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Contes humoristiques - Tome I

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Le Pauvre Bougre et le bon génie

Il y avait une fois un pauvre Bougre.... Tout ce qu'il y avait de plus calamiteux en fait de pauvre Bougre.

Sans relâche ni trêve, la guigne, une guigne affreusement verdâtre, s'était acharnée sur lui, une de ces guignes comme on n'en compte pas trois dans le siècle le plus fertile en guignes.

Ce matin-là, il avait réuni les sommes éparses dans les poches de son gilet.

Le tout constituait un capital de 1 franc 90 (un franc quatre-vingt-dix).

C'était la vie aujourd'hui. Mais demain? Pauvre Bougre!

Alors, ayant passé un peu d'encre sur les blanches coutures de sa redingote, il sortit, dans la fallacieuse espérance de trouver de l'ouvrage.

Cette redingote, jadis noire, avait été peu à peu transformée par le Temps, ce grand teinturier, en redingote verte, et le pauvre Bougre, de la meilleure foi du monde, disait maintenant: ma redingote verte.

Son chapeau, qui lui aussi avait été noir, était devenu rouge (apparente contradiction des choses de la Nature!).

Cette redingote verte et ce chapeau rouge se faisaient habilement valoir.

Ainsi rapprochés complémentairement, le vert était plus vert, le rouge plus rouge, et, aux yeux de bien des gens, le pauvre Bougre passait pour un original chromo maniaque.

Toute la journée du pauvre Bougre se passa en chasses folles, en escaliers mille fois montés et descendus, en anti-chambres longuement hantées, en courses qui n'en finiront jamais. En tout cela pour pas le moindre résultat.

Pauvre Bougre!

Afin d'économiser son temps et son argent, il n'avait pas déjeuné!

(Ne vous apitoyez pas, c'était son habitude).

Sur les six heures, n'en pouvant plus, le pauvre Bougre s'affala devant un guéridon de mastroquet des boulevards extérieurs.

Un bon caboulot qu'il connaissait bien, où pour quatre sous on a la meilleure absinthe du quartier.

Pour quatre sous, pouvoir se coller un peu de paradis dans la peau, comme disait feu Scribe, ô joie pour les pauvres Bougres!

Le nôtre avait à peine trempé ses lèvres dans le béatifiant liquide, qu'un étranger vint s'asseoir à la table voisine.

Le nouveau venu, d'une beauté surhumaine, contemplait avec une bienveillance infinie le pauvre Bougre en train d'engourdir sa peine à petites gorgées.

—Tu ne parais pas heureux, pauvre Bougre? fit l'étranger d'une voix si douce qu'elle semblait une musique d'anges.

—Oh non... pas des tas!

—Tu me plais beaucoup, pauvre Bougre, et je veux faire ta félicité. Je suis un bon Génie. Parle.... Que te faut-il pour être parfaitement heureux?

—Je ne souhaiterais qu'une chose, bon Génie, c'est d'être assuré d'avoir cent sous par jour jusqu'à la fin de mon existence.

—Tu n'es vraiment pas exigeant, pauvre Bougre! Aussi ton souhait va-t-il être immédiatement exaucé.

Être assuré de cent sous par jour! Le pauvre Bougre rayonnait.

Le bon Génie continua:

—Seulement, comme j'ai autre chose à faire que de t'apporter tes cent sous tous les matins et que je connais le compte exact de ton existence, je vais te donner tout ça... en bloc.

Tout ça en bloc!

Apercevez-vous d'ici la tête du pauvre Bougre!

Tout ça en bloc!

Non seulement il était assuré de cent sous par jour, mais dès maintenant il allait toucher tout ça... en bloc!

Le bon Génie avait terminé son calcul mental.

—Tiens, voilà ton compte, pauvre Bougre!

Et il allongea sur la table 7 francs 50 (sept francs cinquante).

Le pauvre Bougre, à son tour, calcula le laps que représentait cette somme.

Un jour et demi!

N'avoir plus qu'un jour et demi à vivre! Pauvre Bougre!

—Bah! murmura-t-il, j'en ai vu bien d'autres!

Et, prenant gaîment son parti, il alla manger ses 7 francs 50 avec des danseuses.

Blagues

J'ai pour ami un peintre norvégien qui s'appelle Axelsen et qui est bien l'être le plus rigolo que la terre ait jamais porté.

(C'est à ce même Axelsen qu'arriva la douloureuse aventure que je contai naguère.

Axelsen avait offert à sa fiancée une aquarelle peinte à l'eau de mer, laquelle aquarelle était, de par sa composition, sujette aux influences de la lune. Une nuit, par une terrible marée d'équinoxe où il ventait très fort, l'aquarelle déborda du cadre et noya la jeune fille dans son lit).

Bien qu'arrivé depuis peu de temps à Paris, Axelsen a su conquérir un grand nombre de sympathies.

J'ajouterai, pour être juste, que ces sentiments bienveillants émanent principalement des mastroquets du boulevard Rochechouart, des marchands de vin du boulevard de Clichy, des limonadiers de l'avenue Trudaine, et, pour clore cette humide série, du gentilhomme-cabaretier de la rue Victor-Massé.

Bref, mon ami Axelsen est un de ces personnages dont on chuchote: C'est un garçon qui boit.

Axelsen se saoule, c'est entendu. Mais, dans tous les cas, pas avec ce que vous lui avez payé. Alors fichez-lui la paix, à ce garçon qui ne vous dit rien.

Axelsen ne boit qu'un liquide par jour, un seul liquide, mais à des intervalles effroyablement rapprochés et à des doses qui n'ont rien à voir avec la doctrine homéopathique.

Des jours c'est du rhum, rien que du rhum.

Des jours c'est du bitter, rien que du bitter.

Des jours c'est de l'absinthe, rien que de l'absinthe.

Il est bien rare que ce soit de l'eau de Saint-Galmier. Si rare, vraiment!

Axelsen, autre originalité, professe le plus formel mépris pour le vrai, pour le vécu, pour le réel.

—Comme c'est laid, dit-il, tout ce qui arrive! Et comme c'est beau, tout ce qu'on rêve! Les hommes qui disent la vérité, toute la vérité, rien que la vérité sont de bien fangeux porcs! Ne vous semble-t-il pas?

—Positivement, il nous semble, lui répondons-nous pour avoir la paix.

—Si l'humanité n'était pas si gnolle3, comme elle serait plus heureuse! On considérerait le réel comme nul et non avenu et on vivrait dans une éternelle ambiance de rêve et de blague. Seulement... il faudrait faire semblant d'y croire. Hein?

—Évidemment, parbleu!

Partant de ce sage principe, Axelsen ne raconte que des faits à côté de la vie, inexistants, improbables, chimériques.

Le plus bel éloge qu'il puisse faire d'un homme:

—Très gentil, ton ami, et très illusoire!

Hier matin, nous nous trouvions installés, quelques autres et moi, au beau soleil de la terrasse d'un distillateur (dix-huitième arrondissement) quand surgit Axelsen, Axelsen consterné.

Il se laissa choir, plutôt qu'il ne s'assit, sur une proxime chaise, et se tut, ce qui lui fut d'autant plus facile qu'il n'avait pas encore ouvert la bouche.

—Eh bien! Axelsen, le saluâmes-nous, ça ne va donc pas? Tu as l'air navré.

—Je suis navré comme un Havrais lui-même!

(Il convient de remarquer qu'Axelsen ne prononce jamais les *h* aspirés, détail qui explique tout le sel de la plaisanterie).

—Peut-être n'as-tu pas bien dormi?

—J'ai dormi comme un loir (Luigi).

—Alors quoi?

—Alors quoi, dites-vous? Je viens d'assister à un spectacle tellement déchirant! Oh oui, déchirant, ô combien! Garçon!... un vulnéraire!... Ça me remettra, le vulnéraire!

Le vulnéraire fut apporté et je vous prie de croire qu'Axelsen ne lui donna pas le temps de moisir.

—Il n'est pas méchant, ce vulnéraire! Garçon!... un autre vulnéraire!

—Eh bien! Et ce spectacle déchirant?

—Ah! mes amis, ne m'en parlez pas! Je sens de gros sanglots qui me remontent à la gorge! Garçon!... un vulnéraire! Rien comme le vulnéraire pour refouler les gros sanglots qui vous montent à la gorge!

—Causeras-tu, homme du Nord?

—Voici: je viens d'assister au départ de l'omnibus qui va de la place Pigalle à la Halle aux Vins. C'est navrant! Tous ces pauvres gens entassés dans cette caisse roulante!... Et ces autres pauvres gens qui, n'ayant que trois sous, se juchent péniblement sur ce toit, exposés à toutes les intempéries des saisons, au froid, aux autans, aux frimas, au givre en hiver, l'été à l'insolation, aux moustiques! Ah! pauvres gens! Garçon!... un vulnéraire!

—Oui, c'est bien triste et bien peu digne de notre époque de progrès.

—Et les pauvres parents! Les pauvres parents désolés, tordant leurs bras de désespoir et mouillant le trottoir de leurs larmes! Il y avait là de pauvres vieux déjà un pied dans la tombe, des tout-petits à peine au seuil de la vie! Et tous pleuraient, car reverront-ils jamais ceux qui partent? Garçon!... un vulnéraire!

—Pauvres gens!

—C'est surtout quand l'omnibus s'est ébranlé que cela fut véritablement angoisseux. Les mouchoirs s'agitèrent, et de gros sanglots gonflèrent les poitrines de tous ces lamentables. Et pas un prêtre, mes pauvres amis, pas un prêtre pour appeler, sur ceux qui s'en allaient, la bénédiction du Très-Haut!

 

—Le fait est que la Compagnie des Omnibus pourrait bien attacher un aumônier à chaque station! Elle est assez riche pour s'imposer ce petit sacrifice.

—Enfin la voiture partit.... Un moment elle se confondit avec un gros tramway qui arrivait de la Villette, puis les deux masses se détachèrent et le petit omnibus redevint visible, pas pour longtemps, hélas! car à la hauteur du Cirque Fernando, il vira tribord et disparut dans la rue des Martyrs. Garçon!... un vulnéraire!

—Et les parents?

—Les parents? Je ne les revis pas!... J'ai tout lieu de croire qu'ils profitèrent d'un moment d'inattention de ma part pour se noyer dans le bassin de la place Pigalle! On retrouvera sans doute leurs corps dans les filets de la fontaine Saint-Georges!... Garçon!... un vulnéraire!

—Axelsen, fit l'un de nous gravement, je ne songe pas une seule minute à mettre en doute le récit que tu viens de nous faire. Mais es-tu bien certain que les choses se soient passées exactement comme tu nous les racontes?

—Horreur! Horreur! Cet homme ose me taxer d'imposture! Je suffoque!... Garçon!... un vulnéraire!

Un point d'histoire

Beaucoup de personnes se sont étonnées, à juste titre, de ne pas voir figurer mon nom dans la liste du nouveau ministère.

Ne faut-il voir dans cette absence qu'un oubli impardonnable, ou bien si c'est un parti pris formel de m'éloigner des affaires?

La première hypothèse doit être écartée. Quant à la seconde, la France est là pour juger.

Le lundi 5 décembre 1892, au matin, sur le coup de neuf heures, neuf heures et demie, M. Bourgeois sonnait chez moi. Le temps d'enfiler un pantalon, de mettre mon ruban d'officier d'Académie à ma chemise de flanelle, j'étais à lui.

—M. Carnot vous fait demander, me dit-il. J'ai ma voiture en bas. Y êtes-vous?

—Un bout de toilette et me voilà.

—Inutile, vous êtes très bien comme ça.

—Mais vous n'y songez pas, mon cher Bourgeois....

M. Bourgeois ne me laissa pas achever. D'une main vigoureuse il m'empoigna, me fit prestement descendre les quatre étages de mon rez-de-chaussée de garçon et m'enfourna dans sa berline.

Cinq minutes après nous étions à l'Élysée.

M. Carnot me reçut le plus gracieusement du monde; sans faire attention à mes pantoufles en peau d'élan, à mon incérémonieux veston, ni à mon balmoral (sorte de coiffure écossaise), le président m'indiqua un siège.

—Quel portefeuille vous conviendrait plus particulièrement? me demanda-t-il.

Un moment, je songeai aux Beaux-arts à cause des petites élèves du Conservatoire chez qui le titre de ministre procure une excellente entrée.

Je pensai également aux Finances, à cause de ce que vous pouvez deviner.

Mais le patriotisme parla plus haut chez moi que le libertinage et la cupidité.

—Je sollicite de votre confiance, Monsieur le Président, le portefeuille de la Guerre.

—Avez-vous en tête quelques projets de réformes relatifs à cette question?

—J' t'écoute! répliquai-je peut-être un peu trivialement.

Avec une bonne grâce parfaite, M. Carnot m'invita à m'expliquer.

—Voici. Je commence par supprimer l'artillerie....

—!!!!!

—Oui, à cause du tapage vraiment insupportable que font les canons dans les tirs à feu, tapage fort gênant pour les personnes dont la demeure avoisine les polygones!

M. Carnot esquissa un geste dont je ne compris pas bien la signifiance. Je continuai:

—Quant à la cavalerie, sa disparition immédiate figure aussi dans mon plan de réformes.

—!!!!!

—On éviterait, de la sorte, toutes ces meurtrissures aux fesses et ces chutes de cheval qui sont le déshonneur des armées permanentes!

—Et l'infanterie?

—L'infanterie? Ce serait folie et crime que de la conserver! Avez-vous servi, Monsieur le Président, comme fantassin de deuxième classe?

Pendant quelques instants, M. Carnot sembla recueillir ses souvenirs.

—Jamais! articula-t-il à la fin d'une voix nette.

—Alors, vous ne pouvez pas savoir ce que souffrent les pauvres troubades, en proie aux ampoules, aux plaies des pieds, pendant les marches forcées. Vous ne pouvez pas vous en douter, Monsieur le Président, vous ne pouvez pas vous en douter!

—Et le génie?

—Je n'ai pas de prévention particulière contre cette arme spéciale, mais... laissez-moi vous dire. J'avais, il y a quelques années, une petite bonne amie, gentille comme un cœur, qui se nommait Eugénie, mais que moi, dans l'intimité, j'appelais Génie. Un jour, cette jeune femme me lâcha pour aller retrouver un nommé Caran d'Ache qui, depuis... mais alors...! je conçus de cet abandon une poignante détresse, et encore à l'heure qu'il est, le seul proféré de ces deux syllabes Gé-nie me rouvre au cœur la cicatrice d'amour....

Je m'arrêtai; M. Carnot essuyait une larme furtive.

—Nous arrivons aux pontonniers, poursuivis-je. Vous qui êtes un homme sérieux, Monsieur le Président, je m'étonne que vous ayez conservé jusqu'à maintenant, dans l'armée française, la présence de ces individus dont la seule mission consiste à monter des bateaux!

À ce moment, le premier magistrat de notre République se leva, semblant indiquer que l'entretien avait assez duré.

Pendant tout ce temps, on n'avait rien bu; j'offris à MM. Carnot et Bourgeois de venir avec moi prendre un vermouth chez le marchand de vin de la place Beauvau.

Ces messieurs n'acceptèrent pas.

Je ne crus pas devoir insister; je me retirai en saluant poliment.

Inanité de la logique

La logique mène à tout à condition d'en sortir, dit un sage.

Ce sage avait raison et le Pasteur qui découvrira, pour le tuer, le bacille du corollaire ou le microbe de la réciproque, rendra un sacré service à l'humanité.

Sans aller plus loin, moi, j'ai un ami qui serait le plus heureux garçon de la création sans la rage qu'il a de tirer des conclusions des faits et d'arranger sa vie logiquement, comme il dit.

Aussi son existence n'est-elle qu'une forêt de gaffes.

Un petit fait, entre autres, me vient à la remembrance.

À ce moment-là, il était étudiant et pas très riche. Sa pension mensuelle avait pour destination de payer des breuvages à toutes les petites femmes qui passaient sur le boulevard Saint-Michel. Aussi son tailleur ne recevait-il, à des laps séculaires, que de dérisoires acomptes.

Un beau jour, impatienté, ce commerçant monta chez le jeune homme et panpanpana à sa porte.

Devinant de quoi il s'agissait, le jeune homme ne souffla mot, et même, selon le procédé autrichien, enfouit sa tête emmy les linceux.

Pan, pan, pan! insista le tailleur.

Pareil mutisme.

À la fin, l'homme s'impatienta:

—Mais répondez donc, nom d'un chien! proféra-t-il. Je vois bien que vous êtes chez vous, puisque vos bottines sont à la porte!

Cette leçon ne fut pas perdue, et désormais, au petit matin, mon ami rentrait ses chaussures.

À quelques jours de là, revint le tailleur. Ses panpanpan demeurèrent sans écho. Et comme il insista bruyamment, ce fut au tour de mon ami de se fâcher. Il cria, de son lit:

—Est-ce que vous aurez bientôt fini de faire de la rouspétance dans le corridor, espèce d'imbécile?... Vous voyez bien que je ne suis pas chez moi, puisque mes souliers ne sont pas à la porte!

Grossière supercherie dans laquelle ne coupa point le fournisseur.

Bizarroïde

Je ne suis pas ce qu'on appelle un ennemi de l'originalité. Certes, j'estime qu'il convient d'enfiler ses propres bottes de préférence à celles des autres. Mais de là, grand Dieu! à chausser les escarpins de la Chimère, les godillots du Jamais Vécu et les brodequins de l'Inarrivable, trouvez-vous pas une nuance?

Certaines gens s'appliquent à toutes les déconcertantes. Pour d'autres aussi—soyons justes—la maboulite chronique paraît être la seule norme, dans le Verbe aussi bien que dans le Geste.

Ce matin, je suis allé prendre un bain. À l'entrée, causaient deux messieurs, un qui s'en allait, un qui venait, et la conversation s'arrêta sur ce mot que dit celui qui venait:

—Eh bien, je vous assure, mon cher usufruitier, que je n'ai pas tant de frais qu'on dit parce qu'il y a un ami de ma tante Morin qui me sert d'ancien préfet.

Je ne songeai même pas à deviner le sens de ce propos, mais—l'avouerai-je?—j'en contractai quelque inquiétude.

Justement l'homme qui avait proféré cette drôle de phrase occupait la cabine (dit-on cabine quand il s'agit de bains chauds?) voisine de la mienne.

Les cloisons de mon établissement de bains sont minces ainsi que la baudruche. Aussi perçoit-on le plus mince clapotis d'à côté.

Mon voisin, le neveu de Mme Morin, faisait une vie d'enfer dans sa baignoire. Un groupe important d'otaries eût-on dit.

Et puis, à un moment, voilà qu'il s'interrompit pour sonner le garçon.

—Monsieur a sonné? fit bientôt ce dernier.

—Oui... Donnez-moi donc la monnaie de vingt sous.

À l'heure qu'il est, je me demande encore quel besoin immédiat peut pousser un homme nu qui trempe dans l'eau tiède à demander, toute affaire cessante, de la monnaie de vingt sous!

Le bahut Henri II

Nous en étions arrivés à ce moment du dîner où se produit ordinairement l'explosion des sentiments généreux.

D'un commun accord, nous flétrîmes l'esclavage, la question avait été mise sur le tapis par un gros garçon que l'on prétendait être un fils naturel de Mgr de Lavigerie. (Le fait est que l'extrême rubiconderie de son teint semblait dériver immédiatement de quelque pourpre cardinalice).

Ce dîner était un dîner joyeux, composé de quelques Portugais, lesquels, ainsi que l'affirme un proverbe arabe, n'engendrent jamais la mélancolie.

Il y avait là le major Saligo, et Timeo Danaos, et Doña Ferentès (la seule dame de la société), et Sinon, et Vero, et Ben Trovato, et quelques autres que j'oublie.

En fait de Français: l'écarlate bâtard, le lieutenant de vaisseau Becque-Danlot, et moi.

J'ai dit plus haut que nous flétrissions l'esclavage d'un commun accord; cela n'est pas tout à fait exact. Becque-Danlot ne flétrissait rien du tout. Becque-Danlot semblait, pour le moment, étranger à toute indignation.

Ce fut la belle Doña Ferentès qui s'en aperçut la première.

—Eh bien! capitaine, fit-elle de sa jolie voix andalouse, ça ne vous révolte pas, ces hommes vendus par des hommes, ces hideux marchés d'Afrique?

—Je vous demande mille pardons, señora, répondit l'homme de mer, je me sens indigné au plus creux de mon être, mais ma conduite passée m'interdit de me joindre à vous pour conspuer publiquement ces détestables pratiques.

Après un silence, il ajouta:

—Moi qui vous parle, j'ai vendu un homme!

Ce souvenir ne semblait pas torturer à l'excès notre ami Becque-Danlot, car il éclata d'un rire auquel le remords n'enlevait rien de sa joyeuse sonorité.

—Vous, capitaine! Vous, l'honneur de la marine française! Vous avez vendu un homme?

—J'ai vendu un homme! insista Becque-Danlot, toujours gai.

—En Afrique?

—Non, pas en Afrique, en France.

—En France!

—Parfaitement! Et même mieux: à Paris!

—À Paris!

—Parfaitement! Et même mieux: à l'Hôtel des Ventes, rue Drouot.

Du coup, nous jugeâmes que l'intrépide marin se gaussait de nous.

Le fils naturel de Mgr de Lavigerie se fit l'écho de tous:

—Vous vous payez notre poire, capitaine!

Sans s'arrêter à cette apostrophe triviale, Becque-Danlot reprit:

—Oui, señora, oui, messieurs, j'ai bazardé un bonhomme à l'Hôtel des Ventes. Ça n'est même pas une brillante opération que j'ai faite là. J'ai perdu 350 francs... mais j'ai bien rigolé!

Un point d'interrogation se peignit sur chacune de nos faces.

—Contez-nous cela, ordonna Ferentès.

 

Un marin français n'a jamais rien refusé à une grande dame andalouse: le fait est bien connu.

Je passe sous silence le cigare classique qu'alluma le conteur, les spirales traditionnellement bleuâtres qu'il contempla un instant, et j'arrive au récit de Becque-Danlot:

Il y a de cela trois ans. J'arrivais du Sénégal avec un congé de six mois de convalescence et bien disposé à en profiter largement.

Un petit héritage que je venais d'accomplir me permettait de bien faire les choses. Je louai, rue Brémontier, un rez-de-chaussée que je meublai fort gentiment, ma foi, et me voilà parti pour la vie joyeuse.

Un soir, au Jardin-de-Paris, je fis connaissance d'une jeune femme qui me plut énormément. Pas étonnamment jolie, mais d'une distinction et d'un charme! Très réservée, avec cela, et ne ressemblant nullement à toutes ces marchandes d'amour qui peuplaient l'endroit.

Elle me raconta une histoire à dormir debout, dans laquelle je coupai, d'ailleurs, comme un rasoir.

Fille d'un général, élevée à Saint-Denis, père remarié, belle-mère acariâtre, scènes continuelles, existence impossible, fuite, malheurs, envies de suicide.

Le tout accompagné de larmes furtives qu'elle essuyait fréquemment avec un mouchoir sentant très bon.

Ce qui suivit, vous le devinez tous, n'est-ce pas? J'emmenai la jeune personne chez moi, l'installai, la lotis d'un amour de petite femme de chambre.

Bref, je fus bon avec elle, comme s'il en pleuvait, et discret, et bien élevé. Tout à fait charmant, vous dis-je.

Je la laissais seule presque toute la journée, ne venant la quérir que le soir, vers six heures, pour dîner, aller au théâtre, au concert.

Elle semblait s'être prise pour moi d'une ardente passion et me répétait souvent:

—Quand vous me quitterez, mon ami, je me tuerai!

Diable!

Je commençais à devenir sérieusement inquiet de la tournure que prenaient les choses, quand, un matin, l'amour de petite femme de chambre me remit un billet qu'elle me pria de lire plus tard dans la journée.

Monsieur, disait le billet, n'a pas idée de ce que Madame se fiche de Monsieur! Monsieur n'a pas plus tôt les talons tournés que Madame reçoit une espèce de gigolo qui marque bigrement mal. Au cas où Monsieur rentrerait brusquement, ce qui est déjà arrivé une fois, l'affaire est arrangée: le gigolo se glisse dans le bahut Henri II qui sert de coffre à bois pendant l'hiver. Madame donne un tour de clef au bahut, met la clef dans sa poche, et ni vu ni connu! Comme le couvercle ne joint pas très bien, et que le bahut est très grand, le gigolo n'est pas trop mal pendant que Monsieur est là. Pour être sûr de piéger le gigolo, venir de préférence vers deux heures de l'après-midi.

MARIE.

D'abord, je me refusai à croire à tant d'infamie, mais tout de même j'étais là vers deux heures.

Une mimique expressive de l'amour de petite femme de chambre m'apprit que j'arrivais bien.

Ellen (vous ai-je dit que la personne s'appelait Ellen?), Ellen me reçut avec le plus enchanteur de ses sourires, et la plus calme de ses physionomies:

—Quelle bonne fortune de vous voir à cette heure!

La clef du bahut n'était pas sur la serrure, une grosse clef en fer forgé de l'époque, assez malaisée à dissimuler.

Quelques privautés manuelles m'apprirent à n'en pas douter que la clef se trouvait dans une des poches de la belle.

Donc, plus de doutes!

Comment l'idée me vint de faire ce que je fis en cette circonstance, je n'en sais encore rien. Une lueur de génie, sans doute!

J'envoyai Ellen m'acheter une cravate chez un chemisier de l'avenue de Villiers, prétendant qu'elle seule saurait la choisir à mon goût.

Pendant son absence, et en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, j'arrêtais une voiture; aidé d'un commissionnaire, je chargeais le bahut Henri II, et en route pour la salle des ventes!

Le meuble, grâce à quelques pièces de cent sous judicieusement distribuées, prit place dans un mobilier qu'on allait mettre en vente.

On fit bien quelques difficultés pour la clef absente, mais l'état du dehors répondait pour la conservation intérieure.

Au bout d'une demi-heure, un Auvergnat en faisait l'acquisition pour la somme de deux cent cinquante francs. (Il m'en avait coûté six cents).

Mon bahut fut chargé avec son contenu sur une énorme voiture de déménagement. On entassa par-dessus les objets les plus hétéroclites, literie, bronzes d'art, bouteilles de vin, cages à oiseaux, voitures d'enfant, lustres en cristal, etc.

Sous cet attirail, le gigolo devait mener un train d'enfer, mais les parois épaisses du bahut étouffaient ses clameurs.

Dans quelle direction fut-il dirigé? Lui rendit-on promptement sa liberté? Ou bien, s'il y est encore? Je ne songeai jamais à m'occuper de ces détails; mais je vous le répète, señora et messieurs, si j'ai ri dans ma vie, c'est bien ce jour-là.

Quant à Ellen, je ne la revis pas.

L'amour de petite femme de chambre m'apprit qu'elle avait quitté mon appartement après avoir fait un petit paquet de ses objets précieux, et sans faire la moindre allusion au meuble qui manquait.

Depuis ce temps-là, j'ai banni tout bahut Henri II de mes ameublements.

33 Le mot gnolle a été récemment révélé à Axelsen par le feuilleton de M. Jules Lemaître dans les Débats. Sur la foi du jeune et intelligent critique, Axelsen emploie maintenant le mot gnolle dans les meilleures sociétés de la rue Lepic.

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