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Les grandes espérances

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CHAPITRE II

À 10 notre arrivée en Danemark11, nous trouvâmes le roi et la reine de ce pays dans deux fauteuils élevés sur une table de cuisine, et tenant leur cour. Toute la noblesse danoise était là; elle se composait d'un jeune gentilhomme enfoui dans des bottes en peau de chamois, qu'il avait probablement héritées d'un ancêtre géant; d'un vénérable pair à figure sale, qui paraissait n'être sorti des rangs du peuple que dans un âge très avancé; et d'une personne avec un peigne dans les cheveux, les deux jambes recouvertes de soie blanche, et présentant une apparence toute féminine. Mon éminent compatriote, M. Wopsle, chargé du rôle d'Hamlet, se tenait sournoisement à part, les bras croisés, et j'aurais pu désirer que ses boucles de cheveux et son front eussent été plus vraisemblables.

Plusieurs petites circonstances curieuses transpiraient à mesure que l'action se déroulait. Le défunt roi paraissait non seulement avoir été atteint d'un rhume au moment de sa mort, mais l'avoir emporté avec lui dans la tombe, et l'avoir rapporté en sortant. Le royal fantôme portait aussi un fantôme de manuscrit autour de son bâton de commandement, qu'il avait l'air de consulter de temps en temps, et cela avec une tendance évidente à perdre l'endroit où il en était resté, ce qui résultait sans doute de son état de mortalité. C'est ce qui, je pense, amena la galerie à conseiller à l'ombre de tourner la page, recommandation qu'elle prit extrêmement mal. Il faut aussi faire remarquer que cet esprit majestueux, qui avait l'air, en faisant son apparition, d'avoir marché longtemps et d'avoir parcouru une distance énorme, sortait d'un mur, immédiatement contigu. Cela fut cause que les terreurs qu'il inspirait furent reçues avec dérision. La reine de Danemark, dame très gaillarde, fut considérée par le public comme ayant trop de cuivre sur sa personne. Son menton se réunissait à son diadème par une large bande de ce métal, comme si elle eût eu un mal de dents formidable. Sa taille était ceinte d'une autre bande, et chacun de ses bras également, de sorte qu'on lui donnait tout haut le nom de grosse caisse. Le jeune gentilhomme, dans les bottes de son ancêtre, était très insuffisant pour représenter tout d'une baleine à lui seul, un marin habile, un acteur ambulant, un fossoyeur, un prêtre et un personnage de la plus haute importance, assistant à l'assaut d'armes devant la cour, et qui par son œil habile et son jugement sain, était appelé à juger les plus beaux coups. Cela amena graduellement le public à manquer graduellement d'indulgence pour lui, et lorsque enfin on le reconnut dans les saints ordres, se refusant à célébrer le service funèbre, l'indignation générale ne connut plus de bornes et le poursuivit sous la forme de coquilles de noix. En dernier lieu, Ophélia fut en proie à une folie si lente et si musicale, que, lorsque au moment voulu, elle eut ôté son écharpe de mousseline blanche, qu'elle l'eut pliée et entourée, un mauvais plaisant du parterre, qui depuis longtemps rafraîchissait son nez impatient contre une barre de fer du premier rang, s'écria:

«Maintenant que le moutard est couché, qu'on nous donne à souper.»

Ce qui, pour ne pas dire davantage, était tout à fait hors de propos.

Tous ces incidents s'accumulaient d'une manière folâtre sur mon infortuné compatriote. Toutes les fois que le prince indécis avait à faire une question ou à éclairer un doute, le public l'y aidait. Comme par exemple, à la question: s'il était plus noble à l'esprit de souffrir, quelques uns crièrent:

«Oui!»

Quelques uns:

«Non»

Et d'autres, penchant pour les deux opinions, dirent:

«Voyons, à pile ou face!»

C'était tout à fait une conférence d'avocats. Quand il demanda pourquoi un être comme lui ramperait entre le ciel et la terre, il fut encouragé par les cris:

«Écoutez! Écoutez!»

Lorsqu'il parut avec son bas en désordre (ce désordre exprimé, selon l'usage, par un pli très propre à la partie supérieure, pli que l'on obtient, je crois, à l'aide d'un fer à repasser), une discussion s'éleva dans la galerie, à propos de la pâleur de sa jambe, et le public demanda si elle était occasionnée par la peur que lui avait faite le fantôme. Lorsqu'il saisit le flageolet qui ressemblait énormément à une petite flûte dont on avait joué dans l'orchestre, et qu'on venait de mettre dehors, on lui demanda, à l'unanimité, le Rule Britannia. Quand il recommanda à l'accompagnateur de ne pas massacrer l'air, le mauvais plaisant dit:

«Et vous non plus, vous êtes bien plus mauvais que lui.»

Et j'éprouve de la peine à ajouter que des éclats de rire accueillirent M. Wopsle dans chacune de ces occasions.

Mais ses plus rudes épreuves furent dans le cimetière, qui avait l'apparence d'une forêt vierge, avec une sorte de petit vestiaire d'un côté, et une porte à tourniquet de l'autre. Quand M. Wopsle, en manteau noir, fut aperçu passant au tourniquet, on avertit amicalement le fossoyeur, en criant:

«Attention! voilà l'entrepreneur des pompes funèbres qui vient voir comment vous travaillez!»

Je crois qu'il est bien connu, que dans un pays constitutionnel, M. Wopsle ne pouvait décemment pas rendre le crâne après avoir moralisé dessus, sans s'essuyer les doigts avec une serviette blanche, qu'il tira de son sein; mais même cette action, innocente et indispensable, ne passa pas sans le commentaire:

«Garçon!..»

L'arrivée du corps pour l'enterrement, dans une grande boite noire, vide, avec le couvercle ouvert et retombant en dehors, fut le signal d'une joie générale, qui s'accrut encore par la découverte, parmi les porteurs, d'un individu, sujet à l'identification. La joie suivit M. Wopsle, dans sa lutte avec Laërte sur le bord de la tombe de l'orchestre et ne se ralentit pas jusqu'au moment où il renversa le Roi de dessus la table de cuisine et qu'il fut mort à force de se tenir les pieds en l'air.

Nous avions fait au commencement quelques timides efforts pour applaudir M. Wopsle, mais avec trop d'insuccès pour persister. Nous étions donc restés tranquilles, tout en souffrant pour lui, mais riant tout bas, néanmoins, de l'un à l'autre. Je riais tout le temps, malgré moi, tant cela était comique, et pourtant j'avais une espèce d'impression qu'il y avait quelque chose de positivement beau dans l'élocution de M. Wopsle: non pas que j'en aie peur à cause de mes anciennes relations, mais parce qu'elle était très lente, terrible, montante et descendante, et qu'elle ne ressemblait en aucune manière à la façon dont un homme, dans les circonstances naturelles de la vie ou de la mort, s'est jamais exprimé sur quoi que ce soit. Quand la tragédie fut finie, et qu'on eût rappelé et hué notre ami, je dis à Herbert:

«Partons sur-le-champ de peur de le rencontrer.»

Nous descendîmes en toute hâte, mais pas assez vite cependant. À la porte se trouvait une espèce de juif, avec des sourcils extrêmement épais et crasseux. Il m'aperçut comme nous avancions, et me dit quand nous passâmes à côté de lui:

«M. Pip et son ami?

L'identité de M. Pip et de son ami ayant été avouée, il continua:

«M. Waldengarver, serait bien aise d'avoir l'honneur…

– Waldengarver?» répétai-je.

Immédiatement Herbert me dit à l'oreille:

«C'est Wopsle, sans doute.

– Oh! bien, dis-je, faut-il vous suivre?

– Quelques pas, s'il vous plaît.»

Quand nous fûmes dans un couloir retiré, il se retourna pour me demander:

«Quel air lui avez-vous trouvé? c'est moi qui l'ai habillé.»

Je ne savais pas de quoi il avait l'air, si ce n'est d'un conducteur d'enterrement avec l'addition d'un grand soleil ou d'une étoile danoise pendue à son cou, par un ruban bleu – ce qui lui avait donné l'air d'être assuré par quelque compagnie extraordinaire d'assurance contre l'incendie. Mais je répondis qu'il m'avait paru très convenable.

«Quand il arrive à la tombe, il fait admirablement valoir son manteau; mais, de la coulisse, il m'a semblé que quand il voit le fantôme dans l'appartement de la reine, il aurait pu tirer meilleur parti de ses bas.»

Je fis un signe d'assentiment, et nous tombâmes, en passant par une sale petite porte volante, dans une sorte de caisse d'emballage où il faisait très chaud et où M. Wopsle se débarrassait de ses vêtements danois. Il y avait juste assez de place pour nous permettre de regarder par-dessus nos épaules, en tenant ouverte la porte ou le couvercle de la caisse.

«Messieurs, dit M. Wopsle, je suis fier de vous voir. J'espère, monsieur Pip, que vous m'excuserez de vous avoir fait prier de venir. J'ai eu le bonheur de vous connaître autrefois, et le drame a toujours eu des droits particuliers à l'estime des nobles et des riches.»

 

En même temps, M. Waldengarver, dans une effroyable transpiration, cherchait à se débarrasser de son deuil princier.

«Retournez les bas! monsieur Waldengarver, dit le possesseur de cette partie du costume, ou vous les crèverez, vous les crèverez, et vous crèverez trente-cinq shillings. Shakespeare n'a jamais été interprété avec une plus belle paire de bas. Tenez-vous tranquille sur votre chaise, et laissez-moi faire.»

Sur ce, il se mit à genoux et commença à dépouiller sa victime qui, le premier bas ôté, serait infailliblement tombée à la renverse avec sa chaise, s'il y avait eu de la place pour tomber n'importe comment.

Je n'avais pas osé dire jusqu'alors un seul mot sur la représentation; mais en ce moment M. Waldengarver nous regarda avec satisfaction, et dit:

«Messieurs, comment vous a-t-il semblé que cela marchait, vu de face?»

Herbert répondit derrière moi, me poussant en même temps:

«Supérieurement!»

Comment avez-vous trouvé que j'ai rendu le personnage, messieurs?» dit M. Waldengarver, presque avec un ton de protection, si ce n'est tout à fait.

Herbert répondit de derrière, en me poussant de nouveau:

«Merveilleux! complet!»

Et je répétai hardiment, comme si je l'avais inventé et comme si je devais appuyer sur ces mots:

«Merveilleux! complet!

– Je suis aise d'avoir votre approbation, messieurs, dit M. Waldengarver, avec un air de dignité, tout en se cognant en même temps contre la muraille et en se retenant au siège du fauteuil.

– Mais je vais vous dire une chose, monsieur Waldengarver, dit l'homme qui lui retirait ses bas, que vous ne comprenez pas, maintenant faites attention, je ne crains pas qu'on dise le contraire, je vous dis donc que vous vous trompez quand vous placez vos jambes de profil. Le dernier Hamlet que j'ai habillé faisait la même faute aux répétitions, jusqu'au jour où je lui fis mettre un grand pain à cacheter rouge sur chaque genou; puis, à la dernière répétition, j'allai me mettre de face, monsieur, au fond du parterre, et toutes les fois que son rôle le plaçait de profil, je criais: «Je ne «vois pas les pains à cacheter!» À la représentation, tout marcha le mieux du monde.»

M. Waldengarver me sourit, comme pour me dire:

«Un fidèle serviteur, je flatte sa manie.»

Puis il dit très haut:

«Mes vues sont un peu classiques et abstraites pour eux; mais ils progresseront, ils progresseront.»

Herbert et moi nous répétâmes ensemble:

«Oh! sans doute ils progresseront.

– Avez-vous remarqué, messieurs, dit M. Waldengarver, qu'il y avait un homme à la galerie qui voulait jeter du ridicule sur le service… je veux dire la représentation?»

Nous répondîmes lâchement que nous croyions avoir remarqué quelque chose de semblable, et j'ajoutai que, sans doute, cet homme était ivre.

«Oh! non pas! non pas, monsieur! Il n'était pas ivre; celui qui l'emploie veille à cela, monsieur: il ne lui permettrait pas de s'enivrer.

– Vous connaissez celui qui l'emploie» dis-je.

M. Wopsle ferma les yeux et les rouvrit, exécutant ces mouvements avec une grande lenteur.

«Vous avez dû remarquer, messieurs, dit-il, un âne ignorant et beuglant, à la gorge pelée, qui a une expression de basse malignité sur le visage; il a essayé, je ne dirai pas joué, le rôle de Claudius, roi de Danemark. C'est celui qui l'emploie, messieurs, voilà sa profession!»

Sans savoir exactement si j'aurais été plus fâché pour M. Wopsle, s'il eût été au désespoir, j'étais, quoi qu'il en soit, si fâché pour lui, et je compatissais tellement à son sort, que je profitai de l'instant où il se retournait pour faire mettre ses bretelles, ce qui nous forçait à rester en dehors de la porte, pour demander à Herbert ce qu'il pensait de l'avoir à souper. Herbert dit qu'il pensait qu'il serait bien de l'inviter. En conséquence je lui fis mon invitation et il vint avec nous à l'hôtel Barnard, enveloppé jusqu'aux yeux. Nous le traitâmes de notre mieux, et il resta jusqu'à deux heures du matin, en passant en revue son succès et en développant ses plans. J'ai oublié ce qu'ils étaient en détail, mais j'ai un souvenir général qu'il voulait commencer par ressusciter le théâtre pour finir par l'anéantir, d'autant plus que sa mort le laisserait dans un abandon complet, et sans aucune chance d'espoir.

Après tout cela, je gagnai mon lit dans un état piteux; je pensai à Estelle, je rêvai que toutes mes espérances étaient évanouies, et que je devais donner ma main en légitime mariage à la Clara d'Herbert, ou jouer Hamlet avec le fantôme de miss Havisham, devant vingt mille personnes, sans en savoir les vingt premiers mots.

CHAPITRE III

Un des jours suivants, tandis que j'étais occupé avec mes livres et M. Pocket, je reçus par la poste une lettre, dont la seule enveloppe me jeta dans un grand émoi, car bien que je n'eusse jamais vu l'écriture de l'adresse, je devinai sur-le-champ de qui elle venait. Elle ne commençait pas par «Cher monsieur Pip,» ni par «Cher Pip,» ni par «Cher monsieur,» ni par Cher n'importe qui, mais ainsi:

«Je dois venir à Londres après-demain, par la voiture de midi; je crois qu'il a été convenu que vous deviez venir à ma rencontre. C'est dans tous les cas le désir de miss Havisham, et je vous écris pour m'y conformer. Elle vous envoie ses souvenirs.

«Toute à vous,

«ESTELLE.»

Si j'en avais eu le temps, j'aurais probablement commandé plusieurs habillements complets pour cette occasion; mais comme je ne l'avais pas, je dus me contenter de ceux que j'avais. Mon appétit me quitta instantanément, et je ne goûtai ni paix ni repos que le jour indiqué ne fût arrivé; non cependant que sa venue m'apportât l'un ou l'autre, car alors ce fut pire que jamais. Je commençai par rôder autour du bureau des voitures, bien avant que la voiture eût seulement quitté le Cochon bleu de notre ville. Je le savais parfaitement, et pourtant il me semblait qu'il n'y avait pas de sécurité à quitter de vue le bureau pendant plus de cinq minutes de suite. J'avais déjà passé la première demi-heure d'une garde de quatre ou cinq heures dans cet état d'excitation, quand M. Wemmick se heurta contre moi.

«Holà! ah! monsieur Pip! dit-il, comment ça va-t-il? Je ne pensais pas que ce fût ici que vous dussiez faire votre faction.»

Je lui expliquai que je venais attendre quelqu'un qui devait arriver par la voiture, et je lui demandai des nouvelles de son père et du château.

«Tous les deux sont florissants. Merci! dit-il, le vieux surtout, c'est un fameux père, il aura quatre-vingt-deux ans à son prochain anniversaire; j'ai envie de tirer quatre-vingt-deux coups de canon, si toutefois les voisins ne se plaignent pas, et si mon canon peut supporter un pareil service. Mais on ne parle pas de cela à Londres. Où pensez-vous que j'aille?

– À l'étude, dis-je, car il était tourné dans cette direction.

– Tout près, répondit Wemmick, car je vais à Newgate. Nous sommes en ce moment dans l'affaire d'un banquier qui a été volé. Je suis allé jusque sur la route, pour avoir une idée de la scène où l'action s'est passée, et là-dessus je dois avoir un mot ou deux d'entretien avec notre client.

– Est-ce que votre client a commis le vol? demandai-je.

– Que Dieu ait pitié de votre âme et de votre corps, non! répondit Wemmick sèchement; mais il en est accusé comme vous ou moi pourrions l'être. L'un de nous, vous le savez, pourrait aussi bien en être accusé.

– Seulement nous ne le sommes ni l'un ni l'autre, répondis-je.

– En vérité, dit Wemmick en me touchant la poitrine du bout du doigt, vous êtes un profond gaillard, monsieur Pip. Vous serait-il agréable de jeter un coup d'œil sur Newgate?.. Avez-vous le temps?»

J'avais tant de temps à perdre que la proposition m'agréa comme un soulagement malgré ce qu'elle avait d'inconciliable avec mon ardent désir de ne pas perdre de vue le bureau des voitures. Je murmurais donc que j'allais m'informer si j'avais le temps d'aller avec lui. J'entrai dans le bureau et demandai au commis, avec la plus stricte précision, le moment le plus rapproché auquel on attendait la voiture, ce que je savais d'avance tout aussi bien que lui. Je rejoignis alors M. Wemmick, et, faisant semblant de consulter ma montre, et d'être surpris du renseignement que j'avais reçu, j'acceptai son offre.

En quelques minutes, nous arrivâmes à Newgate et nous traversâmes la loge où quelques fers étaient suspendus aux murailles nues, à côté des règlements de l'intérieur de la prison. À cette époque, les prisons étaient fort négligées, et la période de réaction exagérée, suite inévitable de toutes les erreurs publiques qui en est toujours la punition la plus lourde et la plus longue, était encore loin. Alors les criminels n'étaient pas mieux logés et mieux nourris que les soldats (pour ne point parler des pauvres), et ils mettaient rarement le feu à leur prison, dans le but excusable d'ajouter à la saveur de leur soupe. Quand Wemmick me fit entrer, c'était l'heure des visites. Un cabaretier circulait avec de la bière, et les prisonniers, derrière les barreaux des grilles, en achetaient et causaient à des amis: c'était, à vrai dire, une scène repoussante, laide, sale et affligeante.

Je remarquai que Wemmick marchait au milieu des prisonniers comme un jardinier marcherait au milieu de ses plantes. Cette idée me vint quand je le vis aborder un grand gaillard qui était arrivé la nuit, et qu'il lui dit:

«Eh bien! capitaine Tom, nous voilà donc ici? Ah! vraiment!.. Eh! n'est-ce pas Black Bill qui est là-bas derrière la fontaine?.. Mais je ne vous ai pas vu depuis deux mois. Comment vous trouvez-vous ici?»

S'arrêtant devant les barreaux, il écoutait les paroles inquiètes et précipitées des prisonniers, mais ne parlait jamais à plus d'un à la fois. Wemmick, avec sa bouche en forme de boite aux lettres, dans une parfaite immobilité, les regardait pendant qu'ils parlaient comme s'il voulait prendre tout particulièrement note des pas qu'ils avaient fait depuis sa dernière visite vers l'avenir qui les attendait après leur jugement.

Il était très populaire, et je vis qu'il jouait le rôle familier et bon enfant dans les affaires de M. Jaggers; bien qu'il y eût dans toute sa personne un peu de la dignité de M. Jaggers, qui empêchait qu'on l'approchât au-delà de certaines limites. En reconnaissant successivement chaque client, il leur faisait un signe de tête, arrangeait son chapeau de ses deux mains sur sa tête, pinçait davantage sa bouche, et finissait par remettre ses mains dans ses poches. Une ou deux fois il eut des difficultés à propos des à-comptes sur les honoraires. Alors, s'éloignant le plus possible de l'argent offert en quantité insuffisante, il disait:

«C'est inutile, mon garçon, je ne suis qu'un subordonné; je ne puis prendre cela. N'agissez pas ainsi avec un subordonné. Si vous ne pouvez pas fournir le montant, mon garçon, vous feriez mieux de vous adresser à un autre patron. Ils sont nombreux dans la profession, vous savez, et ce qui ne vaut pas la peine pour l'un est suffisant pour l'autre. C'est ce que je vous recommande en ma qualité de subordonné. Ne prenez pas une peine inutile, à quoi bon? À qui le tour?»

C'est ainsi que nous nous promenâmes dans la serre de Wemmick jusqu'à ce qu'il se tournât vers moi, et me dît:

«Faites attention à l'homme auquel je vais donner une poignée de main.»

Je n'aurais pas manqué de le faire sans y être engagé, car il n'avait encore donné de poignée de main à personne.

Presque aussitôt qu'il eut fini de parler, un gros homme roide, que je vois encore en écrivant, dans un habit olive à la mode, avec une certaine pâleur s'étendant sur son teint naturellement rouge, et des yeux qui allaient et venaient de tous côtés quand il essayait de les fixer, arriva à un des coins de la grille, et porta la main à son chapeau, qui avait une surface graisseuse et épaisse comme celle d'un bouillon froid, en faisant un salut militaire demi-sérieux, demi-plaisant.

«Bien à vous, colonel! dit Wemmick. Comment allez-vous, colonel?

– Très bien, monsieur Wemmick.

– On a fait tout ce qu'il était possible de faire, mais les preuves étaient trop fortes contre nous, colonel.

– Oui, elles étaient trop fortes, monsieur, mais ça m'est égal.

– Non, non, dit Wemmick froidement, ça ne vous est pas égal. Puis se tournant vers moi: Il a servi Sa Majesté cet homme, il a été soldat dans la ligne, il s'est fait remplacer.

– En vérité?» dis-je.

Et les yeux de l'homme me regardèrent, puis ils regardèrent par-dessus ma tête, puis tout autour de moi, et enfin il passa ses mains sur ses lèvres et se mit à rire.

 

«Je crois que je sortirai d'ici lundi, monsieur, dit-il à Wemmick.

– Peut-être! répondit mon ami, mais on ne sait pas.

– Je suis aise d'avoir eu la chance de vous dire adieu, monsieur Wemmick, dit l'homme en passant sa main entre les barreaux.

– Merci! dit Wemmick en lui donnant une poignée de main, moi de même colonel.

– Si ce que j'avais sur moi quand j'ai été pris avait été du vrai, monsieur Wemmick, dit l'homme sans vouloir retirer sa main, je vous aurais demandé la faveur de porter une autre bague en reconnaissance de vos attentions.

– Je prends votre bonne volonté pour le fait, dit Wemmick. À propos, vous étiez un grand amateur de pigeons?»

L'homme leva les yeux en l'air.

«On m'a dit que vous aviez une race remarquable de culbutants, ajouta Wemmick, pourriez-vous dire à un de vos amis de m'en apporter une paire si vous n'en avez plus besoin?

– Ce sera fait, monsieur.

– Très bien! dit Wemmick, on aura soin d'eux. Bonjour, colonel; adieu.»

Ils se serrèrent de nouveau les mains, et, en nous éloignant, Wemmick me dit:

«C'est un faux monnayeur, excellent ouvrier. Le rapport du recorder sera fait aujourd'hui. Il est sûr d'être exécuté lundi… Une paire de pigeons a bien son prix.»

Là-dessus, il tourna la tête, et fit signe à cette plante morte, puis il promena les yeux autour de lui en sortant de la cour comme s'il eût considéré quelle autre plante il pourrait bien mettre à sa place.

En sortant de la prison par la loge, je vis que l'importance de mon tuteur n'était pas moins bien appréciée par les porte-clefs que par ceux qu'ils gardaient.

«Eh bien! monsieur Wemmick, dit l'un d'eux qui nous retenait entre deux portes garnies de pointes de fer et de clous, en ayant soin de fermer l'une avant d'ouvrir l'autre, qu'est-ce que va faire M. Jaggers de cet assassin de l'autre côté de l'eau? Va-t-il en faire un meurtrier sans préméditation ou autre chose?.. Que va-t-il faire de lui?

– Pourquoi ne le lui demandez-vous pas? répondit Wemmick.

– Oh! oui, n'est-ce pas? dit le porte-clefs.

– Vous voyez, monsieur Pip, voilà la manière d'en user avec ces gens-là, observa Wemmick. Ils ne se gênent pas pour me faire des questions à moi, le subordonné, mais vous ne les prendrez jamais à en faire à mon patron.

– Est-ce que ce jeune homme est un des apprentis ou un des membres de votre étude? demanda le porte-clefs en riant de l'humeur de Wemmick.

– Tenez, le voilà encore! s'écria Wemmick, je vous l'ai dit: il fait au subordonné une seconde question avant qu'on ait répondu à la première. Eh bien! quand M. Pip serait l'un des deux?

– Mais alors, dit le porte-clefs en riant de nouveau, il connaît M. Jaggers?

– Ya! cria Wemmick en regardant le porte-clefs d'une façon burlesque, vous êtes aussi muet qu'une de vos clefs quand vous avez affaire à mon patron, vous le savez bien. Faites-nous sortir, vieux renard, ou je vous fais intenter par lui une action pour emprisonnement illégal.»

Le porte-clefs se mit à rire et nous souhaita le bonsoir; puis il continua de rire après nous, par-dessus les piques du guichet quand nous descendîmes dans la rue.

«Faites attention, monsieur Pip, me dit gravement Wemmick à l'oreille en prenant mon bras pour se montrer plus confidentiel; je crois que ce qu'il y a de plus fort chez M. Jaggers c'est la manière dont il se tient. Il est toujours si fier que sa roideur constante fait partie de ses immenses capacités. Ce faux-monnayeur n'eût pas plus osé se passer de lui que ce porte-clefs n'eût osé lui demander ses intentions dans une de ses causes. Alors, entre sa roideur et eux il introduit ses subordonnés, voyez-vous; et, de cette manière, il les tient corps et âme.»

J'admirai fort la subtilité de mon tuteur. Mais, à vrai dire, j'eusse désiré de tout mon cœur, et ce n'est pas la première fois, avoir un tuteur d'une capacité moindre.

M. Wemmick et moi nous nous séparâmes à l'étude de la Petite Bretagne, où les clients de M. Jaggers abondaient comme de coutume, et je retournai me mettre en faction dans la rue du bureau des voitures, ayant encore deux ou trois heures devant moi. Je passai tout ce temps à penser combien il était étrange pour moi de me voir poursuivi et entouré de toute cette infection de prison et de crimes: pendant mon enfance, dans nos marais isolés, par un soir d'hiver, je l'avais rencontrée d'abord; elle avait ensuite déjà reparu à deux reprises différentes comme une tache à demi effacée mais non enlevée, et je ne pouvais l'empêcher de se mêler à ma fortune et à mes progrès dans le monde. Je pensais aussi à la belle Estelle, si fière et si distinguée qui venait à moi, et je songeais avec une extrême horreur au contraste qui existait entre elle et la prison. J'aurais donné beaucoup alors pour que Wemmick ne m'eût pas rencontré ou bien que je ne lui eusse pas cédé en allant avec lui. Je sentais que j'allais retrouver Newgate toujours et partout, imprégné jusque dans mes habits et dans l'air que je respirais. Je secouai la poussière de la prison restée à mes pieds; je l'enlevai de mes habits et l'exhalai de mes poumons. J'étais si troublé au souvenir de la personne qui allait venir, je me trouvais tellement indigne d'elle que je n'eus plus conscience du temps. La voiture me parut donc arriver assez promptement après tout, et je n'étais pas encore débarrassé de la souillure de conscience que m'avait communiquée la serre de M. Wemmick, quand je vis Estelle passer sa tête à la portière et me faire signe en agitant la main.

Qu'était donc cette ombre sans nom qui passait encore dans cet instant?

10Ce chapitre est, comme on le verra, consacré au récit d'une représentation d'Hamlet sur un théâtre de trente-sixième ordre. Le chef-d'œuvre de Shakespeare est trop généralement connu en France pour que les excentricités de cette représentation aient besoin de commentaires. Nous dirons seulement que les représentations de Shakespeare sur des théâtres borgnes son en effet un des côtés caractéristiques de la liberté des théâtres en Angleterre, et ce sont justement elles qui donnent la mesure de l'immense popularité de cette grande illustration nationale.
11C'est-à-dire au théâtre, la scène se passant en Danemark.
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