit-il, et que m'importe qui elle est? C'est bien la même, n'est-ce pas, que M. le duc d'Anjou a vue?

— Certes!

— Et qu'il m'a dit de lui amener à Château-Thierry?

— Oui.

— Eh bien, c'est tout ce qu'il me faut; ce n'es pas moi qui suis amoureux d'elle, c'est monseigneur, et pourvu que vous ne cherchiez pas à fuir, à m'échapper...

— En avons-nous l'air? dit Remy.

— Non.

— Nous en avons si peu l'air, et c'est si peu notre intention, que, n'y fussiez-vous pas, nous continuerions notre route pour Château-Thierry; si le duc désire nous voir, nous désirons le voir aussi, nous.

— Alors, dit Aurilly, cela tombe à merveille.

Puis, comme s'il eût voulu s'assurer du désir réel qu'avaient Remy et sa compagne de ne pas changer de chemin:

— Votre maîtresse veut-elle s'arrêter ici quelques instants? dit-il.

Et il montrait une espèce d'hôtellerie sur la route.

— Vous savez, lui dit Remy, que ma maîtresse ne s'arrête que dans les villes.

— Je l'avais vu, dit Aurilly, mais je ne l'avais pas remarqué.

— C'est ainsi.

— Eh bien, moi qui n'ai pas fait de voeu, je m'arrête un instant; continuez votre route, je vous rejoins.

Et Aurilly indiqua le chemin à Remy, descendit de cheval et s'approcha de l'hôte, qui vint au devant de lui avec de grands respects et comme s'il le connaissait.

Remy rejoignit Diane.

— Que vous disait-il? demanda la jeune femme.

— Il exprimait son désir ordinaire.

— Celui de me voir?

— Oui.

Diane sourit sous son masque.

— Prenez garde, dit Remy, il est furieux.

— Il ne me verra pas. Je ne le veux pas, et c'est te dire qu'il n'y pourra rien.

— Mais une fois que vous serez à Château-Thierry, ne faudra-t-il point qu'il vous voie à visage découvert?

— Qu'importe, si la découverte arrive trop tard pour eux? D'ailleurs le maître ne m'a point reconnue.

— Oui, mais le valet vous reconnaîtra.

— Tu vois que jusqu'à présent ni ma voix ni ma démarche ne l'ont frappé.

— N'importe, madame, dit Remy, tous ces mystères qui existent depuis huit jours pour Aurilly, n'avaient point existé pour le prince, ils n'avaient point excité sa curiosité, point éveillé ses souvenirs, au lieu que, depuis huit jours, Aurilly cherche, calcule, suppute; votre vue frappera une mémoire éveillée sur tous les points, il vous reconnaîtra s'il ne vous a pas reconnue.

En ce moment ils furent interrompus par Aurilly, qui avait pris un chemin de traverse et qui les ayant suivis sans les perdre de vue, apparaissait tout à coup dans l'espoir de saisir quelques mots de leur conversation.

Le silence soudain qui accueillit son arrivée lui prouva significativement qu'il gênait; il se contenta donc de suivre par derrière comme il faisait quelquefois.

Dès ce moment, le projet d'Aurilly fut arrêté.

Il se défiait réellement de quelque chose, comme l'avait dit Remy; seulement il se défiait instinctivement, car, pas un instant, son esprit, flottant de conjectures en conjectures, ne s'était arrêté à la réalité.

Il ne pouvait s'expliquer qu'on lui cachât avec tant d'acharnement ce visage que tôt ou tard il devait voir.

Pour mieux conduire son projet à sa fin, il sembla de ce moment y avoir complètement renoncé, et se montra le plus commode et le plus joyeux compagnon possible durant le reste de la journée.

Remy ne remarqua point ce changement sans inquiétude.

On arriva à une ville et l'on y coucha comme d'habitude.

Le lendemain, sous prétexte que la traite était longue, on partit avec le jour.

A midi, il fallut s'arrêter pour laisser reposer les chevaux.

A deux heures on se remit en route. On marcha encore jusqu'à quatre.

Une grande forêt se présentait dans le lointain: c'était celle de La Fère.

Elle avait cet aspect sombre et mystérieux de nos forêts du Nord; mais cet aspect si imposant pour les natures méridionales, à qui, avant toute chose, il faut la lumière du jour, et la chaleur du soleil, était impuissant sur Remy et sur Diane, habitués aux bois profonds de l'Anjou et de la Sologne.

Seulement ils échangèrent un regard comme s'ils eussent compris tous deux que c'était là que les attendait cet événement qui, depuis le moment du départ, planait sur leurs têtes.

On entra dans la forêt.

Il pouvait être six heures du soir.

Au bout d'une demi-heure de marche, le jour était sur son déclin.

Un grand vent faisait tourbillonner les feuilles et les enlevait vers un étang immense, perdu dans les profondeurs des arbres, comme une autre mer Morte, et qui côtoyait la route qui s'étendait devant les voyageurs.

Depuis deux heures la pluie, qui tombait par torrents, avait détrempé le terrain argileux. Diane, assez sûre de son cheval, et d'ailleurs assez insouciante de sa propre sûreté, laissait aller son cheval sans le soutenir; Aurilly marchait à droite, Remy à gauche.

Aurilly était sur la lisière de l'étang, Remy sur le milieu du chemin.

Aucune créature humaine n'apparaissait sous les sombres arceaux de verdure, sur la longue courbe du chemin.

On eût dit que la forêt était un de ces bois enchantés sous l'ombre desquels rien ne peut vivre, si l'on n'eût entendu parfois sortir de ses profondeurs le rauque hurlement des loups que réveillait l'approche de la nuit.

Tout à coup Diane sentit que la selle de son cheval, sellé comme d'habitude par Aurilly, vacillait et tournait; elle appela Remy, qui sauta au bas du sien et se pencha pour resserrer la courroie.

En ce moment Aurilly s'approcha de Diane occupée, et du bout de son poignard coupa la ganse de soie qui retenait le masque.

 

Avant qu'elle eût deviné le mouvement ou porté la main à son visage, Aurilly enleva le masque et se pencha vers elle, qui de son côté se penchait vers lui.

Les yeux de ces deux créatures s'étreignirent dans un regard terrible; nul n'eût pu dire lequel était le plus pâle et lequel le plus menaçant.

Aurilly sentit une sueur froide inonder son front, laissa tomber le masque et le stylet, et frappa ses deux mains avec angoisse en criant:

— Ciel et terre!.. — La dame de Monsoreau!!!

— C'est un nom que tu ne répéteras plus!.. s'écria Remy en saisissant Aurilly à la ceinture et en l'enlevant de son cheval.

Tous deux roulèrent sur le chemin.

Aurilly allongea la main pour ressaisir son poignard.

— Non, Aurilly, non, lui dit Remy en se penchant sur lui et en lui appuyant le genou sur la poitrine, non, il faut demeurer ici.

Le dernier voile qui paraissait étendu sur le souvenir d'Aurilly sembla se déchirer.

— Le Haudoin! s'écria-t-il, je suis mort!

— Ce n'est pas encore vrai, dit Remy en étendant sa main gauche sur la bouche du misérable qui se débattait sous lui, mais tout à l'heure!

Et, de sa main droite, il tira son couteau de sa gaîne.

— Maintenant, dit-il, Aurilly, tu as raison, maintenant tu es bien mort.

Et l'acier disparut dans la gorge du musicien, qui poussa un râle inarticulé.

Diane, les yeux hagards, à demi-tournée sur sa selle, appuyée au pommeau, frémissante, mais impitoyable, n'avait point détourné la tête de ce terrible spectacle.

Cependant, lorsqu'elle vit le sang jaillir le long de la lame, elle se renversa en arrière, et tomba de son cheval, raide comme si elle était morte.

Remy ne s'occupa point d'elle en ce terrible moment; il fouilla Aurilly, lui enleva les deux rouleaux d'or, puis attacha une pierre au cou du cadavre et le précipita dans l'étang.

La pluie continuait de tomber à flots.

— Efface, ô mon Dieu! dit-il, efface la trace de ta justice, car elle a encore d'autres coupables à frapper.

Puis il se lava les mains dans l'eau sombre et dormante, prit dans ses bras Diane encore évanouie, la hissa sur son cheval, et monta lui-même sur le sien en soutenant sa compagne.

Le cheval d'Aurilly, effrayé par les hurlements des loups qui se rapprochaient, comme si cette scène les eût appelés, disparut dans les bois.

Lorsque Diane fut revenue à elle, les deux voyageurs, sans échanger une seule parole, continuèrent leur route vers Château-Thierry.

LXXVIII
COMMENT LE ROI HENRI III N'INVITA POINT CRILLON A DÉJEUNER, ET COMMENT CHICOT S'INVITA TOUT SEUL

Le lendemain du jour où les événements que nous venons de raconter s'étaient passés dans la forêt de la Fère, le roi de France sortait du bain à neuf heures du matin à peu près.

Son valet de chambre, après l'avoir roulé dans une couverture de fine laine, et l'avoir épongé avec deux nappes de cette épaisse ouate de Perse, qui ressemble à la toison d'une brebis, le valet de chambre avait fait place aux coiffeurs et aux habilleurs, qui, eux-mêmes, avaient fait place aux parfumeurs et aux courtisans.

Enfin, ces derniers partis, le roi avait mandé son maître-d'hôtel, en lui disant qu'il prendrait autre chose que son consommé ordinaire, attendu qu'il se sentait en appétit ce matin.

Cette bonne nouvelle, répandue à l'instant même dans le Louvre, y faisait naître une joie bien légitime, et le fumet des viandes commençait à s'exhaler des offices, lorsque Crillon, colonel des gardes françaises, on se le rappelle, entra chez Sa Majesté pour prendre ses ordres.

— Ma foi, mon bon Crillon, lui dit le roi, veille comme tu voudras ce matin au salut de ma personne; mais, pour Dieu! ne me force point à faire le roi; je suis tout béat et tout hilare aujourd'hui; il me semble que je ne pèse pas une once et que je vais m'envoler. J'ai faim, Crillon, comprends-tu cela, mon ami?

— Je le comprends d'autant mieux, sire, répondit le colonel des gardes françaises, que j'ai grand'faim moi-même.

— Oh! toi, Crillon, dit en riant le roi, tu as toujours faim.

— Pas toujours, sire; oh! non, Votre Majesté exagère, mais trois fois par jour; et Votre Majesté?

— Oh! moi, une fois par an, et encore quand j'ai reçu de bonnes nouvelles.

— Harnibieu! il paraît alors que vous avez reçu de bonnes nouvelles, sire? Tant mieux, tant mieux, car elles deviennent de plus en plus rares, à ce qu'il me semble.

— Pas la moindre, Crillon; mais tu sais le proverbe?

— Ah! oui: pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Je ne m'y fie pas aux proverbes, sire, et surtout à celui-là; il ne vous est rien venu du côté de la Navarre?

— Rien.

— Rien?

— Sans doute, preuve qu'on y dort.

— Et du côté de la Flandre?

— Rien.

— Rien? preuve qu'on s'y bat. Et du côté de Paris?

— Rien.

— Preuve qu'on y fait des complots.

— Ou des enfants, Crillon. A propos d'enfants, Crillon, je crois que je vais en avoir un.

— Vous, sire! s'écria Crillon, au comble de l'étonnement.

— Oui, la reine a rêvé cette nuit qu'elle était enceinte.

— Enfin, sire... dit Crillon.

— Eh bien! quoi?

— Cela me rend on ne peut plus joyeux de savoir que Votre Majesté avait faim de si grand matin. Adieu, sire.

— Va, mon bon Crillon, va.

— Harnibieu! sire, fit Crillon, puisque Votre Majesté a si grand'faim, elle devrait bien m'inviter à déjeuner.

— Pourquoi cela, Crillon?

— Parce qu'on dit que Votre Majesté vit de l'air du temps, ce qui la fait maigrir, attendu que l'air est mauvais, et que j'aurais été enchanté de pouvoir dire: Harnibieu! ce sont pures calomnies, le roi mange comme tout le monde.

— Non, Crillon, non, au contraire, laisse croire ce qu'on croit; cela me fait rougir de manger comme un simple mortel, devant mes sujets. Ainsi, Crillon, comprends bien ceci: un roi doit toujours rester poétique, et ne se jamais montrer que noblement. Ainsi, voyons, un exemple.

— J'écoute, sire.

— Rappelle-toi le roi Alexander.

— Quel roi Alexander?

— Alexander Magnus. Ah! tu ne sais pas le latin, c'est vrai. Eh bien! Alexandre aimait à se baigner devant ses soldats, parce qu'Alexandre était beau, bien fait et suffisamment dodu, ce qui fait qu'on le comparait à l'Apollon, et même à l'Antinous.

— Oh! oh! sire, fit Crillon, vous auriez diablement tort de faire comme lui et de vous baigner devant les vôtres, car vous êtes bien maigre, mon pauvre sire.

— Brave Crillon, va, dit Henri en lui frappant sur l'épaule, tu es un bien excellent brutal, tu ne me flattes pas, toi; tu n'es pas courtisan, mon vieil ami.

— C'est qu'aussi vous ne m'invitez pas à déjeuner, reprit Crillon en riant avec bonhomie et en prenant congé du roi, plutôt content que mécontent, car la tape sur l'épaule avait fait balance au déjeuner absent.

Crillon parti, la table fut dressée aussitôt.

Le maître-d'hôtel royal s'était surpassé. Une certaine bisque de perdreaux avec une purée de truffes et de marrons attira tout d'abord l'attention du roi, que de belles huîtres avaient déjà tenté.

Aussi le consommé habituel, ce fidèle réconfortant du monarque, fut-il négligé; il ouvrait en vain ses grands yeux dans son écuelle d'or; ses yeux mendiants, comme eût dit Théophile, n'obtinrent absolument rien de Sa Majesté.

Le roi commença l'attaque sur sa bisque de perdreaux.

Il en était à sa quatrième bouchée, lorsqu'un pas léger effleura le parquet derrière lui, une chaise grinça sur ses roulettes, et une voix bien connue demanda aigrement:

— Un couvert!

Le roi se retourna.

— Chicot! s'écria-t-il.

— En personne.

Et Chicot, reprenant ses habitudes, qu'aucune absence ne lui pouvait faire perdre, Chicot s'étendit dans sa chaise, prit une assiette, une fourchette, et sur le plat d'huîtres commença, en les arrosant de citron, à prélever les plus grosses et les plus grasses, sans ajouter un seul mot.

— Toi ici! toi revenu! s'écria Henri.

— Chut! lui fit de la main Chicot, la bouche pleine.

Et il profita de cette exclamation du roi pour attirer à lui les perdreaux.

— Halte-là, Chicot, c'est mon plat! s'écria Henri en allongeant la main pour retenir la bisque.

Chicot partagea fraternellement avec son prince et lui en rendit la moitié.

Puis il se versa du vin, passa de la bisque à un pâté de thon, du thon à des écrevisses farcies, avala par manière d'acquit, et par-dessus le tout, le consommé royal; puis, poussant un grand soupir:

— Je n'ai plus faim, dit-il.

— Par la mordieu! je l'espère bien, Chicot.

— Ah!.. bonjour, mon roi, comment vas-tu? Je te trouve un petit air tout guilleret ce matin.

— N'est-ce pas, Chicot?

— De charmantes petites couleurs.

— Hein?

— Est-ce à toi?

— Parbleu!

— Alors, je t'en fais mon compliment.

— Le fait est que je me sens on ne peut plus dispos ce matin.

— Tant mieux, mon roi, tant mieux.

Ah ça! mais ton déjeuner ne finissait point là, et il te restait bien encore quelques petites friandises?

— Voici des cerises confites par les dames de Montmartre.

— Elles sont trop sucrées.

— Des noix farcies de raisin de Corinthe.

— Fi! on a laissé les pépins dans les raisins.

— Tu n'es content de rien.

— C'est que, parole d'honneur, tout dégénère, même la cuisine, et qu'on vit de plus en plus mal à la cour.

— Vivrait-on mieux à celle du roi de Navarre? demanda Henri en riant.

— Eh! eh!.. je ne dis pas non.

— Alors, c'est qu'il s'y est fait de grands changements.

— Ah! quant à cela, tu ne crois pas si bien dire, Henriquet.

— Parle-moi un peu de ton voyage, alors; cela me distraira.

— Très volontiers, je ne suis venu que pour cela. Par où veux-tu que je commence?

— Par le commencement. Comment as-tu fait la route?

— Oh! une véritable promenade.

— Tu n'as pas eu de désagréments par les chemins?

— Moi, j'ai fait un voyage de fée.

— Pas de mauvaises rencontres?

— Allons donc! est-ce qu'on se permettrait de regarder de travers un ambassadeur de Sa Majesté très chrétienne? Tu calomnies tes sujets, mon fils.

— Je disais cela, reprit le roi, flatté de la tranquillité qui régnait dans son royaume, parce que n'ayant point de caractère officiel, ni même apparent, tu pouvais risquer.

— Je te dis, Henriquet, que tu as le plus charmant royaume du monde; les voyageurs y sont nourris gratis, on les y héberge pour l'amour de Dieu, ils n'y marchent que sur des fleurs, et, quant aux ornières, elles sont tapissées de velours à franges d'or; c'est incroyable, mais cela est.

— Enfin, tu es content, Chicot?

— Enchanté.

— Oui, oui, ma police est bien faite.

— A merveille! c'est une justice à lui rendre.

— Et la route est sûre?

— Comme celle du paradis: on n'y rencontre que de petits anges qui passent en chantant les louanges du roi.

— Chicot, nous en revenons à Virgile.

— A quel endroit de Virgile?

— Aux Bucoliques. O fortunatos nimium!

— Ah! très bien, et pourquoi cette exception en faveur des laboureurs, mon fils?

— Hélas! parce qu'il n'en est pas de même dans les villes.

— Le fait est, Henri, que les villes sont un centre de corruption.

— Juges-en: tu fais cinq cents lieues sans encombre.

— Je te le dis, sur des roulettes.

— Moi, je vais seulement à Vincennes, trois quarts de lieue...

— Eh bien?

— Eh bien! je manque d'être assassiné sur la route.

— Ah bah! fit Chicot.

— Je te conterai cela, mon ami, je suis en train d'en faire imprimer la relation circonstanciée; sans mes quarante-cinq, j'étais mort.

— Vraiment! et où la chose s'est-elle passée?

— Tu veux demander où elle devait se passer?

— Oui.

— A Bel-Esbat.

 

— Près du couvent de notre ami Gorenflot?

— Justement.

— Et comment s'est-il conduit dans cette circonstance, notre ami?

— A merveille, comme toujours, Chicot; je ne sais si de son côté il avait entendu parler de quelque chose, mais, au lieu de ronfler comme font à cette heure tous mes fainéants de moines, il était debout sur son balcon, tandis que tout son couvent tenait la route.

— Et il n'a rien fait autre chose?

— Qui?

— Dom Modeste.

— Il m'a béni avec une majesté qui n'appartient qu'à lui, Chicot.

— Et ses moines?

— Ils ont crié vive le roi! à tue-tête.

— Et tu ne t'es pas aperçu d'autre chose?

— De quelle chose?

— C'est qu'ils portassent une arme quelconque sous leur robe.

— Ils étaient armés de toutes pièces, Chicot; voilà où je reconnais la prévoyance du digne prieur; voilà où je me dis: Cet homme savait tout, et cependant cet homme n'a rien dit, rien demandé; il n'est pas venu le lendemain, comme d'Épernon, fouiller dans toutes mes poches, en me disant: Sire, pour avoir sauvé le roi.

— Oh! quant à cela, il en était incapable; d'ailleurs ses mains n'y entreraient pas, dans tes poches.

— Chicot, pas de plaisanteries sur dom Modeste, c'est un des plus grands hommes qui illustreront mon règne, et je te déclare qu'à la première occasion je lui fais donner un évêché.

— Et tu feras très bien, mon roi.

— Remarque une chose, Chicot, dit le roi en prenant son air profond, lorsqu'ils sortent des rangs du peuple les gens d'élite sont complets; nous autres gentilshommes, vois-tu, nous prenons dans notre sang certaines vertus et certains vices de race, qui nous font des spécialités historiques. Ainsi, les Valois sont fins et subtils, braves, mais paresseux; les Lorrains sont ambitieux et avares avec des idées, de l'intrigue, du mouvement; les Bourbons sont sensuels et circonspects, mais sans idée, sans force, sans volonté; vois plutôt Henri. Lorsque la nature, au contraire, pétrit de prime saut un homme né de rien, elle n'emploie que sa plus fine argile; ainsi ton Gorenflot est complet.

— Tu trouves?

— Oui, savant, modeste, rusé, brave; on fera de lui tout ce qu'on voudra, un ministre, un général d'armée, un pape.

— Là, là! sire, arrêtez-vous, dit Chicot: si le brave homme vous entendait, il crèverait dans sa peau, car il est fort orgueilleux, quoi que tu en dises, le prieur dom Modeste.

— Tu es jaloux, Chicot!

— Moi, Dieu m'en garde: la jalousie! fi, la vilaine passion.

— Oh! c'est que je suis juste, moi, la noblesse du sang ne m'aveugle point, stemmata quid faciunt?

— Bravo! Et tu disais donc, mon roi, que tu avais failli être assassiné?

— Oui.

— Par qui?

— Par la Ligue, mordieu!

— Comment se porte-t-elle, la Ligue?

— Toujours de même.

— Ce qui veut dire de mieux en mieux; elle engraisse, Henriquet, elle engraisse.

— Oh! oh! les corps politiques ne vivent point, qui s'en graissent trop jeunes; c'est comme les enfants, Chicot.

— Ainsi, tu es content, mon fils?

— A peu près.

— Tu te trouves en paradis?

— Oui, Chicot, et ce m'est une grande joie de te voir arriver au milieu de ma joie, et j'y entrevois un surcroît de joie.

— Habemus consulem facetum, comme disait Caton.

— Tu apportes de bonnes nouvelles, n'est-ce pas, mon enfant?

— Je crois bien.

— Et tu me fais languir, friand que tu es.

— Par où veux-tu que je commence, mon roi?

— Je te l'ai déjà dit, par le commencement; mais tu divagues toujours.

— Dois-je prendre à partir de mon départ?

— Non, le voyage a été excellent, tu me l'as dit, n'est-ce pas?

— Tu vois bien que je reviens entier, ce me semble.

— Oui, voyons donc l'arrivée en Navarre.

— J'y suis.

— Que faisait Henri, quand tu es arrivé?

— L'amour.

— Avec Margot?

— Oh! non.

— Cela m'eût étonné; il est donc toujours infidèle à sa femme? le scélérat; infidèle à une fille de France! Heureusement qu'elle le lui rend. Et lorsque tu es arrivé, quel était le nom de la rivale de Margot?

— Fosseuse.

— Une Montmorency! Allons, ce n'est pas mal pour cet ours du Béarn. On parlait ici d'une paysanne, d'une jardinière, d'une bourgeoise.

— Oh! c'est vieux tout cela.

— Ainsi, Margot est trompée?

— Autant que femme peut l'être.

— Et elle est furieuse?

— Enragée.

— Et elle se venge?

— Je le crois bien.

Henri se frotta les mains avec une joie sans pareille.

— Que va-t-elle faire? s'écria t-il en riant; va-t-elle remuer ciel et terre, jeter Espagne sur Navarre, Artois et Flandre sur Espagne? va-t-elle un peu appeler son petit frère Henriquet contre son petit mari Henriot, heim?

— C'est possible.

— Tu l'as vue?

— Oui.

— Et au moment où tu l'as quittée, que faisait-elle?

— Oh! cela, tu ne devinerais jamais.

— Elle se préparait à prendre un autre amant?

— Elle se préparait à être sage-femme.

— Comment! que signifie cette phrase, ou plutôt cette inversion anti- française? Il y a équivoque, Chicot, gare à l'équivoque!

— Non pas, mon roi, non pas. Peste! nous sommes un peu trop grammairien pour faire des équivoques, trop délicat pour faire des coq-à-l'âne, et trop véridique pour avoir jamais voulu dire femme sage! Non, non, mon roi; c'est bien sage-femme que j'ai dit.

— Obstetrix?

— Obstetrix, oui, mon roi; Juno Lucina, si tu aimes mieux.

— Monsieur Chicot!

— Oh! roule tes yeux tant que tu voudras; je te dis que ta soeur Margot était en train de faire un accouchement quand je suis parti de Nérac.

— Pour son compte! s'écria Henri en pâlissant, Margot aurait des enfants?

— Non, non, pour le compte de son mari; tu sais bien que les derniers Valois n'ont pas la vertu prolifique; ce n'est point comme les Bourbons, peste!

— Ainsi Margot accouche, verbe actif.

— Tout ce qu'il y a de plus actif.

— Qui accouche-t-elle?

— Mademoiselle Fosseuse.

— Ma foi, je n'y comprends rien, dit le roi.

— Ni moi non plus, dit Chicot; mais je ne me suis pas engagé à te faire comprendre; je me suis engagé à te dire ce qui est, voilà tout.

— Mais ce n'est peut-être qu'à son corps défendant qu'elle a consenti à cette humiliation?

— Certainement, il y a eu lutte; mais du moment où il y a eu lutte, il y a eu infériorité de part ou d'autre; vois Hercule avec Antée, vois Jacob avec l'ange, eh bien! ta soeur a été moins forte que Henri, voilà tout.

— Mordieu! j'en suis aise, en vérité.

— Mauvais frère.

— Ils doivent s'exécrer alors?

— Je crois qu'au fond ils ne s'adorent pas.

— Mais en apparence?

— Ils sont les meilleurs amis du monde, Henri.

— Oui; mais un beau matin viendra quelque nouvel amour qui les brouillera tout à fait.

— Eh bien! ce nouvel amour est venu, Henri.

— Bah!

— Oui, d'honneur; mais veux-tu que je te dise la peur que j'ai?

— Dis.

— J'ai peur que ce nouvel amour, au lieu de les brouiller, ne les raccommode.

— Ainsi, il y a un nouvel amour?

— Eh! mon Dieu, oui.

— Du Béarnais?

— Du Béarnais.

— Pour qui?

— Attends donc; tu veux tout savoir, n'est-ce pas?

— Oui, raconte, Chicot, raconte; tu racontes très bien.

— Merci, mon fils; alors, si tu veux tout savoir, il faut que je remonte au commencement.

— Remonte, mais dis vite.

— Tu avais écrit une lettre au féroce Béarnais?

— Comment sais-tu cela?

— Parbleu! je l'ai lue.

— Qu'en dis-tu?

— Que si ce n'était pas délicat de procédé, c'était au moins astucieux de langage.

— Elle devait les brouiller.

— Oui, si Henri et Margot eussent été des conjoints ordinaires, des époux bourgeois.

— Que veux-tu dire?

— Je veux dire que le Béarnais n'est point une bête.

— Oh!

— Et qu'il a deviné.

— Deviné quoi?

— Que tu voulais le brouiller avec sa femme.

— C'était clair, cela.

— Oui, mais ce qui l'était moins, c'était le but dans lequel tu voulais les brouiller.

— Ah! diable! le but.

— Oui, ce damné Béarnais ne s'est-il pas avisé de croire que tu n'avais d'autre but, en le brouillant avec sa femme, que de ne pas payer à ta soeur la dot que tu lui dois!

— Ouais!

— Mon Dieu, oui, voilà ce que ce Béarnais du diable s'est logé dans l'esprit.

— Continue, Chicot, continue, dit le roi devenu sombre; après?

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