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Le comte de Monte Cristo

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– Que diable contez-vous là?

– Mon cher, je me bats aujourd’hui.

– Vous? et pour quoi faire?

– Pour me battre, pardieu!

– Oui, j’entends bien, mais à cause de quoi? On se bat pour toute espèce de choses, vous comprenez bien.

– À cause de l’honneur.

– Ah! ceci, c’est sérieux.

– Si sérieux, que je viens vous prier de me rendre un service.

– Lequel?

– Celui d’être mon témoin.

– Alors cela devient grave; ne parlons de rien ici, et rentrons chez moi. Ali, donne-moi de l’eau.»

Le comte retroussa ses manches et passa dans le petit vestibule qui précède les tirs, et où les tireurs ont l’habitude de se laver les mains.

«Entrez donc, monsieur le vicomte, dit tout bas Philippe, vous verrez quelque chose de drôle.»

Morcerf entra. Au lieu de mouches, des cartes à jouer étaient collées sur la plaque.

De loin, Morcerf crut que c’était le jeu complet; il y avait depuis l’as jusqu’au dix.

«Ah! ah! fit Albert, vous étiez en train de jouer au piquet?

– Non, dit le comte, j’étais en train de faire un jeu de cartes.

– Comment cela?

– Oui, ce sont des as et des deux que vous voyez; seulement mes balles en ont fait des trois, des cinq, des sept, des huit, des neuf et des dix.»

Albert s’approcha.

En effet, les balles avaient, avec des lignes parfaitement exactes et des distances parfaitement égales, remplacé les signes absents et troué le carton aux endroits où il aurait dû être peint. En allant à la plaque, Morcerf ramassa, en outre, deux ou trois hirondelles qui avaient eu l’imprudence de passer à portée du pistolet du comte, et que le comte avait abattues.

«Diable! fit Morcerf.

– Que voulez-vous, mon cher vicomte, dit Monte-Cristo en s’essuyant les mains avec du linge apporté par Ali, il faut bien que j’occupe mes instants d’oisiveté, mais venez, je vous attends.»

Tous deux montèrent dans le coupé de Monte-Cristo qui, au bout de quelques instants, les eut déposés à la porte du n°30.

Monte-Cristo conduisit Morcerf dans son cabinet, et lui montra un siège. Tous deux s’assirent.

«Maintenant, causons tranquillement, dit le comte.

– Vous voyez que je suis parfaitement tranquille.

– Avec qui voulez-vous vous battre?

– Avec Beauchamp.

– Un de vos amis!

– C’est toujours avec des amis qu’on se bat.

– Au moins faut-il une raison.

– J’en ai une.

– Que vous a-t-il fait?

– Il y a, dans un journal d’hier soir… mais tenez, lisez.

Albert tendit à Monte-Cristo un journal où il lut ces mots:

«On nous écrit de Janina:

«Un fait jusqu’alors ignoré, ou tout au moins inédit, est parvenu à notre connaissance; les châteaux qui défendaient la ville ont été livrés aux Turcs par un officier français dans lequel le vizir Ali-Tebelin avait mis toute sa confiance, et qui s’appelait Fernand.»

«Eh bien, demanda Monte-Cristo, que voyez-vous là-dedans qui vous choque?

– Comment! ce que je vois?

– Oui. Que vous importe à vous que les châteaux de Janina aient été livrés par un officier nommé Fernand?

– Il m’importe que mon père, le comte de Morcerf, s’appelle Fernand de son nom de baptême.

– Et votre père servait Ali-Pacha?

– C’est-à-dire qu’il combattait pour l’indépendance des Grecs; voilà où est la calomnie.

– Ah çà! mon cher vicomte, parlons raison.

– Je ne demande pas mieux.

– Dites-moi un peu: qui diable sait en France que l’officier Fernand est le même homme que le comte de Morcerf et qui s’occupe à cette heure de Janina, qui a été prisé en 1822 ou 1823, je crois?

– Voilà justement où est la perfidie: on a laissé le temps passer là-dessus, puis aujourd’hui on revient sur des événements oubliés pour en faire sortir un scandale qui peut ternir une haute position. Eh bien, moi, héritier du nom de mon père, je ne veux même pas que sur ce nom flotte l’ombre d’un doute. Je vais envoyer à Beauchamp, dont le journal a publié cette note, deux témoins, et il la rétractera.

– Beauchamp ne rétractera rien.

– Alors, nous nous battrons.

– Non, vous ne vous battrez pas, car il vous répondra qu’il y avait peut-être dans l’armée grecque cinquante officiers qui s’appelaient Fernand.

– Nous nous battrons malgré cette réponse. Oh! je veux que cela disparaisse… Mon père, un si noble soldat, une si illustre carrière…

– Ou bien il mettra: Nous sommes fondés à croire que ce Fernand n’a rien de commun avec M. le comte de Morcerf, dont le nom de baptême est aussi Fernand.

– Il me faut une rétractation pleine et entière; je ne me contenterai point de celle-là!

– Et vous allez lui envoyer vos témoins?

– Oui.

– Vous avez tort.

– Cela veut dire que vous me refusez le service que je venais vous demander.

– Ah! vous savez ma théorie à l’égard du duel; je vous ai fait ma profession de foi à Rome, vous vous la rappelez?

– Cependant, mon cher comte, je vous ai trouvé ce matin, tout à l’heure, exerçant une occupation peu en harmonie avec cette théorie.

– Parce que, mon cher ami, vous comprenez, il ne faut jamais être exclusif. Quand on vit avec des fous, il faut faire aussi son apprentissage d’insensé, d’un moment à l’autre quelque cerveau brûlé, qui n’aura pas plus de motif de me chercher querelle que vous n’en avez d’aller chercher querelle à Beauchamp, me viendra trouver pour la première niaiserie venue, ou m’enverra ses témoins, ou m’insultera dans un endroit public: eh bien, ce cerveau brûlé, il faudra bien que je le tue.

– Vous admettez donc que, vous-même, vous vous battriez?

– Pardieu!

– Eh bien, alors, pourquoi voulez-vous que, moi, je ne me batte pas?

– Je ne dis point que vous ne devez point vous battre; je dis seulement qu’un duel est une chose grave et à laquelle il faut réfléchir.

– A-t-il réfléchi, lui, pour insulter mon père?

– S’il n’a pas réfléchi, et qu’il vous l’avoue; il ne faut pas lui en vouloir.

– Oh! mon cher comte, vous êtes beaucoup trop indulgent!

– Et vous, beaucoup trop rigoureux. Voyons, je suppose… écoutez bien ceci: je suppose… N’allez pas vous fâcher de ce que je vous dis!

– J’écoute.

– Je suppose que le fait rapporté soit vrai…

– Un fils ne doit pas admettre une pareille supposition sur l’honneur de son père.

– Eh! mon Dieu! nous sommes dans une époque où l’on admet tant de choses!

– C’est justement le vice de l’époque.

– Avez-vous la prétention de le réformer?

– Oui, à l’endroit de ce qui me regarde.

– Mon Dieu! quel rigoriste vous faites, mon cher ami!

– Je suis ainsi.

– Êtes-vous inaccessible aux bons conseils?

– Non, quand ils viennent d’un ami.

– Me croyez-vous le vôtre?

– Eh bien, avant d’envoyer vos témoins à Beauchamp, informez-vous.

– Auprès de qui?

– Eh pardieu! auprès d’Haydée, par exemple.

– Mêler une femme dans tout cela, que peut-elle y faire?

– Vous déclarer que votre père n’est pour rien dans la défaite ou la mort du sien, par exemple, ou vous éclairer à ce sujet, si par hasard votre père avait eu le malheur…

– Je vous ai déjà dit, mon cher comte, que je ne pouvais admettre une pareille supposition.

– Vous refusez donc ce moyen?

– Je le refuse.

– Absolument?

– Absolument!

– Alors, un dernier conseil.

– Soit, mais le dernier.

– Ne le voulez-vous point?

– Au contraire, je vous le demande.

– N’envoyez point de témoins à Beauchamp.

– Comment?

– Allez le trouver vous-même.

– C’est contre toutes les habitudes.

– Votre affaire est en dehors des affaires ordinaires.

– Et pourquoi dois-je y aller moi-même, voyons?

– Parce qu’ainsi l’affaire reste entre vous et Beauchamp.

– Expliquez-vous.

– Sans doute; si Beauchamp est disposé à se rétracter, il faut lui laisser le mérite de la bonne volonté: la rétraction n’en sera pas moins faite. S’il refuse, au contraire, il sera temps de mettre deux étrangers dans votre secret.

– Ce ne seront pas deux étrangers, ce seront deux amis.

– Les amis d’aujourd’hui sont les ennemis de demain.

– Oh! par exemple!

– Témoin Beauchamp.

– Ainsi…

– Ainsi, je vous recommande la prudence.

– Ainsi, vous croyez que je dois aller trouver Beauchamp moi-même?

– Oui.

– Seul?

– Seul. Quand on veut obtenir quelque chose de l’amour-propre d’un homme, il faut sauver à l’amour-propre de cet homme jusqu’à l’apparence de la souffrance.

– Je crois que vous avez raison.

– Ah! c’est bien heureux!

– J’irai seul.

– Allez; mais vous feriez encore mieux de n’y point aller du tout.

– C’est impossible.

– Faites donc ainsi; ce sera toujours mieux que ce vous vouliez faire.

– Mais en ce cas, voyons, si malgré toutes mes précautions, tous mes procédés, si j’ai un duel, me servirez-vous de témoin.

– Mon cher vicomte; dit Monte-Cristo avec une gravité suprême, vous avez dû voir qu’en temps et lieu j’étais tout à votre dévotion; mais le service que vous me demanderez là sort du cercle de ceux que je puis vous rendre.

– Pourquoi cela?

– Peut-être le saurez-vous un jour.

– Mais en attendant?

– Je demande votre indulgence pour mon secret.

– C’est bien. Je prendrai Franz et Château-Renaud.

– Prenez Franz et Château-Renaud, ce sera à merveille.

– Mais enfin, si je me bats, vous me donnerez bien une petite leçon d’épée ou de pistolet?

– Non, c’est encore une chose impossible.

– Singulier homme que vous faites, allez! Alors vous ne voulez vous mêler de rien?

– De rien absolument.

– Alors n’en parlons plus. Adieu, comte.

– Adieu, vicomte.»

Morcerf prit son chapeau et sortit.

 

À la porte, il retrouva son cabriolet, et, contenant du mieux qu’il put sa colère, il se fit conduire chez Beauchamp; Beauchamp était à son journal.

Albert se fit conduire au journal.

Beauchamp était dans un cabinet sombre et poudreux, comme sont de fondation les bureaux de journaux.

On lui annonça Albert de Morcerf. Il fit répéter deux fois l’annonce; puis, mal convaincu encore, il cria:

«Entrez!»

Albert parut. Beauchamp poussa une exclamation en voyant son ami franchir les liasses de papier et fouler d’un pied mal exercé les journaux de toutes grandeurs qui jonchaient non point le parquet, mais le carreau rougi de son bureau.

«Par ici, par ici, mon cher Albert, dit-il en tendant la main au jeune homme; qui diable vous amène? êtes-vous perdu comme le petit Poucet, ou venez-vous tout bonnement me demander à déjeuner? Tâchez de trouver une chaise; tenez, là-bas, près de ce géranium qui, seul ici, me rappelle qu’il y a au monde des feuilles qui ne sont pas des feuilles de papier.

– Beauchamp; dit Albert, c’est de votre journal que je viens vous parler.

– Vous, Morcerf? que désirez-vous?

– Je désire une rectification.

– Vous, une rectification? À propos de quoi, Albert? mais asseyez-vous donc!

– Merci, répondit Albert pour la seconde fois, et avec un léger signe de tête.

– Expliquez-vous.

– Une rectification sur un fait qui porte atteinte à l’honneur d’un membre de ma famille.

– Allons donc! dit Beauchamp, surpris. Quel fait? Cela ne se peut pas.

– Le fait qu’on vous a écrit de Janina.

– De Janina?

– Oui, de Janina. En vérité vous avez l’air d’ignorer ce qui m’amène?

– Sur mon honneur… Baptiste! un journal d’hier! cria Beauchamp.

– C’est inutile, je vous apporte le mien.»

Beauchamp lut en bredouillant:

«On nous écrit de Janina, etc.»

«Vous comprenez que le fait est grave, dit Morcerf, quand Beauchamp eut fini.

– Cet officier est donc votre parent? demanda le journaliste.

– Oui, dit Albert en rougissant.

– Eh bien, que voulez-vous que je fasse pour vous être agréable? dit Beauchamp avec douceur.

– Je voudrais, mon cher Beauchamp, que vous rétractassiez ce fait.»

Beauchamp regarda Albert avec une attention qui annonçait assurément beaucoup de bienveillance.

«Voyons, dit-il, cela va nous entraîner dans une longue causerie; car c’est toujours une chose grave qu’une rétractation. Asseyez-vous; je vais relire ces trois ou quatre lignes.»

Albert s’assit, et Beauchamp relut les lignes incriminées par son ami avec plus d’attention que la première fois.

«Eh bien, vous le voyez, dit Albert avec fermeté, avec rudesse même, on a insulté dans votre journal quelqu’un de ma famille, et je veux une rétractation.

– Vous… voulez…

– Oui, je veux!

– Permettez-moi de vous dire que vous n’êtes point parlementaire, mon cher vicomte.

– Je ne veux point l’être, répliqua le jeune homme en se levant; je poursuis la rétractation d’un fait que vous avez énoncé hier, et je l’obtiendrai. Vous êtes assez mon ami, continua Albert les lèvres serrées, voyant que Beauchamp, de son côté, commençait à relever sa tête dédaigneuse; vous êtes assez mon ami et, comme tel, vous me connaissez assez, je l’espère pour comprendre ma ténacité en pareille circonstance.

– Si je suis votre ami, Morcerf, vous finirez par me le faire oublier avec des mots pareils à ceux de tout à l’heure… Mais voyons, ne nous fâchons pas, ou du moins, pas encore… Vous êtes inquiet, irrité, piqué… Voyons, quel est ce parent qu’on appelle Fernand?

– C’est mon père, tout simplement, dit Albert; M. Fernand Mondego, comte de Morcerf, un vieux militaire qui a vu vingt champs de bataille, et dont on voudrait couvrir les nobles cicatrices avec la fange impure ramassée dans le ruisseau.

– C’est votre père? dit Beauchamp: alors c’est autre chose; je conçois votre indignation, mon cher Albert… Relisons donc…»

Et il relut la note, en pesant cette fois sur chaque mot.

«Mais où voyez-vous, demanda Beauchamp, que le Fernand du journal soit votre père?

– Nulle part, je le sais bien; mais d’autres le verront. C’est pour cela que je veux que le fait soit démenti.»

Aux mots je veux, Beauchamp leva les yeux sur Morcerf, et les baissant presque aussitôt, il demeura un instant pensif.

«Vous démentirez ce fait, n’est-ce pas, Beauchamp? répéta Morcerf avec une colère croissante, quoique toujours concentrée.

– Oui, dit Beauchamp.

– À la bonne heure! dit Albert.

– Mais quand je me serai assuré que le fait est faux.

– Comment!

– Oui, la chose vaut la peine d’être éclaircie, et je l’éclaircirai.

– Mais que voyez-vous donc à éclaircir dans tout cela, monsieur? dit Albert, hors de toute mesure. Si vous ne croyez pas que ce soit mon père, dites-le tout de suite; si vous croyez que ce soit lui, rendez-moi raison de cette opinion.»

Beauchamp regarda Albert avec ce sourire qui lui était particulier, et qui savait prendre la nuance de toutes les passions.

«Monsieur, reprit-il, puisque monsieur il y a, si c’est pour me demander raison que vous êtes venu, il fallait le faire d’abord et ne point venir me parler d’amitié et d’autres choses oiseuses comme celles que j’ai la patience d’entendre depuis une demi-heure. Est-ce bien sur ce terrain que nous allons marcher désormais, voyons!

– Oui, si vous ne rétractez pas l’infâme calomnie!

– Un moment! pas de menaces, s’il vous plaît, monsieur Albert Mondego, vicomte de Morcerf, je n’en souffre pas de mes ennemis, à plus forte raison de mes amis. Donc, vous voulez que je démente le fait sur le colonel Fernand, fait auquel je n’ai, sur mon honneur pris aucune part?

– Oui, je le veux! dit Albert, dont la tête commençait à s’égarer.

– Sans quoi, nous nous battrons? continua Beauchamp avec le même calme.

– Oui! reprit Albert, en haussant la voix.

– Eh bien, dit Beauchamp, voici ma réponse, mon cher monsieur: ce fait n’a pas été inséré par moi, je ne le connaissais pas; mais vous avez, par votre démarche, attiré mon attention sur ce fait, elle s’y cramponne; il subsistera donc jusqu’à ce qu’il soit démenti ou confirmé par qui de droit.

– Monsieur, dit Albert en se levant, je vais donc avoir l’honneur de vous envoyer mes témoins, vous discuterez avec eux le lieu et les armes.

– Parfaitement, mon cher monsieur.

– Et ce soir, s’il vous plaît ou demain au plus tard, nous nous rencontrerons.

– Non pas! non pas! Je serai sur le terrain quand il le faudra, et, à mon avis (j’ai le droit de le donner, puisque c’est moi qui reçois la provocation), et, à mon avis, dis-je, l’heure n’est pas encore venue. Je sais que vous tirez très bien l’épée, je la tire passablement; je sais que vous faites trois mouches sur six, c’est ma force à peu près; je sais qu’un duel entre nous sera un duel sérieux, parce que vous êtes brave et que… je le suis aussi. Je ne veux donc pas m’exposer à vous tuer ou à être tué moi-même par vous, sans cause. C’est moi qui vais à mon tour poser la question et ca-té-go-ri-que-ment.

«Tenez-vous à cette rétractation au point de me tuer si je ne le fais pas, bien que je vous aie dit, bien que je vous répète, bien que je vous affirme sur l’honneur que je ne connaissais pas le fait; bien que je vous déclare enfin qu’il est impossible à tout autre qu’à un don Japhet comme vous de deviner M. le comte de Morcerf sous ce nom de Fernand?

– J’y tiens absolument.

– Eh bien, mon cher monsieur, je consens à me couper la gorge avec vous, mais je veux trois semaines; dans trois semaines vous me retrouverez pour vous dire: Oui, le fait est faux, je l’efface; ou bien: Oui, le fait est vrai, et je sors les épées du fourreau, ou les pistolets de la boîte, à votre choix.

– Trois semaines! s’écria Albert; mais trois semaines, c’est trois siècles pendant lesquels je suis déshonoré!

– Si vous étiez resté mon ami, je vous eusse dit: Patience, ami; vous vous êtes fait mon ennemi et je vous dis: Que m’importe, à moi, monsieur!

– Eh bien, dans trois semaines, soit, dit Morcerf. Mais songez-y, dans trois semaines il n’y aura plus ni délai ni subterfuge qui puisse vous dispenser…

– Monsieur Albert de Morcerf, dit Beauchamp en se levant à son tour, je ne puis vous jeter par les fenêtres que dans trois semaines, c’est-à-dire dans vingt-quatre jours, et vous, vous n’avez le droit de me pourfendre qu’à cette époque. Nous sommes le 29 du mois d’août, donc au 21 du mois de septembre. Jusque-là, croyez-moi, et c’est un conseil de gentilhomme que je vous donne, épargnons-nous les aboiements de deux dogues enchaînés à distance.»

Et Beauchamp, saluant gravement le jeune homme, lui tourna le dos et passa dans son imprimerie.

Albert se vengea sur une pile de journaux qu’il dispersa en les cinglant à grands coups de badine, après quoi il partit, non sans s’être retourné deux ou trois fois vers la porte de l’imprimerie.

Tandis qu’Albert fouettait le devant de son cabriolet après avoir fouetté les innocents papiers noircis qui n’en pouvaient mais de sa déconvenue, il aperçut en traversant le boulevard, Morrel qui, le nez au vent, l’œil éveillé et les bras dégagés, passait devant les bains Chinois, venant du côté de la porte Saint-Martin, et allant du côté de la Madeleine.

«Ah! dit-il en soupirant, voilà un homme heureux!»

Par hasard, Albert ne se trompait point.

LXXIX. La limonade

En effet, Morrel était bien heureux.

M. Noirtier venait de l’envoyer chercher, et il avait si grande hâte de savoir pour quelle cause, qu’il n’avait pas pris de cabriolet, se fiant bien plus à ses deux jambes qu’aux jambes d’un cheval de place; il était donc parti tout courant de la rue Meslay et se rendait au faubourg Saint-Honoré.

Morrel marchait au pas gymnastique, et le pauvre Barrois le suivait de son mieux. Morrel avait trente et un ans, Barrois en avait soixante; Morrel était ivre d’amour, Barrois était altéré par la grande chaleur. Ces deux hommes, ainsi divisés d’intérêts et d’âge, ressemblaient aux deux lignes que forme un triangle: écartées par la base, elles se rejoignent au sommet.

Le sommet, c’était Noirtier, lequel avait envoyé chercher Morrel en lui recommandant de faire diligence, recommandation que Morrel suivait à la lettre, au grand désespoir de Barrois.

En arrivant, Morrel n’était pas même essoufflé: l’amour donne des ailes, mais Barrois, qui depuis longtemps n’était plus amoureux, Barrois était en nage.

Le vieux serviteur fit entrer Morrel par la porte particulière, ferma la porte du cabinet, et bientôt un froissement de robe sur le parquet annonça la visite de Valentine.

Valentine était belle à ravir sous ses vêtements de deuil.

Le rêve devenait si doux que Morrel se fût presque passé de converser avec Noirtier; mais le fauteuil du vieillard roula bientôt sur le parquet, et il entra.

Noirtier accueillit par un regard bienveillant les remerciements que Morrel lui prodiguait pour cette merveilleuse intervention qui les avait sauvés, Valentine et lui, du désespoir. Puis le regard de Morrel alla provoquer, sur la nouvelle faveur qui lui était accordée, la jeune fille, qui, timide et assise loin de Morrel, attendait d’être forcée à parler.

Noirtier la regarda à son tour.

«Il faut donc que je dise ce dont vous m’avez chargée? demanda-t-elle.

– Oui, fit Noirtier.

– Monsieur Morrel, dit alors Valentine au jeune homme qui la dévorait des yeux, mon bon papa Noirtier avait mille choses à vous dire, que depuis trois jours il m’a dites. Aujourd’hui, il vous envoie chercher pour que je vous les répète; je vous les répéterai donc, puisqu’il m’a choisie pour son interprète, sans changer un mot à ses intentions.

– Oh! j’écoute bien impatiemment, répondit le jeune homme; parlez, mademoiselle, parlez.»

Valentine baissa les yeux: ce fut un présage qui parut doux à Morrel. Valentine n’était faible que dans le bonheur.

«Mon père veut quitter cette maison, dit-elle. Barrois s’occupe de lui chercher un appartement convenable.

– Mais vous, mademoiselle, dit Morrel vous qui êtes si chère et si nécessaire à M. Noirtier?.

– Moi, reprit la jeune fille, je ne quitterai point mon grand-père, c’est chose convenue entre lui et moi. Mon appartement sera près du sien. Ou j’aurai le consentement de M. de Villefort pour aller habiter avec bon papa Noirtier, ou on me le refusera: dans le premier cas, je pars dès à présent; dans le second, j’attends ma majorité, qui arrive dans dix-huit mois. Alors je serai libre, j’aurai une fortune indépendante, et…

– Et?… demanda Morrel.

 

– Et, avec l’autorisation de bon papa, je tiendrai la promesse que je vous ai faite.»

Valentine prononça ces derniers mots si bas, que Morrel n’eût pu les entendre sans l’intérêt qu’il avait à les dévorer.

«N’est-ce point votre pensée que j’ai exprimée là, bon papa? ajouta Valentine en s’adressant à Noirtier.

– Oui, fit le vieillard.

– Une fois chez mon grand-père, ajouta Valentine, M. Morrel pourra me venir voir en présence de ce bon et digne protecteur. Si ce lien que nos cœurs, peut-être ignorants ou capricieux, avaient commencé de former paraît convenable et offre des garanties de bonheur futur à notre expérience (hélas! dit-on, les cœurs enflammés par les obstacles se refroidissent dans la sécurité!) alors M. Morrel pourra me demander à moi-même, je l’attendrai.

– Oh! s’écria Morrel, tenté de s’agenouiller devant le vieillard comme devant Dieu, devant Valentine comme devant un ange; oh! qu’ai-je donc fait de bien dans ma vie pour mériter tant de bonheur?

– Jusque-là, continua la jeune fille de sa voix pure et sévère, nous respectons les convenances, la volonté même de nos parents, pourvu que cette volonté ne tende pas à nous séparer toujours; en un mot, et je répète ce mot parce qu’il dit tout, nous attendrons.

– Et les sacrifices que ce mot impose, monsieur, dit Morrel, je vous jure de les accomplir, non pas avec résignation, mais avec bonheur.

– Ainsi, continua Valentine avec un regard bien doux au cœur de Maximilien, plus d’imprudences, mon ami, ne compromettez pas celle qui, à partir d’aujourd’hui, se regarde comme destinée à porter purement et dignement votre nom.»

Morrel appuya sa main sur son cœur.

Cependant Noirtier les regardait tous deux avec tendresse. Barrois, qui était resté au fond comme un homme à qui l’on n’a rien à cacher, souriait en essuyant les grosses gouttes d’eau qui tombaient de son front chauve.

«Oh! mon Dieu, comme il a chaud, ce bon Barrois, dit Valentine.

– Ah! dit Barrois, c’est que j’ai bien couru, allez, mademoiselle; mais M. Morrel, je dois lui rendre cette justice-là, courait encore plus vite que moi.»

Noirtier indiqua de l’œil un plateau sur lequel étaient servis une carafe de limonade et un verre. Ce qui manquait dans la carafe avait été bu une demi-heure auparavant par Noirtier.

«Tiens, bon Barrois, dit la jeune fille, prends, car je vois que tu couves des yeux cette carafe entamée.

– Le fait est, dit Barrois, que je meurs de soif, et que je boirai bien volontiers un verre de limonade à votre santé.

– Bois donc, dit Valentine, et reviens dans un instant.»

Barrois emporta le plateau, et à peine était-il dans le corridor, qu’à travers la porte qu’il avait oublié de fermer, on le voyait pencher la tête en arrière pour vider le verre que Valentine avait rempli.

Valentine et Morrel échangeaient leurs adieux en présence de Noirtier, quand on entendit la sonnette retentir dans l’escalier de Villefort.

C’était le signal d’une visite.

Valentine regarda la pendule.

«Il est midi, dit-elle, c’est aujourd’hui samedi, bon papa, c’est sans doute le docteur.»

Noirtier fit signe qu’en effet ce devait être lui.

«Il va venir ici, il faut que M. Morrel s’en aille, n’est-ce pas, bon papa?

– Oui, répondit le vieillard. Barrois! appela Valentine; Barrois, venez!»

On entendit la voix du vieux serviteur qui répondait:

«J’y vais mademoiselle.

– Barrois va vous reconduire jusqu’à la porte, dit Valentine à Morrel; et maintenant, rappelez-vous une chose, monsieur l’officier, c’est que mon bon papa vous recommande de ne risquer aucune démarche capable de compromettre notre bonheur.

– J’ai promis d’attendre, dit Morrel, et j’attendrai.»

En ce moment, Barrois entra.

«Qui a sonné? demanda Valentine.

– Monsieur le docteur d’Avrigny, dit Barrois en chancelant sur ses jambes.

– Eh bien, qu’avez-vous donc, Barrois?» demanda Valentine.

Le vieillard ne répondit pas; il regardait son maître avec des yeux effarés, tandis que de sa main crispée il cherchait un appui pour demeurer debout.

«Mais il va tomber!» s’écria Morrel.

En effet, le tremblement dont Barrois était saisi augmentait par degrés; les traits du visage, altérés par les mouvements convulsifs des muscles de la face, annonçaient une attaque nerveuse des plus intenses.

Noirtier, voyant Barrois ainsi troublé, multipliait ses regards dans lesquels se peignaient, intelligibles et palpitantes, toutes les émotions qui agitent le cœur de l’homme.

Barrois fit quelques pas vers son maître.

«Ah! mon Dieu! mon Dieu! Seigneur, dit-il, mais qu’ai-je donc?… Je souffre… je n’y vois plus. Mille pointes de feu me traversent le crâne. Oh! ne me touchez pas, ne me touchez pas!»

En effet, les yeux devenaient saillants et hagards, et la tête se renversait en arrière, tandis que le reste du corps se raidissait.

Valentine épouvantée poussa un cri; Morrel la prit dans ses bras comme pour la défendre contre quelque danger inconnu.

«Monsieur d’Avrigny! monsieur d’Avrigny! cria Valentine d’une voix étouffée, à nous! au secours!»

Barrois tourna sur lui-même, fit trois pas en arrière, trébucha et vint tomber aux pieds de Noirtier, sur le genou duquel il appuya sa main en criant:

«Mon maître! mon bon maître!»

En ce moment M. de Villefort, attiré par les cris, parut sur le seuil de la chambre.

Morrel lâcha Valentine à moitié évanouie, et se rejetant en arrière, s’enfonça dans l’angle de la chambre et disparut presque derrière un rideau.

Pâle comme s’il eût vu un serpent se dresser devant lui, il attachait un regard glacé sur le malheureux agonisant.

Noirtier bouillait d’impatience et de terreur; son âme volait au secours du pauvre vieillard, son ami plutôt que son domestique. On voyait le combat terrible de la vie et de la mort se traduire sur son front par le gonflement des veines et la contraction de quelques muscles restés vivants autour de ses yeux.

Barrois, la face agitée, les yeux injectés de sang, le cou renversé en arrière, gisait battant le parquet de ses mains, tandis qu’au contraire ses jambes raides semblaient devoir rompre plutôt que plier.

Une légère écume montait à ses lèvres, et il haletait douloureusement.

Villefort, stupéfait, demeura un instant les yeux fixés sur ce tableau, qui, dès son entrée dans la chambre, attira ses regards.

Il n’avait pas vu Morrel.

Après un instant de contemplation muette pendant lequel on put voir son visage pâlir et ses cheveux se dresser sur sa tête:

«Docteur! docteur! s’écria-t-il en s’élançant vers la porte, venez! venez!

– Madame! madame! cria Valentine appelant sa belle-mère en se heurtant aux parois de l’escalier, venez! venez vite et apportez votre flacon de sels!

– Qu’y a-t-il? demanda la voix métallique et contenue de Mme de Villefort.

– Oh! venez! venez!

– Mais où donc est le docteur! criait Villefort; où est-il?»

Mme de Villefort descendit lentement; on entendait craquer les planches sous ses pieds. D’une main elle tenait le mouchoir avec lequel elle s’essuyait le visage, de l’autre un flacon de sels anglais.

Son premier regard, en arrivant à la porte, fut pour Noirtier, dont le visage, sauf l’émotion bien naturelle dans une semblable circonstance, annonçait une santé égale; son second coup d’œil rencontra le moribond.

Elle pâlit, et son œil rebondit pour ainsi dire du serviteur sur le maître.

«Mais au nom du Ciel, madame, où est le docteur? il est entré chez vous. C’est une apoplexie, vous le voyez bien, avec une saignée on le sauvera.

– A-t-il mangé depuis peu? demanda Mme de Villefort éludant la question.

– Madame, dit Valentine, il n’a pas déjeuné, mais il a fort couru ce matin pour faire une commission dont l’avait chargé bon papa. Au retour seulement il a pris un verre de limonade.

– Ah! fit Mme de Villefort, pourquoi pas du vin? C’est très mauvais, la limonade.

– La limonade était là sous sa main, dans la carafe de bon papa; le pauvre Barrois avait soif, il a bu ce qu’il a trouvé.»

Mme de Villefort tressaillit. Noirtier l’enveloppa de son regard profond.

«Il a le cou si court! dit-elle.

– Madame, dit Villefort, je vous demande où est M. d’Avrigny; au nom du Ciel, répondez!

– Il est dans la chambre d’Édouard qui est un peu souffrant», dit Mme de Villefort, qui ne pouvait éluder plus longtemps.

Villefort s’élança dans l’escalier pour l’aller chercher lui-même.

«Tenez, dit la jeune femme en donnant son flacon à Valentine, on va le saigner sans doute. Je remonte chez moi, car je ne puis supporter la vue du sang.»

Et elle suivit son mari.

Morrel sortit de l’angle sombre où il s’était retiré, et où personne ne l’avait vu, tant la préoccupation était grande.

«Partez vite, Maximilien, lui dit Valentine, et attendez que je vous appelle. Allez.»

Morrel consulta Noirtier par un geste. Noirtier, qui avait conservé tout son sang-froid, lui fit signe que oui.

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