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Les grandes espérances

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Une porte de la cuisine donnait accès dans la forge; je tirai le verrou, j'ouvris cette porte, et je pris une lime parmi les outils de Joe. Puis, je remis toutes les fermetures dans l'état où je les avais trouvées; j'ouvris la porte par laquelle j'étais rentré le soir précédent; je m'élançai dans la rue, et pris ma course vers les marais brumeux.

CHAPITRE III

C'était une matinée de gelée blanche très humide. J'avais trouvé l'extérieur de la petite fenêtre de ma chambre tout mouillé, comme si quelque lutin y avait pleuré toute la nuit, et qu'il lui eût servi de mouchoir de poche. Je retrouvai cette même humidité sur les haies stériles et sur l'herbe desséchée, suspendue comme de grossières toiles d'araignée, de rameau en rameau, de brin en brin; les grilles, les murs étaient dans le même état, et le brouillard était si épais, que je ne vis qu'en y touchant le poteau au bras de bois qui indique la route de notre village, indication qui ne servait à rien car on ne passait jamais par là. Je levai les yeux avec terreur sur le poteau, ma conscience oppressée en faisant un fantôme, me montrant la rue des Pontons.

Le brouillard devenait encore plus épais, à mesure que j'approchais des marais, de sorte qu'au lieu d'aller vers les objets, il me semblait que c'étaient les objets qui venaient vers moi. Cette sensation était extrêmement désagréable pour un esprit coupable. Les grilles et les fossés s'élançaient à ma poursuite, à travers le brouillard, et criaient très distinctement: «Arrêtez-le! Arrêtez-le!.. Il emporte un pâté qui n'est pas à lui!..» Les bestiaux y mettaient une ardeur égale et écarquillaient leurs gros yeux en me lançant par leurs naseaux un effroyable: «Holà! petit voleur!.. Au voleur! Au voleur!..» Un bœuf noir, à cravate blanche, auquel ma conscience troublée trouvait un certain air clérical, fixait si obstinément sur moi son œil accusateur, que je ne pus m'empêcher de lui dire en passant:

«Je n'ai pas pu faire autrement, monsieur! Ce n'est pas pour moi que je l'ai pris!»

Sur ce, il baissa sa grosse tête, souffla par ses naseaux un nuage de vapeur, et disparut après avoir lancé une ruade majestueuse avec ses pieds de derrière et fait le moulinet avec sa queue.

Je m'avançais toujours vers la rivière. J'avais beau courir, je ne pouvais réchauffer mes pieds, auxquels l'humidité froide semblait rivée comme la chaîne de fer était rivée à la jambe de l'homme que j'allais retrouver. Je connaissais parfaitement bien le chemin de la Batterie, car j'y étais allé une fois, un dimanche, avec Joe, et je me souvenais, qu'assis sur un vieux canon, il m'avait dit que, lorsque je serais son apprenti et directement sous sa dépendance, nous viendrions là passer de bons quarts d'heure. Quoi qu'il en soit, le brouillard m'avait fait prendre un peu trop à droite; en conséquence, je dus rebrousser chemin le long de la rivière, sur le bord de laquelle il y avait de grosses pierres au milieu de la vase et des pieux, pour contenir la marée. En me hâtant de retrouver mon chemin, je venais de traverser un fossé que je savais n'être pas éloigné de la Batterie, quand j'aperçus l'homme assis devant moi. Il me tournait le dos, et avait les bras croisés et la tête penchée en avant, sous le poids du sommeil.

Je pensais qu'il serait content de me voir arriver aussi inopinément avec son déjeuner. Je m'approchai donc de lui et le touchai doucement à l'épaule. Il bondit sur ses pieds, mais ce n'était pas le même homme, c'en était un autre!

Et pourtant cet homme était, comme l'autre, habillé tout en gris; comme l'autre, il avait un fer à la jambe; comme l'autre, il boitait, il avait froid, il était enroué; enfin c'était exactement le même homme, si ce n'est qu'il n'avait pas le même visage et qu'il portait un chapeau bas de forme et à larges bords. Je vis tout cela en un moment, car je n'eus qu'un moment pour voir tout cela; il me lança un gros juron à la tête, puis il voulut me donner un coup de poing; mais si indécis et si faible qu'il me manqua et faillit lui-même rouler à terre car ce mouvement le fit chanceler; alors, il s'enfonça dans le brouillard, en trébuchant deux fois et je le perdis de vue.

«C'est le jeune homme!» pensai-je en portant la main sur mon cœur.

Et je crois que j'aurais aussi ressenti une douleur au foie, si j'avais su où il était placé.

J'arrivai bientôt à la Batterie. J'y trouvai mon homme, le véritable, s'étreignant toujours et se promenant çà et là en boitant, comme s'il n'eût pas cessé un instant, toute la nuit, de s'étreindre et de se promener en m'attendant. À coup sûr, il avait terriblement froid, et je m'attendais presque à le voir tombé inanimé et mourir de froid à mes pieds. Ses yeux annonçaient aussi une faim si épouvantable que, quand je lui tendis la lime, je crois qu'il eût essayé de la manger, s'il n'eût aperçu mon paquet. Cette fois, il ne me mit pas la tête en bas, et me laissa tranquillement sur mes jambes, pendant que j'ouvrais le paquet et que je vidais mes poches.

«Qu'y a-t-il dans cette bouteille? dit-il.

– De l'eau-de-vie,» répondis-je.

Il avait déjà englouti une grande partie du hachis de la manière la plus singulière, plutôt comme un homme qui a une hâte extrême de mettre quelque chose en sûreté, que comme un homme qui mange; mais il s'arrêta un moment pour boire un peu de liqueur. Pendant tout ce temps, il tremblait avec une telle violence, qu'il avait toute la peine du monde à ne pas briser entre ses dents le goulot de la bouteille.

«Je crois que vous avez la fièvre, dis-je.

– Tu pourrais bien avoir raison, mon garçon, répondit-il.

– Il ne fait pas bon ici, repris-je, vous avez dormi dans les marais, ils donnent la fièvre et des rhumatismes.

– Je vais toujours manger mon déjeuner, dit-il, avant qu'on ne me mette à mort. J'en ferais autant, quand même je serais certain d'être repris et ramené là-bas, aux pontons, après avoir mangé; et je te parie que j'avalerai jusqu'au dernier morceau.»

Il mangeait du hachis, du pain, du fromage et du pâté, tout à la fois: jetant dans le brouillard qui nous entourait des yeux inquiets, et souvent arrêtant, oui, arrêtant jusqu'au jeu des mâchoires pour écouter. Le moindre bruit, réel ou imaginaire, le murmure de l'eau, ou la respiration d'un animal le faisait soudain tressaillir, et il me disait tout à coup:

«Tu ne me trahis pas, petit diable?.. Tu n'as amené personne avec toi?

– Non, monsieur!.. non!

– Tu n'as dit à personne de te suivre?

– Non!

– Bien! disait-il, je te crois. Tu serais un fier limier, en vérité, si à ton âge tu aidais déjà à faire prendre une pauvre vermine comme moi, près de la mort, et traquée de tous côtés, comme je le suis.»

Il se fit dans sa gorge un bruit assez semblable à celui d'une pendule qui va sonner, puis il passa sa manche de toile grossière sur ses yeux.

Touché de sa désolation, et voyant qu'il revenait toujours au pâté de préférence, je m'enhardis assez pour lui dire:

«Je suis bien aise que vous le trouviez bon.

– Est-ce toi qui as parlé?

– Je dis que je suis bien aise que vous le trouviez bon…

– Merci, mon garçon, je le trouve excellent.»

Je m'étais souvent amusé à regarder manger un gros chien que nous avions à la maison, et je remarquai qu'il y avait une similitude frappante dans la manière de manger de ce chien et celle de cet homme. Il donnait des coups de dent secs comme le chien; il avalait, ou plutôt il happait d'énormes bouchées, trop tôt et trop vite, et regardait de côté et d'autres en mangeant, comme s'il eût craint que, de toutes les directions, on ne vînt lui enlever son pâté. Il était cependant trop préoccupé pour en bien apprécier le mérite, et je pensais que si quelqu'un avait voulu partager son dîner, il se fût jeté sur ce quelqu'un pour lui donner un coup de dent, tout comme aurait pu le faire le chien, en pareille circonstance.

«Je crains bien que vous ne lui laissiez rien, dis-je timidement, après un silence pendant lequel j'avais hésité à faire cette observation: il n'en reste plus à l'endroit où j'ai pris celui-ci.

– Lui en laisser?.. À qui?.. dit mon ami, en s'arrêtant sur un morceau de croûte.

– Au jeune homme. À celui dont vous m'avez parlé. À celui qui se cache avec vous.

– Ah! ah! reprit-il avec quelque chose comme un éclat de rire; lui!.. oui!.. oui!.. Il n'a pas besoin de vivres.

– Il semblait pourtant en avoir besoin,» dis-je.

L'homme cessa de manger et me regarda d'un air surpris.

«Il t'a semblé?.. Quand?..

– Tout à l'heure.

– Où cela?

– Là-bas!.. dis-je, en indiquant du doigt; là-bas, où je l'ai trouvé endormi; je l'avais pris pour vous.»

Il me prit au collet et me regarda d'une manière telle, que je commençai à croire qu'il était revenu à sa première idée de me couper la gorge.

«Il était habillé tout comme vous, seulement, il avait un chapeau, dis-je en tremblant, et… et… (j'étais très embarrassé pour lui dire ceci), et… il avait les mêmes raisons que vous pour m'emprunter une lime. N'avez-vous pas entendu le canon hier soir?

– Alors on a tiré! se dit-il à lui-même.

– Je m'étonne que vous ne le sachiez pas, repris-je, car nous l'avons entendu de notre maison, qui est plus éloignée que cet endroit; et, de plus, nous étions enfermés.

– C'est que, dit-il, quand un homme est dans ma position, avec la tête vide et l'estomac creux, à moitié mort de froid et de faim, il n'entend pendant toute la nuit que le bruit du canon et des voix qui l'appellent… Écoute! Il voit des soldats avec leurs habits rouges, éclairés par les torches, qui s'avancent et vont l'entourer; il entend appeler son numéro, il entend résonner les mousquets, il entend le commandement: en joue!.. Il entend tout cela, et il n'y a rien. Oui… je les ai vus me poursuivre une partie de la nuit, s'avancer en ordre, ces damnés, en piétinant, piétinant… j'en ai vu cent… et comme ils tiraient!.. Oui, j'ai vu le brouillard se dissiper au canon, et, comme par enchantement, faire place au jour!.. Mais cet homme; il avait dit tout le reste comme s'il eût oublié ma réponse; as-tu remarqué quelque chose de particulier en lui?

 

– Il avait la face meurtrie, dis-je, en me souvenant que j'avais remarqué cette particularité.

– Ici, n'est-ce pas? s'écria l'homme, en frappant sa joue gauche, sans miséricorde, avec le plat de la main.

– Oui… là!

– Où est-il?»

En disant ces mots, il déposa dans la poche de sa jaquette grise le peu de nourriture qui restait.

«Montre-moi le chemin qu'il a pris, je le tuerai comme un chien! Maudit fer, qui m'empêche de marcher! Passe-moi la lime, mon garçon.»

Je lui indiquai la direction que l'autre avait prise, à travers le brouillard. Il regarda un instant, puis il s'assit sur le bord de l'herbe mouillée et commença à limer le fer de sa jambe, comme un fou, sans s'inquiéter de moi, ni de sa jambe, qui avait une ancienne blessure qui saignait et qu'il traitait aussi brutalement que si elle eût été aussi dépourvue de sensibilité qu'une lime. Je recommençais à avoir peur de lui, maintenant que je le voyais s'animer de cette façon; de plus j'étais effrayé de rester aussi longtemps dehors de la maison. Je lui dis donc qu'il me fallait partir; mais il n'y fit pas attention, et je pensai que ce que j'avais de mieux à faire était de m'éloigner. La dernière fois que je le vis, il avait toujours la tête penchée sur son genou, il limait toujours ses fers et murmurait de temps à autre quelque imprécation d'impatience contre ses fers ou contre sa jambe. La dernière fois que je l'entendis, je m'arrêtai dans le brouillard pour écouter et j'entendis le bruit de la lime qui allait toujours.

CHAPITRE IV

Je m'attendais, en rentrant, à trouver dans la cuisine un constable qui allait m'arrêter; mais, non-seulement il n'y avait là aucun constable, mais on n'avait encore rien découvert du vol que j'avais commis. Mrs Joe était tout occupée des préparatifs pour la solennité du jour, et Joe avait été posté sur le pas de la porte de la cuisine pour éviter de recevoir la poussière, chose que malheureusement sa destinée l'obligeait à recevoir tôt ou tard, toutes les fois qu'il prenait fantaisie à ma sœur de balayer les planchers de la maison.

«Où diable as-tu été?»

Tel fut le salut de Noël de Mrs Joe, quand moi et ma conscience nous nous présentâmes devant elle.

Je lui dis que j'étais sorti pour entendre chanter les noëls.

«Ah! bien, observa Mrs Joe, tu aurais pu faire plus mal.»

Je pensais qu'il n'y avait aucun doute à cela.

«Si je n'étais pas la femme d'un forgeron, et ce qui revient au même, une esclave qui ne quitte jamais son tablier, j'aurais été aussi entendre les noëls, dit Mrs Joe, je ne déteste pas les noëls, et c'est sans doute pour cette raison que je n'en entends jamais.

Joe, qui s'était aventuré dans la cuisine après moi, pensant que la poussière était tombée, se frottait le nez avec un petit air de conciliation pendant que sa femme avait les yeux sur lui; dès qu'elle les eut détournés, il mit en croix ses deux index, ce qui signifiait que Mrs Joe était en colère2. Cet état était devenu tellement habituel, que Joe et moi nous passions des semaines entières à nous croiser les doigts, comme les anciens croisés croisaient leurs jambes sur leurs tombes.

Nous devions avoir un dîner splendide, consistant en un gigot de porc mariné aux choux et une paire de volailles rôties et farcies. On avait fait la veille au matin un magnifique mince-pie, (ce qui expliquait qu'on n'eût pas encore découvert la disparition du hachis), et le pudding était en train de bouillir. Ces énormes préparatifs nous forcèrent, avec assez peu de cérémonie, à nous passer de déjeuner.

«Je ne vais pas m'amuser à tout salir, après avoir tout nettoyé, tout lavé comme je l'ai fait, dit Mrs Joe, je vous le promets!»

On nous servit donc nos tartines dehors, comme si, au lieu d'être deux à la maison, un homme et un enfant, nous eussions été deux mille hommes en marche forcée; et nous puisâmes notre part de lait et d'eau à même un pot sur la table de la cuisine, en ayant l'air de nous excuser humblement de la grande peine que nous lui donnions. Cependant Mrs Joe avait fait voir le jour à des rideaux tout blancs et accroché un volant à fleurs tout neuf au manteau de la cheminée, pour remplacer l'ancien; elle avait même découvert tous les ornements du petit parloir donnant sur l'allée, qui n'étaient jamais découverts dans un autre temps, et restaient tous les autres jours de l'année enveloppés dans une froide et brumeuse gaze d'argent, qui s'étendait même sur les quatre petits caniches en faïence blanche qui ornaient le manteau de la cheminée, avec leurs nez noirs et leurs paniers de fleurs à la gueule, en face les uns des autres et se faisant pendant. Mrs Joe était une femme d'une extrême propreté, mais elle s'arrangeait pour rendre sa propreté moins confortable et moins acceptable que la saleté même. La propreté est comme la religion, bien des gens la rendent insupportable en l'exagérant.

Ma sœur avait tant à faire qu'elle n'allait jamais à l'église que par procuration, c'est à dire quand Joe et moi nous y allions. Dans ses habits de travail, Joe avait l'air d'un brave et digne forgeron; dans ses habits de fête, il avait plutôt l'air d'un épouvantail dans de bonnes conditions que de toute autre chose. Rien de ce qu'il portait ne lui allait, ni ne semblait lui appartenir. Toutes les pièces de son habillement étaient trop grandes pour lui, et lorsqu'à l'occasion de la présente fête il sortit de sa chambre, au son joyeux du carillon, il représentait la Misère revêtue des habits prétentieux du dimanche. Quant à moi, je crois que ma sœur avait eu quelque vague idée que j'étais un jeune pécheur, dont un policeman-accoucheur s'était emparé, et qu'il lui avait remis pour être traité selon la majesté outragée de la loi. Je fus donc toujours traité comme si j'eusse insisté pour venir au monde, malgré les règles de la raison, de la religion et de la morale, et malgré les remontrances de mes meilleurs amis. Toutes les fois que j'allais chez le tailleur pour prendre mesure de nouveaux habits, ce dernier avait ordre de me les faire comme ceux des maisons de correction et de ne me laisser sous aucun prétexte, le libre usage de mes membres.

Joe et moi, en nous rendant à l'église, devions nécessairement former un tableau fort émouvant pour les âmes compatissantes. Cependant ce que je souffrais en allant à l'église, n'était rien auprès de ce que je souffrais en moi-même. Les terreurs qui m'assaillaient toutes les fois que Mrs Joe se rapprochait de l'office, ou sortait de la chambre, n'étaient égalées que par les remords que j'éprouvais de ce que mes mains avaient fait. Je me demandais, accablé sous le poids du terrible secret, si l'Église serait assez puissante pour me protéger contre la vengeance de ce terrible jeune homme, au cas où je me déciderais à tout divulguer. J'eus l'idée que je devais choisir le moment où, à la publication des bans, le vicaire dit: «Vous êtes priés de nous en donner connaissance,» pour me lever et demander un entretien particulier dans la sacristie. Si, au lieu d'être le saint jour de Noël, c'eût été un simple dimanche, je ne réponds pas que je n'eusse procuré une grande surprise à notre petite congrégation, en ayant recours à cette mesure extrême.

M. Wopsle, le chantre, devait dîner avec nous, ainsi que M. Hubble; le charron, et Mrs Hubble; et aussi l'oncle Pumblechook (oncle de Joe, que Mrs Joe tâchait d'accaparer), fort grainetier de la ville voisine, qui conduisait lui-même sa voiture. Le dîner était annoncé pour une heure et demie. En rentrant, Joe et moi nous trouvâmes le couvert mis, Mrs Joe habillée, le dîner dressé et la porte de la rue (ce qui n'arrivait jamais dans d'autres temps), toute grande ouverte pour recevoir les invités. Tout était splendide. Et pas un mot sur le larcin.

La compagnie arriva, et le temps, en s'écoulant, n'apportait aucune consolation à mes inquiétudes. M. Wopsle, avec un nez romain, un front chauve et luisant, possédait, en outre, une voix de basse dont il n'était pas fier à moitié. C'était un fait avéré parmi ses connaissances, que si l'on eût pu lui donner une autre tête, il eût été capable de devenir clergyman, et il confessait lui-même que si l'Église eût été «ouverte à tous,» il n'aurait pas manqué d'y faire figure; mais que l'Église n'étant pas «accessible à tout le monde,» il était simplement, comme je l'ai dit, notre chantre. Il entonnait les réponses d'une voix de tonnerre qui faisait trembler, et quand il annonçait le psaume, en ayant soin de réciter le verset tout entier, il regardait la congrégation réunie autour de lui d'une manière qui voulait dire: «Vous avez entendu mon ami, là-bas derrière; eh bien! faites-moi maintenant l'amitié de me dire ce que vous pensez de ma manière de répéter le verset?»

C'est moi qui ouvris la porte à la compagnie, en voulant faire croire que c'était dans nos habitudes, je reçus d'abord M. Wopsle, puis Mrs Hubble, et enfin l'oncle Pumblechook. – N. B. Je ne devais pas l'appeler mon oncle, sous peine des punitions les plus sévères.

«Mistress Joe, dit l'oncle Pumblechook, homme court et gros et à la respiration difficile, ayant une bouche de poisson, des yeux ternes et étonnés, et des cheveux roux se tenant droits sur son front, qui lui donnaient toujours l'air effrayé, je vous apporte, avec les compliments d'usage, madame, une bouteille de Sherry, et je vous apporte aussi, madame, une bouteille de porto.»

Chaque année, à Noël, il se présentait comme une grande nouveauté, avec les mêmes paroles exactement, et portant ses deux bouteilles comme deux sonnettes muettes. De même, chaque année à la Noël, Mrs Joe répliquait comme elle le faisait ce jour-là:

«Oh!.. mon… on… cle… Pum… ble… chook!.. c'est bien bon de votre part!»

De même aussi, chaque année à la Noël, l'oncle Pumblechook répliquait: comme il répliqua en effet ce même jour:

«Ce n'est pas plus que vous ne méritez… Êtes-vous tous bien portants?.. Comment va le petit, qui ne vaut pas le sixième d'un sou?»

C'est de moi qu'il voulait parler.

En ces occasions, nous dînions dans la cuisine, et l'on passait au salon, où nous étions aussi empruntés que Joe dans ses habits du dimanche, pour manger les noix, les oranges, et les pommes. Ma sœur était vraiment sémillante ce jour-là, et il faut convenir qu'elle était plus aimable pour Mrs Hubble que pour personne. Je me souviens de Mrs Hubble comme d'une petite personne habillée en bleu de ciel des pieds à la tête, aux contours aigus, qui se croyait toujours très jeune, parce qu'elle avait épousé M. Hubble je ne sais à quelle époque reculée, étant bien plus jeune que lui. Quant à M. Hubble, c'était un vieillard voûté, haut d'épaules, qui exhalait un parfum de sciure de bois; il avait les jambes très écartées l'une de l'autre; de sorte que, quand j'étais tout petit, je voyais toujours entre elles quelques milles de pays, lorsque je le rencontrais dans la rue.

Au milieu de cette bonne compagnie, je ne me serais jamais senti à l'aise, même en admettant que je n'eusse pas pillé le garde-manger. Ce n'est donc pas parce que j'étais placé à l'angle de la table, que cet angle m'entrait dans la poitrine et que le coude de M. Pumblechook m'entrait dans l'œil, que je souffrais, ni parce qu'on ne me permettait pas de parler (et je n'en avais guère envie), ni parce qu'on me régalait avec les bouts de pattes de volaille et avec ces parties obscures du porc dont le cochon, de son vivant, n'avait eu aucune raison de tirer vanité. Non; je ne me serais pas formalisé de tout cela, s'ils avaient voulu seulement me laisser tranquille; mais ils ne le voulaient pas. Ils semblaient ne pas vouloir perdre une seule occasion d'amener la conversation sur moi, et ce jour-là, comme toujours, chacun semblait prendre à tâche de m'enfoncer une pointe et de me tourmenter. Je devais avoir l'air d'un de ces infortunés petits taureaux que l'on martyrise dans les arènes espagnoles, tant j'étais douloureusement touché par tous ces coups d'épingle moraux.

 

Cela commença au moment où nous nous mîmes à table. M. Wopsle dit les Grâces d'un ton aussi théâtral et aussi déclamatoire, du moins cela me fait cet effet-là maintenant, que s'il eût récité la scène du fantôme d'Hamlet ou celle de Richard III, et il termina avec la même emphase que si nous avions dû vraiment lui en être reconnaissants. Là-dessus, ma sœur fixa ses yeux sur moi, et me dit d'un ton de reproche:

«Tu entends cela?.. rends grâces… sois reconnaissant!

– Rends surtout grâces, dit M. Pumblechook, à ceux qui t'ont élevé, mon garçon.»

Mrs Hubble secoua la tête, en me contemplant avec le triste pressentiment que je ne ferais pas grand'chose de bon, et demanda:

«Pourquoi donc les jeunes gens sont-ils toujours ingrats?»

Ce mystère moral sembla trop profond pour la compagnie, jusqu'à ce que M. Hubble en eût, enfin, donné l'explication en disant:

«Parce qu'ils sont naturellement vicieux.»

Et chacun de répondre:

«C'est vrai!»

Et de me regarder de la manière la plus significative et la plus désagréable.

La position et l'influence de Joe étaient encore amoindries, s'il est possible, quand il y avait du monde; mais il m'aidait et me consolait toujours quand il le pouvait; par exemple, à dîner, il me donnait de la sauce quand il en restait. Ce jour-là, la sauce était très abondante et Joe en versa au moins une demi-pinte dans mon assiette.

Un peu plus tard M. Wopsle fit une critique assez sévère du sermon et insinua dans le cas hypothétique où l'Église «aurait été ouverte à tout le monde» quel genre de sermon il aurait fait. Après avoir rappelé quelques uns des principaux points de ce sermon, il remarqua qu'il considérait le sujet comme mal choisi; ce qui était d'autant moins excusable qu'il ne manquait certainement pas d'autres sujets.

«C'est encore vrai, dit l'oncle Pumblechook. Vous avez mis le doigt dessus, monsieur! Il ne manque pas de sujets en ce moment, le tout est de savoir leur mettre un grain de sel sur la queue comme aux moineaux. Un homme n'est pas embarrassé pour trouver un sujet, s'il a sa boîte à sel toute prête.»

M. Pumblechook ajouta, après un moment de réflexion:

«Tenez, par exemple, le porc, voilà un sujet! Si vous voulez un sujet, prenez le porc!

– C'est vrai, monsieur, reprit M. Wopsle, il y a plus d'un enseignement moral à en tirer pour la jeunesse.»

Je savais bien qu'il ne manquerait pas de tourner ses yeux vers moi en disant ces mots.

«As-tu écouté cela, toi?.. Puisses-tu en profiter, me dit ma sœur» d'un ton sévère, en matière de parenthèse.

Joe me donna encore un peu de sauce.

«Les pourceaux, continua M. Wopsle de sa voix la plus grave, en me désignant avec sa fourchette, comme s'il eût prononcé mon nom de baptême, les pourceaux furent les compagnons de l'enfant prodigue. La gloutonnerie des pourceaux n'est-elle pas un exemple pour la jeunesse? (Je pensais en moi-même que cela était très bien pour lui qui avait loué le porc d'être aussi gras et aussi savoureux.) Ce qui est détestable chez un porc est bien plus détestable encore chez un garçon.

– Ou chez une fille, suggéra M. Hubble.

– Ou chez une fille, bien entendu, monsieur Hubble, répéta M. Wopsle, avec un peu d'impatience; mais il n'y a pas de fille ici.

– Sans compter, dit M. Pumblechook, en s'adressant à moi, que tu as à rendre grâces de n'être pas né cochon de lait…

– Mais il l'était, monsieur! s'écria ma sœur avec feu, il l'était autant qu'un enfant peut l'être.»

Joe me redonna encore de la sauce.

«Bien! mais je veux parler d'un cochon à quatre pattes, dit M. Pumblechook. Si tu étais né comme cela, serais-tu ici maintenant? Non, n'est-ce pas?

– Si ce n'est sous cette forme, dit M. Wopsle en montrant le plat.

– Mais je ne parle pas de cette forme, monsieur, repartit M. Pumblechook, qui n'aimait pas qu'on l'interrompît. Je veux dire qu'il ne serait pas ici, jouissant de la vue de ses supérieurs et de ses aînés, profitant de leur conversation et se roulant au sein des voluptés. Aurait-il fait tout cela?.. Non, certes! Et quelle eût été ta destinée, ajouta-t-il en me regardant de nouveau; on t'aurait vendu moyennant une certaine somme, selon le cours du marché, et Dunstable, le boucher, serait venu te chercher sur la paille de ton étable; il t'aurait enlevé sous son bras gauche, et, de son bras droit il t'aurait arraché à la vie à l'aide d'un grand couteau. Tu n'aurais pas été «élevé à la main»… Non, rien de la sorte ne te fût arrivé!»

Joe m'offrit encore de la sauce, que j'avais honte d'accepter.

«Cela a dû être un bien grand tracas pour vous, madame, dit Mrs Hubble, en plaignant ma sœur.

– Un enfer, madame, un véritable enfer, répéta ma sœur. Ah! si vous saviez!..»

Elle commença alors à passer en revue toutes les maladies que j'avais eues, tous les méfaits que j'avais commis, toutes les insomnies dont j'avais été cause, toutes les mauvaises actions dont je m'étais rendu coupable, tous les endroits élevés desquels j'étais tombé, tous les trous au fond desquels je m'étais enfoncé, et tous les coups que je m'étais donné. Elle termina en disant que toutes les fois qu'elle aurait désiré me voir dans la tombe, j'avais constamment refusé d'y aller.

Je pensais alors, en regardant M. Wopsle, que les Romains avaient dû pousser à bout les autres peuples avec leurs nez, et que c'est peut-être pour cette raison qu'ils sont restés le peuple remuant que nous connaissons. Quoi qu'il en soit, le nez de M. Wopsle m'impatientait si fort que pendant le récit de mes fautes, j'aurais aimé le tirer jusqu'à faire crier son propriétaire. Mais tout ce que j'endurais pendant ce temps n'est rien auprès des affreux tourments qui m'assaillirent lorsque fut rompu le silence qui avait succédé au récit de ma sœur, silence pendant lequel chacun m'avait regardé, comme j'en avais la triste conviction, avec horreur et indignation.

«Et pourtant, dit M. Pumblechook qui ne voulait pas abandonner ce sujet de conversation, le porc… bouilli… est un excellent manger, n'est-ce pas?

– Un peu d'eau-de-vie, mon oncle?» dit ma sœur.

Ô ciel! le moment était venu! l'oncle allait trouver qu'elle était faible; il le dirait; j'étais perdu! Je me cramponnai au pied de la table, et j'attendis mon sort.

Ma sœur alla chercher la bouteille de grès, revint avec elle, et versa de l'eau-de-vie à mon oncle, qui était la seule personne qui en prît. Ce malheureux homme jouait avec son verre; il le soulevait, le plaçait entre lui et la lumière, le remettait sur la table; et tout cela ne faisait que prolonger mon supplice. Pendant ce temps, Mrs Joe, et Joe lui-même faisaient table nette pour recevoir le pâté et le pudding.

Je ne pouvais les quitter des yeux. Je me cramponnais toujours avec une énergie fébrile au pied de la table, avec mes mains et mes pieds. Je vis enfin la misérable créature porter le verre à ses lèvres, rejeter sa tête en arrière et avaler la liqueur d'un seul trait. L'instant d'après, la compagnie était plongée dans une inexprimable consternation. Jeter à ses pieds ce qu'il tenait à la main, se lever et tourner deux ou trois fois sur lui-même, crier, tousser, danser dans un état spasmodique épouvantable, fut pour lui l'affaire d'une seconde; puis il se précipita dehors et nous le vîmes, par la fenêtre, en proie à de violents efforts pour cracher et expectorer, au milieu de contorsions hideuses, et paraissant avoir perdu l'esprit.

Je tenais mon pied de table avec acharnement, pendant que Mrs Joe et Joe s'élancèrent vers lui. Je ne savais pas comment, mais sans aucun doute je l'avais tué. Dans ma terrible situation, ce fut un soulagement pour moi de le voir rentrer dans la cuisine. Il en fit le tour en examinant toutes les personnes de la compagnie, comme si elles eussent été cause de sa mésaventure; puis il se laissa tomber sur sa chaise, en murmurant avec une grimace significative:

«De l'eau de goudron!»

J'avais rempli la bouteille d'eau-de-vie avec la cruche à l'eau de goudron, pour qu'on ne s'aperçût pas de mon larcin. Je savais ce qui pouvait lui arriver de pire. Je secouais la table, comme un médium de nos jours, par la force de mon influence invisible.

«Du goudron!.. s'écria ma sœur, étonnée au plus haut point. Comment l'eau de goudron a-t-elle pu se trouver là?»

2Jeu de mot impossible à rendre exactement «Cross» – signifie: «croix» et aussi «contrariant, hostile, furieux, de mauvaise humeur.» En mettant ses doigts en croix, Joe indiquait à Pip l'humeur de Mrs Joe.
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