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Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I

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– Les conséquences peuvent être terribles, reprit M. Winkle.

– J'espère que non.

– Le docteur est, je pense, un très-bon tireur.

– La plupart des militaires le sont, observa M. Snodgrass avec calme; mais ne l'êtes-vous point aussi?»

M. Winkle répondit affirmativement, et s'apercevant qu'il n'avait point suffisamment alarmé son compagnon, il changea de batterie.

«Snodgrass, dit-il d'une voix tremblante d'émotion, si je succombe vous trouverez dans mon portefeuille une lettre pour mon… pour mon père.»

Cette attaque ne réussit point davantage. M. Snodgrass fut touché, mais il s'engagea à remettre la lettre aussi facilement que s'il avait fait toute sa vie le métier de facteur.

«Si je meurs, continua M. Winkle, ou si le docteur périt, vous, mon cher ami, vous serez jugé comme complice en préméditation. Faut-il donc que j'expose un ami à la transportation? peut-être pour toute sa vie!»

Pour le coup, M. Snodgrass hésita; mais son héroïsme fut invincible. «Dans la cause de l'amitié, s'écria-t-il avec ferveur, je braverai tous les dangers.»

Dieu sait combien notre duelliste maudit intérieurement le dévouement de son ami. Ils marchèrent pendant quelque temps en silence, ensevelis tous les deux dans leurs méditations. La matinée s'écoulait et M. Winkle sentait s'enfuir toute chance de salut.

«Snodgrass, dit-il en s'arrêtant tout d'un coup, n'allez point me trahir auprès des autorités locales; ne demandez point des constables pour prévenir le duel; ne vous assurez pas de ma personne, ou de celle du docteur Slammer, du 97e, actuellement en garnison dans la caserne de Chatham. Afin d'empêcher le duel, n'ayez point cette prudence, je vous en prie.»

M. Snodgrass saisit avec chaleur la main de son compagnon et s'écria, plein d'enthousiasme: «Non! pour rien au monde.»

Un frisson parcourut le corps de M. Winkle quand il vit qu'il n'avait rien à espérer des craintes de son ami, et qu'il était irrévocablement destiné à devenir une cible vivante.

Lorsqu'il eut raconté formellement à M. Snodgrass les détails de son affaire, ils entrèrent tous deux chez un armurier; ils louèrent une boîte de ces pistolets qui sont destinés à donner et à obtenir satisfaction, ils y joignirent un assortiment satisfaisant de poudre, de capsules et de balles; puis ils retournèrent à leur auberge, M. Winkle pour réfléchir sur la lutte qu'il avait à soutenir; M. Snodgrass pour arranger les armes de guerre, et les mettre en état de servir immédiatement.

Lorsqu'ils sortirent de nouveau pour leur désagréable entreprise, le soir s'approchait, triste et pesant. M. Winkle, de peur d'être observé, s'était enveloppé dans un large manteau: M. Snodgrass portait sous le sien les instruments de destruction.

«Avez-vous pris tout ce qu'il faut? demanda M. Winkle, d'un ton agité.

– Tout ce qu'il faut. Quantité de munitions, dans le cas où les premiers coups n'auraient point de résultats. Il y a un quarteron de poudre dans la botte, et j'ai deux journaux dans ma poche pour servir de bourre.»

C'étaient là des preuves d'amitié dont il était impossible de n'être point reconnaissant. Il est probable que la gratitude de M. Winkle fut trop vive pour qu'il pût l'exprimer, car il ne dit rien, mais il continua de marcher, assez lentement.

«Nous arrivons juste à l'heure, dit M. Snodgrass en franchissant la haie du premier champ; voilà le soleil qui descend derrière l'horizon.»

M. Winkle regarda le disque qui s'abaissait, et il pensa douloureusement aux chances qu'il courait de ne jamais le revoir.

«Voici l'officier, s'écria-t-il au bout de quelque temps.

– Où? dit M. Snodgrass.

– Là. Ce gentleman en manteau bleu.»

Les yeux de M. Snodgrass suivirent le doigt de son compagnon, et aperçurent une longue figure drapée, qui fit un léger signe de la main, et continua de marcher. Nos deux amis s'avancèrent silencieusement à sa suite.

De moment en moment la soirée devenait plus sombre. Un vent mélancolique retentissait dans les champs déserts: on eût dit le sifflement lointain d'un géant, appelant son chien. La tristesse de cette scène communiquait une teinte lugubre à l'âme de M. Winkle. En passant l'angle du fossé, il tressaillit, il avait cru voir une tombe colossale.

L'officier quitta tout à coup le sentier, et après avoir escaladé une palissade et enjambé une haie, il entra dans un champ écarté. Deux messieurs l'y attendaient. L'un était un petit personnage gros et gras, avec des cheveux noirs; l'autre, grand et bel homme, avec une redingote couverte de brandebourgs, était assis sur un pliant avec une sérénité parfaite.

«Voilà nos gens, avec un chirurgien, à ce que je suppose dit M. Snodgrass. Prenez une goutte d'eau-de-vie.» M. Winkle saisit avidement la bouteille d'osier que lui tendait son compagnon et avala une longue gorgée de ce liquide fortifiant.

«Mon ami, M. Snodgrass,» dit M. Winkle à l'officier qui s'approchait.

Le second du docteur Slammer salua et produisit une boîte semblable à celle que M. Snodgrass avait apportée. «Je pense que nous n'avons rien de plus à nous dire, monsieur, remarqua-t-il froidement, en ouvrant sa boîte. Des excuses ont été absolument refusées.

– Rien du tout, monsieur, répondit M. Snodgrass, qui commençait à se sentir mal à son aise.

– Voulez-vous que nous mesurions le terrain? dit l'officier.

– Certainement,» répliqua M. Snodgrass.

Lorsque le terrain eut été mesuré et les préliminaires arrangés, l'officier dit à M. Snodgrass: «Vous trouverez ces pistolets meilleurs que les vôtres, monsieur. Vous me les avez vu charger; vous opposez-vous à ce qu'on en fasse usage?

– Non, certainement, répondit M. Snodgrass. Cette offre le tirait d'un grand embarras, car ses idées sur la manière de charger un pistolet étaient tant soit peu vagues et indéfinies.

– Alors je pense que nous pouvons placer nos hommes, continua l'officier, avec autant d'indifférence que s'il s'était agi d'une partie d'échecs.

– Je pense que nous le pouvons,» répliqua M. Snodgrass, qui aurait consenti à toute autre proposition, vu qu'il n'entendait rien à ces sortes d'affaires.

L'officier alla vers le docteur Slammer, tandis que M. Snodgrass s'approchait de M. Winkle.

«Tout est prêt, dit-il, en lui offrant le pistolet. Donnez-moi votre manteau.

– Vous avez mon portefeuille, mon cher ami, dit le pauvre Winkle.

– Tout va bien. Soyez calme et visez tout bonnement à l'épaule.»

M. Winkle trouva que cet avis ressemblait beaucoup à celui que les spectateurs donnent invariablement au plus petit gamin dans les duels des rues. «Mets-le dessous et tiens-le ferme.» Admirable conseil, si l'on savait seulement comment l'exécuter! Quoi qu'il en soit, il ôta son manteau en silence (ce manteau était toujours très-long à défaire); il accepta le pistolet: les seconds se retirèrent, le monsieur au pliant en fit autant, et les belligérants s'avancèrent l'un vers l'autre.

M. Winkle a toujours été remarquable par son extrême humanité. On suppose que dans cette occasion la répugnance qu'il éprouvait à nuire intentionnellement à l'un de ses semblables, l'engagea à fermer les yeux en arrivant à l'endroit fatal, et que cette circonstance l'empêcha de remarquer la conduite inexplicable du docteur Slammer. Ce monsieur, en s'approchant de M. Winkle, tressaillit, ouvrit de grands yeux, recula, frotta ses paupières, ouvrit de nouveau ses yeux, autant qu'il lui fut possible, et finalement s'écria: «Arrêtez! arrêtez!

– Qu'est-ce que cela veut dire? continua-t-il lorsque son ami et M. Snodgrass arrivèrent en courant. Ce n'est pas là mon homme.

– Ce n'est pas votre homme! s'écria le second du docteur Slammer.

– Ce n'est pas son homme! dit M. Snodgrass.

– Ce n'est pas son homme! répéta le monsieur qui tenait le pliant dans sa main.

– Certainement non, reprit le petit docteur. Ça n'est pas la personne qui m'a insulté la nuit passée.

– Fort extraordinaire! dit l'officier.

– Fort extraordinaire! répéta le gentleman au pliant. Mais maintenant, ajouta-t-il, voici la question. Le monsieur se trouvant actuellement sur le terrain, ne doit-il pas être considéré, pour la forme, comme étant l'individu qui a insulté hier soir notre ami, le docteur Slammer?» Ayant suggéré cette idée nouvelle d'un air sage et mystérieux, l'homme au pliant prit une énorme pincée de tabac, et regarda autour de lui, avec la profondeur de quelqu'un qui est habitué à faire autorité.

Or, M. Winkle avait ouvert ses yeux et ses oreilles aussi, quand il avait entendu son adversaire demander une cessation d'hostilités. S'apercevant par ce qui avait été dit ensuite qu'il y avait quelque erreur de personnes, il comprit tout d'un coup combien sa réputation pouvait s'accroître s'il cachait les motifs réels qui l'avaient déterminé à se battre. Il s'avança donc hardiment et dit:

«Je sais bien que je ne suis pas l'adversaire de monsieur.

– Alors, dit l'homme au pliant, ceci est un affront pour le docteur Slammer, et un motif suffisant de continuer.

– Tenez-vous tranquille, Payne, interrompit le second du docteur; et s'adressant à M. Winkle: Pourquoi ne m'avez-vous pas communiqué cela ce matin, monsieur?

– Assurément! assurément! s'écria avec indignation l'homme au pliant.

– Je vous supplie de vous tenir tranquille, Payne, reprit l'autre. Puis-je répéter ma question, monsieur?

– Parce que, répliqua M. Winkle qui avait eu le temps de délibérer sa réponse: parce que vous m'avez dit, monsieur, que l'individu en question était revêtu d'un habit que j'ai l'honneur, non-seulement de porter, mais d'avoir inventé. C'est l'uniforme projeté du Pickwick-Club, à Londres. Je me crois obligé de soutenir l'honneur de cet uniforme, et dans cette vue, sans autres informations, j'ai accepté le défi que vous me faisiez.

 

– Mon cher monsieur, dit le bon petit docteur, en lui tendant la main, j'honore votre courage. Permettez-moi d'ajouter que j'admire extrêmement votre conduite, et que je regrette beaucoup de vous avoir fait déranger inutilement.

– Je vous prie de ne point parler de cela, répondit M. Winkle avec politesse.

– Je me trouverai honoré, monsieur, de faire votre connaissance, poursuivit le petit docteur.

– Et moi, monsieur, j'éprouverai le plus grand plaisir à vous connaître,» répliqua M. Winkle. Et là-dessus il donna une poignée de main au docteur, une poignée de main à son second, le lieutenant Tappleton, une poignée de main à l'homme qui tenait le pliant, une poignée de main, enfin, à M. Snodgrass, dont l'admiration était excessive pour la noble conduite de son héroïque ami.

«Je pense que nous pouvons nous en retourner maintenant, dit le lieutenant Tappleton.

– Certainement, répondit le docteur.

– A moins, suggéra l'homme au pliant, à moins que monsieur Winkle ne se trouve offensé par la provocation qu'il a reçue. Si cela était, je confesse qu'il aurait droit à une satisfaction.»

M. Winkle, avec une grande abnégation de son moi, déclara qu'il était entièrement satisfait.

«Peut-être, reprit l'autre, peut-être le témoin du gentleman aura-t-il été personnellement blessé de quelques observations que j'ai faites au commencement de cette rencontre. Dans ce cas, je serais heureux de lui donner satisfaction immédiatement.»

M. Snodgrass se hâta de déclarer qu'il était bien obligé au gentleman de l'offre aimable qu'il lui faisait. La seule raison qui l'empêchât d'en profiter, c'est qu'il était fort satisfait de la manière dont les choses s'étaient passées.

L'affaire s'étant ainsi terminée heureusement, les témoins arrangèrent leurs boîtes, et tous quittèrent le terrain avec beaucoup plus de gaieté qu'ils n'en laissaient voir en y arrivant.

«Resterez-vous longtemps ici? demanda le docteur Slammer à M. Winkle, tandis qu'ils marchaient amicalement côte à côte.

– Je crois que nous partirons après-demain.

– Je serais très-heureux, après ce ridicule quiproquo, si vous vouliez bien me faire l'honneur de venir ce soir chez moi, avec votre ami. Êtes-vous engagé?

– Nous avons plusieurs amis à l'hôtel du Taureau, et je ne voudrais point les quitter aujourd'hui. Mais nous serions enchantés si vous consentiez à amener ces messieurs pour passer la soirée avec nous.

– Avec grand plaisir. Ne sera-t-il point trop tard, à dix heures, pour vous faire une petite visite d'une demi-heure?

– Non certainement. Je serai fort heureux de vous présenter à mes amis, M. Pickwick et M. Tupman.

– J'en serai charmé, répliqua le petit docteur, ne soupçonnant guère qu'il connaissait déjà M. Tupman.

– Vous viendrez sans faute? demanda M Snodgrass.

– Oh! assurément.»

En parlant ainsi, ils étaient arrivés sur la grande route. Les adieux se firent avec cordialité, et tandis que le docteur et ses amis se rendirent à leur caserne, M. Winkle et M. Snodgrass rentrèrent joyeusement à l'hôtel.

CHAPITRE III.
Une nouvelle connaissance. Histoire d'un clown. Une interruption désagréable et une rencontre fâcheuse

M. Pickwick avait ressenti quelque inquiétude en voyant se prolonger l'absence de ses deux amis, et en se rappelant leur conduite mystérieuse pendant toute la matinée. Ce fut donc avec un véritable plaisir qu'il se leva pour les recevoir, et avec un intérêt peu ordinaire qu'il leur demanda ce qui avait pu les retenir si longtemps. En réponse à cette question, M. Snodgrass allait faire l'historique des circonstances que nous venons de rapporter, lorsqu'il s'aperçut qu'entre M. Tupman et leur compagnon de voyage il y avait dans la chambre un nouvel étranger, d'une apparence également singulière. C'était un homme vieilli par les soucis, dont la face creuse, aux pommettes proéminentes, avec des yeux étincelants quoique profondément encaissés, était rendue plus frappante encore par les cheveux noirs et lisses qui pendaient en désordre sur son collet. Sa mâchoire était si longue et si maigre qu'on aurait pu croire qu'il faisait exprès de retirer ses joues, par une contraction des muscles, si l'expression immobile de ses traits et de sa bouche entrouverte n'avait pas fait voir que c'était là sa physionomie habituelle. Son cou était entouré d'un châle vert, dont les larges bouts, descendant sur sa poitrine, étaient aperçus à travers les boutonnières usées d'un vieux gilet. Enfin, il avait une longue redingote noire, un pantalon de gros drap et des bottes tombant en ruines.

Les yeux de M. Snodgrass s'arrêtèrent donc sur ce personnage mal léché, et M. Pickwick, qui s'en aperçut, dit en étendant la main de son côté: «Un ami de notre nouvel ami. Nous avons découvert ce matin que notre ami est engagé au théâtre de cet endroit, quoiqu'il désire que cette circonstance ne soit pas généralement connue. Ce gentleman est un membre de la même profession, et il allait nous régaler d'une petite anecdote lorsque vous êtes entrés.

– Masse d'anecdotes, dit l'étranger du jour précédent, en s'approchant de M. Winkle et lui parlant à voix basse: singulier gaillard, pas acteur, fait les utilités, homme étrange, toutes sortes de misères. Nous l'appelons Jemmy le Lugubre.»

M. Winkle et M. Snodgrass firent des politesses au gentleman qui portait ce nom élégant, et s'étant assis autour de la table demandèrent de l'eau et de l'eau-de-vie, en imitation du reste de la société.

«Maintenant, monsieur, dit M. Pickwick, voulez-vous nous faire le plaisir de commencer votre récit?»

L'individu lugubre tira de sa poche un rouleau de papier malpropre, et se tournant vers M. Snodgrass qui venait d'aveindre son mémorandum, il lui dit d'une voix creuse, parfaitement en harmonie avec son extérieur:

«Êtes-vous le poëte?

– Je… je m'exerce un peu dans ce genre, répondit M. Snodgrass, légèrement déconcerté par la brusquerie de la question.

– Ah! la poésie est dans la vie ce que la lumière et la musique sont au théâtre. Dépouillez celui-ci de ses faux embellissements et celle-là de ses illusions, que reste-t-il de réel et d'intéressant dans tous les deux?

– Cela est bien vrai, monsieur, répliqua M. Snodgrass.

– Assis devant les quinquets, vous faites partie du cercle royal; vous admirez les vêtements de soie de la foule brillante; vous tenez-vous, au contraire, dans la coulisse, vous êtes le peuple qui fabrique ces beaux vêtements; gens inconnus et méprisés qui peuvent tomber et se relever, vivre et mourir, comme il plaît à la fortune, sans que personne s'en inquiète.

– Certainement, répondit M. Snodgrass, car l'œil profond de l'homme lugubre était fixé sur lui, et il sentait la nécessité de dire quelque chose.

– Allons, Jemmy, dit le voyageur espagnol, soyons vifs, pas de croassements, ayez l'air sociable.

– Voulez-vous préparer un autre verre avant de commencer?» dit M. Pickwick.

L'homme lugubre accepta l'offre, mélangea un verre d'eau et d'eau-de-vie, en avala lentement la moitié, développa son rouleau de papier et commença à lire et à raconter tour à tour les événements que l'on va lire, et que nous avons trouvés inscrits dans les registres du club sous le titre de:

HISTOIRE D'UN CLOWN

«Vous ne trouverez rien de merveilleux dans le récit que je vais vous faire. Besoins et maladie, ce sont des choses trop connues, dans beaucoup d'existences, pour mériter plus d'attention qu'on n'en accorde aux vicissitudes journalières de la vie humaine. J'ai rassemblé ces notes parce que celui qui en fait le sujet m'était connu depuis fort longtemps. J'ai suivi pas à pas sa descente dans l'abîme, jusqu'au moment où il atteignit le dernier degré de la misère, dont il ne s'est jamais relevé depuis.

«L'homme dont il s'agit était un acteur pantomime, et, comme beaucoup de gens de cet état, un ivrogne invétéré. Dans ses beaux jours, avant d'être affaibli par la débauche, il recevait un bon salaire, et s'il avait été rangé et prudent, il aurait pu le toucher encore durant quelques années; quelques années seulement, car ceux qui font ce métier meurent de bonne heure ou du moins perdent avant le temps l'énergie physique dont ils ont abusé, et qui était leur unique gagne-pain. Celui-ci se laissa abrutir si vite qu'il devint impossible de l'employer dans les rôles où il était réellement utile au théâtre. Le cabaret avait pour lui des charmes auxquels il ne pouvait résister. Les maladies, la pauvreté l'attendaient aussi sûrement que la mort s'il continuait le même genre de vie, et cependant il le continua. Vous devinez ce qui dut en résulter. Il ne put obtenir d'engagement et il manqua de pain.

Tous ceux qui connaissent un peu le théâtre savent quelle nuée d'individus misérables, râpés, affamés, entourent toujours un vaste établissement de ce genre. Ce ne sont pas des acteurs engagés régulièrement, mais des comparses passagers, des figurants, des paillasses, etc., qui sont employés tant que dure une pantomime ou quelque féerie de Noël et qui sont remerciés ensuite, jusqu'à ce qu'une nouvelle pièce, exigeant un nombreux personnel, réclame de nouveau leurs services. Notre homme fut obligé d'avoir recours à ce genre de vie, et comme, en outre, il prit chaque soir le fauteuil dans un de ces cafés chantants de bas étage qui restent ouverts après la fermeture des théâtres, il gagna quelques shillings de plus par semaine, ce qui lui permit de se livrer à ses vieux penchants. Mais cette ressource même lui manqua bientôt, son ivrognerie l'empêchant de mériter la faible pitance qu'il aurait pu se procurer de cette manière. Il se trouva donc réduit à la misère la plus absolue; toujours sur le point de mourir de faim, et n'échappant à cette destinée qu'en recevant quelques secours d'un ancien camarade, ou en obtenant d'être employé par hasard à l'un des plus petits spectacles. Encore, le peu qu'il attrapait ainsi était-il dépensé suivant le même système.

Vers cette époque (il y avait déjà plus d'un an qu'il vivait ainsi, sans qu'on sût de quelles ressources) je fus engagé à un des théâtres situés du côté sud de la Tamise, et je revis cet homme que j'avais perdu de vue, car j'avais parcouru la province pendant qu'il flânait dans les carrefours de Londres. La toile était tombée; je venais de me rhabiller, et je traversais la scène, quand il me frappa sur l'épaule. Non, jamais je n'oublierai la figure repoussante qui se présenta à mes yeux lorsque je me retournai. Les personnages fantastiques de la danse des morts, les figures les plus horribles, tracées par les peintres les plus habiles, rien n'offrit jamais un aspect aussi sépulcral. Il portait le costume ridicule d'un paillasse; et son corps bouffi, ses jambes de squelette étaient rendus plus horribles encore par cet habit de mascarade. Ses yeux vitreux contrastaient affreusement avec la blancheur mate dont toute sa face était couverte. Sa tête, grotesquement coiffée et tremblante de paralysie, ses longues mains osseuses, frottées de blanc d'Espagne, tout contribuait à lui donner une apparence hideuse, hors de nature, qu'aucune description ne peut rendre, qu'aujourd'hui encore je ne me rappelle qu'en frémissant. Il me prit à part, et d'une voix cassée et tremblante, il me raconta un long catalogue de maladies et de privations, qu'il termina comme à l'ordinaire en me suppliant de lui prêter une bagatelle. Je mis quelque argent dans sa main, et, tandis que je m'éloignais, le rideau se leva et j'entendis les bruyants éclats de rire que causa sa première culbute sur le théâtre.

Quelques jours après, un petit garçon m'apporta un morceau de papier malpropre, par lequel j'étais informé que cet homme était dangereusement malade, et qu'il me priait de l'aller voir après la comédie, dans une rue dont j'ai oublié le nom, mais qui n'était pas éloignée du théâtre. Je promis de m'y rendre aussitôt que je le pourrais, et quand la toile fut baissée je partis pour ce triste office.

Il était tard, car j'avais joué dans la dernière pièce, et comme c'était une représentation à bénéfice, elle avait duré fort longtemps. La nuit était sombre et froide, un vent glacial fouettait violemment la pluie contre les vitres des croisées; des mares d'eau s'étaient amassées dans ces rues étroites et peu fréquentées; une partie des réverbères, assez rares en tout temps, avaient été éteints par la violence de la tempête, et je n'étais pas sûr de trouver la demeure qui m'appelait, dans des circonstances bien faites pour attrister. Heureusement je ne m'étais pas trompé de chemin et je découvris, quoique avec peine, la maison que je cherchais. Elle n'avait qu'un seul étage, et l'infortuné que je venais voir gisait dans une espèce de grenier, au-dessus d'un hangar qui servait de magasin de charbon de terre.

 

Une femme, à l'air misérable, la femme du paillasse, me reçut sur l'escalier, me dit qu'il venait de s'assoupir, et m'ayant introduit doucement, me fit asseoir sur une chaise auprès de son lit. Il avait la tête tournée du côté du mur, et, comme il ne s'aperçut pas d'abord de ma présence, j'eus le temps d'examiner l'endroit où je me trouvais.

Au chevet du grabat près duquel j'étais assis, on avait suspendu des lambeaux de couvertures pour préserver le malade du vent qui pénétrait, par mille crevasses, dans cette chambre désolée, et qui, à chaque instant, agitait ce lourd rideau. Sur une grille rouillée et descellée, brûlait lentement du poussier de charbon de terre. A côté, sur une vieille table à trois pieds, il y avait plusieurs fioles, un miroir brisé et quelques autres ustensiles. Un enfant dormait sur un matelas étendu par terre, et sa mère était assise auprès de lui, sur une chaise à moitié brisée. Quelques assiettes, quelques tasses, quelques écuelles, étaient placées sur une couple de tablettes: au-dessous on avait accroché des fleurets avec une paire de souliers de théâtre, et ces objets composaient seuls l'ameublement de la chambre, si l'on excepte deux ou trois petits paquets de haillons, jetés en désordre dans les coins.

Tandis que je considérais cette scène de désolation et que je remarquais la respiration pesante, les soubresauts fiévreux du misérable comédien, il se tournait et se retournait sans cesse pour trouver une position moins douloureuse. Une de ses mains sortit de son lit et me toucha: il tressaillit et me regarda avec des yeux hagards.

«John, lui dit sa femme, c'est M. Hutley que vous avez envoyé cherché ce soir, vous savez.

– Ha! dit-il en passant sa main sur son front, Hutley! Hutley! voyons. Pendant quelques secondes il parut s'efforcer de rassembler ses idées, et ensuite, me saisissant fortement par le poignet, il s'écria: Oh! ne me quittez pas! ne me quittez pas, vieux camarade! Elle m'assassinera. Je sais qu'elle en a envie.

– Y a-t-il longtemps qu'il est comme cela? demandai-je à cette femme qui pleurait.

– Depuis hier soir, monsieur. John! John! ne me reconnaissez-vous pas?»

En disant ces mots elle se courbait vers son lit, mais il s'écria avec un frisson d'effroi:

«Ne la laissez pas approcher! Repoussez-la! Je ne peux pas la supporter près de moi! En parlant ainsi il la regardait d'un air égaré et plein d'une terreur mortelle, puis il me dit à l'oreille: Je l'ai battue, Jem. Je l'ai battue hier, et bien d'autres fois auparavant. Je l'ai fait mourir de faim, et son enfant aussi; et maintenant que je suis faible et sans secours, elle va m'assassiner. Je sais qu'elle en a envie. Si comme moi, aussi souvent que moi, vous l'aviez entendue gémir et crier, vous n'en douteriez pas. Éloignez-la!»

En achevant ces mots il lâcha ma main et retomba épuisé sur son oreiller.

Je n'entendais que trop ce que cela signifiait. Si j'avais pu en douter un seul instant, il m'aurait suffi, pour le comprendre, d'un coup d'œil jeté sur le visage pâle, sur les formes amaigries de sa malheureuse femme. «Vous feriez mieux de vous retirer, dis-je à cette pauvre créature, vous ne pouvez pas lui faire de bien. Peut-être sera-t-il plus calme s'il ne vous voit pas.» Elle se recula hors de sa vue. Au bout de quelques secondes, il ouvrit les yeux et regarda avec anxiété autour de lui, en demandant: «Est-elle partie?

– Oui, oui, lui dis-je, elle ne vous fera pas de mal.

– Je vais vous dire ce qui en est, reprit-il d'une voix caverneuse. Elle me fait mal! il y a quelque chose dans ses yeux qui me remplit le cœur de crainte et qui me rend fou. Toute la nuit dernière ses grands yeux fixes et son visage pâle ont été devant moi. Où je me tournais, elle se tournait. Quand je me réveillais en sursaut, elle était-là, tout auprès de mon lit, à me regarder.» Il s'approcha plus près de moi et ajouta d'une voix basse et tremblante: «Jem, il faut qu'elle soit mon mauvais ange! un démon! Chut! j'en suis sûr. Si elle n'était qu'une femme, il y a longtemps qu'elle serait morte. Aucune femme n'aurait pu endurer ce qu'elle a enduré.»

Je me sentis frémir en pensant à la longue série de mépris et de cruautés dont un tel homme devait s'être rendu coupable, pour en conserver une telle impression. Je ne pus rien lui répondre, car quelle espérance, quelle consolation était-il possible d'offrir à un être aussi abject?

Je restai là plus de deux heures, pendant lesquelles il se retourna cent fois de côté et d'autre, jetant ses bras à droite et à gauche, et murmurant des exclamations de douleur ou d'impatience. A la fin il tomba dans cet état d'oubli imparfait, où l'esprit erre péniblement de place en place, de scène en scène, sans être contrôlé par la raison, mais sans pouvoir se débarrasser d'un vague sentiment de souffrances présentes. Jugeant alors que son mal ne s'aggraverait pas sur-le-champ, je le quittai en promettant à sa femme que je viendrais le revoir le lendemain soir, et que je passerais la nuit auprès de lui, si cela était nécessaire.

Je tins ma promesse. Les vingt-quatre heures qui s'étaient écoulées avaient produit en lui une altération affreuse. Ses yeux, profondément creusés, brillaient d'un éclat effrayant; ses lèvres étaient desséchées et fendues en plusieurs endroits; sa peau luisait, sèche et brûlante; enfin, on voyait sur son visage une expression d'anxiété farouche, qui indiquait encore plus fortement les ravages de la maladie, et qui ne semblait déjà plus appartenir à la terre. La fièvre le dévorait.

Je pris le siége que j'avais occupé la nuit précédente. Je savais, par ce que j'avais entendu dire au médecin, qu'il était à son lit de mort; et je restai là, durant les longues heures de la nuit, prêtant l'oreille à des sons capables d'émouvoir les âmes les plus endurcies; c'étaient les rêveries mystérieuses d'un agonisant.

Je vis ses membres décharnés, qui peu d'heures auparavant se disloquaient pour amuser une foule rieuse, je les vis se tordre sous les tortures d'une fièvre ardente. J'entendis le rire aigu du paillasse se mêler aux murmures du moribond.

C'est une chose touchante de suivre les pensées qui ramènent un malade vers les scènes ordinaires, vers les occupations de la vie active, lorsque son corps est étendu sans force et sans mouvement devant vos yeux. Mais cette impression est infiniment plus forte quand ces occupations sont entièrement opposées à toute idée grave et religieuse. Le théâtre et le cabaret étaient les principaux sujets de divagation de ce malheureux. Dans son délire, il s'imaginait qu'il avait un rôle à jouer cette nuit même, qu'il était tard et qu'il devait quitter la maison sur-le-champ. Pourquoi le retenait-on? pourquoi l'empêchait-on de partir? Il allait perdre son salaire. Il fallait qu'il partît! Non; on le retenait! Il cachait son visage dans ses mains brûlantes, et il gémissait sur sa faiblesse et sur la cruauté de ses persécuteurs. Une courte pause, et il braillait quelques rimes burlesques, les dernières qu'il eut apprises: tout d'un coup il se leva dans son lit, étendit ses membres de squelette et se posa d'une manière grotesque. Il était sur la scène, il jouait son rôle. Encore un silence, et il murmura le refrain d'une autre chanson. Enfin, il avait regagné son café chantant! Comme la salle était chaude! Il avait été malade, très-malade; mais maintenant il allait bien, il était heureux! Remplissez mon verre! Qui est-ce qui le brise entre mes lèvres? C'était le même persécuteur qui l'avait poursuivi. Il retomba sur son oreiller et poussa de sourds gémissements. Après un court intervalle d'oubli, il se retrouva errant dans un labyrinthe inextricable de chambres obscures, dont les voûtes étaient si basses qu'il lui fallait quelquefois se traîner sur ses mains et sur ses genoux pour pouvoir avancer. Tout était rétréci et menaçant; et de quelque coté qu'il se tournât, un nouvel obstacle s'opposait à son passage. Des reptiles immondes rampaient autour de lui; leurs yeux luisants dardaient des flammes au milieu des ténèbres visibles qui l'entouraient; les murailles, les voûtes, l'air même, étaient empoisonnés d'insectes dégoûtants. Tout à coup les voûtes s'agrandirent et devinrent d'une étendue effrayante; des spectres effroyables voltigeaient de toutes parts, et parmi eux il voyait apparaître des visages qu'il connaissait, et que rendaient difformes des grimaces, des contorsions hideuses. Ces fantômes s'emparèrent de lui; ils brûlèrent ses chairs avec des fers rouges; ils serrèrent des cordes autour de ses tempes, jusqu'à en faire jaillir le sang; et il se débattit violemment pour échapper à la mort qui le saisissait.

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