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David Copperfield – Tome I

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Quant au docteur, il était l'idole de tous les élèves, et il aurait fallu que la pension fût bien mal composée pour qu'il en fût autrement, car c'était bien le meilleur des hommes, et rempli d'une foi si simple qu'elle eût pu toucher même les coeurs de pierre des grandes urnes rangées le long de la muraille. Quand il marchait en long et en large dans la cour, près de la grille, sous les regards des corbeaux et des corneilles qui le regardaient en retroussant leur tête d'un air de pitié, comme s'ils savaient bien qu'ils étaient beaucoup plus au courant que lui des affaires de ce monde, si un vagabond alléché par le craquement de ses souliers pouvait s'approcher assez près de lui pour attirer son attention sur un récit lamentable, il était bien sûr d'obtenir de sa charité de quoi le mettre à son aise pour deux jours. On savait si bien cela dans la maison que les maîtres et les élèves les plus âgés sautaient souvent par la fenêtre pour chasser les mendiants de la cour, avant que le docteur pût s'apercevoir de leur présence, et souvent même on avait déjà fait cette expédition à quelques pas de lui, qu'il ne se doutait seulement pas le moins du monde de ce qui se passait. Une fois sorti de ses domaines et dépourvu de toute protection, c'était comme une brebis égarée, la proie du premier mécréant qui voulait tondre sa toison. Il aurait volontiers déboutonné ses guêtres pour les donner. À vrai dire, il courait parmi nous une histoire, remontant à je ne sais quelle époque, et fondée sur je ne sais quelle autorité, mais que je crois encore véritable; on disait que par un jour d'hiver, où il faisait très- froid, le docteur avait positivement donné ses guêtres à une mendiante, qui avait ensuite excité quelque scandale dans le voisinage, en promenant de porte en porte un petit enfant enveloppé dans ces langes improvisés, à la surprise générale, car les guêtres du docteur étaient aussi connues que la cathédrale dans les environs. La légende ajoutait que la seule personne qui ne les reconnut pas fut le docteur lui-même, qui les aperçut peu de temps après à l'étalage d'une échoppe de revendeuse mal famée, où l'on recevait toutes sortes d'effets en échange d'un verre de genièvre; et qu'il s'arrêta pour les examiner d'un air approbateur, comme s'il y remarquait quelque perfectionnement nouveau dans la coupe qui leur donnait un avantage signalé sur les siennes.

Ce qui était charmant à voir, c'étaient les manières du docteur avec sa jeune femme. Il avait une façon affectueuse et paternelle de lui témoigner sa tendresse, qui semblait, à elle seule, résumer toutes les vertus de ce brave homme. On les voyait souvent se promener dans le jardin, près des espaliers, et j'avais parfois l'occasion de les observer de plus près dans le cabinet ou le salon. Elle me paraissait prendre grand soin de lui et l'aimer beaucoup; mais l'intérêt qu'elle portait au dictionnaire me semblait assez faible, quoique les poches et la coiffe du chapeau du docteur fussent toujours encombrées de quelques feuillets de ce grand ouvrage dont il lui expliquait le plan en se promenant avec elle.

Je voyais souvent mistress Strong; elle avait pris du goût pour moi le jour où M. Wickfield m'avait présenté à son mari, et elle continua toujours de s'intéresser à moi avec beaucoup de bonté; en outre elle aimait beaucoup Agnès et venait souvent la voir; mais elle semblait mal à son aise avec M. Wickfield, et je trouvais qu'elle avait toujours l'air d'avoir peur de lui. Quand elle venait chez nous le soir, elle évitait d'accepter son bras pour retourner chez elle, et c'est à moi qu'elle demandait de l'accompagner. Parfois, quand nous traversions gaiement ensemble la cour de la cathédrale, sans nous attendre à rencontrer personne, nous voyions apparaître M. Jack Maldon qui était tout étonné de nous trouver là.

La mère de mistress Strong me plaisait infiniment. Elle s'appelait mistress Markleham, mais nous avions coutume, à la pension, de l'appeler le Vieux-Troupier, pour reconnaître la tactique avec laquelle elle faisait manoeuvrer la nombreuse armée de parents qu'elle conduisait en campagne contre le docteur. C'était une petite femme avec des yeux perçants. Elle portait toujours, lorsqu'elle était en grande toilette, un éternel bonnet orné de fleurs artificielles et de deux papillons voltigeant au-dessus des fleurs. On disait parmi nous que ce bonnet venait assurément de France, et ne pouvait tirer son origine que de cette ingénieuse nation; tout ce que je sais, c'est qu'il apparaissait le soir partout où mistress Markleham faisait son entrée; qu'elle avait un panier chinois pour l'emporter dans les maisons où elle devait passer la soirée, que les papillons avaient le don de voltiger sur leurs ailes tremblotantes, aussi agiles, aussi actifs que «l'abeille diligente!» si ce n'est qu'ils ne rapportaient au docteur Strong que des frais.

Je pus faire à mon aise des observations sur le Vieux-Troupier, soit dit sans lui manquer de respect, un soir qui me devint mémorable par un autre incident que je vais raconter. Le docteur recevait quelques personnes ce soir-là, à l'occasion du départ de M. Jack Maldon pour les Indes, où il allait entrer comme cadet dans un régiment, je crois, M. Wickfield ayant enfin terminé cette affaire. Ce jour-là se trouvait justement aussi l'anniversaire du docteur. Nous avions congé, nous lui avions fait notre cadeau le matin; Adams avait fait un discours au nom de tous les élèves, et nous avions applaudi à nous enrouer, ce qui avait fait pleurer le bon docteur. Le soir M. Wickfield, Agnès et moi, nous allâmes prendre le thé chez lui, en particulier.

M. Jack Maldon y était déjà: mistress Strong, vêtue d'une robe blanche ornée de rubans cerise, jouait du piano au moment de notre arrivée, et il se penchait vers elle pour tourner les pages. Elle me parut un peu plus pâle qu'à l'ordinaire quand elle se retourna, mais elle était jolie, remarquablement jolie.

«J'ai oublié de vous faire mes compliments pour votre anniversaire, docteur, dit la mère de mistress Strong quand nous fûmes assis; croyez bien, d'ailleurs, que ce ne sont pas de simples compliments de ma part. Permettez-moi de vous souhaiter une bonne année accompagnée de plusieurs autres.

– Je vous remercie, madame, dit le docteur.

– De beaucoup, beaucoup d'autres, dit le Vieux-Troupier, non- seulement pour votre bonheur, mais pour celui d'Annie, de Jack Maldon et de la compagnie. Il me semble que c'était hier, John, que vous étiez encore un petit garçon avec la tête de moins que M. Copperfield, et que vous faisiez des déclarations à Annie derrière les groseilliers, dans le fond du jardin.

– Ma chère maman! dit mistress Strong, à quoi allez-vous penser?

– Allons, Annie, pas d'absurdités, dit sa mère; si vous rougissez de cela, maintenant que vous êtes une vieille matrone, quand donc cesserez-vous d'en rougir?

– Vieille! s'écria M. Jack Maldon; Annie, vieille! allons donc!

– Oui, John, répliqua le Troupier; c'est de fait une vieille matrone. Je ne veux pas dire qu'elle soit vieille par les années, je ne suppose pas qu'on me croie assez simple pour prétendre qu'une enfant de vingt ans soit vieille, mais votre cousine est la femme du docteur, et c'est par là qu'elle mérite le titre respectable que je lui donne. Et c'est fort heureux pour vous, John, que votre cousine soit la femme du docteur; vous avez trouvé en lui un ami dévoué et influent, qui ne finira pas là ses bontés, si vous les méritez, j'en suis sûre. Je n'ai point de faux orgueil, je n'hésite point à avouer franchement qu'il y a dans notre famille des personnes qui ont besoin d'un ami; vous, par exemple, vous étiez dans ce cas-là, avant que l'influence de votre cousine vous eût procuré cet ami secourable.»

Le docteur, dans la générosité de son coeur, fit un signe de la main comme pour dire que cela n'en valait pas la peine, et pour épargner à M. Jack Maldon un nouvel appel fait à sa reconnaissance; mais mistress Markleham changea de chaise pour aller s'asseoir plus près du docteur, et là elle appuya son éventail sur le bras de son gendre, en disant:

«Non, en vérité, mon cher docteur; je vous prie de m'excuser si je reviens souvent sur ce sujet qui excite en moi des sentiments si vifs; c'est une vraie monomanie de ma part, mais vous êtes une bénédiction pour nous tous. Votre mariage avec Annie a été le plus grand bonheur qui pût nous arriver.

– Allons donc, allons donc! dit le docteur.

– Non, non, je vous demande pardon, reprit le Vieux-Soldat; nous sommes seuls, à l'exception de notre excellent ami M. Wickfield, et je ne consentirai pas à me laisser fermer la bouche; je réclamerai plutôt mes privilèges de belle-mère pour vous gronder, si vous le prenez comme cela. Je suis franche et j'ai le coeur sur la main: ce que j'ai dit là, c'est ce que j'ai dit tout de suite quand vous m'avez jetée dans un si grand étonnement… Vous vous rappelez ma surprise? en demandant la main d'Annie; non pas que la proposition en elle-même fût bien extraordinaire, je ne suis pas assez sotte pour le dire, mais comme vous aviez connu son pauvre père et qu'elle, vous l'aviez vue naître, je n'avais jamais pensé que vous dussiez devenir son mari, … ni le mari de personne, pour mieux dire: voilà tout!

– C'est bon, c'est bon, dit le docteur d'un ton de bonne humeur, n'y pensons plus.

– Mais je veux y penser, moi, dit le Vieux-Troupier en lui fermant la bouche avec son éventail; je tiens à y penser; je veux rappeler ce qui s'est passé, pour qu'on me contredise si je me trompe. Si bien donc que je parlai à Annie, et je lui racontai l'affaire. «Ma chère, lui dis-je, le docteur Strong est venu me trouver et m'a chargé de vous faire sa déclaration et de demander votre main.» Vous entendez bien que je n'ai pas insisté le moins du monde; voilà tout ce que je lui ai dit: «Annie, dites-moi la vérité tout de suite, votre coeur est-il libre? – Maman, dit-elle en pleurant, je suis bien jeune, ce qui était parfaitement vrai, et je sais à peine si j'ai un coeur. – Alors, ma chère, vous pouvez être sûre qu'il est libre. En tout cas, mon enfant, ai-je ajouté, le docteur Strong est trop agité pour qu'on lui fasse attendre une réponse; nous ne pouvons le tenir en suspens. – Maman, dit Annie toujours en pleurant, croyez-vous qu'il fût malheureux sans moi; en ce cas, je l'estime et je le respecte tant, que je crois que je l'épouserais,» Voilà donc une affaire décidée, et c'est alors seulement que je dis à ma fille: «Annie, le docteur Strong ne sera pas seulement votre mari, mais il représentera encore votre défunt père; il représentera le chef de la famille; il représentera la sagesse, le rang et je puis dire aussi la fortune de la famille, en un mot, il sera une bénédiction pour nous tous.» Oui, c'est le mot que j'ai employé alors, et je le répète aujourd'hui: si j'ai un mérite, c'est la constance.»

 

Sa fille était restée immobile et silencieuse pendant ce discours; ses yeux étaient fixés sur la terre; son cousin debout près d'elle avait aussi les yeux baissés. Elle dit alors très-bas et d'une voix tremblante:

«Maman, j'espère que vous avez fini?

– Non, ma chère amie, répliqua le Vieux-Troupier, je n'ai pas tout à fait fini. Puisque vous me faites cette question, mon amour, je vous réponds que je n'ai pas fini. J'ai encore à me plaindre d'un peu de froideur de votre part envers votre propre famille, et comme on ne gagne rien à vous adresser des plaintes, c'est à votre mari que je les adresserai désormais. Maintenant, mon cher docteur, regardez cette sotte petite femme.»

Quand le docteur se retourna vers elle avec un sourire plein de bonté, mistress Strong baissa encore la tête. Je remarquai que M. Wickfield ne la perdait pas de vue un moment.

«Quand il m'est arrivé, l'autre jour, de dire à cette méchante fille, continua sa mère, en secouant la tête et en désignant mistress Strong du bout de son éventail, qu'il y avait une petite affaire de famille, dont elle pouvait, dont elle devait même vous entretenir, ne m'a-t-elle pas répondu que, si elle vous en parlait ce serait comme si elle vous demandait une faveur, parce que vous étiez si généreux qu'il lui suffisait de demander pour obtenir; qu'aussi elle ne voulait plus vous parler de rien?

– Annie, ma chère, dit le docteur, vous avez eu tort, vous m'avez privé là d'un grand plaisir.

– C'est précisément ce que je lui ai dit, s'écria sa mère: vraiment, une autre fois, quand je saurai que c'est là la raison qui l'empêche de vous en parler, et qu'elle me refusera de le faire, j'ai bien envie de m'adresser moi-même à vous, mon cher docteur.

– J'en serai enchanté, répondit le docteur, si cela vous convient.

– Bien vrai? eh bien! alors je n'y manquerai pas, dit le Vieux- Troupier; c'est marché fait.» Ayant, je suppose, réussi dans ce qu'elle voulait, elle frappa doucement la main du docteur avec son éventail, qu'elle avait baisé d'abord, puis elle retourna d'un air de triomphe au siège qu'elle avait occupé au commencement de la soirée.

Il arriva quelques personnes, entre autres les deux sous-maîtres avec Adams; la conversation devint générale, et elle roula naturellement sur M. Jack Maldon, sur son voyage, sur le pays qu'il allait habiter, sur ses projets et sur ses espérances. Il partait ce soir-là après le souper, en chaise de poste, pour aller retrouver à Gravesend le vaisseau sur lequel il devait monter; il allait être absent, disait-on, pour plusieurs années, à moins qu'il ne pût obtenir un congé, ou que sa santé ne l'obligeât de revenir plus tôt. Je me souviens qu'on décida que l'Inde était un pays calomnié, et qu'on n'avait autre chose à y craindre qu'un tigre, par-ci par-là, et une chaleur un peu excessive au milieu du jour. Pour mon compte, je regardais M. Jack Maldon comme un moderne Sindbad; je me le représentai comme l'ami intime de tous les rajahs de l'Orient, assis sous un dais, et fumant des hookabs dorés, qui auraient eu un quart de lieue de long, si on les avait déroulés.

Mistress Strong chantait très-agréablement: je le savais pour l'avoir souvent entendue chanter seule; mais soit qu'elle eût honte de chanter devant le monde, soit qu'elle ne fût pas en voix ce soir-là, elle ne put en venir à bout. Elle essaya un duo avec son cousin Maldon, mais elle ne put articuler la première note, et quand elle voulut ensuite passer à un solo, sa voix, très-pure au commencement, s'éteignit tout à coup, et elle en fut si troublée qu'elle resta devant son piano en baissant la tête sur les touches. Le bon docteur dit qu'elle avait mal aux nerfs, et il proposa, pour la soulager, une partie de cartes: il y était, je crois, à peu près aussi fort qu'à jouer du trombone. Mais je remarquai que le Vieux-Troupier le prît à l'instant même pour son partenaire, et qu'une fois sous sa garde, la première instruction qu'il reçut fut de lui remettre tout l'argent qu'il avait dans sa poche.

Le jeu fut très-gai, grâce surtout aux innombrables méprises que fit le docteur en dépit de la vigilance des papillons, très- irrités de leur mauvais succès. Mistress Strong avait refusé de jouer, en disant qu'elle ne se sentait pas très-bien, et son cousin Maldon s'était excusé, sous prétexte qu'il avait des malles à faire. Ses malles furent apparemment bientôt faites, car il reparut presque aussitôt dans le salon pour aller s'asseoir sur le canapé à côté de sa cousine. De temps en temps seulement, elle se levait pour aller regarder le jeu du docteur, et lui donner un conseil. Elle était très-pâle en se penchant vers lui, et il me semblait que son doigt tremblait en indiquant les cartes; mais le docteur, heureux de ses attentions, ne se doutait pas de ces petits détails.

Le souper ne fut pas très-gai; tout le monde avait l'air de sentir qu'une séparation de cette espèce était quelque chose d'un peu embarrassant, et l'embarras augmentait à mesure que l'heure du départ approchait. M. Jack Maldon faisait tous ses efforts pour soutenir la conversation, mais il n'était pas à son aise, et ne faisait que gâter tout. Le Vieux-Troupier ajoutait encore au malaise général, à ce qu'il me semblait, en rappelant sans cesse des épisodes rétrospectifs de la jeunesse de M. Jack Maldon.

Le docteur pourtant convaincu, j'en suis sûr, qu'il avait, par cette réunion dernière, rendu tout le monde très-heureux, était radieux, et il n'avait pas la plus légère idée que nous ne fussions pas tous au comble de la joie.

«Annie, ma chère, dit-il en regardant à sa montre, et en remplissant son verre, voilà l'heure du départ de votre cousin Jack qui se passe, et nous ne devons pas le retenir, car le temps et la marée n'attendent personne. M. Jack Maldon, vous avez devant vous un long voyage, et vous allez en pays étranger; mais vous n'êtes pas le premier, et vous ne serez pas le dernier jusqu'à la fin des temps. Les vents que vous allez affronter ont conduit des milliers d'hommes à la fortune, comme ils en ont ramené heureusement des milliers dans leur patrie.

– C'est une chose bien émouvante, dit mistress Markleham, de quelque côté qu'on envisage la question, c'est une chose bien émouvante, que de voir un beau jeune homme qu'on a connu depuis son enfance, partir ainsi pour l'autre bout du monde, en laissant derrière lui tous ses amis, sans savoir ce qu'il va trouver là- bas; un jeune homme qui fait un pareil sacrifice mérite un appui et une protection constante, continua-t-elle en regardant le docteur.

– Le temps coulera vite pour vous, monsieur Jack Maldon, dit le docteur, il coulera vite pour nous tous. Il y en a parmi nous qui peuvent à peine espérer raisonnablement, dans le cours naturel des choses, d'être en vie pour vous féliciter à votre retour, mais il n'est pas défendu de l'espérer pourtant, et c'est ce que je fais. Je ne vous fatiguerai pas de longs avis. Vous avez depuis longtemps devant vous un excellent modèle en votre cousine Annie. Imitez ses vertus autant que cela vous sera possible.»

Mistress Markleham s'éventait en hochant la tête.

«Adieu, monsieur Jack, dit le docteur en se levant, sur quoi tout le monde se leva: je vous souhaite un bon voyage, du succès dans votre carrière, et un heureux retour dans notre pays!»

Tout le monde but à la santé de M. Jack Maldon; on échangea des poignées de mains, puis il prit à la hâte congé de toutes les dames, et se précipita vers la porte, où il fut reçu en montant en voiture par un tonnerre d'applaudissements, poussés par nos camarades, qui s'étaient assemblés sur la pelouse dans ce but. Je courus les rejoindre pour augmenter leur nombre; et je vis très- nettement, au milieu de la poussière et du bruit, la figure de M. Jack Maldon qui était appuyé dans la voiture et tenait à la main un ruban cerise.

Après des hourras poussés pour le docteur et des hourras poussés pour la femme du docteur, les élèves se dispersèrent, et je rentrai dans la maison, où je trouvai tout le monde réuni en groupe autour de lui. On y discutait le départ de M. Maldon, son courage, ses émotions et tout ce qui s'ensuit. Au milieu de toutes ces observations, mistress Markleham s'écria:

«Où donc est Annie?»

Annie n'était pas dans le salon et ne répondit pas quand on l'appela. Mais, lorsque nous sortîmes en foule du salon pour la chercher, nous la trouvâmes étendue sur le plancher du vestibule. L'alarme fut grande au premier abord, mais on reconnut bientôt qu'elle n'était qu'évanouie, et elle commença à reprendre connaissance, grâce aux moyens qu'on emploie d'ordinaire en pareil cas. Alors le docteur, qui avait relevé la tête de sa femme pour l'appuyer sur ses genoux, écarta de la main les boucles de cheveux qui lui couvraient le visage, et dit en nous regardant:

«Pauvre Annie, elle est si affectueuse et si constante! C'est de se voir séparée de son ami d'enfance, son ancien camarade, celui de ses cousins qu'elle aimait le mieux, qui en est la cause. Ah! c'est bien dommage; j'en suis vraiment fâché.»

Quand elle ouvrit les yeux, qu'elle se vit dans cet état, et nous tous autour d'elle, elle se leva avec un peu de secours, en tournant la tête pour l'appuyer sur l'épaule du docteur, ou pour se cacher, je ne sais lequel. Nous étions tous rentrés dans le salon pour la laisser seule avec le docteur et sa mère, mais elle dit qu'elle se sentait mieux qu'elle ne l'avait été depuis le matin, et qu'elle serait bien aise de se retrouver au milieu de nous; on la mena donc, et elle s'assit sur le canapé, bien pâle et bien faible encore.

«Annie, ma chère, dit sa mère en arrangeant sa robe, vous avez perdu un de vos noeuds. Quelqu'un veut-il avoir la bonté de le chercher? c'est un ruban cerise.»

C'était celui qu'elle portait à son corsage. On le chercha partout; je le cherchai aussi, mais personne ne put le trouver.

«Vous rappelez-vous si vous ne l'aviez pas encore tout à l'heure, Annie?» dit sa mère.

Je me demandai comment cette femme que je venais de voir si pâle était tout à coup devenue rouge comme le feu, en répondant qu'elle l'avait encore il n'y a qu'un instant, mais que cela ne valait pas la peine de le chercher.

On se remit en quête pourtant, sans rien trouver. Elle demanda qu'on ne s'en occupât plus, et les recherches se ralentirent. Puis enfin, quand elle se trouva tout à fait bien, tout le monde prit congé d'elle.

Nous marchions très-lentement en retournant chez nous, M. Wickfield, Agnès et moi. Agnès et moi nous admirions le clair de lune, mais M. Wickfield levait à peine les yeux. Quand nous fûmes enfin arrivés à notre porte, Agnès s'aperçut qu'elle avait oublié son sac à ouvrage. Enchanté de pouvoir lui rendre un service, je pris ma course pour aller le chercher.

J'entrai dans la salle à manger où Agnès l'avait oublié: tout était dans l'obscurité, et je ne vis personne, mais la porte qui donnait dans le cabinet du docteur était ouverte; j'aperçus de la lumière, et j'entrai pour dire ce que je venais chercher et demander une bougie.

Le docteur était assis près du feu, dans son grand fauteuil; sa jeune femme était à ses pieds sur un tabouret. Il lui lisait tout haut, avec un sourire de complaisance, une explication manuscrite d'une partie de la théorie du fameux dictionnaire, et elle avait les yeux attachés sur lui. Mais je n'ai jamais vu sur un visage pareille expression, de si beaux traits, pâles comme la mort, un regard si morne et si fixe; l'air égaré d'une somnambule; une frayeur de cauchemar; une horreur profonde, je ne sais de quoi. Ses yeux étaient tout grands ouverts, et ses beaux cheveux bruns tombaient en boucles épaisses sur sa robe blanche, veuve du ruban cerise. Je me la rappelle parfaitement telle qu'elle était. Je me demandais ce que cela voulait dire. Je me le demande encore aujourd'hui même, en évoquant ce tableau devant mon jugement mûri par l'expérience de la vie. Du repentir, de l'humiliation, de la honte, de l'orgueil, de l'affection et de la confiance? il y avait de tout cela; et à tout cela venait se mêler cette horreur de je ne sais quoi.

 

Mon entrée et ma question la firent sortir de sa rêverie, et changèrent aussi le cours des idées du docteur, car lorsque je rentrai pour rendre la bougie que j'avais prise sur la table, il caressait les cheveux de sa femme d'un air paternel.

«Je ne suis, lui disait-il, qu'un vieil égoïste de me laisser entraîner ainsi par votre patience, à vous faire de pareilles lectures, au lieu de vous envoyer coucher, ce qui vaudrait bien mieux.»

Mais elle lui demanda d'un ton pressant, quoique d'une voix mal assurée, de lui permettre de rester et de sentir qu'elle avait toute sa confiance ce soir-là; elle balbutia ces derniers mots; et quand elle se tourna de nouveau vers lui, après m'avoir jeté un regard au moment où je sortais, je la vis croiser ses mains sur le genou du docteur, et le regarder avec le même visage qu'auparavant, quoique avec un peu plus de calme, pendant qu'il reprenait sa lecture.

Cet incident me fit une grande impression alors, et je m'en souvins longtemps après, comme j'aurai l'occasion de le raconter quand le temps en sera venu.

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