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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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Chapitre CXIX – Où Madame acquiert la preuve que l'on peut, en écoutant, entendre ce qui se dit

Il se fit un instant de silence comme si tous les bruits mystérieux de la nuit s'étaient tus pour écouter en même temps que Madame cette juvénile et amoureuse confidence. C'était à Raoul de parler. Il s'appuya paresseusement au tronc du grand chêne et répondit de sa voix douce et harmonieuse:

– Hélas! mon cher de Guiche, c'est un grand malheur.

– Oh! oui, s'écria celui-ci, bien grand!

– Vous ne m'entendez pas, de Guiche, ou plutôt vous ne me comprenez pas. Je dis qu'il vous arrive un grand malheur, non pas d'aimer, mais de ne savoir point cacher votre amour.

– Comment cela? s'écria de Guiche.

– Oui, vous ne vous apercevez point d'une chose, c'est que maintenant ce n'est plus à votre seul ami, c'est-à-dire à un homme qui se ferait tuer plutôt que de vous trahir; vous ne vous apercevez point, dis-je, que ce n'est plus à votre seul ami que vous faites confidence de vos amours, mais au premier venu.

– Au premier venu! s'écria de Guiche; êtes-vous fou, Bragelonne, de me dire de pareilles choses?

– Il en est ainsi.

– Impossible! Comment et de quelle façon serais-je donc devenu indiscret à ce point?

– Je veux dire, mon ami, que vos yeux, vos gestes, vos soupirs parlent malgré vous; que toute passion exagérée conduit et entraîne l'homme hors de lui-même. Alors cet homme ne s'appartient plus; il est en proie à une folie qui lui fait raconter sa peine aux arbres, aux chevaux, à l'air, du moment où il n'a aucun être intelligent à la portée de sa voix. Or, mon pauvre ami, rappelez- vous ceci: qu'il est bien rare qu'il n'y ait pas toujours là quelqu'un pour entendre particulièrement les choses qui ne doivent pas être entendues.

De Guiche poussa un profond soupir.

– Tenez, continua Bragelonne, en ce moment vous me faites peine; depuis votre retour ici, vous avez cent fois et de cent manières différentes raconté votre amour pour elle; et cependant, n'eussiez-vous rien dit, votre retour seul était déjà une indiscrétion terrible. J'en reviens donc à conclure ceci: que, si vous ne vous observez mieux que vous ne le faites, un jour ou l'autre arrivera qui amènera une explosion. Qui vous sauvera alors? Dites, répondez-moi. Qui la sauvera elle-même? Car, toute innocente qu'elle sera de votre amour, votre amour sera aux mains de ses ennemis une accusation contre elle.

– Hélas! mon Dieu! murmura de Guiche.

Et un profond soupir accompagna ces paroles.

– Ce n'est point répondre, cela, de Guiche.

– Si fait.

– Eh bien! voyons, que répondez-vous?

– Je réponds que, ce jour-là, mon ami, je ne serai pas plus mort que je ne le suis aujourd'hui.

– Je ne comprends pas.

– Oui; tant d'alternatives m'ont usé! Aujourd'hui, je ne suis plus un être pensant, agissant; aujourd'hui, je ne vaux plus un homme, si médiocre qu'il soit; aussi, vois-tu, aujourd'hui mes dernières forces se sont éteintes, mes dernières résolutions se sont évanouies, et je renonce à lutter. Quand on est au camp, comme nous y avons été ensemble, et qu'on part seul pour escarmoucher, parfois on rencontre un parti de cinq ou six fourrageurs, et, quoique seul, on se défend; alors, il en survient six autres, on s'irrite et l'on persévère; mais, s'il en arrive encore, six, huit, dix autres à la traverse, on se met à piquer son cheval, si l'on a encore un cheval, ou bien on se fait tuer pour ne pas fuir. Eh bien! j'en suis là: j'ai d'abord lutté contre moi-même; puis contre Buckingham. Maintenant, le roi est venu; je ne lutterai pas contre le roi, ni même, je me hâte de te le dire, le roi se retirât-il, ni même contre le caractère tout seul de cette femme. Oh! je ne m'abuse point: entré au service de cet amour, je m'y ferai tuer.

– Ce n'est point à elle qu'il faut faire des reproches, répondit

Raoul, c'est à toi.

– Pourquoi cela?

– Comment, tu connais la princesse un peu légère, fort éprise de nouveauté, sensible à la louange, dût la louange lui venir d'un aveugle ou d'un enfant, et tu prends feu au point de te consumer toi-même? Regarde la femme, aime-la; car quiconque n'a pas le coeur pris ailleurs ne peut la voir sans l'aimer. Mais, tout en l'aimant, respecte en elle, d'abord, le rang de son mari, puis lui-même, puis, enfin, ta propre sûreté.

– Merci, Raoul.

– Et de quoi?

– De ce que, voyant que je souffre par cette femme, tu me consoles, de ce que tu me dis d'elle tout le bien que tu en penses et peut-être même celui que tu ne penses pas.

– Oh! fit Raoul, tu te trompes, de Guiche, ce que je pense je ne le dis pas toujours, et alors je ne dis rien; mais, quand je parle, je ne sais ni feindre ni tromper, et qui m'écoute peut me croire.

Pendant ce temps, Madame, le cou tendu, l'oreille avide, l'oeil dilaté et cherchant à voir dans l'obscurité, pendant ce temps, Madame aspirait avidement jusqu'au moindre souffle qui bruissait dans les branches.

– Oh! je la connais mieux que toi, alors! s'écria de Guiche. Elle n'est pas légère, elle est frivole; elle n'est pas éprise de nouveauté, elle est sans mémoire et sans foi; elle n'est pas purement et simplement sensible aux louanges, mais elle est coquette avec raffinement et cruauté. Mortellement coquette! oh! oui, je le sais. Tiens, crois-moi, Bragelonne, je souffre tous les tourments de l'enfer; brave, aimant passionnément le danger, je trouve un danger plus grand que ma force et mon courage. Mais, vois-tu, Raoul, je me réserve une victoire qui lui coûtera bien des larmes.

Raoul regarda son ami, et, comme celui-ci, presque étouffé par l'émotion, renversait sa tête contre le tronc du chêne:

– Une victoire! demanda-t-il, et laquelle?

– Laquelle?

– Oui.

– Un jour, je l'aborderai; un jour, je lui dirai: «J'étais jeune, j'étais fou d'amour; j'avais pourtant assez de respect pour tomber à vos pieds et y demeurer le front dans la poussière si vos regards ne m'eussent relevé jusqu'à votre main. Je crus comprendre vos regards, je me relevai, et, alors, sans que je vous eusse rien fait que vous aimer davantage encore, si c'était possible, alors vous m'avez, de gaieté de coeur, terrassé par un caprice, femme sans coeur, femme sans foi, femme sans amour! Vous n'êtes pas digne, toute princesse de sang royal que vous êtes, vous n'êtes pas digne de l'amour d'un honnête homme; et je me punis de mort pour vous avoir trop aimée, et je meurs en vous haïssant.»

– Oh! s'écria Raoul épouvanté de l'accent de profonde vérité qui perçait dans les paroles du jeune homme, oh! je te l'avais bien dit, de Guiche, que tu étais un fou.

– Oui, oui, s'écria de Guiche poursuivant son idée, puisque nous n'avons plus de guerres ici, j'irai là-bas, dans le Nord, demander du service à l'Empire, et quelque Hongrois, quelque Croate, quelque Turc me fera bien la charité d'une balle.

De Guiche n'acheva point, ou plutôt, comme il achevait, un bruit le fit tressaillir qui mit sur pied Raoul au même moment.

Quant à de Guiche, absorbé dans sa parole et dans sa pensée, il resta assis, la tête comprimée entre ses deux mains.

Les buissons s'ouvrirent, et une femme apparut devant les deux jeunes gens, pâle, en désordre. D'une main, elle écartait les branches qui eussent fouetté son visage, et, de l'autre, elle relevait le capuchon de la mante dont ses épaules étaient couvertes.

À cet oeil humide et flamboyant, à cette démarche royale, à la hauteur de ce geste souverain, et, bien plus encore qu'à tout cela, au battement de son coeur, de Guiche reconnut Madame, et, poussant un cri, il ramena ses mains de ses tempes sur ses yeux.

Raoul, tremblant, décontenancé, roulait son chapeau dans ses mains, balbutiant quelques vagues formules de respect.

– Monsieur de Bragelonne, dit la princesse, veuillez, je vous prie, voir si mes femmes ne sont point quelque part là-bas dans les allées ou dans les quinconces. Et vous, monsieur le comte, demeurez, je suis lasse, vous me donnerez votre bras.

La foudre tombant aux pieds du malheureux jeune homme l'eût moins épouvanté que cette froide et sévère parole.

Néanmoins, comme, ainsi qu'il venait de le dire, il était brave, comme il venait, au fond du coeur, de prendre toutes ses résolutions, de Guiche se redressa, et, voyant l'hésitation de Bragelonne, lui adressa un coup d'oeil plein de résignation et de suprême remerciement.

Au lieu de répondre à l'instant même à Madame, il fit un pas vers le vicomte, et, lui tendant la main que la princesse lui avait demandée, il serra la main toute loyale de son ami avec un soupir, dans lequel il semblait donner à l'amitié tout ce qui restait de vie au fond de son coeur.

Madame attendit, elle si fière, elle qui ne savait pas attendre,

Madame attendit que ce colloque muet fût achevé.

Sa main, sa royale main demeura suspendue en l'air, et, quand Raoul fut parti, retomba sans colère, mais non sans émotion, dans celle de Guiche.

Ils étaient seuls au milieu de la forêt sombre et muette, et l'on n'entendait plus que le pas de Raoul s'éloignant avec précipitation par les sentiers ombreux.

Sur leur tête s'étendait la voûte épaisse et odorante du feuillage de la forêt, par les déchirures duquel on voyait briller çà et là quelques étoiles.

Madame entraîna doucement de Guiche à une centaine de pas de cet arbre indiscret qui avait entendu et laissé entendre tant de choses dans cette soirée, et, le conduisant à une clairière voisine qui permettait de voir à une certaine distance autour de soi:

– Je vous amène ici, dit-elle toute frémissante, parce que là-bas où nous étions, toute parole s'entend.

– Toute parole s'entend, dites-vous, madame? répéta machinalement le jeune homme.

– Oui.

– Ce qui veut dire? murmura de Guiche.

– Ce qui veut dire que j'ai entendu toutes vos paroles.

 

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! il me manquait encore cela! balbutia de Guiche.

Et il baissa la tête comme fait le nageur fatigué sous le flot qui l'engloutit.

– Alors, dit-elle, vous me jugez comme vous avez dit?

De Guiche pâlit, détourna la tête et ne répondit rien; il se sentait près de s'évanouir.

– C'est fort bien, continua la princesse d'un son de voix plein de douceur; j'aime mieux cette franchise qui doit me blesser qu'une flatterie qui me tromperait. Soit! selon vous, monsieur de Guiche, je suis donc coquette et vile.

– Vile! s'écria le jeune homme, vile, vous? Oh! je n'ai certes pas dit, je n'ai certes pas pu dire que ce qu'il y a au monde de plus précieux pour moi fût une chose vile; non, non, je n'ai pas dit cela.

– Une femme qui voit périr un homme consumé du feu qu'elle a allumé et qui n'éteint pas ce feu est, à mon avis, une femme vile.

– Oh! que vous importe ce que j'ai dit? reprit le comte. Que suis-je, mon Dieu! près de vous, et comment vous inquiétez-vous même si j'existe ou si je n'existe pas?

– Monsieur de Guiche, vous êtes un homme comme je suis une femme, et, vous connaissant ainsi que je vous connais, je ne veux point vous exposer à mourir; je change avec vous de conduite et de caractère. Je serai, non pas franche, je le suis toujours, mais vraie. Je vous supplie donc, monsieur le comte, de ne plus m'aimer et d'oublier tout à fait que je vous aie jamais adressé une parole ou un regard.

De Guiche se retourna, couvrant Madame d'un regard passionné.

– Vous, dit-il, vous vous excusez; vous me suppliez, vous!

– Oui, sans doute; puisque j'ai fait le mal, je dois réparer le mal. Ainsi, monsieur le comte, voilà qui est convenu. Vous me pardonnerez ma frivolité, ma coquetterie. Ne m'interrompez pas. Je vous pardonnerai, moi, d'avoir dit que j'étais frivole et coquette, quelque chose de pis, peut-être; et vous renoncerez à votre idée de mort, et vous conserverez à votre famille, au roi et aux dames un cavalier que tout le monde estime et que beaucoup chérissent.

Et Madame prononça ce dernier mot avec un tel accent de franchise et même de tendresse, que le coeur du jeune homme sembla prêt à s'élancer de sa poitrine.

– Oh! madame, madame!.. balbutia-t-il.

– Écoutez encore, continua-t-elle. Quand vous aurez renoncé à moi, par nécessité d'abord, puis pour vous rendre à ma prière, alors vous me jugerez mieux, et, j'en suis sûre, vous remplacerez cet amour, pardon de cette folie, par une sincère amitié que vous viendrez m'offrir, et qui, je vous le jure, sera cordialement acceptée.

De Guiche, la sueur au front, la mort au coeur, le frisson dans les veines, se mordait les lèvres, frappait du pied, dévorait, en un mot, toutes ses douleurs.

– Madame, dit-il, ce que vous m'offrez là est impossible et je n'accepte point un pareil marché.

– Eh quoi! dit Madame, vous refusez mon amitié?..

– Non! non! pas d'amitié, madame, j'aime mieux mourir d'amour que vivre d'amitié.

– Monsieur le comte!

– Oh! madame, s'écria de Guiche, j'en suis arrivé à ce moment suprême où il n'y a plus d'autre considération, d'autre respect que la considération et le respect d'un honnête homme envers une femme adorée. Chassez-moi, maudissez-moi, dénoncez-moi, vous serez juste; je me suis plaint de vous, mais je ne m'en suis plaint si amèrement que parce que je vous aime; je vous ai dit que je mourrai, je mourrai; vivant, vous m'oublierez; mort, vous ne m'oublierez point, j'en suis sûr.

Et cependant, elle, qui se tenait debout et toute rêveuse, aussi agitée que le jeune homme, détourna un moment la tête, comme un instant auparavant il venait de la détourner lui-même.

Puis après un silence:

– Vous m'aimez donc bien? demanda-t-elle.

– Oh! follement. Au point d'en mourir, comme vous le disiez. Au point d'en mourir, soit que vous me chassiez, soit que vous m'écoutiez encore.

– Alors, c'est un mal sans espoir, dit-elle d'un air enjoué, un mal qu'il convient de traiter par les adoucissants. Là! donnez-moi votre main… Elle est glacée!

De Guiche s'agenouilla, collant sa bouche, non pas sur l'une, mais sur les deux mains brûlantes de Madame.

– Allons, aimez-moi donc, dit la princesse, puisqu'il n'en saurait être autrement.

Et elle lui serra les doigts presque imperceptiblement, le relevant ainsi, moitié comme eût fait une reine, et moitié comme eût fait une amante.

De Guiche frissonna par tout le corps.

Madame sentit courir ce frisson dans les veines du jeune homme, et comprit que celui-là aimait véritablement.

– Votre bras, comte, dit-elle, et rentrons.

– Ah! madame, lui dit le comte chancelant, ébloui, un nuage de flamme sur les yeux. Ah! vous avez trouvé un troisième moyen de me tuer.

– Heureusement que c'est le plus long, n'est-ce pas? répliqua-t- elle.

Et elle l'entraîna vers le quinconce.

Chapitre CXX – La correspondance d'Aramis

Tandis que les affaires de de Guiche, raccommodées ainsi tout à coup sans qu'il pût deviner la cause de cette amélioration, prenaient cette tournure inespérée que nous leur avons vu prendre, Raoul, ayant compris l'invitation de Madame, s'était éloigné pour ne pas troubler cette explication dont il était loin de deviner les résultats, et il avait rejoint les dames d'honneur éparses dans le parterre.

Pendant ce temps, le chevalier de Lorraine, remonté dans sa chambre, lisait avec surprise la lettre de de Wardes, laquelle lui racontait ou plutôt lui faisait raconter, par la main de son valet de chambre, le coup d'épée reçu à Calais et tous les détails de cette aventure avec invitation d'en communiquer à de Guiche et à Monsieur ce qui, dans cet événement, pouvait être particulièrement désagréable à chacun d'eux.

De Wardes s'attachait surtout à démontrer au chevalier la violence de cet amour de Buckingham pour Madame, et il terminait sa lettre en annonçant qu'il croyait cette passion payée de retour.

À la lecture de ce dernier paragraphe, le chevalier haussa les épaules; en effet, de Wardes était fort arriéré, comme on a pu le voir.

De Wardes n'en était encore qu'à Buckingham.

Le chevalier jeta par-dessus son épaule le papier sur une table voisine, et, d'un ton dédaigneux:

– En vérité, dit-il, c'est incroyable; ce pauvre de Wardes est pourtant un garçon d'esprit; mais, en vérité, il n'y paraît pas, tant on s'encroûte en province. Que le diable emporte ce benêt, qui devait m'écrire des choses importantes et qui m'écrit de pareilles niaiseries! Au lieu de cette pauvreté de lettre qui ne signifie rien, j'eusse trouvé là-bas, dans les quinconces, une bonne petite intrigue qui eût compromis une femme, valu peut-être un coup d'épée à un homme et diverti Monsieur pendant trois jours.

Il regarda sa montre.

– Maintenant, fit-il, il est trop tard. Une heure du matin: tout le monde doit être rentré chez le roi, où l'on achève la nuit; allons, c'est une piste perdue, et à moins de chance extraordinaire…

Et, en disant ces mots, comme pour en appeler à sa bonne étoile, le chevalier s'approcha avec dépit de la fenêtre qui donnait sur une portion assez solitaire du jardin.

Aussitôt, et comme si un mauvais génie eût été à ses ordres, il aperçut, revenant vers le château en compagnie d'un homme, une mante de soie de couleur sombre, et reconnut cette tournure qui l'avait frappé une demi-heure auparavant.

«Eh! mon Dieu! pensa-t-il en frappant des mains, Dieu me damne! comme dit notre ami Buckingham, voici mon mystère.»

Et il s'élança précipitamment à travers les degrés dans l'espérance d'arriver à temps dans la cour pour reconnaître la femme à la mante et son compagnon.

Mais, en arrivant à la porte de la petite cour, il se heurta presque avec Madame, dont le visage radieux apparaissait plein de révélations charmantes sous cette mante qui l'abritait sans la cacher. Malheureusement, Madame était seule.

Le chevalier comprit que, puisqu'il l'avait vue, il n'y avait pas cinq minutes, avec un gentilhomme, le gentilhomme ne devait pas être bien loin.

En conséquence, il prit à peine le temps de saluer la princesse, tout en se rangeant pour la laisser passer; puis, lorsqu'elle eut fait quelques pas avec la rapidité d'une femme qui craint d'être reconnue, lorsque le chevalier vit qu'elle était trop préoccupée d'elle-même pour s'inquiéter de lui, il s'élança dans le jardin, regardant rapidement de tous côtés et embrassant le plus d'horizon qu'il pouvait dans son regard.

Il arrivait à temps: le gentilhomme qui avait accompagné Madame était encore à portée de la vue; seulement, il s'avançait rapidement vers une des ailes du château derrière laquelle il allait disparaître.

Il n'y avait pas une minute à perdre; le chevalier s'élança à sa poursuite, quitte à ralentir le pas en s'approchant de l'inconnu; mais, quelque diligence qu'il fit, l'inconnu avait tourné le perron avant lui.

Cependant, il était évident que comme celui que le chevalier poursuivait marchait doucement, tout pensif, et la tête inclinée sous le poids du chagrin ou du bonheur, une fois l'angle tourné, à moins qu'il ne fût entré par quelque porte, le chevalier ne pouvait manquer de le rejoindre.

C'est ce qui fût certainement arrivé si, au moment où il tournait cet angle, le chevalier ne se fût jeté dans deux personnes qui le tournaient elles-mêmes dans le sens opposé.

Le chevalier était tout prêt à faire un assez mauvais parti à ces deux fâcheux, lorsqu'en relevant la tête il reconnut M. le surintendant.

Fouquet était accompagné d'une personne que le chevalier voyait pour la première fois.

Cette personne, c'était Sa Grandeur l'évêque de Vannes.

Arrêté par l'importance du personnage, et forcé par les convenances à faire des excuses là où il s'attendait à en recevoir, le chevalier fit un pas en arrière; et comme M. Fouquet avait sinon l'amitié, du moins les respects de tout le monde, comme le roi lui-même, quoiqu'il fût plutôt son ennemi que son ami, traitait M. Fouquet en homme considérable, le chevalier fit ce que le roi eût fait, il salua M. Fouquet, qui le saluait avec une bienveillante politesse, voyant que ce gentilhomme l'avait heurté par mégarde et sans mauvaise intention aucune.

Puis, presque aussitôt, ayant reconnu le chevalier de Lorraine, il lui fit quelques compliments auxquels force fut au chevalier de répondre.

Si court que fût ce dialogue, le chevalier de Lorraine vit peu à peu avec un déplaisir mortel son inconnu diminuer et s'effacer dans l'ombre.

Le chevalier se résigna, et, une fois résigné, revint complètement à M. Fouquet.

– Ah! monsieur, dit-il, vous arrivez bien tard. On s'est fort occupé ici de votre absence, et j'ai entendu Monsieur s'étonner de ce qu'ayant été invité par le roi, vous n'étiez pas venu.

– La chose m'a été impossible, monsieur, et, aussitôt libre, j'arrive.

– Paris est tranquille?

– Parfaitement. Paris a fort bien reçu sa dernière taxe.

– Ah! je comprends que vous ayez voulu vous assurer de ce bon vouloir avant de venir prendre part à nos fêtes.

– Je n'en arrive pas moins un peu tard. Je m'adresserai donc à vous, monsieur, pour vous demander si le roi est dehors ou au château, si je pourrai le voir ce soir ou si je dois attendre à demain.

– Nous avons perdu de vue le roi depuis une demi-heure à peu près, dit le chevalier.

– Il sera peut-être chez Madame? demanda Fouquet.

– Chez Madame, je ne crois pas, car je viens de rencontrer Madame qui rentrait par le petit escalier; et à moins que ce gentilhomme que vous venez de croiser tout à l'heure ne fût le roi en personne…

Et le chevalier attendit, espérant qu'il saurait ainsi le nom de celui qu'il avait poursuivi.

Mais Fouquet, qu'il eût reconnu ou non de Guiche, se contenta de répondre:

– Non, monsieur, ce n'était pas lui.

Le chevalier, désappointé, salua; mais, tout en saluant, ayant jeté un dernier coup d'oeil autour de lui et ayant aperçu M. Colbert au milieu d'un groupe:

– Tenez, monsieur, dit-il au surintendant, voici là-bas, sous les arbres, quelqu'un qui vous renseignera mieux que moi.

– Qui? demanda Fouquet, dont la vue faible ne perçait pas les ombres.

– M. Colbert, répondit le chevalier.

– Ah! fort bien. Cette personne qui parle là-bas à ces hommes portant des torches, c'est M. Colbert?

– Lui-même. Il donne ses ordres pour demain aux dresseurs d'illuminations.

– Merci, monsieur.

Et Fouquet fit un mouvement de tête qui indiquait qu'il avait appris tout ce qu'il désirait savoir.

De son côté, le chevalier, qui, tout au contraire, n'avait rien appris, se retira sur un profond salut.

 

À peine fut-il éloigné, que Fouquet, fronçant le sourcil, tomba dans une profonde rêverie.

Aramis le regarda un instant avec une espèce de compassion pleine de tristesse.

– Eh bien, lui dit-il, vous voilà ému au seul nom de cet homme. Eh quoi! triomphant et joyeux tout à l'heure, voilà que vous vous rembrunissez à l'aspect de ce médiocre fantôme. Voyons, monsieur, croyez-vous en votre fortune?

– Non, répondit tristement Fouquet.

– Et pourquoi?

– Parce que je suis trop heureux en ce moment, répliqua-t-il d'une voix tremblante. Ah! mon cher d'Herblay, vous qui êtes si savant, vous devez connaître l'histoire d'un certain tyran de Samos. Que puis-je jeter à la mer qui désarme le malheur à venir? Oh! je vous le répète, mon ami, je suis trop heureux! si heureux que je ne désire plus rien au-delà de ce que j'ai… Je suis monté si haut… Vous savez ma devise: Quo non ascendam? Je suis monté si haut, que je n'ai plus qu'à descendre. Il m'est donc impossible de croire au progrès d'une fortune qui est déjà plus qu'humaine.

Aramis sourit en fixant sur Fouquet son oeil si caressant et si fin.

– Si je connaissais votre bonheur, dit-il, je craindrais peut- être votre disgrâce; mais vous me jugez en véritable ami, c'est-à- dire que vous me trouvez bon pour l'infortune, voilà tout. C'est déjà immense et précieux, je le sais; mais, en vérité, j'ai bien le droit de vous demander de me confier de temps en temps les choses heureuses qui vous arrivent et auxquelles je prendrais part, vous le savez, plus qu'à celles qui m'arriveraient à moi même.

– Mon cher prélat, dit en riant Fouquet, mes secrets sont par trop profanes pour que je les confie à un évêque, si mondain qu'il soit.

– Bah! en confession?

– Oh! je rougirais trop si vous étiez mon confesseur.

Et Fouquet se mit à soupirer.

Aramis le regarda encore sans autre manifestation de sa pensée que son muet sourire.

– Allons, dit-il, c'est une grande vertu que la discrétion.

– Silence! dit Fouquet. Voici cette venimeuse bête qui m'a reconnu et qui s'approche de nous.

– Colbert?

– Oui; écartez-vous, mon cher d'Herblay; je ne veux pas que ce cuistre vous voie avec moi, il vous prendrait en aversion.

Aramis lui serra la main.

– Qu'ai-je de son amitié? dit-il; n'êtes-vous pas là?

– Oui; mais peut-être n'y serai-je pas toujours, répondit mélancoliquement Fouquet.

– Ce jour-là, si ce jour-là vient jamais, dit tranquillement Aramis, nous aviserons à nous passer de l'amitié ou à braver l'aversion de M. Colbert. Mais dites-moi, cher monsieur Fouquet, au lieu de vous entretenir avec ce cuistre, comme vous lui faites l'honneur de l'appeler, conversation dont je ne sens pas l'utilité, que ne vous rendez-vous, sinon auprès du roi, du moins auprès de Madame?

– De Madame? fit le surintendant distrait par ses souvenirs. Oui, sans doute, près de Madame.

– Vous vous rappelez, continua Aramis, qu'on nous a appris la grande faveur dont Madame jouit depuis deux ou trois jours. Il entre, je crois, dans votre politique et dans nos plans que vous fassiez assidûment votre cour aux amies de Sa Majesté. C'est le moyen de balancer l'autorité naissante de M. Colbert. Rendez-vous donc le plus tôt possible près de Madame et ménagez-vous cette alliée.

– Mais, dit Fouquet, êtes-vous bien sûr que c'est véritablement sur elle que le roi a les yeux fixés en ce moment?

– Si l'aiguille avait tourné, ce serait depuis ce matin. Vous savez que j'ai ma police.

– Bien! j'y vais de ce pas et à tout hasard j'aurai mon moyen d'introduction: c'est une magnifique paire de camées antiques enchâssés dans des diamants.

– Je l'ai vue; rien de plus riche et de plus royal.

Ils furent interrompus en ce moment par un laquais conduisant un courrier.

– Pour Monsieur le surintendant, dit tout haut ce courrier en présentant à Fouquet une lettre.

– Pour Monseigneur l'évêque de Vannes, dit tout bas le laquais en remettant une lettre à Aramis.

Et, comme le laquais portait une torche, il se plaça entre le surintendant et l'évêque, afin que tous deux pussent lire en même temps.

À l'aspect de l'écriture fine et serrée de l'enveloppe, Fouquet tressaillit de joie; ceux-là seuls qui aiment ou qui ont aimé comprendront son inquiétude d'abord, puis son bonheur ensuite.

Il décacheta vivement la lettre, qui ne renfermait que ces seuls mots:

«Il y a une heure que je t'ai quitté, il y a un siècle que je ne t'ai dit: Je t'aime.»

C'était tout.

Mme de Bellière avait, en effet, quitté Fouquet depuis une heure, après avoir passé deux jours avec lui; et de peur que son souvenir ne s'écartât trop longtemps du coeur qu'elle regrettait, elle lui envoyait le courrier porteur de cette importante missive.

Fouquet baisa la lettre et la paya d'une poignée d'or.

Quant à Aramis, il lisait, comme nous avons dit, de son côté, mais avec plus de froideur et de réflexion, le billet suivant:

«Le roi a été frappé ce soir d'un coup étrange: une femme l'aime. Il l'a su par hasard en écoutant la conversation de cette jeune fille avec ses compagnes. De sorte que le roi est tout entier à ce nouveau caprice. La femme s'appelle Mlle de La Vallière et est d'une assez médiocre beauté pour que ce caprice devienne une grande passion. Prenez garde à Mlle de La Vallière.»

Pas un mot de Madame.

Aramis replia lentement le billet et le mit dans sa poche.

Quant à Fouquet, il savourait toujours les parfums de sa lettre.

– Monseigneur! dit Aramis touchant le bras de Fouquet.

– Hein! demanda celui-ci.

– Il me vient une idée. Connaissez-vous une petite fille qu'on appelle La Vallière?

– Ma foi! non.

– Cherchez bien.

– Ah! oui, je crois, une des filles d'honneur de Madame.

– Ce doit être cela.

– Eh bien! après?

– Eh bien! monseigneur, c'est à cette petite fille qu'il faut que vous rendiez une visite ce soir.

– Bah! et comment?

– Et, de plus, c'est à cette petite fille qu'il faut que vous donniez vos camées.

– Allons donc!

– Vous savez, monseigneur, que je suis de bon conseil.

– Mais cet imprévu…

– C'est mon affaire. Vite une cour en règle à la petite La Vallière, monseigneur. Je me ferai garant près de Mme de Bellière que c'est une cour toute politique.

– Que dites-vous là, mon ami, s'écria vivement Fouquet, et quel nom avez vous prononcé?

– Un nom qui doit vous prouver, monsieur le surintendant, que, bien instruit pour vous, je puis être aussi bien instruit pour les autres. Faites la cour à la petite La Vallière.

– Je ferai la cour à qui vous voudrez, répondit Fouquet avec le paradis dans le coeur.

– Voyons, voyons, redescendez sur la terre, voyageur du septième ciel, dit Aramis; voici M. de Colbert. Oh! mais il a recruté tandis que nous lisions; il est entouré, loué, congratulé; décidément, c'est une puissance.

En effet, Colbert s'avançait escorté de tout ce qui restait de courtisans dans les jardins, et chacun lui faisait, sur l'ordonnance de la fête, des compliments dont il s'enflait à éclater.

– Si La Fontaine était là, dit en souriant Fouquet, quelle belle occasion pour lui de réciter la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse qu'un boeuf.

Colbert arriva dans un cercle éblouissant de lumière; Fouquet l'attendit impassible et légèrement railleur.

Colbert lui souriait aussi; il avait vu son ennemi déjà depuis près d'un quart d'heure, il s'approchait tortueusement.

Le sourire de Colbert présageait quelque hostilité.

– Oh! oh! dit Aramis tout bas au surintendant, le coquin va vous demander encore quelques millions pour payer ses artifices et ses verres de couleur.

Colbert salua le premier d'un air qu'il s'efforçait de rendre respectueux.

Fouquet remua la tête à peine.

– Eh bien! monseigneur, demanda Colbert, que disent vos yeux?

Avons nous eu bon goût?

– Un goût parfait, répondit Fouquet, sans qu'on pût remarquer dans ces paroles la moindre raillerie.

– Oh! dit Colbert méchamment, vous y mettez de l'indulgence… Nous sommes pauvres, nous autres gens du roi, et Fontainebleau n'est pas un séjour comparable à Vaux.

– C'est vrai, répondit flegmatiquement Fouquet, qui dominait tous les acteurs de cette scène.

– Que voulez-vous, monseigneur! continua Colbert, nous avons agi selon nos petites ressources.

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