Бесплатно

Contes humoristiques - Tome I

Текст
Автор:
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена
Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

Suggestion

À ce moment le captain Cap crut devoir prendre un air mystérieux. Et comme, en nos yeux, s'allumait la luisance de l'anxiété:

—Ne m'en blâmez pas, dit le captain, je ne dirai rien de plus. Mon *ORDRE* me le défend!

Le captain Cap appartient à un Ordre bien extraordinaire et d'une commodité à nulle autre seconde.

À toute proposition qui lui répugne le moins du monde, le captain Cap objecte froidement:

—Je regrette beaucoup, mon cher ami, mais mon ORDRE me le défend!

Et il ajoute avec un sourire de lui seul acquis:

—Ne m'en blâmez pas.

Cependant et tout de même, Cap grillait de parler.

On affecta de s'occuper d'autre chose et, bientôt, le captain dit:

—Un sujet épatant!

À seule fin de connaître la suite de l'histoire, nul de nous ne sourcilla.

—Imaginez-vous... s'obstina Cap.

Ennuyés semblâmes-nous de cette insistance.

Alors Cap lâcha ses écluses.

Il s'agissait d'une petite bonne femme épatante. On l'endormait comme ça, là, v'lan! Et ça y était! Un sujet épatant, je vous dis!

Une fois endormie, elle n'était plus qu'un outil de cire molle entre les doigts de votre volition.

Si on voulait, on irait ce soir.

On y alla.

Cap prit dans ses rudes mains d'homme de mer les maigres menottes de la petite bergère montmartroise.

Un, deux, trois.... Elle dort.

Alors Cap sortit de sa poche une pomme de terre crue et une goyave.

Ayant pelé l'une et l'autre, et présentant au sujet un morceau de pomme de terre crue, il dit d'une voix forte où trépidait la suggestion:

—Mangez cela, c'est de la goyave!

L'enfant n'eut pas plus tôt mastiqué une parcelle du tubercule qu'elle en manifesta un grand dégoût. Et même elle le cracha, grimaceuse en diable.

Un sourire sur les lèvres, Cap changea d'expérience.

Ce fut la goyave qu'il présenta à la jeune personne, en lui disant d'une voix non moins forte:

—Mangez cela, c'est de la pomme de terre crue.

L'enfant n'eut pas plus tôt mastiqué une parcelle de ce fruit qu'elle en redemanda.

Y passa la totale goyave.

Et sortant de la maison, le captain Cap nous disait, sur le ton d'un vif intérêt scientifique:

—Est-ce curieux, hein, le cas de dépravation de cette petite, qui adore la pomme de terre crue et ne peut sentir la goyave!

Étourderie

Je l'avais connue au restaurant.

Depuis quelque temps elle y venait régulièrement tous les soirs à six heures. Mon désespoir, c'est qu'elle n'apportait à ma personne aucune attention.

J'avais beau m'installer à une table voisine, me donner des airs aimables, lui rendre de ces menus services qu'on se rend entre clients; rien n'y faisait.

Pourtant, un jour qu'elle s'impatientait à frapper sur la table sans obtenir l'arrivée du garçon, je pris ma voix la plus indignée et je tonnai:

—Vous êtes donc sourd, garçon? Voilà deux heures que madame vous appelle!

Elle se tourna vers moi et me remercia d'un sourire.

Alors immédiatement je l'aimai.

De son côté la glace était rompue.

À partir de ce moment, elle ne manqua pas de me dire bonsoir tous les jours en entrant, un joli petit bonsoir gracieux et pimpant comme elle.

Et puis nous devînmes bons camarades.

Elle s'appelait Lucienne.

Sans être une honnête femme, ce n'était pas non plus une cocotte. Elle appartenait à cette catégorie de petites dames que les bourgeois stigmatisent du nom de femmes entretenues.

Son monsieur, un gros homme d'une dignité extraordinaire, ne venait que rarement chez elle. Inspecteur dans une Compagnie d'assurances contre les champignons vénéneux, il voyageait souvent en province et laissait à Lucienne de fréquents loisirs.

Le seul inconvénient de cette liaison, c'est que le monsieur digne était terriblement jaloux et qu'il arrivait toujours à l'improviste chez sa dame, au moment où elle l'attendait le moins.

Sans éprouver pour moi une passion foudroyante, Lucienne m'aimait bien.

À cette époque-là, j'étais jeune encore et titulaire d'une joyeuse humeur que les tourmentes de la vie ont balayée comme un fétu de paille.

Lucienne aussi était très gaie.

Moi, j'en étais devenu follement amoureux, et depuis quelques jours je ne lui cachais plus ma flamme.

Elle riait beaucoup de mes déclarations, et me répétait: «Un de ces jours... un de ces jours!» Mais un de ces jours n'arrivait pas assez vite à mon gré.

Un soir, je lui offris timidement de l'emmener au théâtre. Mon ami Paul Lordon, alors secrétaire de la Porte Saint-Martin, m'avait donné deux fauteuils pour je ne sais plus quel drame.

Elle accepta.

Après la représentation, dans la voiture qui nous ramenait, elle se laissa enfin toucher par mes supplications, et elle décida ceci: elle monterait d'abord chez elle pour vérifier si l'homme digne n'y était pas préalablement installé, auquel cas je n'aurais qu'à me retirer. Si la place était libre, elle m'en donnerait le signal en mettant à la fenêtre de sa chambre une lampe garnie d'un abat-jour écarlate.

Il pleuvait à verse.

Tout pantelant de désir, j'attendais sur le trottoir en face du lumineux signal.

Des minutes se passèrent, plus des quarts d'heure. Pas la moindre lueur rouge. Le désespoir au cœur, et trempé jusqu'aux moelles, je me décidai à rentrer chez moi.

Ah! dans ce moment si j'avais tenu monsieur, je lui aurais fait passer sa dignité!

Le lendemain, je fus accueilli plus que froidement par Lucienne.

—Vous êtes encore un joli garçon, vous! me dit-elle d'un ton sec comme un silex.

Et comme je prenais ma mine la plus effarée, elle continua:

—Je vous ai attendu toute la nuit!...

—Mais la lampe....

—La lampe? Je l'ai mise tout de suite à la fenêtre, aussitôt arrivée!

—Je vous jure que je suis resté au moins une heure sur le trottoir en face et que je n'ai rien vu.

—Vous avez donc de la mélasse sur les yeux?

—Je vous le jure....

—Fichez-moi la paix!

Et elle s'installa, courroucée, devant son tapioca.

Je devais avoir l'air très bête.

Et puis, tout à coup, la voilà qui lâche sa cuiller et se renverse sur sa chaise, en proie à un éclat de rire tumultueux et prolongé, interrompu par des: «Ah! mon Dieu, que c'est drôle!»

Peu à peu, son joyeux spasme diminua d'intensité, mais pas assez pour la laisser s'expliquer.

Elle me regardait avec un bon regard mouillé des larmes du rire et tout réconcilié:

—Ah! mon pauvre ami! Imaginez-vous que je n'avais pas pensé....

Et le rire recommençait.

—À quoi? fis-je. À allumer votre lampe, peut-être?

—Non, c'est pas ça....

Elle fit un effort et put enfin parler:

—Je n'avais pas pensé que la fenêtre de ma chambre donne sur la cour!

Fausse manœuvre

Un beau matin, on vit débarquer à Honfleur, arrivant par le steamer du Havre, un grand vieux matelot, sec comme un coup de trique, et si basané que les petits enfants le prenaient pour un nègre.

L'homme déposa sur le parapet le sac en toile qu'il portait et tourna ses regards de tous côtés, en homme qui se reconnaît.

—Ça n'a pas changé, murmurait-il, v'là la lieutenance, v'là l'hôtel du Cheval-Blanc, v'là l'ancien débit à Déliquaire, v'là la mairerie. Tiens, ils ont rebâti Sainte-Catherine!

Mais c'étaient les gens qu'il ne reconnaissait pas.

Dame! quand on a quitté le pays depuis trente ans!...

Un vieillard tout blanc passait, décoré, un gros cigare dans le coin de la bouche.

Notre matelot le reconnut, celui-là.

—Veille à mon sac, dit-il à un gamin, et il s'avança, son béret à la main, honnêtement. Bonjour, cap'taine Forestier, comment que ça va depuis le temps?... Comment! vous ne me remettez pas? Théophile Vincent... la Belle Ida.... Valparaiso....

—Comment! c'est toi, mon vieux Théophile? Eh bien! il y a longtemps que je te croyais décapelé!

—Pas encore, cap'taine, ni paré à ça.

Pendant cette conversation, de vieux lamaneurs, des haleurs hors d'âge, s'étaient approchés, et à leur tour reconnaissaient Théophile.

Vite, il eut retrouvé d'anciens amis.

Et ce fut des: «Et Untel?—Mort. Et Untel?—Perdu en mer. Et Untel?—Jamais eu de nouvelles.»

Quant à la propre famille de Théophile, la majeure partie était décapelée, comme disait élégamment cap'taine Forestier.

Deux nièces seules restaient, l'une mariée à un huissier, l'autre à un cultivateur, tout près de la ville.

Théophile, que trente ans de mers du Sud avaient peu disposé à la timidité, ne se laissa pas influencer par les panonceaux de l'officier ministériel.

Son sac sur le dos, il entra dans l'étude.

Un seul petit clerc s'y trouvait, très occupé à transformer en élégante baleinière une règle banale.

Théophile considéra l'ouvrage en amateur, donna à l'enfant quelques indications sur la construction des chaloupes en général et des baleinières en particulier, et demanda:

—Irma est-elle là?

—Irma, fit le clerc, interloqué.

 

—Oui, Irma, ma nièce.

—Elle déjeune là.

Sans façon, Théophile pénétra. On se mettait à table.

—Bonjour, Irma; bonjour, monsieur. C'est pas pour dire, ma pauvre Irma, mais t'as bougrement changé depuis trente ans! Quand je t'ai quittée, t'avais l'air d'une rose mousseuse, maintenant on dirait une vieille goyave!

Le mari d'Irma faisait une drôle de tête. Un sale type le mari d'Irma, un de ces petits rouquins mauvais, rageurs, un de ces aimables officiers ministériels dont le derrière semble réclamer impérieusement le plomb des pauvres gens.

Irma non plus n'était pas contente.

Bref, Théophile fut si mal accueilli qu'il rechargea son sac sur ses épaules et revint sur le port.

Il déjeuna dans une taverne à matelots, paya des tournées sans nombre et se livra lui-même à quelques excès de boisson.

Le soir était presque venu lorsqu'il songea à rendre visite à Constance, sa seconde nièce.

Une femme des champs, pensait-il, je vais être accueilli à bras ouverts.

Quand il arriva, tout le monde dévorait la soupe.

—Bon appétit, la compagnie!

Constance se leva, dure et sèche:

—Qué qu'vous voulez, vous, l'homme?

—Comment! tu ne me reconnais pas, ma petite Constance?

—Je n'connais pas d'homme comme vous.

—Ton oncle Théophile!...

—Il est mort.

—Mais non, puisque c'est moi.

—Eh ben! c'est comme si qu'il était mort! Avez-vous compris?

Théophile, en termes colorés et vacarmeux, lui dépeignit le peu d'estime qu'il éprouvait pour elle et sa garce de famille.

Et il s'en alla, un peu triste tout de même, dans la nuit de la campagne.

Il acheva sa soirée dans l'orgie, en société de vieux mathurins, d'anciens camarades de bord.

Et quand la police, à onze heures, ferma le cabaret, tout le monde pleurait des larmes de genièvre sur la déchéance de la navigation à voiles.

On ne parlait de rien de moins que d'aller déboulonner un grand vapeur norvégien en fer qui se balançait dans l'avant-port, attendant la pleine mer pour sortir.

En somme, on ne déboulonna rien et chacun alla se coucher.

La première visite de Théophile, le lendemain matin, fut pour un notaire.

Car Théophile était riche.

Il rapportait de là-bas deux cent mille francs acquis d'une façon un peu mêlée, mais acquis.

Le bruit de cette opulence arriva vite aux oreilles des deux nièces.

—J'espère bien, mon petit oncle... dit Irma.

—N'allez pas croire, mon cher oncle... proclama Constance.

D'une oreille sceptique, Théophile écoutait ces touchantes déclarations.

À la fin, obsédé par les deux parties, il décida cette combinaison:

Il vivrait six mois chez Constance, à la campagne, et six mois chez Irma, à la ville.

Le dimanche, les deux familles se réuniraient dans un dîner où la cordialité ne cesserait de régner.

Or, un dimanche soir, de son air le plus indifférent, Théophile tint ce propos:

—On ne sait ni qui vit ni qui meurt....

Les oreilles se tendirent.

—.... J'ai fait mon testament....

—Oh! mon oncle!... protesta la clameur commune.

—Comme ça m'ennuyait de partager ma fortune en deux, je ne l'ai pas partagée.

Une mortelle angoisse déteignit sur tous les visages.

—Non... je ne l'ai pas partagée... je la laisserai tout entière à celle de mes deux nièces chez laquelle je ne mourrai pas. Ainsi, une comparaison: je claque chez Irma, c'est Constance qui a le magot, et vice versa.

Cette combinaison jeta les deux familles dans la plus cruelle perplexité. Devait-on se réjouir ou s'affliger?

Finalement, chacun se réjouit, comptant sur sa bonne étoile et sur les bons soins dont on entourerait l'oncle aux œufs d'or.

Comme c'était l'été, Théophile logeait chez Constance, à la campagne.

Même à Capoue, les coqs en pâte se seraient crus en enfer, comparativement au bien-être excessif dont on entourait Théophile.

Et Théophile se laissait dorloter, s'amusant beaucoup sous cape.

Ce qui le délectait davantage, c'était de voir pousser son ventre.

Lui qui avait toujours blagué les gros pleins de soupe se sentait chatouiller de plaisir à l'idée d'avoir un bel abdomen et d'avance se promettait une grosse chaîne en or avec des breloques pour mettre dessus.

Le beau temps cessa vite cette année, et Théophile prit ses quartiers d'hiver chez Irma.

Mais la ville, ce n'est pas comme la campagne. Les tentations! Les femmes!

Théophile était en retard pour les repas. Quelquefois même il ne rentrait pas pour dîner.

Un jour, même, il découcha.

Irma s'inquiéta et, conduite par cette admirable délicatesse dont Dieu semble avoir pourvu exclusivement les femmes, elle attacha à sa maison une bonne, une belle bonne, appétissante et pas bégueule.

L'idée était ingénieuse.

Et pourtant, elle ne réussit pas.

Car, trois mois après, Théophile épousait la belle bonne appétissante et pas bégueule.

La bonne fille

Ils habitaient tous les deux, elle et son père, une sorte de petite masure juchée tout en haut de la falaise. L'aspect de cette demeure n'éveillait aucune idée d'opulence, mais pourtant on devinait que ceux qui habitaient là n'étaient pas les premiers venus.

Nous sûmes bientôt par les gens du pays l'histoire approximative de ces deux personnes.

Le père, un gros vieux débraillé, à longs favoris mal entretenus, ancien médecin de marine, mangeait là sa maigre retraite en compagnie de sa fille, une fille qu'il avait eue quelque part dans les parages des pays chauds, au hasard de ses amours créoles.

Il faisait un peu de clientèle, pas beaucoup, car les paysans se défiaient d'un docteur qui restait dans une petite maison couverte de tuiles et tout enclématisée, comme une cabane de douanier.

Pour une fille naturelle, la fille était surnaturellement jolie, belle, et même très gentille.

Aussi, au premier bain qu'elle prit, quand on la vit sortir de l'eau, la splendeur de son torse, moulé dans la flanelle ruisselante; quand, la gorge renversée, elle dénoua la forêt noire de ses cheveux mouillés qui dégringolèrent jusque très bas, ce ne fut qu'un cri parmi les plagiaires6:

—Mâtin!... La belle fille!...

Quelques-uns murmurèrent seulement: «Mâtin!»

D'autres enfin ne dirent rien, mais ils n'en pincèrent pas moins pour la belle fille.

Et ce spectacle se renouvela chaque jour à l'heure du bain.

Toutes les dames trouvaient que cette jeune fille n'avait pas l'air de grand-chose de propre; mais tous les hommes, sauf moi, en étaient tombés amoureux comme des brutes.

Un matin, mon ami Jack Footer, poète anglais vigoureux et flegmatique, vint me trouver dans ma chambre et me dit, en ce français dont il a seul le secret:

—Cette fille, mon cher garçon, m'excite à un degré que nul verbe humain ne saurait exprimer.... J'ai conçu l'ardent désir de la posséder à brève échéance.... Que m'avisez-vous d'agir?

—Ne vous gênez donc pas!

—C'est bien ce que je pensais. Merci.

Et le lendemain, je rencontrai Footer, radieux.

—Puis-je faire fond sur votre discrétion? dit-il.

—Auprès de moi, feu Sépulcre était un intarissable babillard.

—Eh bien! Carmen, car c'est Carmen qui est son nom chrétien, Carmen s'est abandonnée à mes plus formelles caresses.

—Ah!... Comme ça?

—Oui, mon cher garçon, comme ça! Elle n'a mis qu'une condition. Drôle de fille! Au moment suprême, elle m'a demandé: «Êtes-vous pour encore longtemps sur ce littoral?—Jusque fin octobre, ai-je répondu.—Eh bien! promettez-moi, si vous tombez malade ici, de vous faire soigner par mon père; c'est un très bon médecin». J'ai promis ce qu'elle a voulu. Drôle de fille!

La semaine suivante, je me trouvais à la buvette de la plage quand advint Footer?

—Un verre de pale ale, Footer?

—Merci, pas de pale ale.... Ce tavernier du diable aura changé de fournisseur, car son pale ale de maintenant ressemble à l'urine de phacochère plutôt qu'à une honnête cervoise quelconque.

En disant ces mots, Footer avait rougi imperceptiblement.

Je pensai: «Toi, mon vieux!...», mais je gardai ma réflexion pour moi.

—Et Carmen? fis-je tout bas.

—Carmen est une jolie fille qui aime beaucoup son père.

Quelques amis, des peintres, entrèrent à ce moment et je n'insistai pas, mais fatalement la conversation tomba sur la damnante Carmen.

Footer ne parla avec un enthousiasme débordant et, comme un jeune homme évoquait à cette occasion le souvenir de la Femme de feu de Belot, Footer l'interrompit brutalement:

—Taisez-vous, avec votre Belot! La Femme de feu de ce littérateur n'est, auprès de Carmen, qu'un pâle iceberg.

À ce mot, le jeune homme eut des yeux terriblement luisants.

C'était l'heure du déjeuner. Nous sortîmes tous, laissant Footer et le jeune homme.

Que se dirent-ils? Je ne veux pas le savoir; mais, le lendemain, je rencontrai le jeune homme radieux.

—Ah! ah! mon gaillard, je sais d'où vous vient cet air guilleret.

Avec une louable discrétion, il se défendit d'abord, mais avoua bientôt.

—Quelle drôle de fille! ajouta-t-il. Elle n'a mis qu'une condition, c'est que si je tombe malade ici, je m'adresserai à son père pour me soigner. Drôle de fille!

Il faut croire que cette petite scène s'est renouvelée à de fréquents intervalles, car le docteur, que j'ai rencontré ce matin, est vêtu d'une redingote insolemment neuve et d'un chapeau luisant jusqu'à l'aveuglement.

—Eh bien, docteur, les affaires?

—Je n'ai pas à me plaindre, je n'ai pas à me plaindre. J'ai eu depuis quelque temps une véritable avalanche de clients, des jeunes, des mûrs, des vieux.... Ah! si je n'étais tenu par la discrétion professionnelle, j'en aurais de belles à vous conter!

La vie drôle

Je viens d'accomplir une plaisanterie complètement idiote, mais dont le souvenir me causera longtemps encore de vives allégresses.

Ce matin, un peu avant midi, je me trouvais à la terrasse de chez Maxim's.

Quelques gentlemen préalablement installés y tenaient des propos dont voici l'approximative teneur:

—Ce vieux Georges!

—Ce cher Alfred!

—Ce sacré Gaston!

—Je t'assure, mon vieux Georges, que je suis bien content de te rencontrer.

—Depuis le temps!...

—Et moi aussi!

Abrégeons ces exclamations.

—Tu déjeunes avec nous, hein?

—Volontiers! Où ça?

—Ici.

—Entendu!

—Et tu dînes avec nous aussi?

—Oh! ça, pas mèche!

—Pourquoi donc?

—Tous les samedis que Dieu fait, c'est-à-dire 5218 fois dans le cours d'un siècle, je dîne avec Alice.

—Quelle Alice?

—Ma nouvelle bonne amie.

—Gentille?

—Très!... Mais un caractère!...

—Amène-la.

—Impossible! le samedi, elle a sa famille.

—Alors, avise-la d'un empêchement subit.

Le nommé Georges, à qui ses camarades tenaient ces propos tentateurs, sembla hésiter un instant.

Puis brusquement:

—Et allez donc, c'est pas ma mère!

Un petit bleu apporté par le garçon fut aussitôt griffonné: Excuse-moi pour ce soir... forcé partir en province.... Affaire urgente... mon avenir en dépend.... Temps semble si long loin de toi!... etc., etc., etc.

Puis l'adresse: Alice de Grincheuse, 7, rue du Roi de Prusse.

Par le plus grand des hasards (je ne suis pas de nature indiscrète), mes regards tombèrent sur l'adresse de la dame: Alice de Grincheuse, 7, rue du Roi de Prusse.

 

À cette minute précise, je me transformai en artisan diabolique, comme dit Zola (non sans raison), de l'imbécile facétie suivante:

Je me rends à la Taverne Royale, je demande de quoi écrire et le chasseur:

—Chasseur, portez ce mot immédiatement à cette adresse; il n'y a pas de réponse.

Après quoi, je reviens sans tarder chez Maxim's, où je m'installe à la table voisine des précités gentlemen.

Pendant que ces derniers dégustent leurs huîtres, lisez mon fallacieux petit billet à la jeune Alice:

Ma chère Alice,

Si tu n'as rien de mieux à faire, amène-toi donc tout de suite déjeuner avec moi et quelques camarades chez Maxim's.

Ne t'étonne pas (sans calembour) de ne pas reconnaître mon écriture; je viens de me fouler bêtement le pouce et c'est mon ami Gaston qui tient la plume pour moi. Viens comme tu es.

Ton fou de
GEORGES.

Oh! ce ne fut pas long!

La sole frite n'était pas plus tôt sur la table qu'une jeune femme, fort gentille ma foi, envahissait le célèbre restaurant.

—Tu t'es fait mal, mon pauvre Georges?

Inoubliable, la tête de Georges!

—Alice! Qu'est-ce que tu fais ici?

Inoubliable, la tête d'Alice!

—Comment, ce que je fais ici? Tu es fou, sans doute!

Inoubliables, les deux têtes réunies d'Alice et de Georges!

D'autant plus inoubliables que—j'omis ce détail—Georges et ses amis avaient cru bon de corser leur société au moyen de deux belles filles appartenant—je le gagerais—au demi-monde de notre capitale.

Un qui ne s'embêtait pas, c'était moi, avec mon air de rien.

Plus les pauvres gens s'interrogeaient, plus s'inextriquait la situation.

Est-ce bête! Je n'ai jamais déjeuné de si bon appétit!

66 Gens qui stationnent sur la place (note de l'auteur).

Другие книги автора

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»