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David Copperfield – Tome I

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Uriah, frottant lentement ses longues mains, fit un mouvement du buste pour exprimer qu'il partageait cette opinion.

«Voulez-vous que nous allions voir mistress Micawber? dis-je, dans l'espérance d'entraîner M. Micawber.

– Si vous voulez bien lui faire ce plaisir, Copperfield, répliqua-t-il en se levant. Je n'ai point de scrupule à dire, devant nos amis ici présents, que j'ai lutté depuis plusieurs années contre des embarras pécuniaires (j'étais sûr qu'il dirait quelque chose de ce genre, il ne manquait jamais de se vanter de ce qu'il appelait ses embarras); tantôt j'ai pu triompher de mes embarras, tantôt mes embarras m'ont… en un mot, m'ont mis à bas. Il y a eu des moments où je leur ai résisté en face, il y en a eu d'autres où j'ai cédé à leur nombre, et où j'ai dit à mistress Micawber dans le langage de Caton: «Platon, tu raisonnes à merveille, tout est fini, je ne lutterai plus;» mais à aucune époque de ma vie, dit M. Micawber, je n'ai joui d'un plus haut degré de satisfaction que lorsque j'ai pu verser mes chagrins, si je puis appeler ainsi des embarras provenant de saisies mobilières, de billets et de protêts, dans le sein de mon ami Copperfield.»

Quand M. Micawber eut achevé de me rendre ce glorieux témoignage, «Bonsoir, monsieur Heep, ajouta-t-il; je suis votre serviteur, mistress Heep;» et il sortit avec moi de l'air le plus élégant, en faisant retentir les pavés sous les talons de ses bottes et en fredonnant un air le long du chemin.

L'auberge dans laquelle demeurait M. Micawber était petite, et la chambre qu'il occupait n'était pas grande non plus; elle était séparée par une cloison de la salle commune et sentait une forte odeur de tabac. Je crois qu'elle devait être située au-dessus de la cuisine, parce qu'il y montait en même temps à travers les fentes du plancher un fumet de graillon qui suintait sur les murs puants. Elle devait être aussi voisine du comptoir, car elle avait un goût de rogomme, et l'on y entendait distinctement le cliquetis des verres. Là, étendue sur un petit canapé au-dessous d'une gravure représentant un cheval de course, la tête près du feu et les pieds contre le moutardier placé sur une servante à l'autre bout de la chambre, était mistress Micawber, à laquelle son mari s'adressa en entrant le premier:

«Ma chère, permettez-moi de vous présenter un élève du docteur Strong.»

Je remarquai en passant que, quelque confusion qui existât toujours dans l'esprit de M. Micawber sur mon âge et ma situation, il n'oubliait jamais que j'étais élève du docteur Strong: c'était comme un hommage indirect qu'il rendait à la distinction de mon rang dans le monde.

Mistress Micawber fut étonnée, mais enchantée de me voir. J'étais bien aise aussi de la revoir moi-même, et, après un échange de compliments affectueux, je m'assis sur le canapé à côté d'elle.

«Ma chère, dit M. Micawber, si vous voulez raconter à Copperfield la situation actuelle, qu'il sera bien aise de connaître, je n'en doute pas, je vais aller jeter un coup d'oeil sur le journal pendant ce temps-là, pour voir si je trouverai quelque chose dans les annonces.

– Je vous croyais à Plymouth, madame, dis-je à mistress Micawber, quand il fut sorti.

– Mon cher monsieur Copperfield, répliqua-t-elle, nous y avons été en effet.

– Pour y prendre un emploi? repris-je.

– Précisément, dit mistress Micawber, pour y prendre un emploi; mais le fait est qu'on n'a pas besoin à la douane d'un homme doué de grandes facultés. L'influence locale de ma famille ne pouvait nous être non plus d'aucune ressource pour procurer à un homme doué des facultés de M. Micawber un emploi dans le département. On y préfère des gens plus ordinaires. Il aurait trop fait remarquer la nullité des autres. En outre, je ne vous cacherai pas, mon cher monsieur Copperfield, dit mistress Micawber, que la branche de ma famille établie à Plymouth, en apprenant que j'accompagnais M. Micawber avec le petit Wilkins, sa soeur et les jumeaux, ne l'a pas reçu avec toute la cordialité qu'il aurait pu attendre au moment où il venait de sortir de captivité. Le fait est, dit mistress Micawber en baissant la voix, et ceci est entre nous, que notre réception a été un peu froide.

– Vraiment? lui dis-je.

– Oui, dit mistress Micawber! Il est pénible de considérer l'humanité sous cet aspect, monsieur Copperfield, mais la réception qu'on nous a faite était décidément un peu froide. Il n'y a pas à en douter. Le fait est que la branche de ma famille établie à Plymouth est devenue tout à fait incivile avec M. Micawber avant que notre séjour eût duré seulement une semaine, et je ne leur ai pas caché ce que j'en pensais: je leur ai dit qu'ils devaient être honteux d'une telle conduite. Voilà pourtant ce qui s'est passé, continua mistress Micawber. Dans de telles circonstances, que pouvait faire un homme aussi fier que M. Micawber? Il n'y avait qu'un parti à prendre: emprunter de cette branche de ma famille l'argent nécessaire pour retourner à Londres, et y retourner au prix de n'importe quel sacrifice.

– Alors, vous êtes tous revenus, madame?

– Nous sommes tous revenus, répondit mistress Micawber. Depuis lors, j'ai consulté d'autres branches de ma famille sur le parti qu'il y avait à prendre pour M. Micawber, car je soutiens qu'il faut prendre un parti, monsieur Copperfield, me dit mistress Micawber, comme si je lui disais le contraire. Il est clair qu'une famille composée de six personnes, sans compter la servante, ne peut pas vivre de l'air du temps.

– Cela va sans dire, madame, répondis-je.

– L'opinion des diverses branches de ma famille, continua mistress Micawber, est que M. Micawber ferait bien de tourner immédiatement son attention du côté du charbon.

– Du côté de quoi? madame.

– Du charbon, le commerce du charbon, dit mistress Micawber. M. Micawber a été amené à penser, d'après ses informations, qu'il pourrait y avoir des chances de succès, pour un homme capable, dans le commerce de charbon de la Medway. Là-dessus M. Micawber a naturellement trouvé que la première démarche à faire était d'aller voir la Medway. Nous sommes venus dans ce but. Je dis «nous,» monsieur Copperfield, car je n'abandonnerai jamais M. Micawber, ajouta-t-elle avec vivacité.»

Je murmurai quelques mots d'admiration et d'approbation.

«Nous sommes venus, répéta mistress Micawber, et nous avons vu la Medway. Mon opinion sur le commerce du charbon par cette rivière est qu'il y faut peut-être de la capacité, mais qu'il y faut certainement des capitaux. M. Micawber a de la capacité, mais il n'a pas de capitaux. Nous avons visité, je crois, la plus grande partie du cours de la Medway, et c'est la conclusion à laquelle je suis arrivée, d'après mon opinion personnelle. Pendant que nous en étions si près, M. Micawber a trouvé que ce serait une folie de ne pas faire un pas de plus pour voir la cathédrale, d'abord, parce que nous ne l'avions jamais vue et qu'elle en vaut la peine, et ensuite, parce qu'il y avait beaucoup de probabilités de rencontrer une bonne chance dans une ville qui possède une cathédrale. Nous sommes ici depuis trois jours, continua mistress Micawber, et il ne s'est pas encore présenté de bonne chance. Vous serez moins étonné que le serait un étranger, mon cher monsieur Copperfield, en apprenant que nous attendons pour le moment de l'argent venant de Londres pour solder nos dépenses dans cet hôtel. Jusqu'à l'arrivée de cette somme, dit mistress Micawber avec beaucoup d'émotion, je suis privée de retourner chez moi (je veux dire dans mon garni de Pentonville) et d'aller revoir mon fils, ma fille et mes jumeaux.»

J'éprouvais la plus vive sympathie pour M. et mistress Micawber dans ces circonstances difficiles, et je le dis à M. Micawber qui venait de rentrer, en ajoutant que je regrettais seulement de ne pas avoir assez d'argent pour leur prêter la somme qui leur était nécessaire. La réponse de M. Micawber indiquait l'agitation de son esprit. Il me dit en me donnant une poignée de mains: «Copperfield, vous êtes un véritable ami, mais en mettant toutes choses au pis, un homme qui possède un rasoir n'est jamais dépourvu d'un ami.» À cette terrible idée, mistress Micawber jeta ses bras autour du cou de M. Micawber en le conjurant de se calmer. Il pleura, mais il ne fut pas long à se remettre, car, l'instant d'après, il sonna pour commander au garçon des rognons à la brochette et des crevettes pour le déjeuner du lendemain matin.

Quand je pris congé d'eux, ils me pressèrent tous les deux si vivement de venir dîner avec eux avant leur départ qu'il me fut impossible de refuser. Mais comme je savais que je ne pourrais pas venir le lendemain, et que j'aurais beaucoup de devoirs à préparer le soir, il fut convenu que M. Micawber passerait dans la soirée chez le docteur Strong (il était convaincu que les fonds qu'il attendait de Londres devaient lui arriver ce jour-là), et qu'il me proposerait de venir le lendemain, si cela me convenait mieux. En conséquence, on vint m'appeler en classe l'après-midi suivante, et je trouvai M. Micawber dans le salon, où il me dit qu'il m'attendait à dîner, comme cela était convenu. Quand je lui demandai si l'argent était arrivé, il me serra la main et disparut.

En regardant ce soir-là par la fenêtre, je fus un peu surpris et un peu inquiet de voir passer M. Micawber donnant le bras à Uriah Heep, qui paraissait sentir avec une profonde humilité l'honneur qu'il recevait, tandis que M. Micawber prenait plaisir à étendre sur lui une main protectrice. Mais je fus encore plus surpris quand je me rendis au petit hôtel, à quatre heures, c'était l'heure indiquée, d'apprendre que M. Micawber était allé chez Uriah, et qu'il avait bu un grog à l'eau-de-vie chez mistress Heep.

«Et je vous dirai une chose, mon cher Copperfield, me dit M. Micawber, votre ami Heep est un jeune homme qui ferait un bon avocat général. Si je l'avais connu à l'époque où mes embarras ont fini par une crise, tout ce que je puis dire, c'est que je crois que mes affaires avec mes créanciers auraient été beaucoup mieux conduites qu'elles ne l'ont été.»

 

Je ne comprenais pas bien comment cela eût été possible, attendu que M. Micawber n'avait rien payé du tout, mais je ne voulais pas faire de questions. Je n'osais pas non plus lui dire que j'espérais qu'il n'avait pas été trop communicatif avec Uriah, ni lui demander s'ils avaient beaucoup parlé de moi. Je craignais de blesser M. Micawber ou plutôt mistress Micawber qui était très- susceptible. Mais cette idée m'inquiétait, et j'y ai souvent pensé depuis.

Le dîner était superbe: un beau plat de poisson, un morceau de veau rôti avec le rognon, des saucisses, une perdrix et un pudding; il y avait du vin et de l'ale, et après le dîner, mistress Micawber fit elle-même un bol de punch.

M. Micawber était extrêmement gai. Je l'avais rarement vu d'aussi bonne humeur. Il but tant de punch que son visage reluisait comme si on l'avait verni. Il prit un ton gaiement sentimental et proposa de boire à la prospérité de la ville de Canterbury, déclarant qu'il s'y était trouvé très-heureux ainsi que mistress Micawber, et qu'il n'oublierait jamais les agréables heures qu'il y avait passées. Il porta ensuite ma santé; puis mistress Micawber, lui et moi, nous fîmes un retour sur nos anciennes relations, entre autres sur la vente de tout ce qu'ils possédaient. Alors je proposai de boire à la santé de mistress Micawber; du moins je dis modestement: «Si vous voulez bien me le permettre, mistress Micawber, j'aurai maintenant le plaisir de boire à votre santé, madame.» Sur quoi M. Micawber se lança dans un éloge pompeux de mistress Micawber, déclarant qu'elle avait été pour lui un guide, un philosophe et une amie, et qu'il me conseillait, quand je serais en âge de me marier, d'épouser une femme comme elle, s'il y en avait encore.

À mesure que le punch diminuait, M. Micawber devenait de plus en plus gai; mistress Micawber cédant à la même influence, on se mit à chanter. En un mot, je n'ai jamais vu personne de plus joyeux que M. Micawber ce soir-là, jusqu'au dernier moment de ma visite. Je pris congé très-affectueusement de lui et de son aimable femme. Je n'étais par conséquent pas préparé à recevoir, le lendemain à sept heures du matin, la lettre suivante datée de la veille à neuf heures et demie, un quart d'heure après notre séparation.

«Mon cher et jeune ami,

«Le sort en est jeté, tout est fini. Cachant sous le masque d'une gaieté maladive les ravages causés par les soucis, je ne vous ai pas appris ce soir qu'il n'y a plus d'espérance de recevoir de l'argent de Londres. Dans ces circonstances également humiliantes à éprouver, à contempler et à décrire, j'ai acquitté mes dettes envers cet établissement par un billet payable à quinze jours de date à ma résidence de Pentonville, Londres. Quand on le présentera, il ne sera pas payé. Ma ruine est au bout. La foudre va éclater, l'arbre va être couché par terre.

«Que le malheureux qui vous écrit, mon cher Copperfield, vous serve d'avertissement toute votre vie. En vous adressant cette lettre il n'a pas d'autre intention, d'autre espérance. S'il pouvait se flatter au moins de vous rendre ainsi service, une lueur de joie pourrait peut-être pénétrer dans le sombre donjon de l'existence qu'il lui reste à soutenir encore, quoique la prolongation de sa vie (je vous le dis en confidence) soit pour le moins très-problématique.

«Ceci est la dernière communication que vous recevrez jamais, mon cher Copperfield,

«Du malheureux abandonné,

«Wilkins Micawber.»

Je fus si troublé par le contenu de cette lettre déchirante que je courus aussitôt du côté du petit hôtel, dans l'intention d'y entrer, en allant chez le docteur, pour essayer de calmer M. Micawber par mes consolations. Mais à moitié chemin, je rencontrai la diligence de Londres; M. et mistress Micawber étaient sur l'impériale, il avait l'air parfaitement tranquille et heureux, et souriait en écoutant sa femme et en mangeant des noix qu'il tirait d'un sac de papier, pendant qu'on apercevait une bouteille qui sortait de sa poche de côté. Ils ne me voyaient pas, et je crus qu'il valait mieux, tout bien considéré, ne pas attirer leur attention sur moi. L'esprit soulagé d'un grand poids, je pris donc une petite rue qui menait tout droit à la pension, et je me sentis, au bout du compte, assez satisfait de leur départ, ce qui ne m'empêchait pas d'avoir pourtant toujours beaucoup d'amitié pour eux.

CHAPITRE XVIII
Un regard jeté en arrière

Mon temps de pension!.. Ces jours écoulés en silence!.. où la vie glisse et marche, sans qu'on s'en aperçoive, sans qu'on la sente, de l'enfance à la jeunesse! je veux, en jetant un regard en arrière sur ces ondes rapides qui ne sont plus qu'un lit desséché encombré de feuilles mortes, chercher si je ne retrouverai pas encore des traces qui puissent me rappeler leur cours.

Je me vois d'abord dans la cathédrale, où nous nous rendions tous le dimanche matin, après nous être réunis pour cela dans notre salle d'étude. L'odeur terreuse, l'air froid, le sentiment que la porte était fermée sur le monde, le son de l'orgue retentissant sous les arceaux blancs et dans la nef de l'église, voilà les ailes sur lesquelles je me sens emporté pour planer au-dessus de ces jours écoulés, comme si je rêvais à demi éveillé.

Je ne suis plus le dernier élève de la pension. J'ai passé en quelques mois par-dessus plusieurs têtes. Mais Adams me paraît toujours une créature hors ligne, bien loin, bien loin au-dessus de moi à des hauteurs inaccessibles, qui me donnent le vertige, rien que d'y penser. Agnès me dit que non, mais moi, je lui dis que si, et je lui répète qu'elle ne connaît pas tous les trésors de science que possède cet être merveilleux dont elle prétend que moi, pauvre commençant, je pourrai un jour remplir la place. Il n'est pas mon ami particulier et mon protecteur déclaré comme Steerforth; mais j'éprouve pour lui un respect plein de vénération. Je me demande surtout ce qu'il fera quand il quittera le docteur Strong, et s'il y a dans toute l'humanité quelqu'un d'assez présomptueux pour lui disputer alors n'importe quelle place.

Mais quel est ce souvenir qui traverse mon esprit? C'est celui de miss Shepherd. Je l'aime.

Miss Shepherd est en pension chez miss Nettingal. J'adore miss Shepherd. Elle est petite, elle porte un spencer, elle a des cheveux blonds frisés qui encadrent son visage arrondi. Les élèves de miss Nettingal vont, comme nous, à la cathédrale. Je ne puis regarder mon livre, car il faut malgré moi que je regarde miss Shepherd. Quand le coeur chante, j'entends miss Shepherd. J'introduis secrètement le nom de miss Shepherd dans la liturgie, je la place au milieu de la famille royale. À la maison, dans ma chambre, je suis quelquefois poussé à m'écrier dans un transport amoureux: «Oh! miss Shepherd!»

Pendant quelque temps je suis dans l'incertitude sur les sentiments de miss Shepherd, mais enfin le sort m'est propice, et nous nous rencontrons chez le maître de danse: miss Shepherd danse avec moi. Je touche son gant et je sens un frémissement qui me remonte le long de la manche droite de ma veste jusqu'à la pointe de mes cheveux. Je ne dis rien de tendre à miss Shepherd, mais nous nous comprenons: miss Shepherd et moi, nous vivons dans l'espérance d'être unis un jour.

Je me demande pourquoi je donne en cachette à miss Shepherd douze noix d'Amérique; elles n'expriment pas l'affection, elles sont difficiles à envelopper de façon à en faire un paquet d'une forme régulière, elles sont très-dures, et on a de la peine à les casser, même entre deux portes, et puis après l'amande en est huileuse; et cependant je sens que c'est un présent convenable à offrir à miss Shepherd. Je lui apporte aussi des biscuits tout frais, et des oranges innombrables. Un jour… j'embrasse miss Shepherd dans le vestiaire. Quelle extase! Mais aussi quel est mon désespoir et mon indignation, le lendemain, en apprenant par une vague rumeur que miss Nettingal a puni miss Shepherd pour avoir tourné les pieds en dedans!

Miss Shepherd est la préoccupation et le rêve de ma vie entière; comment en suis-je donc venu à rompre avec elle? je n'en sais rien. Cependant la froideur se glissa entre miss Shepherd et moi. J'entends raconter tout bas que miss Shepherd s'est permis de dire qu'elle voudrait bien que je ne la regardasse pas si fixement, et qu'elle a avoué une préférence pour M. Jones… Jones! un garçon sans aucun mérite! L'abîme se creusa entre miss Shepherd et moi. Enfin, un jour, je rencontre à la promenade les élèves de miss Nottingal. Miss Shepherd fait la grimace en passant et se met à rire avec sa compagne. Tout est fini. La passion de ma vie (il me semble que cela a duré toute une vie, ce qui revient au même) est passée: miss Shepherd disparaît de la liturgie, et la famille royale n'a plus rien à faire avec elle.

J'obtiens une place plus élevée dans ma classe, et personne ne trouble plus mon repos. Je ne suis plus poli du tout pour les jeunes pensionnaires de miss Nettingal, et je n'en adorerais pas une, quand elles seraient deux fois plus nombreuses et vingt fois plus belles. Je regarde les leçons de danse comme une corvée, et je demande pourquoi ces petites filles ne peuvent pas danser toutes seules et nous laisser en paix. Je deviens très-fort en vers latins, et je me néglige beaucoup pour attacher les cordons de mes souliers. Le docteur Strong parle de moi publiquement comme d'un jeune homme plein d'espérance. M. Dick est fou de joie, et ma tante m'envoie vingt francs par le courrier suivant.

L'ombre d'un jeune boucher s'élève devant moi comme l'apparition de la tête au casque dans Macbeth. Qu'est-ce que c'est que ce jeune boucher? c'est la terreur de la jeunesse de Canterbury. Le bruit court que la moelle de boeuf avec laquelle il oint ses cheveux lui donne une force surnaturelle, et qu'il pourrait lutter contre un homme. Ce jeune boucher a le visage large, un cou de taureau, des joues colorées, un esprit mal fait et une langue injurieuse. Le principal emploi qu'il fasse de cette langue, est de mal parler des élèves du docteur Strong. Il dit publiquement qu'il se charge de leur faire leur affaire. Il nomme des individus (moi entre autres) qu'il se fait fort de rosser d'une seule main, en ayant l'autre attachée derrière le dos. Il attend, en route, les plus jeunes de nos camarades pour leur piocher la tête à coups de poing; il me défie tout haut quand je passe dans la rue. En conséquence de quoi je prends le parti de me battre avec le boucher.

C'est un soir, en été, dans un petit creux verdoyant, au coin d'un mur. Je trouve le boucher au rendez-vous. Je suis accompagné d'un corps d'élite choisi parmi mes camarades: le boucher est arrivé avec deux autres bouchers, un garçon de café et un ramoneur. Les préliminaires réglés, le boucher et moi nous nous trouvons face à face. En un instant, le boucher m'a fait voir trente-six mille chandelles par un coup asséné sur le sourcil gauche. Une minute après, je ne sais plus où est le mur, où je suis, je ne vois plus personne. Je ne puis plus bien distinguer entre le boucher et moi; il me semble que nous nous confondons l'un avec l'autre, en luttant corps à corps sur l'herbe foulée par nos pieds. Parfois j'aperçois le boucher ensanglanté, mais confiant; parfois je ne vois rien, et je m'appuie, hors d'haleine, contre le genou de mon second; d'autres fois je me lance avec furie contre le boucher, et je m'écorche les poings contre son visage, sans que cela ait l'air de le troubler le moins du monde. Enfin je m'éveille, la tête en mauvais état, comme si je sortais d'un profond sommeil, et je vois le boucher qui s'en va en remettant son habit; il reçoit les compliments de ses confrères, du ramoneur et du garçon de café, d'où je conclus très-justement qu'il a remporté la victoire. On me ramène à la maison en mauvais état, on m'applique des biftecks sur les yeux, et on me frotte de vinaigre et d'eau-de-vie; ma lèvre supérieure enfle peu à peu d'une façon désordonnée. Pendant trois ou quatre jours je reste à la maison, je ne suis pas beau à voir, je porte un abat-jour vert, et je m'ennuierais fort, si Agnès n'était pas une soeur pour moi; elle compatit à mes infortunes, elle me fait la lecture tout haut, et grâce à elle le temps se passe rapidement et doucement. Agnès a toute ma confiance, je lui raconte en détail mon aventure avec le boucher et toutes les injures qu'il m'avait faites, et elle est d'avis que je ne pouvais faire autrement que de me battre avec lui, quoiqu'elle tremble et frissonne à l'idée de ce terrible combat.

Le temps s'est écoulé sans que j'y prisse garde, car Adams n'est plus alors à la tête de la classe, et il y a longtemps qu'il a quitté la pension. Il y a si longtemps que, lorsqu'il revient faire une visite au docteur Strong, il n'y a plus beaucoup d'élèves qui l'aient connu. Adams va entrer dans le barreau, il sera avocat et portera perruque. Je suis surpris de le trouver si modeste; il est d'une apparence moins imposante que je n'aurais cru. Il n'a pas encore bouleversé le monde, comme je m'y attendais, car il me semble, autant que je puis en juger, que les choses vont à peu près de même qu'avant l'entrée d'Adams dans la vie active.

 

Ici une lacune où les grands guerriers de l'histoire et de la poésie défilent devant moi en armées innombrables; cela n'en finit pas. Qu'est-ce qui vient ensuite? Je suis à la tête de la classe, et je regarde de ma hauteur la longue file de mes camarades, en remarquant avec un intérêt plein de condescendance ceux qui me rappellent ce que j'étais quand je suis entré à la pension. Il me semble, du reste, que je n'ai plus rien à faire avec cet enfant- là, je me souviens de lui comme de quelque chose qu'on a laissé sur la route de la vie, quelque chose près duquel j'ai passé, et je pense parfois à lui comme à un étranger.

Et la petite fille que j'ai vue en arrivant chez M. Wickfield, où est-elle? Elle a disparu aussi. À sa place, une créature qui ressemble parfaitement au portrait, et qui n'est plus une enfant, gouverne la maison; Agnès, ma chère soeur, comme je l'appelle dans mes pensées, mon guide, mon amie, le bon ange de tous ceux qui vivent sous son influence de paix, de vertu et de modestie, Agnès est devenue une femme.

Quel nouveau changement s'est opéré en moi? J'ai grandi, mes traits se sont formés, j'ai recueilli quelque instruction durant les années qui viennent de s'écouler. Je porte une montre d'or avec une chaîne, une bague au petit doigt, un habit à pans, et j'abuse de la graisse d'ours: ce qui, rapproché de la bague, sent un peu son mauvais sujet. Serais-je redevenu amoureux? oui. J'adore miss Larkins l'aînée.

Miss Larkins l'aînée n'est pas une petite fille. Elle est grande, bien faite; elle a les yeux et les cheveux noirs. Miss Larkins l'aînée est loin d'être une enfant, car miss Larkins la cadette a dépassé cet âge heureux, et sa soeur a trois ou quatre ans de plus qu'elle. Miss Larkins l'aînée a peut-être trente ans. Ma passion pour elle est effrénée.

Miss Larkins l'aînée connaît des officiers; c'est une chose bien pénible à supporter. Je les vois lui parler dans la rue. Je les vois traverser la chaussée pour venir au-devant d'elle, quand ils aperçoivent son chapeau (elle aime les chapeaux de couleurs voyantes) accompagné de celui de sa soeur descendre le trottoir. Elle rit, elle parle, elle a l'air de prendre goût à la chose. Je passe la plus grande partie de mes loisirs à me promener dans l'espérance de la rencontrer. Si je puis la saluer une fois dans la journée (j'en ai le droit, car je connais M. Larkins), quel bonheur! je mérite d'obtenir par ma politesse un salut de temps en temps. Les tortures que je supporte le soir du bal des Courses, en pensant que miss Larkins l'aînée dansera avec les officiers, demandent vraiment une compensation s'il y a quelque justice dans ce monde.

L'amour m'ôte l'appétit et m'oblige à porter constamment ma cravate neuve. Je n'ai de soulagement que lorsque j'ai sur le corps mes plus beaux habits, et je passe ma vie à faire cirer mes bottes. Il me semble alors que je suis plus digne d'approcher de miss Larkins l'aînée. Tout ce qui lui appartient, de près ou de loin, me devient précieux. M. Larkins, un vieillard un peu brusque, avec un double menton, et qui ne peut remuer qu'un oeil, est rempli de charmes à mes yeux. Quand je ne puis voir la fille, je vais voir dans les endroits où je puis rencontrer le père. Quand j'ai dit: «Comment vous portez-vous, monsieur Larkins? J'espère que mesdemoiselles vos filles et toute la famille sont en bonne santé,» il me semble que j'ai fait une déclaration, et je rougis.

Je pense continuellement à mon âge. J'ai dix-sept ans, c'est peut- être un peu jeune pour miss Larkins l'aînée, mais qu'importe? D'ailleurs j'arriverai si vite à mes vingt et un ans! Je me promène régulièrement le soir devant la maison de M. Larkins, quoique cela me fende le coeur de voir entrer des officiers et de les entendre dans le salon pendant que miss Larkins l'aînée joue de la harpe. Deux ou trois fois je vais même jusqu'à errer mélancoliquement autour de la maison, quand on est couché, cherchant à deviner quelle est la fenêtre de miss Larkins, et prenant probablement la fenêtre de M. Larkins pour celle de sa fille; je voudrais voir le feu prendre à la maison, je saisirais, au milieu de la foule épouvantée, une échelle pour la dresser contre la fenêtre; je me vois sauvant miss Larkins dans mes bras, puis retournant chercher quelque chose qu'elle a oublié, pour périr ensuite dans les flammes. Mon amour est généralement désintéressé, et je me contenterais de poser avec honneur devant miss Larkins, et d'expirer après.

Je ne suis pourtant pas toujours dans des dispositions si généreuses. Parfois des rêves de bonheur s'élèvent devant moi. En passant deux heures à ma toilette, le jour d'un grand bal donné par les Larkins, et après lequel je soupire depuis trois semaines, je me laisse aller à des idées agréables. Je me figure que j'ai eu le courage de faire ma déclaration à miss Larkins; elle laisse tomber sa tête sur mon épaule en disant: «Oh! monsieur Copperfield, puis-je en croire mes oreilles?» Je me représente M. Larkins arrivant chez moi le lendemain matin pour me dire: «La jeunesse n'est pas une objection, mon cher Copperfield; ma fille m'a tout appris, voilà vingt mille livres sterling, soyez heureux!» Je me figure que ma tante cède à son tour, et nous donne sa bénédiction; M. Dick et le docteur Strong assistent à la cérémonie nuptiale. Je ne manque pas de bon sens, à ce qu'il me semble en revenant sur mon passé; je ne manque pas non plus de modestie, assurément, et pourtant voilà mes rêves.

Je me rends à la maison enchantée, toute pleine de lumières, de musique, de fleurs et d'officiers que je regrette d'y voir; on cause beaucoup, et miss Larkins l'aînée est dans tout l'éclat de sa beauté. Elle est vêtue de bleu avec des fleurs blanches dans les cheveux, des «Ne m'oubliez pas,» comme si elle avait besoin de porter des «Ne m'oubliez pas!» C'est la première soirée de grandes personnes à laquelle j'aie été invité, et je suis un peu mal à mon aise, car j'ai l'air abandonné et on ne me parle pas, à l'exception de M. Larkins, qui me demande comment se portent mes petits camarades, ce dont il aurait pu se dispenser, je ne suis pas venu chez lui pour me faire insulter. Mais après avoir passé quelque temps debout près de la porte à réjouir mes yeux de la vue de la déesse de mon coeur, je la vois s'approcher de moi, elle, miss Larkins, et elle me demande avec bonté si je danse.

Je balbutie en la saluant: «Avec vous, oui, mademoiselle Larkins.

– Avec moi seule? dit-elle.

– Je n'aurais aucun plaisir à danser avec une autre.»

Miss Larkins sourit et rougit (pour sourire j'en suis bien sûr, pour rougir je m'en flatte), puis elle dit:

«Pas cette fois, mais l'autre, si vous voulez.»

Le moment arrive. «C'est une valse, je crois, dit miss Larkins avec un peu d'embarras quand je me présente. Valsez-vous? sinon, le capitaine Bailey…»

Mais je valse, assez bien même, et j'emmène miss Larkins; je l'enlève fièrement au capitaine Bailey, dont je fais le malheur, je n'en doute pas. Peu m'importe! j'ai bien souffert, moi! Je valse avec miss Larkins l'aînée; je ne sais pas où je suis, qui m'entoure, combien de temps dure mon bonheur. Je sais seulement que je flotte dans l'espace avec un ange bleu, et que je suis dans un rêve de délices, jusqu'au moment où je me trouve assis près d'elle sur un canapé. Nous sommes seuls dans un petit salon. Elle admire le camélia rose du Japon que je porte à ma boutonnière. Il m'a coûté trois schellings, je le lui donne, en disant:

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